La fin de la guerre du Pacifique

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Par Pierre Journoud, chargé de recherches au Centre d'études d'histoire de la défense

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Capitulation du Japon, Baie de Tokyo, 2 septembre 1945.Le général de l'armée Douglas MacArthur, Commandant suprême des forces alliées, lisant son discours d'ouverture de la cérémonie de capitulation à bord de l'USS Missouri (BB-63), le 2 septembre 1945. Les représentants des forces alliés sont derrières lui.
Capitulation du Japon, Baie de Tokyo, 2 septembre 1945. Le général de l'armée Douglas MacArthur, Commandant suprême des forces alliées, lisant son discours d'ouverture de la cérémonie de capitulation à bord de l'USS Missouri (BB-63), le 2 septembre 1945.

Après le 8 mai 1945, la guerre s'est poursuivie quelques mois encore en Extrême-Orient et dans le Pacifique.

Corps 1

Le général Leclerc paraphe l'acte de capitulation japonais à bord du "Missouri", 2 septembre 1945.
Source : Australian War Memorial - libre de droit


Pour bien des Français aujourd'hui, la capitulation du IIIe Reich, le 8 mai 1945, signifie la fin de la Seconde Guerre mondiale. La guerre qui se déroule depuis 1937 en Extrême-Orient, et sur le théâtre du Pacifique entre 1941 et 1945, loin, certes, de l'Europe, et perçue comme un face-à-face essentiellement nippo-américain, tend à s'effacer de leur mémoire collective.

Pourtant, non seulement les plus grandes batailles aéronavales de toute l'histoire s'y sont déroulées, mais l'occupation de l'Extrême-Orient par les Japonais, soucieux de réunir à leur profit la «Grande Asie Orientale», a directement contribué à la dislocation des empires coloniaux, tout particulièrement en Indochine. Après les foudroyants succès des Japonais dans le Pacifique et en Asie de l'Est, qui leur valurent de contrôler dès 1942 un espace de 8 millions de km2, les Américains bombardèrent massivement plusieurs grandes villes japonaises, dont Tokyo en avril 1942, et mobilisèrent leurs ressources pour lancer une puissante contre-offensive, par «sauts de puce», dans deux directions . le Pacifique central (amiral Nimitz). les Philippines (général Mac Arthur). Mal préparés à une guerre longue, les Japonais commencèrent à refluer, île après île, sous les assauts des Marines : Midway en juin 1942, Guadalcanal en février 1943, Leyte en octobre 1944, Iwo Jima en février 1945, Okinawa en avril...

La résistance farouche des Japonais

De plus, à partir de juin 1944, des flottes entières de «superforteresses volantes » - les B-29, nouveaux bombardiers à Ions rayon d'action - pilonnèrent le Japon, sans épargner aucune cible, pas même les grandes agglomérations urbaines, pour désorganiser la vie économique et briser le moral des populations civiles.

Les 9 et 10 mars, 279 B-29 déversèrent par vagues successives plus de 1 600 tonnes de bombes sur Tokyo, provoquant d'innombrables dégâts matériels et la mort d'au moins 80 000 personnes, sans compter un nombre supérieur de blessés.

La résistance des Japonais, contraints à la défensive depuis 1943, en partie du fait de l'épuisement de leurs matières premières et de leur insuffisante production de guerre, n'en resta pas moins farouche et déterminée : en avril 1945, les pertes américaines s'élevaient encore à 1 000 morts en moyenne par jour... Puisant dans la tradition nationale des Samourai et du seppuku (harakiri), les combattants furent exhortés à sacrifier leur vie selon le code japonais de l'honneur militaire, plutôt que de se rendre. Des dizaines de milliers d'hommes assiégés se donnèrent ainsi la mort, par suicides individuels ou collectifs. Officiellement volontaires, souvent très jeunes et mal formés, 3 450 Kamikazes - littéralement, «vent des dieux» - périrent de la sorte en 1944-1945, pour un résultat qui, sans être marginal (environ 32 navires américains coulés, 285 endommagés), ne fut jamais décisif.

En finir avec la guerre, Hiroshima, Nagasaki

Le 8 mai 1945, la capitulation allemande scella le sort du Japon.

