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La création et l’action du Comité français de la Libération nationale (CFLN)

Sous-titre
Par Sylvain Cornil-Frerrot, Docteur en histoire et responsable des recherches historiques à la Fondation de la France Libre

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Le 3 juin 1943 est constitué à Alger le Comité français de la Libération nationale (CFLN). Cet événement constitue une étape importante dans l’unification des forces françaises engagées aux côtés des Alliés pour libérer le territoire national des occupants allemand et italien.

Corps 1

À la suite du débarquement anglo-américain au Maroc et en Algérie le 8 novembre 1942, les autorités vichystes d’Afrique française du Nord (AFN) et d’Afrique occidentale française (AOF) avaient basculé dans la guerre aux côtés des Alliés contre les puissances de l’Axe, sous la direction du dauphin du maréchal Pétain, l’amiral Darlan, haut-commissaire de France en Afrique, puis du général Giraud, commandant en chef civil et militaire. De manière pragmatique, le président américain Roosevelt, qui se méfie du général de Gaulle, avait choisi de reconnaître ce pouvoir, au nom de sa doctrine des « autorités locales ». De son côté, le chef de la France Combattante, qui depuis juin 1940 s’était engagé dans la dissidence vis-à-vis du gouvernement du maréchal Pétain, en refusant l’armistice et en poursuivant la guerre, à Londres, avec le Royaume-Uni, à la tête des Forces françaises libres, pouvait compter sur le soutien des mouvements de Résistance intérieure rassemblés en mai 1943 au sein du Conseil national de la Résistance, institué grâce aux efforts de Jean Moulin, délégué général du Comité national français (CNF) en France occupée.

Au terme de négociations ardues, et après l’acceptation par Giraud des principes démocratiques, sous l’influence de Jean Monnet, en mars 1943, une dyarchie est mise en place. Composé de commissaires désignés pour partie par chacun des deux co-présidents, de Gaulle et Giraud, le CFLN a pour fonction de diriger l’effort français dans la guerre et d’exercer la souveraineté française.

© Auteur inconnu/ECPAD/Défense
Au cours d'une visite d'inspection à bord du cuirassé Jean Bart, le général d'armée Henri Giraud, commandant en chef civil et militaire et coprésident du CFLN (comité français de la Libération nationale), et le capitaine de vaisseau Charles de la Fournière, commandant le bâtiment, passent l'équipage en revue. 06/09/1943.
© Auteur inconnu/ECPAD/Défense


Toutefois, ce compromis, entre deux chefs que tout oppose, montre rapidement ses limites. Tête plus politique que Giraud, de Gaulle profite du voyage de ce dernier en Amérique du Nord, en juillet 1943, pour s’imposer à la tête du comité, jusque-là marqué par une forme de paralysie.

Début août, à la présidence alternée des séances, succède une coprésidence par spécialités, Giraud se réservant les affaires militaires, tandis que de Gaulle dirige les autres affaires et la politique générale. Les états-majors de l’armée d’Afrique et des Forces françaises libres sont fusionnés, et le haut commandement est subordonné à l’exécutif, qui définit la politique militaire par le biais d’un comité de Défense nationale. Mis en cause lors des combats de la libération de la Corse, en septembre 1943, qu’il a préparée sans en informer le CFLN, Giraud est éliminé du comité, à l’occasion du remaniement du 9 novembre 1943, qui voit l’entrée de parlementaires et de figures de la Résistance intérieure. Enfin, il est évincé du commandement en chef en avril 1944.

Désormais sous l’autorité du seul de Gaulle, le CFLN se dote d’instances gouvernementales destinées à accroître son efficacité et le légalisme de ses décisions ; le comité juridique, présidé par René Cassin, reprend ainsi les fonctions du conseil d’État. De même, une Assemblée consultative provisoire, dont la séance inaugurale se tient au palais Carnot le 3 novembre 1943, assure la représentation des Résistances métropolitaine et extra-métropolitaine, auxquelles s’ajoutent des parlementaires non compromis avec Vichy et des délégués des territoires libérés.

