Regard géologique sur le Chemin des Dames

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Par Franck Hanot - Président de CDP consulting/Frédéric Simien - Responsable des Éditions du BRGM

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Le Chemin des Dames. Tranchée française en 1917. © Roger-Viollet

Lieu de promenade des deux filles de Louis XV, le Chemin des Dames, par sa topographie particulière, devient en 1914 un secteur stratégique des combats qui se déroulent dans l’Aisne. Ce secteur révèle ainsi la géologie comme une science dont les apports sont très importants dans le déroulement de la Première Guerre mondiale.

Corps 1

Le Chemin des Dames est situé sur une ligne de crête d’importance stratégique. Après avoir vu le déroulement d’une bataille sous Napoléon en 1814, l’endroit est fortifié après la guerre de 1870 pour défendre Paris. Il repose sur une colline constituée d’un sommet calcaire épais de quelques dizaines de mètres creusé de nombreuses carrières qui forment autant d’abris, les creutes. Ce chemin joue durant les quatre ans du conflit un rôle important dans la fixation de la ligne de front.

 

Bloc diagramme du Chemin des Dames. Ce plateau généralement orienté est-ouest est le témoin isolé, parmi d’autres,
Bloc diagramme du Chemin des Dames. Ce plateau généralement orienté est-ouest est le témoin isolé, parmi d’autres, de terrains tertiaires surmontés par un entablement calcaire d’âge lutétien.
La butte de Laon et le massif de la forêt de Saint-Gobain situés plus au nord ont la même origine géologique. Le plateau du Chemin de Dames est limité au nord par la vallée de l’Ailette
et au sud par la vallée de l’Aisne. Sur les cartes et vu d’avion, il se présente sous la forme d’une feuille de chêne, une morphologie qui résulte de l’érosion. © F. Hanot 2017

 

1914-1918, TENIR LE CHEMIN DES DAMES

Dès l’été 1914, les Allemands traversent le secteur, puis s’y replient au cours de la première bataille de la Marne. Entre les 13 et 15 septembre, les Anglais et les Français essayent de les déloger, mais sans succès. Le secteur devient tranquille. Les Allemands aménagent leurs fortifications sur la ligne de crête alors que les Français occupent les flancs.

L’offensive française sur le Chemin des Dames démarre le 16 avril 1917. Les pertes sont considérables en raison de la configuration du terrain. Du 20 mai à la fin juin, des mutineries éclatent. Les Allemands en sont informés. Ils en profitent pour lancer une contre-attaque. Entre juillet et novembre 1917, Français et Allemands cohabitent parfois de très près, notamment à la Caverne du Dragon. En octobre 1917, plus de 500 Allemands sont retranchés dans les galeries de la carrière du Montparnasse, une position clé dominant le plateau et la route reliant Laon à Soissons. Les Français tiennent le Chemin des Dames, mais en mai 1918, le secteur est repris lors d’une nouvelle offensive allemande. Il n’est reconquis qu’en juillet 1918.

 

Cantonnement de chasseurs dans la carrière du Montparnasse, La Malmaison (Aisne). © E. Mas/ECPAD/Défense

Cantonnement de chasseurs dans la carrière du Montparnasse, La Malmaison (Aisne). © E. Mas/ECPAD/Défense

 

UN TERRAIN PARTICULIER

Située au nord de l’Aisne, cette région est marquée par une topographie particulière qui détermine deux pays. Le Soissonnais au sud correspond à un vaste plateau fortement entaillé par les cours d’eau. Le Chemin des Dames en est un sous ensemble isolé, intensément disséqué par l’Aisne et l’Ailette. Il représente une forteresse naturelle. L’érosion y a été si forte que ne subsistent par endroit que d’étroits pédoncules (Coucy) ou isthmes (Hurtebise). Cette topographie complexe est également marquée par des reculées, localement nommées cuves. Le Laonnois au nord est, quant à lui, constitué de buttes témoins isolées dont font partie le massif de la forêt de Saint Gobain et la butte de Laon.

 

Le Chemin des Dames. Tranchée française en 1917. © Roger-Viollet

Le Chemin des Dames. Tranchée française en 1917. © Roger-Viollet

 

La surface du plateau au niveau du Chemin des Dames se trouve à une altitude moyenne de l’ordre de 190 mètres. La craie affleure à l’est au pied du relief à une altitude voisine de 60 mètres à la Ville-aux-Bois-les-Pontavert. C’est donc un empilement d’environ 130 mètres d’épaisseur de terrains d’âge tertiaire qui constitue le relief du Chemin des Dames. Ces couches qui se sont accumulées pendant 50 millions d’années étaient originellement continues. Elles se sont déposées la plupart du temps en milieu marin dans une mer d’abord ouverte vers le nord puis vers l’ouest.

Il y a environ 2 millions d’années, le soulèvement du nord du bassin de Paris s’est amplifié et a provoqué un basculement. Ainsi, les couches se sont inclinées avec une faible pente vers le sud. L’érosion par les cours d’eau a entamé les terrains les plus meubles (sables et argiles) et préservé sous forme de relief les terrains les plus durs (calcaires).