À Postdam, le 26 juillet, les Alliés demandèrent solennellement sa reddition sans condition. Mais l'amiral Suzuki, qui avait succédé comme Premier ministre au général Tojo, rejeta l'ultimatum le 28. Vaincue dans le Pacifique, soumise à des bombardements de plus en plus intensifs, sur mer comme dans l'archipel, l'armée impériale, forte encore d'environ deux millions d'hommes dans l'archipel, se préparait plus que jamais à la perspective d'une bataille décisive en territoire japonais. En effet, il existait depuis 1944, parmi d'autres, un plan américain de débarquement terrestre au Japon. Celui-ci devait commencer avec l'invasion de Kyu Shu, en novembre 1945 (opération Olympic), puis de Honshu (opération Coronet), et engager des moyens jusqu'alors jamais rassemblés. Mais les états-majors avaient calculé que l'invasion du Japon jusqu'à la victoire totale coûterait entre 220 000 et 500 000 morts américains. Le prix à payer paraissait exorbitant pour une victoire virtuellement acquise, même si, depuis lors, les historiens américains ont révisé ces estimations à la baisse.

Surtout, depuis la mort de Roosevelt, la diplomatie soviétique suscitait une inquiétude croissante parmi les Alliés, comme au Japon : en faisant traîner les discussions secrètes que ce dernier avait sollicitées et obtenues de l'URSS en juin 1945, Staline ne misait-il pas sur une prolongation du conflit en Extrême-Orient pour être en mesure d'y prendre une part et étendre ensuite sa domination sur de nouveaux territoires, tout particulièrement l'île d'Hokkaido ? Aussi, pour couper court aux manoeuvres soviétiques, vis-à-vis desquelles il considérait que son prédécesseur avait été trop conciliant, le Président Harry Truman prit-il la décision, le 17 juillet, de se servir de « l'arme nouvelle», testée secrètement la veille dans le désert du Nouveau-Mexique.
 

Les ruines d'Hiroshima depuis le toit de l'hôpital de la Croix-Rouge, après le bombardement du 6 août 1945.
Source: W.wolny, ibiblio.org Post-Work. Libre de droit


Sans nul doute, l'emploi de la bombe nucléaire au Japon, encouragé par les plus proches conseillers civils du Président, malgré les réticences de ses conseillers militaires, répondait bien plus à des nécessités politiques que militaires, ce qui allait engendrer plus tard de nombreuses controverses... Une première bombe atomique, lancée depuis un bombardier B-29 que son commandant, le colonel Paul Tibbets, avait baptisé Enola Gay, atteignit Hiroshima, la septième plus grande ville japonaise, le 6 août à 8h 15. «Mon Dieu, qu'avons-nous fait?», s'interrogea le copilote en constatant la puissance de l'explosion et en voyant s'élever une gigantesque colonne de fumée de 12 km de hauteur.

Au moins 80 000 personnes périrent dans l'explosion, 70 000 autres furent blessées (1) . 60% de la superficie totale de la ville fut détruite. Faute de réponse du gouvernement nippon, la seconde des deux bombes atomiques que les Américains possédaient fut jetée le 9 sur Nagasaki, le jour même où les Soviétiques, conformément à un accord conclu quelques mois plus tôt entre Staline et Roosevelt, déclenchaient leur offensive contre le Japon, occupant bientôt la Mandchourie, la Corée et le sud de Sakhaline. En quelques secondes, deux grandes villes industrielles avaient été rayées de la carte.

Mais le monde, bientôt «figé dans la dramaturgie de la guerre froide», allait être soigneusement tenu à l'écart de la dimension humaine de ce drame, aggravé par la découverte progressive des effets à long terme des radiations atomiques. Le 14 août, obsédé par l'avance des troupes soviétiques au point d'occulter totalement le bombardement de Nagazaki en conseil des ministres (2), le gouvernement japonais finit par accepter les termes de l'ultimatum lancé à Potsdam, perdant d'un coup toutes ses conquêtes territoriales.
 

2 Septembre 1945: les représentants du Japon à bord de USS Missouri (BB-63) au cours de la cérémonie de remise.
Source : Army Signal Corps Collection in the U.S. National Archives. Libre de droit

 

La capitulation du Japon


Capitulation du Japon, Baie de Tokyo, 2 septembre 1945. Le général de l'armée Douglas MacArthur, Commandant suprême des forces alliées,
lisant son discours d'ouverture de la cérémonie de capitulation à bord de l'USS Missouri (BB-63), le 2 septembre 1945. Les représentants des forces alliés sont derrières lui.
Source : Gouvernement fédéral des États-Unis, libre de droit.


