La Rose blanche

Sous-titre
Par Hartmut Mehringer, Directeur des archives de l'Institut für Zeitgeschichte, Munich-Berlin

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Mémorial Scholl devant l'Université Louis-et-Maximilien de Munich.
Mémorial Scholl devant l'Université Louis-et-Maximilien de Munich. Source : Photo Gryffindor. Wikipedia commons.

Ces jeunes Allemands qui ont dit NON au nazisme

Dès l'été 1942, un groupe d'étudiants de l'université de Munich passent à l'action clandestine. Sous le nom de la "Rose blanche", ils dénoncent le régime hitlérien en diffusant des tracts d'abord destinés aux universitaires puis à la population de Munich et de ses environs.

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Le 25 février 1943, Josef Goebbels, ministre de la propagande national-socialiste, notait en passant dans son journal : " À Munich, quelques étudiants ont été démasqués comme ennemis de l'État. Ils ont mené une vaste campagne contre la guerre, ont été traduits devant le tribunal et condamnés à mort. J'approuve que les sentences capitales soient exécutées." Et trois mois plus tard, alors que Hans et Sophie Scholl et leur compagnon Christoph Probst avaient déjà été exécutés, le procureur général du Reich, Ernst Lautz, s'opposa catégoriquement devant le Volksgerichtshof (Tribunal du peuple) à gracier Alexander Schmorell, Willi Graf et le professeur Kurt Huber : "Le procès a pour objet une affaire qui traite sans doute du pire des cas de haute trahison propagandiste que le Reich ait connus pendant la guerre."

 

Alexander Schmorell - septembre 1940 lors d'une visite chez son amie Angelika Probst - Source : Gedenkstätte Deutscher Widerstand Berlin

 

La Rose blanche, un mouvement de résistance étudiant

Les cinq premiers nommés, tous étudiants à l'université de Munich, constituaient le noyau dur d'un mouvement de résistance étudiant qui avait choisi lui-même son nom " Weiße Rose " (la Rose blanche). Un nom d'ailleurs dont l'origine n'est pas tout à fait claire. L'éventail des hypothèses possibles s'étend de la parabole du grand inquisiteur de Dostoïevski dans son roman les Frères Karamasov où la rose blanche qui décorait le cercueil d'une petite fille est le symbole de la renaissance, en passant par La rose blanche de B. Traven, roman socio-critique dont l'action se déroule au Mexique, ou par l'image de la " rose du ciel " dans la Divine comédie de Dante jusqu'à l'insigne de l'organisation de jeunes " dj.1.11 ", un groupement de la jeunesse allemande " confédérée " (Bündische Jugend), dissous par l'État national-socialiste en 1933, dont Hans Scholl avait été membre. Le musicologue et professeur de philosophie Kurt Huber - bien qu'il fut en quelque sorte un mentor et un conseiller, avancé en âge - ne s'associa au groupe d'opposition que relativement tard.

 

Christoph Probst. Source : Gedenkstätte Deutscher Widerstand Berlin

 

Des jeunes d'horizons politiques et culturels variés

Qui étaient ces cinq jeunes amis qui formaient le noyau de la " Rose blanche " ? C'étaient tous des étudiants en médecine à l'université de Munich, en deuxième ou troisième année d'études, sauf Sophie Scholl, inscrite en biologie et en philosophie. Certains s'étaient liés d'amitié depuis longtemps, par exemple Christoph Probst et Alexander Schmorell qui se connaissaient depuis 1935, mais le groupe ne se constitua que peu de temps avant l'été 1942. Ils étaient tous d'origine bourgeoise, mais leurs familles représentaient divers horizons politiques et culturels : les convictions libérales des parents Scholl, l'orientation plutôt national-allemande du père de Schmorell ou bien les positions catholiques et national-conservatrices du professeur Huber. Ils avaient été formés par la culture classique allemande et étaient tous unis par une foi chrétienne profonde bien que de confessions différentes : Hans et Sophie Scholl venaient d'une famille protestante, Willi Graf d'un milieu catholique, Christoph Probst était croyant mais sans appartenir à aucune église, le demi-russe Alexander Schmorell avait été élevé dans la religion orthodoxe russe.

 

Willi Graf - début 1940 - Source : Gedenkstätte Deutscher Widerstand Berlin

 

Après deux ans ou plus de service de travail ou de service militaire, ils faisaient partie de diverses associations étudiantes et pouvaient se consacrer à leurs études ou, ce qui était plus important encore, à leurs intérêts artistiques, politiques ou philosophiques : concerts, soirées de lecture ou de discussions, etc. Là, s'ouvrait déjà une voie possible pour se soustraire à l'emprise de l'appareil du parti national-socialiste et de sa propagande.

Les raisons du passage à l'action

 

Sophie Scholl. Source : Gedenkstätte Deutscher Widerstand Berlin

 

Pour comprendre les raisons de leur passage à l'action clandestine au cours de l'été 1942, il faut se remémorer la situation politico-militaire de l'époque. L'arrêt de l'assaut allemand devant Moscou lors de l'hiver 1941-42, la fin de l'offensive d'Erwin Rommel en Afrique du Nord à l'été 1942 et l'intensification des bombardements contre les villes allemandes avaient suscité dans la population des doutes sérieux quant aux progrès militaires futurs. La confrontation à un pouvoir politique de plus en plus intolérant, également envers le milieu étudiant, a stimulé peut-être une certaine attitude d'opposition. Et il est très probable que Willi Graf, engagé sur le front russe en 1941-42, se fit l'écho des agissements meurtriers des " groupes d'action " (Einsatzgruppen) de la SS et de la police de sécurité à l'arrière du front auprès de son cercle d'amis, ce qui fut un facteur de leur prise de conscience.

