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Power metal et grandes batailles

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Sabaton au Hellfest, 2017. © Tate Bloom

Thème inépuisable de sujets littéraires et cinématographiques, la guerre inspire également la sphère musicale contemporaine. Le groupe suédois Sabaton, bien connu des amateurs de power metal, puise ainsi son répertoire dans l’histoire des plus grandes batailles. Une manière originale de transmettre et de rendre hommage.

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En France, Jean-Pax Méfret apparaît comme la principale figure à avoir mis en musique, avec son stylo-guitare, de grandes pages de l’histoire militaire avec des titres portant, entre autres, sur Camerone, Kolwezi ou le débarquement de Normandie. Dans un tout autre style, le groupe de power metal suédois Sabaton a, depuis maintenant vingt ans, construit sa discographie autour de l’histoire militaire.

Une approche immersive

Si de nombreux groupes de métal ont adopté des symboles et des visuels associés à la guerre, voire en font des références plus ou moins centrales dans leur musique, Sabaton a pour sa part littéralement construit son répertoire et son univers autour de l’histoire militaire. Le groupe, qui ne développe aucune forme de bellicisme, porte en musique une véritable passion collective. Bien que la formation ait évolué depuis sa création en 1999, notamment après le départ de quatre de ses membres en 2012, elle reste emmenée par Joakim Brodén (chanteur) et Pär Sundström (basse).

Avec dix albums studio, les époques, les thèmes et les événements abordés sont très larges. Sans en dresser une liste exhaustive, la discographie explore des sujets aussi divers que la bataille de Midway, la guerre du Vietnam, la bataille des Thermopyles, l’insurrection de Varsovie ou la bataille d’Angleterre, mais également le cuirassé Bismarck, le syndrome de stress post-traumatique à travers l’histoire du lieutenant Audie Murphy, l’opération "Iraqi Freedom", le corps des Marines durant la Première Guerre mondiale ou encore le 588e régiment de bombardiers de nuit soviétique dont la particularité est d’avoir été constitué uniquement d’équipages féminins. Si cette diversité d’épisodes historiques se retrouve sur la plupart des albums, elle n’empêche pas pour autant une forme de cohérence.

 

Concert du groupe Sabaton, 27 septembre 2014, Ace of Spades de Sacramento (Californie, États-Unis). © Tate Bloom

Concert du groupe Sabaton, 27 septembre 2014, Ace of Spades de Sacramento (Californie, États-Unis). © Tate Bloom

 

Primo Victoria (2005), par exemple, porte ainsi essentiellement sur de grandes batailles ou manoeuvres opératives (Jour J, Stalingrad, guerre des Six Jours, bataille de l’Atlantique). En 2012, Sabaton sort Carolus Rex, un album exclusivement tourné vers l’histoire suédoise, de l’époque de Gustave II Adolphe (The Lion from the North) à la bataille de Poltava (1709) et à la mort de Charles XII (1718) (Long Live the King). Alors qu’en 2016, avec The Last Stand, Sabaton sillonne plus de deux millénaires de grandes batailles, les deux derniers albums, sortis en 2019 (The Great War) et 2022 (The War to End all wars) sont à l’inverse circonscrits sur le plan temporel puisqu’entièrement consacrés à la Première Guerre mondiale. Ces albums sont certainement l’une des plus ambitieuses réalisations de Sabaton en se voulant une forme de récit de la Grande Guerre. L’enregistrement de The Great War avait symboliquement débuté le 11 novembre 2018 avant que l’album ne soit présenté à la presse, en avril 2019, à Verdun. Il explore de nombreux chapitres de la Grande Guerre et en offre une représentation assez complète, abordant tour à tour sa dimension psychologique, des épisodes majeurs (batailles de Flers-Courcelette, du bois Belleau et bien sûr de Verdun), le destin de certaines figures de ce conflit avant de conclure avec une mise en musique, par un choeur, du poème In Flanders Field.

Une des forces de Sabaton réside dans sa passion pour l’histoire militaire qui jaillit, résonne dans chaque morceau, produisant un effet captivant, accentué par la puissance et la précision des textes et l’atmosphère qu’ils transposent. En ce sens, Sabaton va très largement au-delà du récit historique simple, plat et dénué d’énergie. Bien au contraire, les textes, portés par une ligne mélodique, permettent, de manière très sensorielle, une plongée dans les profondeurs de la guerre en parvenant à rendre compte d’une intensité et à capturer le chaos. Ils libèrent en quelque sorte une force et une charge qui peuvent parfois être contenues avec des vecteurs plus conventionnels.

Tout en informant, en témoignant, voire en rendant hommage, les morceaux de Sabaton transposent le registre émotionnel inhérent à la guerre. Les textes sont associés à des rythmes forts, bruts et brutaux, mais également à des accroches mélodiques contribuant à transposer des atmosphères épiques.

 

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The Great War, album sorti en 2019 et consacré à la Première Guerre mondiale © DR

 

Raconter la guerre autrement

En s’intéressant aux individus, Sabaton consacre de nombreux textes à la manière dont la guerre peut conduire certaines personnes à une transformation profonde de leur être. L’exemple le plus saisissant est l’album Heroes, dont la particularité est de se concentrer exclusivement sur des hommes et des femmes. Il s’inscrit pleinement dans le registre épique et porte un éclairage sur des événements à travers les vies et les actions de Charlie Brown et Franz Stigler (No Bullets Fly), d’Audie Murphy (To Hell and Back) ou encore de l’aviateur tchécoslovaque Karel Janousek (Far from the Fame). The Great War poursuit dans cet esprit avec des titres revenant sur des destins qui ont marqué ce conflit, comme ceux de Lawrence d’Arabie (Seven Pillars of Wisdom) ou d’Alvin C. York, objecteur de conscience qui fut l’un des soldats américains les plus décorés de la guerre (82nd All the Way). Même si l’on aurait sans aucun doute préféré un morceau sur Guynemer ou Nungesser, l’approche de Sabaton autour du combattant se veut objective en considérant les deux côtés de la ligne de front.

