La bataille de Normandie
La bataille de Normandie est l’un des affrontements majeurs de la Seconde Guerre mondiale. De par le nombre de soldats allemands qu’elle mobilise, de par les pertes qu’elle fait subir à une Wehrmacht qui ressort laminée de combats acharnés se finissant parfois au corps à corps, cette bataille joue un rôle fondamental dans la libération de la France et dans celle de l’Europe de l’Ouest. De l’assaut sur les plages du débarquement à la retraite allemande dans le « couloir de la mort » à la mi-août et à la libération de Lisieux le 23 août 1944, la bataille de Normandie dure environ 80 jours. De l’enfer des haies aux faubourgs de Caen, ce sont presque trois mois d’une bataille âpre, souvent indécise, toujours violente. Pour les soldats mais aussi pour les civils. On dénombre 20 000 Normands tués (dont 14 000 pour la seule Basse-Normandie), pour la plupart victimes des bombardements aériens alliés, certaines localités étant totalement dévastées par de véritables tapis de bombes. Les Alliés perdent un peu plus de 200 000 hommes, dont 37 000 tués. Pour les Allemands, le bilan humain est difficile à établir, allant de 300 000 à 450 000 pertes, dont 55 000 à 60 000 tués. La Wehrmacht perd ainsi pas moins de la moitié des effectifs qu’elle a engagés en Normandie. La stratégie imposée par Hitler en personne consistait à tenir coûte que coûte pour contenir l’invasion alliée en attendant l’arrivée hypothétique des armes secrètes censées faire basculer le cours de la guerre. La guerre d’usure qui s’en est suivi a penché du côté des Alliés qui sont parvenus, grâce à un formidable effort logistique, à faire parvenir en Normandie toujours plus de munition, plus d’armement, plus de pétrole et plus d’hommes.
Au soir du 6 juin, les 156 000 soldats alliés mis à terre en Normandie font face à 80 000 soldats allemands. Dès lors, il est de la plus haute importance de consolider la tête de pont et l’avantage numérique en entravant le plus possible l’arrivée des renforts allemands. C’est la raison pour laquelle une dizaine de villes bas-normandes, qui étaient autant de nœuds routiers, sont rasées par les bombardements alliés, de Pont l’Evêque à Coutances en passant par Vire, Condé-sur-Noireau, Lisieux et Saint-Lô, « capitale des ruines ». De même, les infrastructures ferroviaires et les ponts sont particulièrement visés. Dans ces conditions, les renforts allemands peinent à arriver. Ils proviennent pour l’essentiel de Bretagne, du sud-ouest de la France et même de Scandinavie. Si les troupes allemandes n’affluent pas en masse vers le front normand, c’est aussi en raison du succès de l’opération d’intoxication du haut état-major allemand qui reste persuadé, jusqu’à la mi-juillet, que le débarquement de Normandie n’est qu’une diversion avant le véritable débarquement qui aura lieu, lui, dans le Pas-de-Calais. Les Allemands se privent ainsi de la XVe armée de von Salmuth, dont l’arrivée en Normandie dans les jours suivant immédiatement le débarquement, aurait sans aucun doute compliqué davantage la tâche des Alliés.
Deux semaines après le D-Day, ceux-ci sont environ 640 000 sur le front normand, contre 250 000 allemands. Au 1er août, 1 600 000 soldats américains, britanniques et canadiens ont été engagés en Normandie, contre 510 000 Allemands, soit trois fois plus. L’armée allemande a les pires difficultés à remplacer ses pertes, le déséquilibre ne cessant de s’accentuer avec le temps. À l’est, le lancement de l’opération Bagration par l’Armée rouge, le 22 juin 1944, retient sur le front oriental près des deux tiers des effectifs de la Wehrmacht. Et pourtant, en dehors de quelques succès rapides, comme la prise, le 26 juin, de Cherbourg et de son port en eau profonde, capital pour assurer leur ravitaillement, les Alliés ont les pires difficultés à avancer, prenant un retard important par rapport au calendrier prévu par le haut commandement. Ainsi, Caen, qui devait être pris à J+1 n’est libéré totalement que le 19 juillet, après six semaines de combats acharnés et de lourdes pertes de part et d’autre. Et si les Britanniques et les Canadiens se sont longtemps cassés les dents sur le verrou blindé tendu devant Caen par les Panzerdivisionen, que dire des Américains pris au piège de « l’enfer des haies » dans le Bocage ?
Solidement campés sur leurs positions, les soldats allemands tiennent tête aux Alliés et les contraignent à une guerre d’attrition. L’infériorité de leurs effectifs est en partie compensée par le fait que la proportion des troupes combattantes par rapport aux services logistiques est bien supérieure à ce qu’elle est dans les rangs alliés où ceux-ci représentent environ la moitié des hommes. Mais surtout, les combattants allemands sont beaucoup plus aguerris que leurs adversaires et appartiennent pour certains à des unités d’élite ayant fait leurs armes sur d’autres champs de bataille, comme un certain nombre de divisions blindées SS. A l’inverse, nombre de soldats anglo-américains débarquent en Normandie pour leur baptême du feu : c’est le cas pour 70 % d’entre eux. Enfin, le terrain est largement défavorable aux assaillants. Le bocage normand, avec ses champs enclos de haies touffues et impénétrables, offre aux Allemands de redoutables positions défensives dont ils tirent profit, infligeant de lourdes pertes aux Alliés tout au long du mois de juillet 1944.
Avantage de taille pour les Alliés : leur maîtrise du ciel est totale. Pour leurs aviateurs, le danger ne vient pas des avions de la Luftwaffe, mais des canons de la FLAK (artillerie antiaérienne), en particulier de ses canons de 88mm, utilisés aussi comme terribles armes anti-chars, efficaces jusqu’à une altitude de 8 000 mètres. A terre, l’indéniable infériorité matérielle allemande en termes quantitatifs est partiellement compensée par sa supériorité qualitative. Ainsi en va-t-il de la redoutable mitrailleuse allemande MG42, dont la cadence de tir de 1 500 coups à la minute est trois fois supérieure à celle des mitrailleuses américaines – Browning – et britanniques – Bren. Durant la bataille de Normandie, les Alliés engagent au total 8 700 chars et chasseurs de chars (tanks destroyers), contre 2 300 chars, canons d’assaut et chasseurs de chars du côté allemand. Mais la qualité des blindés allemands, les Tiger et autres Panther, surclasse celle des chars Churchill, Cromwell et Sherman. Les divisions blindées constituent d’ailleurs le point fort de la Wehrmacht en Normandie. En revanche, son artillerie est insuffisamment motorisée, ce qui entraîne un recours massif aux attelages hippomobiles. Entre 2 600 et 3 600 chars alliés sont détruits en Normandie, contre 1 000 à 1 500 du côté allemand. Mais les chars de remplacement alliés parviennent si vite que leur nombre finit par dépasser leurs pertes, ce qui est loin d’être le cas pour l’armée allemande qui dirige l’essentiel de sa production vers le front de l’est. Bien que distant d’environ 2 000 kilomètres, le front oriental tient donc un rôle décisif dans le sort de la bataille de Normandie.