Verdun 1916 - Souvenirs de Léon Rogez

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Tranchée, front de Verdun.
Tranchée, front de Verdun. Source : gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France

Verdun 1916 - Souvenirs de Léon Rogez, ancien fantassin du 39e régiment d'infanterie

Corps 1

En Octobre 1916 mon régiment, le 39ème R.I. avec notre 130ème Division d'Infanterie est appelé à nouveau sur le champ de bataille de Verdun à Fleury devant Douaumont, à l'endroit même ou notre glorieux régiment fût décimé les 21, 22 et 23 juin 1916. 48 officiers, 1633 sous officiers, caporaux et soldats sacrifièrent leur vie pour barrer la route de Verdun à l'ennemi - Verdun on ne passe pas !

L'ennemi ne passa pas grâce à l'héroïsme des soldats de Verdun - Ce mois d'octobre 1916 fut pluvieux, humide, notre peine, nos souffrances furent pénibles.

Dans la nuit du 22 - 23 Octobre, veille de la grande offensive française pour la reprise du Fort de Douaumont occupé par l'ennemi depuis le début d'avril, nos adversaires qui venaient de subir un violent bombardement de leurs positions se doutaient qu'ils allaient être attaqués, déclenchèrent sous nous un bombardement d'une violence inouïe. Littéralement écrasés d'obus, je m'étais blotti dans un trou d'obus, les éclatements qui m'environnaient me secouaient fortement, la nuit était noire, le ciel était rouge, je craignais d'être tué d'un moment à l'autre.

Ce que l'on peut penser à cet instant tragique est affreux, horrible. Tout en me faisant tout petit au fond de mon trou, crispant mes mains sur mon arme, une pensée terrible me vint à l'esprit "Je vais mourir". La peur vous serre les entrailles, on se raccroche à tout. Soudain, la recommandation que m'avais faite ma Grand' Mère à fin 1914, quand volontairement j'ai demandé à partir dans l'Infanterie, l'arme la plus dangereuse, la recommandation de ma bonne Grand'Mère me vint à l'esprit. Elle m'avait dit au moment de mon départ pour les armées "Mon petit garçon, (j'étais âgé de 18 ans 1/2), prend cette médaille sainte, quand tu seras en danger, invoque la Bonne Vierge, elle te protégera.

A ce moment précis, sous le bombardement qui était toujours intense, une masse humaine me tombe sur le dos. J'entends la respiration haletante de ce compagnon d'arme, probablement un agent de liaison portant un "PLI". A ce moment précis, une explosion formidable me soulève de mon trou, je suis projeté en l'air, je tombe inanimé perdant connaissance. Combien de temps suis-je resté sans connaissance, je ne puis le dire.

Ce qui m'a fait ouvrir les yeux, on me traînait par les pieds au fond j'un trou. La nuit était très sombre, des milliers de cloches carillonnaient dans les oreilles. J'étais couvert de nombreux petits points phosphorescent qui luisaient sur ma capote. Des compagnons d'armes me secouaient fortement pour me ranimer, j'entendis l'un d'eux me dire, "Où est-tu blessé ?", je ne pouvais répondre, et pour cause.

Le bombardement avait cessé, un de mes compagnons d'armes m'aider à me relever, je l'entendis me dire "Viens avec moi" - dans l'obscurité il me guida vers l'endroit ou l'obus qui devait me tuer. Il me dit "Regarde", dans l'obscurité je distinguais une masse de chair sanguinolente, c'était le corps déchiqueté de cet agent de liaison qui, miraculeusement m'était tombé sur le dos au moment précis ou l'obus éclata dans notre trou.

Soixante huit ans après, cette vision d'horreurs (comme de nombreuses autres) sont encore bien présentes dans ma mémoire. Je n'ai rien oublié, elles ne me quitteront qu'au moment de ma disparition, en allant rejoindre mes camarades de combat tombés à mon côté . et ceux que j'ai connu dans le milieu Anciens Combattants, avec lesquels j'ai oeuvré dans le souvenir d'une époque où notre jeunesse et nos vies se sont sacrifiées pour sauver la France.

Quand on a passé d'aussi terribles moments, quand on a vécu pendant ces jours horribles de la Guerre 1914-1918, comme ancien Fantassin de l'avant on ne peut oublier, simplement continuer à lutter contre l'oubli, l'ingratitude, dans le souvenir des copains, moins heureux que nous qui ne sont pas revenus.

 

Source : Mindef/SGA/DMPA

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