L'ECPAD et la fabrique médiatique du sport aux armées

L’Établissement de communication et de production audiovisuelle de la Défense (ECPAD) est le centre d’archives audiovisuelles du ministère des Armées. Ses collections témoignent de plus de 180 ans d’histoire militaire à travers 15 millions de photos et 100 000 heures de films. Il conserve notamment de nombreuses images liées au sport.
Depuis la seconde moitié du XIXe siècle, la pratique de l’éducation physique rythme la vie du soldat. Gymnastique – nécessité d’entretenir le corps par l’effort physique – puis hébertisme – volonté de renforcer le corps par l’effort fonctionnel – se succèdent dans les formations militaires dans le but d’aguerrir le combattant sur le plan physique et moral. L’armée qui voit encore dans le sport une simple distraction futile, lui reste jusque-là hermétique. Son adoption se réalise progressivement à l’aune de la Première Guerre mondiale durant laquelle les soldats, pour tromper l’ennui des tranchées, se tournent vers la pratique du sport pour se distraire. Les opérateurs de la Section photographique et cinématographique de l’armée qui sont envoyés, à partir de 1915, suivre les troupes et témoigner des hostilités, se font l’écho de cet engouement. Ce n’est finalement, pour le côté français, qu’après les mutineries de 1917 que l’importance du sport pour entrainer et distraire les Poilus est reconnue par l’état-major. La pratique sportive sur le front devient alors l’affaire de l’armée et sous les clichés des opérateurs sa pratique devient une illustration récurrente de la vie militaire. Ainsi en juillet 1917, le photographe Jablouski immortalise la rencontre des 22e et 63e bataillons de chasseurs alpins lors d’une journée sportive à Brie-Comte-Robert où vont se dérouler de nombreuses épreuves : course à dos de mules, épreuves de force et franchissement d’obstacles. Les actualités cinématographiques témoignent par ailleurs de la pluralité des activités sportives comme le football ou le rugby. Les hommes s’adonnent à des parties improvisées avec les moyens à leur disposition. La photographie d’Albert Moreau Partie de football entre soldats dans les rues d'Hermonville (Marne), 23 août 1915 témoigne de cette situation qui peu à peu s’améliore avec la distribution de ballons par le haut commandement.
La croissance des jeux de ballon est bien mise en avant par le photographe Cordier qui couvre le match de rugby entre les équipes militaires française et néo-zélandaise le 8 avril 1917 pour la coupe de la Somme au stade de Vincennes. À cette occasion, l’opérateur Marcel Martel immortalise le premier haka filmé en France. De son côté l’opérateur Alphonse Weber filme des soldats du 52e bataillon de tirailleurs sénégalais jouant au football dans les rues de Reims en septembre 1918 pour les besoins d’un film sur les coloniaux. Tout le conflit durant, les correspondants de guerre témoignent de l’émergence du sport dans les armées et sa progressive acceptation par l’institution militaire.
Rappelés à l’aube du conflit mondial suivant, les opérateurs font du sport un sujet récurent des actualités militaires. La rubrique sportive témoigne de l’intérêt distractif et fédérateur qu’on lui porte à l’intérieur des armées. À titre d’exemple, le numéro du magazine Journal de guerre de février 1940 consacre une rubrique au ski : des chasseurs alpins dévalent le flanc d’une montagne. Pour autant, le ballon règne toujours au front. Les actualités médiatisent l’organisation de nombreux matchs de football et de rugby entre unités et alliés. Dans la lignée des achats de ballons par l’armée pour ses Poilus en 1917, les opérateurs rapportent la distribution de ballons aux soldats de la 4e armée par le général Édouard Requin, désireux de trouver une alternative à l’immobilisme de la Drôle de guerre.
Après l’armistice, le sport fait partie intégrante du programme militaire national du régime de Vichy. Pour la Section cinématographique de l’armée (SCA), le message à transmettre est éducatif : le sport doit contribuer à la cohésion du groupe, endurcir le corps, forger le caractère et servir de préparation militaire. Ainsi, en 1941, dans les cinémas, on projette le nouvel épisode de La France en marche, magazine d’actualités lancé par Pierre Nord. Nommé La Cité du muscle, il relate l’entraînement des jeunes du Collège national de moniteurs et d'athlètes d’Antibes. La même année, le photographe Marcel Viard suit le quotidien des enfants de troupe de l'École militaire enfantine Hériot à Draguignan : photographiés dans leurs activités militaires, scolaires et sportives, ils pratiquent la gymnastique et l’hébertisme, la natation et l’athlétisme.
De 1941 à 1943, des opérateurs comme Roland Faure, Louis Cadin et Raymond Gilland recueillent des images similaires pour alimenter la propagande du régime. De l’autre côté de la Manche, les Forces françaises libres possèdent aussi leur service d’information autour d’opérateurs comme Lucien Guimas qui, pendant cinq ans, filment et photographient l’activité des Forces françaises libres. La revue filmée Ici… la France, éditée par les studios de l’Office français d’information cinématographique, aborde le sport au cœur de l’instruction des cadets de la France libre dans son numéro Ils s’instruisent pour vaincre (1944).
À la Libération, le SCA produit un nouveau magazine intitulé France-Libre actualités, dont le numéro de septembre 1944 consacre une rubrique aux sports et aux loisirs et y présente de nombreuses activités comme l’athlétisme, le cyclisme ou la natation. Après la guerre, le Service cinématographique des armées continue de réaliser de nombreux reportages sportifs qui rythment le quotidien du soldat avec toujours ce triple objectif : informer, instruire et distraire. L’importance que l’armée lui prête inaugure par ailleurs une véritable politique communicationnelle de Défense. La doctrine d’Antibes (1960) et celle de Fontainebleau (1975) consomment le mariage entre culture sportive et militaire en introduisant la pratique d’une discipline sportive.
En mai 1978, le magazine Armées d’aujourd’hui, dans son numéro spécial Du sport pour tous, présente le soldat-sportif à la pratique de l’escrime, de la natation, du parachutisme et du footing. Avec un intérêt prononcé sur la condition du combattant, les magazines s’emparent du sport et médiatisent la place que lui donne l’armée au cœur de la construction du soldat. C’est ainsi qu’en mars 2022 la photographe Cyrielle Sicard de l’ECPAD, en immersion au sein de la Patrouille de France, présente les pilotes en séance de réveil musculaire avant leur départ en voltige aérienne.
En France comme en opération extérieure, mondes combattants et sportifs restent associés dans le prisme médiatique du ministère des Armées. En parallèle, dans une contribution à l’effort sportif national, la fondation de l’École interarmées des sports (EIS) en 1967 puis celle du Centre national des sports de la Défense (CNSD) en 2006 entraînent la pratique à son plus haut niveau en formant des professionnels dans leurs disciplines sportives. De nombreux reportages ont depuis alimenté les rubriques en exaltant les vertus du combattant par l’exemple du soldat-athlète : se dépasser et vaincre. Diffusé à la télévision en avril 1992, le magazine Top Défense intitulé Militaires et champions présente l’entraînement des alpinistes en prévision des jeux olympiques d’Albertville. À sa suite, le Journal de la Défense intitulé Armée des champions et diffusé en avril 2023 sur la chaîne parlementaire dévoile la préparation des athlètes militaires pour les Jeux olympiques de Paris à venir. Le soldat n’est plus seulement sportif, il est champion.
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