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Jaurès, penseur militaire

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Jean Jaurès est indissociablement lié à l'idée pacifiste et à la résistance contre l'engrenage ayant conduit au déclenchement de la Grande Guerre.
Toutefois, comme expliqué dans son livre L'armée nouvelle, son pacifisme ne résultait pas d'un refus radical de la guerre.

Texte

Publié en 1911, L'armée nouvelle s'insérait dans un vaste projet d'organisation socialiste de la France. Jaurès y prolongeait la longue tradition, née sous la Révolution française, d'apologie d'une armée de milice. En effet, depuis Robespierre, la gauche était restée méfiante vis-à-vis de l'armée de métier à laquelle elle préférait l'idée du peuple en armes.

Au cours du débat sur la durée de l'obligation militaire, depuis la loi de 1872 jusqu'à celle de 1913, Jaurès s'est prononcé en faveur d'un service court et universel. Selon lui, l'allongement de la durée risquait d'enfermer le citoyen soldat dans la condition militaire, en l'isolant dans les casernes et en réduisant l'apprentissage à un simple exercice de dressage. Or une armée, selon Jaurès, devait exprimer l'essence même de la Nation. L'école, plus que la caserne, devait en être l'âme. Pour les officiers installés dans la carrière, Jaurès préconisait une formation acquise à l'université plutôt que dans des écoles militaires : "pour que les officiers soient en communication aisée avec la démocratie, il convient d'en finir avec le régime à la fois aristocratique et claustral des écoles spéciales militaires. C'est dans les universités que le haut enseignement militaire sera donné désormais", écrivait-il dans son ouvrage L'armée nouvelle. L'armée, même dans sa composante professionnelle, ne devait pas constituer un corps séparé dans la nation, mais incarner la nation elle-même.

Toutefois, la pensée militaire de Jaurès ne s'arrêtait pas à la question de la durée et de la nature de la conscription. De celle-ci résultaient, en effet, une foule de conséquences d'ordre stratégique et tactique. Dans le débat qui opposait les théoriciens militaires à la veille de la Grande Guerre, Jaurès prit parti en faveur de ceux qui, comme Pétain ou le général de Négrier, contestaient le primat des forces morales pour soutenir une doctrine résolument offensive. Ces militaires avaient tiré les enseignements de la guerre du Transvaal (1899-1902) où les Boers avaient pu tenir l'armée britannique en échec, grâce à leur adaptation au terrain, à l'utilisation intelligente d'un feu individualisé et au déploiement en tirailleurs.

Jaurès, en effet, contestait l'assimilation de l'élan offensif à une pulsion hypnotique qui réduisait le soldat à l'état d'automate ou de "fantôme". Pour obtenir le consentement du combattant, la doctrine offensive privait le soldat de l'intelligence qui faisait de lui un citoyen éclairé et maître de son destin. Jaurès s'opposait ainsi à un entraînement militaire conçu comme un processus d'acquisition d'automatismes, alors que la guerre moderne et la puissance de feu obligeaient selon lui, les soldats à s'adapter aux dispositions du terrain, à s'y déployer avec intelligence et efficacité. Ainsi, Jaurès ne s'est pas opposé à l'idée d'une guerre de défense nationale au cours de laquelle le soldat est "porté et soutenu dans cette crise de la vie par les réserves mystérieuses de volonté et de courage que se prépare une âme d'homme quand, à l'approche de l'épreuve, mais encore maîtresse d'elle-même, elle a échangé avec d'autres âmes le serment de mourir pour une idée", écrivait-il dans L'armée nouvelle.

Jaurès s'en prenait également à l'idée de bataille décisive qui relevait, selon lui, d'un "pédantisme napoléonien" mal compris. L'histoire militaire de la France méritait, selon lui, d'être considérée dans toute sa diversité et son ampleur, alors que les admirateurs de Napoléon "ne font une juste part ni aux gloires et aux audaces militaires de l'ancienne France monarchique, ni au génie combattant et aux admirables inventions de la Révolution républicaine, ni aux possibilités nouvelles d'action défensive dont disposerait aujourd'hui dans le monde une France de démocratie et de paix". Ainsi Jaurès défendait-il l'utilité d'une histoire étudiée sans dogmatisme, ni souci d'imitation. Sa pensée militaire était également une pensée de l'histoire.


Auteur
Hervé Drévillon - Professeur d'histoire a l'université de Pans 1

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Bibliographie :

L'individu et la guerre. Du chevalier Bayard au soldat inconnu, Hervé Drévillon, édition Belin, 2013.

 

Article en ligne :

Jean Jaurès, première victime de la guerre

 

Lieu de mémoire :

Le centre national et Musée Jean Jaurès

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