 

Exemple de sculpture dans la carrière de Montigny à Machemont (Oise) réalisée par un légionnaire nommé Bucher

Exemple de sculpture dans la carrière de Montigny à Machemont (Oise) réalisée par un légionnaire nommé Bucher
(5e compagnie du régiment de marche de la Légion étrangère). © F. Hanot

 

Au-delà des terrains, la présence de l’eau rend aussi le secteur singulier. L’eau infiltrée peut tout d’abord se voir arrêtée par les argiles de Laon créant une ligne de petites sources. En profondeur, des sources diffuses mais pérennes ont favorisé l’implantation de la plupart des villages sur le coteau méridional du Chemin des Dames.

Chaque village, chaque ferme, chaque château possède sa carrière dans les calcaires sableux du Lutétien. C’est de cette pierre qu’est née la richesse architecturale de la région. Ces carrières exploitées pendant des siècles constituent souvent un dédale très étendu aux ramifications multiples. Les carrières de la ferme de La Malmaison, de Bohéry, du château de la Motte en sont de parfaits exemples. De même, les ravins sont tous truffés d’anciennes exploitations de roches fournissant d’inexpugnables refuges.

LA GÉOLOGIE AU SERVICE DE LA STRATÉGIE MILITAIRE

Comme depuis toujours, la topographie a une importance stratégique. Il faut tenir les points hauts. C’est ce que font les Allemands dès leur repli lors de la première bataille de la Marne, en septembre 1914. Cette position est d’autant mieux tenue que la bordure du plateau surplombant la vallée de l’Aisne, au sud, est largement creusée de creutes, position idéale pour les postes de mitrailleuses. Ces carrières souterraines, dont le toit est suffisamment épais, peuvent résister aux bombardements.

Entre la vaste carrière Montparnasse (Barbarossa Höhle) située à l’ouest et la Caverne du Dragon (Drachenhöle), les escarpements du Chemin des Dames comportent plus d’une centaine de creutes qui forment autant d’abris pour les troupes allemandes. Elles ont eu différentes utilisations en fonction de leur position par rapport à la ligne de front.

Situées sur le front comme dans le secteur du plateau de Californie au-dessus de Craonne, elles furent des positions imprenables surplombant les si coûteuses pentes du plateau.

Situées à l’arrière, elles furent des casernements et des postes de secours appréciés car protecteurs et tempérés. Les longs séjours des troupes en attente ont permis au talent artistique de certains de s’exprimer, nous laissant de véritables œuvres d’art ou des témoignages poignants.

 

Tunnel allemand sous le Chemin des Dames. © J-P. Batteux

Tunnel allemand sous le Chemin des Dames. © J-P. Batteux

 

LES TUNNELS ALLEMANDS

Les Allemands ont tiré profit de la géologie, avec en particulier la présence de sables (sables du Cuisen) peu consolidés sous le calcaire du Lutétien. Le maintien de ces galeries, creusées dans les sables et simplement boisées, était garanti par un plafond calcaire résistant, grâce auquel les soldats pouvaient établir des liens sur plusieurs centaines de mètres.

Tous les tunnels n’avaient pas les mêmes objectifs. Certains avaient pour but d’établir un lien entre une ancienne carrière et l’arrière, comme à Bray-en-Laonnois avec la creute de Froidmont (Tauentzien-Höhle) et le ravin des Vaumaires, ou avec la Caverne du Dragon (Drachen Höle) et le versant nord du plateau. D’autres n’étaient pas en lien avec des creutes. Ils permettaient aux soldats de rejoindre les tranchées de première ligne ou des boyaux intermédiaires en étant à l’abri des regards français.

Lors de la préparation de la terrible offensive d’avril 1917, l’artillerie française n’a eu pratiquement aucun effet sur ces ouvrages souterrains. Outre les difficultés pour les poilus de progresser sur les pentes boueuses, ils se sont retrouvés sous un déluge de feu. Les Allemands ont ainsi très largement bénéficié de la présence de ces tunnels. Très souvent méconnus, ces ouvrages souterrains ont donc joué un rôle prépondérant dans le déroulement des opérations. Se trouvant en secteur allemand, ils figurent très rarement sur des plans directeurs et sont évoqués de manière succincte dans certains Journaux de marche et opérations.

Si la géologie a joué un rôle décisif dans le déroulement des combats du Chemin des Dames, elle a également tenu un rôle clé dans de nombreux autres secteurs du front. Au-delà du creusement de galeries et de l’approvisionnement en eau, le savoir des géologues a été mis à profit pour de nombreux autres aspects méconnus et insolites. Il s’agit par exemple de l’établissement de cartes de traficabilité pour les tanks, de l’expertise des matériaux des compas d’aviation et des cristaux de quartz ayant servi à développer les premiers sonars pour détecter les sous-marins.

De nombreux géologues ont également été sollicités pour le volet appliqué de leur métier, à savoir trouver les matières premières pour alimenter l’industrie de guerre : cuivre, aluminium, antimoine, mercure, étain, tungstène, etc.

 
Franck Hanot - Président de CDP consulting/Frédéric Simien - Responsable des Éditions du BRGM