Le 2 septembre, sur le pont du Missouri, ancré en rade de Tokyo, le général Mac Arthur présidait la cérémonie de reddition du Japon.

Le général Leclerc, qui venait d'être désigné par le général de Gaulle pour prendre la tête d'un corps expéditionnaire en Indochine, signa pour la France l'acte de capitulation. La présence d'un représentant du gouvernement français s'expliquait par le fait que le général de Gaulle, convaincu que la France devait payer l'impôt du sang en Indochine pour conserver son empire et son rang, avait, dès le 9 décembre 1941, déclaré la guerre au Japon et lancé un appel à la résistance aux populations d'Indochine.

De fait, avec la complicité active des Britanniques, une résistance française - le pluriel serait ici préférable compte tenu des fortes divisions qui la traversèrent de la base au sommet -s'était tant bien que mal développée en Indochine. Bien que modeste et confinée jusqu'en 1944 à une poignée de réseaux insuffisamment coordonnés, elle permit néanmoins d'obtenir des renseignements sur les mouvements de troupes et de navires japonais, de sauver quelques pilotes alliés, de réceptionner du matériel et de mieux orienter les bombardements alliés sur l'Indochine, notamment celui qui permit la destruction d'un important convoi japonais en janvier 1945. Coïncidence fortuite?
 

2 septembre à bord du Missouri, dans la baie de Tokyo­, le général Yoshijiro­ Umezu signe la capitulation japonaise face au général Douglas MacArthur.
Source Photograph courtesy U.S. National Archives. Libre de droit


Le jour même de la signature de l'acte de reddition du Japon, Ho Chi Minh proclamait l'indépendance de la République démocratique du Vietnam sur la place Ba Dinh, à Hanoi, où s'était massé une foule nombreuse, parsemée de conseillers américains. En attisant les sentiments nationalistes et anti-colonialistes des Vietnamiens tout au long de leur occupation du pays entre 1940 et 1945, en neutralisant l'administration et les troupes françaises, le 9 mars 1945, dans des conditions particulièrement humiliantes pour une puissance coloniale déjà affaiblie, les Japonais avaient créé les conditions de la prise du pouvoir par le Vietminh, auquel le gouvernement français refusa de reconnaître une quelconque légitimité.

Malgré les avertissements du général Leclerc et de certains de ses plus proches collaborateurs, la métropole, dès 1946, s'orienta délibérément vers l'épreuve de force. Pendant que la France s'enfonçait dans la guerre en Indochine, les États-Unis imposaient leur paix à un Japon dévasté. Sous la férule du général Mac Arthur, les mesures punitives (occupation militaire, désacralisation de l'empereur, jugement des criminels de guerre par le tribunal militaire international de Tokyo, purges, etc.) furent rapidement relayées par une politique de démocratisation, marquée notamment par l'adoption d'une nouvelle Constitution et l'application de nombreuses réformes économiques et sociales.

Il en est résulté une relation psychologique complexe et passionnelle du Japon à l'égard des États-Unis, mêlant ressentiment et reconnaissance, qui a perdurée durant plusieurs décénies.

 
Pierre Journoud, chargé de recherches au Centre d'études d'histoire de la défense
Revue "Les Chemins de la Mémoire n° 154" - octobre 2005 pour Mindef/SGA/DMPA

 

Notes :
(1) Fondé sur une estimation et non sur un décompte précis, impossible à faire, ce bilan s'est très vite aggravé. L'on estime aujourd'hui qu'entre 190 000 et 230 000 personnes auraient péri, à la fin de 1945, du fait des deux bombardements atomiques. Les sources officielles comptabilisent 285 000 victimes mais elles tiennent compte des conséquences à long terme des deux explosions et, en particulier, des effets des radiations atomiques (Réponse de Christian Kessler dans le «courrier des lecteurs», L'Histoire, n° 299, juin 2005, p. 4). Certains auteurs fournissent des bilans plus élevés encore: «entre 320 000 et 420000 morts de la bombe» (Béatrice Faillès, Hiroshima oublié, Édition n° 1, 1995, p. 10).
(2) Interview du professeur Tsuyoshi Hasegawa, «La vérité inavouable». Le Nouvel Observateur, 28 juillet - 3 août 2005.