L'unification de la Résistance

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Par Christine Levisse-Touzé, Directrice du Mémorial Leclerc et de la Libération de Paris et du Musée Jean Moulin (Villede Paris), directeur de recherche associé à Montpellier III

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Le 27 janvier 1943, Henri Frenay, chef de Combat, Emmanuel d'Astier de la Vigerie, chef de Libération Sud et Jean-Pierre Levy, chef de Franc-Tireur, signent l'acte officiel de naissance des «Mouvements unis de Résistance» (MUR). Puis vient la création du Conseil national de la Résistance (CNR) qui se réunit le 27 mai 1943 rue du Four à Paris.

Corps 1

Le débarquement anglo-américain au Maroc et en Algérie le 8 novembre 1942 accélère l'unité de la Résistance.
Tenu à l'écart de l'opération alliée, le général de Gaulle a besoin du soutien de la Résistance intérieure.

Le gouvernement américain est critiqué pour avoir traité avec Darlan, l'homme de la collaboration. Jean Moulin, délégué du général de Gaulle, se demande le 14 décembre si la guerre de libération «n'aurait pas pour effets
successifs de consolider les régimes mêmes contre lesquels la lutte est engagée».

De la résistance individuelle à la naissance des mouvements

Rappelons ici sommairement l'évolution de la Résistance. Née du refus de la défaite et de l'occupation ou de la lutte contre le nazisme et le fascisme, parfois de l'Appel du général de Gaulle, elle est le fait au début de quelques individus. Puis la Résistance quitte la sphère de la réaction purement individuelle.

Les résistants se regroupent et les noyaux initiaux deviennent des mouvements dont l'action se focalise sur l'information par la réalisation d'un journal clandestin pour contrecarrer la propagande du gouvernement de Vichy et celle de l'occupant. En zone nord, la présence de l'occupant rend plus périlleuse l'activité des mouvements nés très tôt : Organisation civile et militaire, Ceux de la Résistance, Ceux de la Libération, Front National pour l'indépendance de la France, Libération Nord, Défense de la France, La Voix du Nord. Ils n'ont pas ou peu de lien entre eux.

Vers la coordination des mouvements en zone sud

En zone sud, les mouvements Liberté, Mouvement de Libération nationale, Libération-Sud ont donné mandat en 1941, pour obtenir des moyens de Londres, à Jean Moulin, ancien préfet révoqué par Vichy le 2 novembre 1940 et connu pour son acte de courage face à l'occupant le 17 juin 1940.

Le 25 octobre 1941, il se présente au général de Gaulle en trait d'union virtuel entre les deux Résistances. Venu en messager, il repart comme son représentant personnel pour imposer son autorité à tous ceux qui se battent. Parachuté le 2 janvier 1942 avec des fonds et du matériel de transmission pour les mouvements, Jean Moulin, devenu Rex, a pour mission de rallier les mouvements, de les unir et de créer l'Armée secrète unifiée en séparant les forces militaires des organisations politiques.

Jusque-là, la Résistance intérieure et la France libre ont suivi des chemins parallèles avec des stratégies et des projets politiques spécifiques. Si les mouvements se rallient à l'été 1942 à de Gaulle qui s'est engagé sur le principe de la restauration de l'idéal républicain, ils veulent conserver leur liberté d'action.

Fin 1941, une première fusion est réalisée avec la création de Combat né de l'absorption de Liberté par le Mouvement de libération nationale tandis que Franc-Tireur s'est développé. Jean Moulin impose la mise sur pied de l'Armée secrète que le général Delestraint accepte de diriger. La coordination militaire est difficile car les résistants jugent la séparation de l'action politique de l'action militaire peu réaliste car ce sont les mêmes militants. Rex a auparavant mis en place les services communs aux différents mouvements, tel le Bureau d'information et de propagande et le Comité national des experts (futur Comité général d'études) chargé d'engager la réflexion sur les réformes à engager à la Libération.

La coordination des mouvements de zone sud aboutit, avec la mise sur pied d'un Comité présidé par Jean Moulin qui se réunit le 27 novembre 1942 avec le général Delestraint, chef de l'armée secrète, Frenay, d'Astier de la Vigerie, Levy, respectivement chefs de Combat, Libération Sud, Franc-Tireur. Ce comité transmet les instructions générales du Comité national français de Londres aux mouvements.

Les mouvements unissent leurs forces

Début 1943, tout s'accélère en raison de la situation politique en Afrique du Nord, le général Giraud ayant été désigné à la succession de Darlan après son élimination le 24 décembre 1942. Alors que commencent les pourparlers difficiles entre les généraux Giraud et de Gaulle, Moulin estime essentiel de réaliser l'union de la Résistance, afin d'apporter au chef de la France libre un concours déterminant.

Le 27 janvier 1943, Frenay, d'Astier, Levy signent l'acte officiel de naissance des "Mouvements unis de Résistance", qui établit une direction unique. Tous les rouages des mouvements doivent désigner à tous les échelons un responsable. C'est un événement dans l'histoire de la Résistance intérieure française puisque les mouvements acceptent de réunir leurs forces à un moment décisif de la lutte.