Corps 2

Les premiers tracts sont diffusés à l'été 1942

Les quatre premiers tracts de la " Rose blanche " furent rédigés et distribués par Hans Scholl et Alexander Schmorell à l'été 1942, en deux semaines seulement. Les tracts faisaient appel à la " culture chrétienne occidentale " et à la responsabilité de l'"intelligentsia allemande ". Envoyés par la poste, ils étaient surtout destinés à des universitaires parce qu'on voulait mobiliser les intellectuels - professeurs, écrivains, directeurs d'école ou chargés d'enseignement, libraires, médecins... -, à Munich et dans ses environs, en plus des restaurateurs, des propriétaires de cafés et d'épiceries. Pour se faire entendre par cette classe " cultivée ", Hans Scholl et Alexander Schmorell utilisaient sciemment un langage bourgeois classique en citant Goethe, Schiller, Novalis, la Bible mais aussi Lao-Tseu et Aristote. Le tirage était encore très restreint - guère plus de 100 exemplaires chaque fois - et les tracts se terminaient par un appel à les faire circuler.

 

Hans Scholl. Source : Gedenkstätte Deutscher Widerstand Berlin

 

En finir avec le national-socialisme

Pendant trois mois au cours de l'automne 1942, Hans Scholl, Alexander Schmorell et Willi Graf, qui se rendaient utiles sur le front russe en apportant leur assistance médicale, furent confrontés à la détresse de milliers de soldats allemands grièvement blessés et mutilés, soignés dans des conditions désastreuses.

Le groupement d'opposants s'était entre-temps étoffé avec l'arrivée d'amis et de connaissances et avait gagné des sympathisants et complices dans d'autres villes universitaires allemandes notamment à Hambourg. Fin janvier 1943, le cinquième tract paraissait. Intitulé " Tract du mouvement de résistance en Allemagne ", il s'adressait à " tous les Allemands ", les exhortant à en finir avec le national-socialisme avant qu'il ne soit trop tard sinon " les Allemands subiraient le même sort que les Juifs ". Le langage était clairement plus " politique ", propageant pour l'Allemagne un fédéralisme sain et s'attaquant au centralisme et au militarisme prussiens. Dans ces formules, l'influence de Kurt Huber ainsi que l'opposition virulente de l'écrivain catholique Theodor Haecker (1879-1945) à l'hégémonie de la Prusse protestante se manifestaient. Le tirage fut beaucoup plus important, entre six et neuf mille exemplaires, et le tract fut diffusé par la poste à Augsbourg, Stuttgart, Francfort-sur-le-Main, Salzbourg, Linz et Vienne. Pour réduire les frais d'affranchissement, Sophie Scholl et Alexander Schmorell prirent alors le risque de transporter eux-mêmes le courrier. En raison du manque d'enveloppes, le tract fut diffusé à Munich dans des actions encore plus risquées : fin janvier-début février, Hans et Sophie Scholl, Willi Graf et Alexander Schmorell diffusèrent entre 2 000 et 5 000 tracts dans le centre de Munich, principalement autour de la gare centrale, dans des cabines téléphoniques, sur des voitures en stationnement...

Le dernier tract de la Rose blanche

Le sixième - et dernier - tract fut une réaction à la terrible défaite allemande de Stalingrad annoncée officiellement le 3 février dans les journaux et sur les ondes. Ce tract, titré "Camarades d'études" (Kommilitoninnen ! Kommilitonen !), évoquait surtout la défaite de Stalingrad, en appelait aux principes de liberté personnelle et de dignité de l'homme violés par le parti national-socialiste, et incitait les étudiants à se libérer tout de suite du système nazi en suivant l'exemple des guerres de libération contre Napoléon en 1813. Le texte atteignait son apogée avec une citation de l'appel de Theodor Körner de 1813 à la jeunesse allemande : "Debout mon peuple, les flambeaux fument !". Pour ce dernier tract de la "Rose blanche", le tirage est estimé entre 2 000 et 3 000 exemplaires. Pendant trois nuits, les jeunes résistants le diffusèrent à Munich et inscrivirent des slogans, comme " A bas Hitler "avec des croix gammées barrées, " Liberté " et " Hitler - massacreur des masses" sur des murs et des bâtiments publics, en particulier à l'entrée de l'université.

Arrêtés par la Gestapo

Le 18 février, Hans et Sophie Scholl déposèrent plusieurs piles de tracts dans les couloirs de l'université et la jeune femme lança finalement le reste des tracts du deuxième étage par-dessus la balustrade dans la cour centrale (Lichthof). Lors de cette dernière action, Hans et Sophie Scholl furent identifiés par le concierge de l'université, interpellés puis livrés à la Gestapo. Au cours de deux procès devant le Tribunal du peuple, les six acteurs principaux de la " Rose blanche " furent condamnés à mort et pour la plupart immédiatement exécutés. Leurs aides et complices, une quarantaine, eurent des peines de six mois à dix ans de détention. La " Rose blanche " va au-delà de la résistance désespérée d'une poignée d'étudiants face à la guerre totale et à la terreur totale d'une dictature criminelle. À côté du " Cercle de Kreisau " et de l' " Orchestre rouge ", elle représente, par son opposition au régime nazi, une des rares tentatives parmi la jeunesse, en temps de guerre, non seulement de résister, mais également de triompher par l'esprit sur la violence des armes.

 

Hartmut Mehringer, Directeur des archives de l'Institut für Zeitgeschichte, Munich-Berlin. Revue "Les Chemins de la Mémoire n° 126 - Mars 2003 pour Mindef/SGA/DMPA