Les grandes rafles de Juifs en France

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Claude Singer, Historien, enseigne à l'université de Paris I (DUEJ)

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En 1941, arrestation de Juifs en territoire occupé. Les détenus sont transportés à Paris en autocar.
En 1941, arrestation de Juifs en territoire occupé. Les détenus sont transportés à Paris en autocar. Source : German Federal Archive

Les arrestations de Juifs, en 1940, sont individuelles et concernent surtout des hommes, étrangers ou apatrides. Elles ne suscitent donc ni réprobation ni dénonciations unanimes.

Quand les arrestations deviennent collectives et n'épargnent plus les Juifs français, les femmes et les enfants, l'opinion évolue.

Corps 1

L'évolution est d'abord lente mais s'accélère avec la rafle du Vél d'Hiv et les grandes rafles de l'été 1942 en "zone libre". On peut même dire que ces rafles provoquent un retournement de l'opinion publique en faveur des proscrits.

Elles marquent aussi un début de désaffection à l'égard du régime de Vichy.

Une radicalisation de la politique anti-juive

En effet, à la suite de ces rafles, Vichy est perçu comme totalement inféodé aux occupants, même parmi les antisémites et les partisans d'une collaboration politique très poussée. Outre l'alignement de la France sur l'Allemagne nazie, les grandes rafles de l'été 1942 mettent en évidence une radicalisation de la politique anti-juive. C'est en effet la première fois que des rafles prennent une telle ampleur en France et qu'elles visent indifféremment des hommes et des femmes, des vieillards et de jeunes enfants. À partir de l'été 1942, ce sont désormais tous les Juifs de France, sans distinction de sexe, d'âge ou de nationalité, qui sont menacés. Et la menace est très sérieuse puisque les arrestations débouchent, dans la plupart des cas, sur des déportations vers une destination inconnue, hors du territoire national. L'opinion publique apparaît troublée par cette radicalisation et exprime aussi sa réprobation. Comment accepter en effet la succession de scènes d'horreur qui accompagnent les rafles, en particulier les cris et les pleurs des jeunes enfants lorsqu'ils sont arrachés à leurs parents ? Davantage que les arrestations, ce sont ces scènes qui provoquent traumatisme et réprobation dans l'opinion, tant d'ailleurs en France qu'à l'étranger. Les réactions sont si nombreuses et si négatives que l'assise même du régime de Vichy en est ébranlée. Une année auparavant les rafles de Juifs n'avaient pas provoqué une telle émotion.

 

Rafle de Juifs à Paris. Source : DR

Les rafles de 1941

La première, organisée à Paris au printemps 1941, a été menée il est vrai sans publicité, presque clandestinement. Elle concerne 6 494 hommes âgés de 18 à 60 ans, exclusivement des Juifs étrangers qui, plusieurs mois après le recensement de la fin 1940, ont reçu un simple "billet vert" à leur domicile. Ce billet les invite en termes laconiques à se présenter, le 14 mai 1941, pour "examen de situation", accompagnés d'un parent ou d'un ami dans quelques centres parisiens. Cette convocation s'avère être un piège et "l'examen" se transforme en arrestation pour 3 747 hommes. Internés, ces derniers sont acheminés vers les camps de Pithiviers et de Beaune-la-Rolande, dans le Loiret, où ils restent pour la plupart plusieurs mois, jusqu'aux premières déportations.

Une seconde arrestation collective de Juifs étrangers et français intervient les 20-21 août 1941 à Paris. Elle a lieu peu de temps après le début de l'offensive allemande en URSS et elle est donc présentée par la propagande comme "une opération menée en représailles à l'agitation communiste". Le prétexte est mince mais il vise surtout à justifier l'intervention de la police française, encadrée à cette occasion par des militaires allemands. Au cours de la rafle, 4 232 hommes sont arrêtés, pour la plupart dans les rues du XIe arrondissement. Ils se retrouvent peu de temps après en banlieue parisienne, à Drancy, dans un camp qui vient d'ouvrir ses portes mais qui ne sert pas encore de plaque tournante aux déportations de Juifs hors de France.

 

Rafle de Juifs à Paris. Source : DR

 

Le 12 décembre 1941 débute une troisième opération visant les Juifs de Paris et de la région. Menée directement par les forces occupantes (avec des hommes issus des services de sécurité - SD - et de la Feldgendarmerie), elle bénéficie de l'assistance de policiers français. C'est une action plus limitée que les deux précédentes dans la mesure où, ce jour-là, on arrête uniquement 743 Juifs. Mais l'opération n'en est pas moins importante car, pour la première fois, il s'agit de " notables " ayant pratiquement tous la nationalité française. Arrêtés en " représailles à une série d'attentats anti-allemands ", ces hommes sont transférés au camp de Compiègne (au nord de Paris). Quelques-uns, chefs d'entreprises, commerçants, ingénieurs, médecins, avocats ou universitaires, sont libérés dans les semaines qui suivent, mais la plupart restent emprisonnés et intègrent ensuite les convois de déportés. Le premier de ces convois réunit 1 112 hommes et quitte la France le 27 mars 1942. En juin 1942, quatre convois de la même importance quittent Compiègne, Drancy, Pithiviers et Beaune-la-Rolande, à destination d'Auschwitz.