Comme l’expliquait Brodén au sujet de Heroes, il ne s’agit pas "de délivrer un message politique ou religieux […], les héros se trouvent n’importe où […], nous ne racontons que des histoires de guerre, parfois d’un point de vue allemand, parfois d’un autre point de vue, qu’il soit suédois, russe ou israélien".

Enfin, certains morceaux ouvrent plus largement à une réflexion sur la guerre et sa nature. In the Name of God, par exemple, évoque le terrorisme islamiste et dénonce ces combattants invisibles, sans uniforme, imbriqués au sein des populations. Shiroyama aborde en son fond la question de la conduite de la guerre face à l’innovation et à la masse à travers le choc de deux époques, le combat des anciens et des modernes, la lutte vaine du katana face à l’arme à feu. L’album The Art of War s’inscrit également dans cette réflexion avec des références directes aux pensées de Sun Tzu. Symboliquement, l’album contient d’ailleurs treize morceaux, chacun relatif à une bataille, en référence aux treize chapitres de L’art de la guerre.

 

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Sabaton au Hellfest, 2017. © Tate Bloom

 

Une dimension didactique marquée

Cette passion pour l’histoire militaire et la volonté de transmission se déclinent au-delà des seuls albums du groupe. En ce sens, les concerts accordent une attention marquée à la scénographie de sorte que Sabaton s’est largement imposé comme un groupe de scène majeur. Il en va de même des clips qui se caractérisent par un effort de reconstitution. Le tournage de Fields of Verdun, réalisé sur les champs de bataille de la Première Guerre mondiale, a par exemple bénéficié de l’appui technique de l’association Le Poilu de la Marne à des fins de conseils et pour s’assurer de la cohérence du scénario, des plans et des images. La formation se caractérise donc par la précision et la dimension didactique qui animent ses projets. L’approche ne se veut bien sûr pas académique et, naturellement, le format des albums et les contraintes associées, notamment de temps, conduisent à condenser les récits.

Certains pourront en être choqués, d’autres frustrés, mais il convient de remettre les choses en perspective en se rappelant qu’il s’agit de compositions musicales et non d’un module universitaire ou d’un travail scientifique. Quand bien même la phase d’écriture fait l’objet d’un travail de recherche préalable, Brodén et Sundström admettent qu’aussi passionnés d’histoire soient-ils, ils restent "des amateurs".

L’univers de Sabaton, associant albums, concerts, site Internet et émissions, apparaît ainsi à bien des égards comme une manière originale de plonger dans l’histoire militaire par le biais d’une pédagogie autre. S’il est délicat de conseiller un titre en particulier parmi la centaine déjà produits par le groupe, la diversité des thèmes et des époques devrait en revanche permettre à tout amateur d’histoire militaire de trouver une accroche selon ses intérêts propres. Leur reprise du fameux In the Army Now de Status Quo pourra d’ailleurs également susciter l’intérêt, tout comme leurs collaborations avec Amaranthe et Apocalyptica, deux autres groupes scandinaves. Les premiers ont en effet repris avec brio 82nd All the Way tandis que les seconds, formation de violoncellistes finlandais notamment connue pour son travail sur le Black Album de Metallica, ont réinterprété Fields of Verdun et se sont associés à Sabaton autour de Angels Calling, premier titre du groupe consacré à la Grande Guerre (Attero Dominatus).

 

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Sabaton au festival Wacken Open Air, 2015. © Andreas Lawen, Fotandi

 

Pour finir, cette grande diversité dans les thèmes conduit toutefois à deux constats. Le premier est que, sauf quelques exceptions, Sabaton n’aborde pas d’événement postérieur à la Seconde Guerre mondiale. Le choix est conscient et répond d’une volonté de ne pas choquer, Brodén et Sundström considérant qu’il est encore trop tôt pour les conflits de l’histoire récente. Le second constat, qui peut prendre la forme d’un regret, tient au fait qu’aucun titre ne porte spécifiquement sur l’histoire militaire française, ce qui est d’autant plus surprenant au regard de sa richesse. L’idée et l’envie existent toutefois. Joakim Brodén expliquait avoir pensé écrire au sujet de Jean Moulin, mais sans être encore parvenu à retranscrire musicalement l’atmosphère souhaitée. Le destin de Napoléon figure également parmi les projets du groupe, mais la densité du personnage et de son destin nécessiterait alors bien plus qu’un unique titre. Aux côtés de ces grands noms de l’histoire de France, nombre de combats fondateurs, héroïques ou emblématiques pourraient être mis en musique : Valmy, Austerlitz, Camerone, Bazeilles, l’insurrection de Paris d’août 1944, Diên Biên Phu, Kolwezi n’en sont que quelques exemples évidents, même s’il est vrai que la richesse de l’histoire militaire impose de faire des choix et que "200 albums de Sabaton ne suffiraient pas".

 

Grégory Boutherin - Docteur en droit public
Cet article est une réédition d’une précédente publication parue dans la revue Défense et sécurité internationale, n° 147, mai/juin 2020