L'occupation de la zone sud par les Allemands le 11 novembre 1942 et par les Italiens, puis plus tard la création de la Milice, obligent les résistants à prendre plus de précautions. L'unité est voulue par les résistants de base et les chefs de mouvements. Le comité directeur des MUR est présidé par Jean Moulin, assisté de trois commissaires : Frenay aux "Affaires militaires", d'Astier de la Vigerie aux "Affaires politiques" et Levy aux "Renseignements et à l'Administration". La zone sud est divisée en six régions dirigées par le représentant du groupe le plus étoffé.

La dureté croissante de la vie clandestine due à la répression qui s'accentue, exige un travail incessant de réorganisation. La mise sur pied de l'Armée secrète, qui coïncide avec l'afflux des hommes voulant échapper au Service du travail obligatoire instauré le 16 février 1943, suscite des débats sur son emploi, sa nature - Frenay veut une "armée révolutionnaire" - et les moyens à lui donner qui dépendent du rôle que les états- majors alliés et le Comité français entendent lui faire jouer au jour J. L'action immédiate - sabotages, opérations punitives - a été jusque-là prise en charge par des groupes armés des mouvements, appelés les groupes francs. Le voyage de Moulin et Delestraint à Londres a pour but d'obtenir de l'aide pour armer et ravitailler les maquis.

La création du Conseil national de la Résistance

L'autre question est la création du Conseil de la Résistance, sorte de parlement clandestin, réintroduisant les partis politiques et les syndicats. Co-fondateur de Libération nord, Christian Pineau, entre autres, militait en faveur de cette idée. C'est à contrecoeur que les chefs de la Résistance l'acceptent parce que les mouvements créés dans le but de libérer le pays ont, d'une certaine façon, remplacé les partis politiques discrédités par la défaite. Frenay milite pour une «France nouvelle» alliant socialisme et liberté.

Rex, muni de nouvelles instructions du général de Gaulle et du titre de Commissaire en mission pour l'ensemble de la France, doit mettre sur pied le Conseil de la Résistance.

La création est nécessaire pour tenir compte du rôle des communistes (FTP-Front national), des socialistes (comités d'action socialistes) et des syndicalistes (manifeste des douze du 15 novembre 1940) dans la Résistance. En zone nord, Pierre Brossolette, envoyé par le Bureau central de renseignement et d'action (BCRA) pour y réaliser ce qui a été fait en zone sud, s'oppose à Jean Moulin pour la création du Conseil national de la Résistance (CNR). Il est chargé de créer un Comité de coordination des mouvements de zone nord qui regimbent à l'introduction des partis politiques. Sa tâche, accomplie en moins de dix semaines, est remarquable puisque les structures perdureront. Le parti communiste, plus implanté qu'en zone sud, constitue une force majeure, ce qui rend difficile son intégration. Jean Moulin conserve au sein du CNR, sorte de parlement clandestin, les huit grands mouvements, les petits s'affiliant aux grands qui les représentent.

Le 27 mai 1943, à Paris, au 48 rue du Four (6ème), Jean Moulin réunit et préside les 16 formations :
8 mouvements de Résistance (3 de zone sud : Combat, Libération Sud, Franc-Tireur, 5 de zone nord : l'Organisation civile et militaire (OCM), Libération Nord, Ceux de la Résistance (CDLR), Ceux de la Libération (CDLL), le Front national) . 6 tendances (communistes, socialistes, radicaux, démocrates populaires, l'Alliance démocratique, la Fédération républicaine) et deux syndicats : la CGT et la CFTC.
Toutes les composantes de la Résistance sont ainsi fédérées au sein de cet organisme qui apporte son soutien au général de Gaulle pour «préparer en pleine lucidité et en pleine indépendance la renaissance de la Patrie détruite, comme des libertés républicaines déchirées». Le général Giraud, qui doit lui être subordonné comme chef militaire, a pris conscience de l'importance de la Résistance et se résout à faire venir, fin mai, le chef de la France libre à Alger. Une seule France au combat s'impose.
La fusion, qui n'allait pas de soi, est achevée.

L'arrestation de Jean Moulin, le 21 juin 1943 à Caluire, ne la remet pas en cause.
La France combattante se prépare à l'objectif final : la libération de la Patrie.

 
Christine Levisse-Touzé, Directrice du Mémorial Leclerc et de la Libération de Paris et du Musée Jean Moulin (Villede Paris), directeur de recherche associé à Montpellier III.
Isabelle Rivé, Directrice du Centre de la Résistance et de la Déportation de la Ville de Lyon.
Revue "Les Chemins de la Mémoire n° 127 - avril 2003
  • Appel du général de Gaulle du 18 juin 1940.
    Photo DMPA
  • Journaux des trois mouvements de résistance qui s'unirent pour former
    le Mouvement Unis de Résistance.
    Source : SHD
  • ©Musée de la Résistance Nationale
  • Plaque apposée au 48 rue du Four, Paris (6ème).
    ©SGA/DMPA