La rafle du Vél' d'Hiv

La rafle des 16-17 juillet 1942 se situe donc après les premières déportations de Juifs en France, au moment où les nazis vident les ghettos polonais et entament aussi les déportations en Belgique, aux Pays-Bas et au Danemark. Cette grande rafle est d'une autre nature que les rafles précédentes en France : en moins de quarante-huit heures en effet (de quatre heures du matin, le 16 juillet, jusqu'au lendemain, le 17 juillet à treize heures), la police a arrêté 12 884 Juifs à Paris et en banlieue. C'est une première même si, en raison des « fuites », le nombre des arrestations est inférieur aux prévisions. Pendant la rafle du Vél d'Hiv, les autorités policières n'ont pas arrêté uniquement des hommes dans la force de l'âge. Elles ont également appréhendé cette fois-là des hommes de plus de 60 ans, des malades, des femmes (5 802) et même des enfants de moins de 16 ans (4 051). La fiction d'un « transfert de population à l'Est pour du travail » vole donc en éclats.

Une opération d'une telle ampleur a été nécessairement longuement et soigneusement préparée. Certains chiffres sont d'ailleurs éloquents. Il faut souligner en particulier que 9 000 fonctionnaires français (et parmi eux 4 000 policiers) ont été mobilisés pour cette rafle baptisée non sans ironie « opération vent printanier ». À cette occasion, on a retiré rien moins que 27 000 fiches de Juifs (recensés en application des lois de Vichy) d'un fichier de la préfecture de police (le fichier « Tulard »), de manière à pouvoir les distribuer, sur le terrain, aux équipes policières chargées des arrestations. L'opération, sans précédent dans les annales policières françaises, a été conçue à l'initiative des occupants. Elle est menée toutefois, de bout en bout, sous les ordres de Pétain, Laval, Bousquet, Leguay et de la hiérarchie administrative et policière de l'État français.

Au-delà du nombre de fonctionnaires français impliqués dans cette rafle, il faut rappeler aussi la mobilisation d'une soixantaine de cars de la police et de la TCRP (l'ancêtre de la RATP) pour l'acheminement des Juifs arrêtés vers Drancy et le Vélodrome d'Hiver (situé dans le XVe arrondissement). Il faut souligner d'autre part que ce complexe parisien, destiné avant tout aux grandes manifestations sportives, n'était pas approprié pour l'accueil d'une population hétérogène parmi laquelle, nous l'avons souligné, figuraient un grand nombre de jeunes enfants. De plus, pratiquement rien n'avait été prévu pour un enfermement durable d'une telle population. Les 8 000 personnes parquées dans l'enceinte du complexe sportif entre le 16 et le 22 juillet ont donc dû faire face au manque d'eau, à des conditions d'hygiène lamentables et à un bruit continuel. Dans cette confusion, on enregistre d'ailleurs de graves problèmes sanitaires et une multiplication de suicides et de tentatives de suicides. La situation ne se normalise que lentement, lorsque le Vél d'Hiv se vide progressivement, à la suite du transfert des internés vers Drancy, Pithiviers et Beaune-la-Rolande. Dans ces camps, le chaos et l'improvisation étaient certes moins poussés. Le répit n'a été qu'une illusion de courte durée pour les internés du Vél d'Hiv car la plupart d'entre eux ont été ensuite déportés. Leurs noms figurent dans les 38 convois à destination d'Auschwitz qui quittent la France entre le 17 juillet et le 11 novembre 1942.

 

Rassemblement après une rafle. Source : DR

 

Les rafles en province et la "livraison" des Juifs étrangers aux Allemands

En juillet 1942, des rafles visent également des Juifs réfugiés dans des villes de la zone occupée, notamment à Bordeaux, Tours et Dijon. De plus, en application d'accords franco-allemands, l'État français livre aux occupants plus de 10 000 Juifs étrangers internés dans des camps de la zone sud. Pour compléter cette « livraison », il multiplie par ailleurs les rafles de Juifs étrangers, notamment les 26, 27 et 28 août 1942, dans les régions de Limoges, Clermont-Ferrand, Lyon, Grenoble, Toulouse, Montpellier, Marseille et Nice. Hommes, femmes et enfants arrêtés ces jours-là sont à leur tour acheminés à Drancy et déportés vers Auschwitz. En 1943 et1944 arrestations, rafles et déportations se poursuivent, tant à Paris qu'en zone occupée ou en zone sud. Au total, de mars 1942 à août 1944, 75 000 Juifs sont déportés hors de France. La majorité sont des Juifs étrangers mais un tiers environ de ces hommes, de ces femmes et de ces enfants sont des Juifs français. Il faut dire que les autorités allemandes ne faisaient aucune différence entre Juifs français et Juifs étrangers. Pour l'Allemagne nazie, tous les Juifs, sans distinction d'âge et de nationalité, étaient voués aux déportations et à l'extermination. Certes le régime de Vichy ne poursuivait pas les mêmes objectifs. Il cherchait surtout à « évacuer » les Juifs étrangers du territoire national. Nolens Volens, son implication dans les rafles et les déportations a joué un rôle déterminant dans la mise en application de la solution finale en France.

 

Claude Singer, Historien, enseigne à l'université de Paris I (DUEJ).
Revue "Les Chemins de la Mémoire n° 119 - Juillet-Août 2002 pour Mindef/SGA/DMPA