Mauvaise nouvelle de France

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Par Thomas Fontaine - Historien, chercheur associé au Centre d’histoire du XXe siècle, Paris 1

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Général Delestraint, novembre 1943. © SHD

Depuis le printemps 1943, les services allemands sont sur la piste des cadres de l’Armée secrète. Cette enquête va les mener rapidement jusqu’à la station de métro La Muette et à Caluire, au sommet de l’organigramme de "l’armée des ombres". Après l’arrestation le 9 juin 1943 à Paris du général Delestraint, le chef de l’AS, et de Joseph Gastaldo, le chef d’état-major adjoint et responsable du 2e bureau, le télégramme de Claude Bouchinet-Serreules transmis à Londres révèle l’ampleur de la nouvelle prise opérée par la SIPO-SD et l’Abwehr douze jours plus tard, à Caluire.

Corps 1

Le 21 juin 1943, en même temps que Jean Moulin, le représentant du général de Gaulle en France, c’est la plus grande partie de l’état-major de l’Armée secrète (AS) qui tombe : Henri Aubry le chef d’état-major, André Lassagne l’adjoint de Gastaldo, le colonel Lacaze pressenti pour être nommé à la tête du 4e bureau, le colonel Emile Schwarzfeld pressenti pour succéder au général Delestraint, Bruno Larat le responsable du Centre des opérations de parachutages et d’atterrissages, Raymond Aubrac le responsable militaire de Libération-Sud, enfin René Hardy du 3e bureau.

La traque

L’enquête allemande avait débuté en Provence, lorsque Jean Multon, un résistant "retourné", provoqua dans les Bouches-du-Rhône l’arrestation de dizaines de ses anciens camarades. Les ramifications se prolongeant jusque dans le Rhône, il fut mis à la disposition de la Gestapo de Lyon, ainsi que Robert Moog, l’agent K 30 de l’Abwehr de Dijon, qui est depuis plusieurs semaines sur la piste de Berty Albrecht (arrêtée le 28 mai) et de Frenay. En effet, un objectif dominait les autres, celui de mettre la main sur le patron de Combat et commissaire aux affaires militaires de l’AS. Si la piste de sa planque à l’hôtel de Bourgogne à Mâcon ne donna rien, une autre restait à suivre : celle de la boîte aux lettres de la "section sabotage des trains" des Mouvements unis de la Résistance (MUR), à Lyon. Elle permit dès le 26 ou le 27 mai d’arrêter Marie Reynoard, secrétaire de Hardy et, surtout, de découvrir un message en clair annonçant l’existence d’un rendez-vous entre ce dernier (sous le nom de "Didot") et le chef de l’AS, le général Delestraint (voir diaporama), le 9 juin au matin.

En se rendant à Paris en train pour procéder à l’arrestation de Delestraint, Multon, accompagné de K 30, reconnut Hardy. Moog le fit arrêter et emprisonner sur le chemin, à Chalon-sur-Saône. Barbie, le chef de la Gestapo lyonnaise, viendra le chercher le 10 juin (voir De Klaus Barbie à Klaus Altmann). La veille à la station de métro La Muette, vers 9 heures, Moog, son collègue René Saumande (l’agent K 4) et sans doute Hans Kieffer le responsable du service IV E de la SIPO-SD, ont arrêté le chef de l’AS. L’opération avait été préparée entre lui et l’Abwehr. Elle permit aussi l’arrestation de Gastaldo et de Jean-Louis Théobald (sous le faux nom de Terrier), chargé de la liaison avec la délégation de la France combattante. Le chef de l’AS, pris avec ses vrais papiers, ne put cacher son identité. Mais, selon Ernest Misselwitz, le policier qui l’interrogea durant 50 heures, il "se refusa à citer des noms de camarades de la résistance", "nia l’existence de l’état-major de l’AS" et répondit "évasivement" sur bien des points. Gastaldo fut identifié, mais pas Théobald.

Un des deux protagonistes du rendez-vous à la station de métro La Muette était donc tombé . restait à arrêter l’autre : "Didot". Une des principales zones d’ombre de l’affaire de Caluire est la date de l’identification d’Hardy comme Didot, ce qui rend impossible de fixer son emploi du temps exact avant Caluire. Seule certitude, son adjoint, Max Heilbronn, est arrêté le 12 juin juste après un rendez-vous avec lui. L’historiographie s’accorde pour dire qu’Hardy revoit ses supérieurs de Combat, qui lui demandent de participer à la réunion de Caluire. Or, quel que soit le chemin pris - informé par Hardy, en le suivant et/ou en surveillant d’autres participants de la réunion - Barbie et ses hommes ont eux aussi réussi à "s’inviter". Pour provoquer la chute que l’on sait (voir diaporama).

Berlin était au courant

Si Barbie et l’Abwehr vont, chacun, revendiquer un rôle clé dans cette prise, le rôle du Sonderkommando envoyé spécialement fin mai par Berlin pour faire tomber l’AS est rarement évoqué : il est pourtant essentiel, démontrant notamment qu’au plus haut niveau des services de sécurité nazis, on ne peut pas ne pas être informé des différentes étapes de l’affaire. De ce fait, il est très probable que Barbie ait rapidement rendu compte du coup de filet à ses supérieurs à Paris. Un rapport du chef régional des Renseignements généraux à Lyon, daté du 24 juin et rédigé à partir d’informations fournies par les services de la Gestapo, indique notamment qu’Aubry, Lacaze, Lassagne et Schwarzfeld ont été identifiés. Deux jours plus tard, les quatre sont interrogés dans les locaux parisiens de la Gestapo. Or, Aubry parle, en évoquant le rôle de Moulin, la structure de l’AS, en donnant des informations sur plusieurs cadres de la Résistance. "Max", c’est-à-dire Jean Moulin est alors identifié, à moins qu’il ne l’ait été quelques heures plus tôt déjà, à la suite des interrogatoires menés par Barbie à Lyon. Le 28 juin au soir, il est transféré à Paris où il est réinterrogé, confronté aux autres arrêtés de Caluire, sans doute de nouveau torturé. Signe de son importance, il n’est pas laissé en France : le 7 juillet au soir, il est transféré à Berlin. Il décède durant le voyage.

 

Thomas Fontaine - Historien, chercheur associé au Centre d’histoire du XXe siècle, Paris 1

 

POUR EN SAVOIR PLUS
L'arrestation des cadres de l'AS est notamment abordée dans les dossiers individuels de René Hardy, Robert Moog ou Jean Multon (voir ainsi le compte rendu d'interrogatoire de Klaus Barbie). Ces dossiers seront classés dans la sous-série GR 28 P 9.
  • Général Delestraint, novembre 1943.
    © SHD
  • Télégramme annonçant l'arrestation de Jean Moulin, envoyé le 22 juin, reçu le 24 juin 1943.
    © SHD