Durant les sept mois qui séparent la mise en place de ce second CFLN du débarquement allié en Normandie le 6 juin 1944, les autorités d’Alger doivent à la fois reconstituer une armée française unifiée, dont le réarmement et l’utilisation dépend du bon vouloir des Américains, faire face aux problèmes coloniaux, que le choc de la défaite de 1940 et les soubresauts de la guerre ont contribué à attiser, enfin préparer politiquement et économiquement la libération de la métropole et l’après-libération, en accord avec une Résistance intérieure multiforme et des Alliés toujours méfiants, dans un contexte de pénurie de biens de consommation et d’improvisation financière.

© Auteur inconnu/ECPAD/Défense
Sortie d'une séance du conseil du CFLN à Alger, en présence de Charles de Gaulle, Georges Catroux, René Pleven, René Massigli, André Diethelm, Adrien Tixier, Henri Bonnet, Louis Joxe, François de Menthon, André Philip, Raymond Offroy, Henri Frenay, René Capitant et Jules Abadie. 16/02/1944.
©Photographe inconnu/ECPAD/Défense


L’une des premières mesures réclamées par les résistants, soumis depuis 1940 à la double répression des autorités d’occupation et du gouvernement de Vichy, concerne l’épuration.

Dans les premières semaines, les proconsuls et généraux trop marqués par le vichysme ou ayant fait tirer sur les Alliés le 8 novembre 1942 sont écartés. À partir de septembre 1943, une commission d’épuration est chargée d’enquêter sur les faits de collaboration. Dans le contexte nord-africain, peu marqué par des actes de collaboration active, sauf en Tunisie occupée, cette première épuration est relativement symbolique. Sur 1 473 dossiers constitués par la commission d’épuration, seules 93 sanctions sont effectivement prononcées. En revanche, dans la Marine, la moitié des amiraux sont exclus du service actif, et le commissariat à la Guerre prononce 1 100 sanctions en trois mois à l’encontre d’officiers généraux et supérieurs.

Sur le plan judiciaire, quelques personnalités parmi les plus compromises sont emprisonnées : les amiraux Michelier et Derrien, qui ont fait canonner les Américains, Boisson, gouverneur général d’AOF de 1940 à 1943, Flandin et Peyrouton, ministres respectivement des Affaires étrangères et de l’Intérieur de 1940 à 1941. Des gardiens de camps coupables d’exactions et des membres de la Phalange africaine accusés d’avoir combattu aux côtés des Allemands durant la campagne de Tunisie sont exécutés. À cette répression limitée, marquée par une certaine mansuétude, il convient de noter une exception, destinée à servir d’exemple : Pucheu, ministre de l’Intérieur de Vichy de février 1941 à avril 1942, est fusillé le 20 mars 1944.

Sur le plan économique, Monnet, en charge de l’Approvisionnement et de la Reconstruction, négocie avec les Américains un plan d’aide, intégré au prêt-bail, destiné à assurer l’approvisionnement des populations libérées et la remise en marche des équipements industriels et de transport. De son côté, Mendès France, commissaire aux Finances, prépare un plan de lutte contre l’inflation, dont la philosophie, marquée du sceau du dirigisme économique, divise ses collègues.

Sur le plan législatif, une série d’ordonnances prévoient les conditions du rétablissement de la légalité républicaine dans les territoires libérés et mettent en place l’« État clandestin », qui doit se substituer aux autorités de Vichy dans la foulée des combats de la Libération et préparer l’élection d’assemblées nouvelles. Dans ce cadre, le droit de vote est accordé aux femmes et aux militaires par l’ordonnance du 21 avril 1944. Il s’agit également d’assurer le respect de la souveraineté française, face aux risques d’empiètements des Alliés, alors que les Américains laissent planer sur la France la menace de l’AMGOT, c’est-à-dire le gouvernement militaire allié des territoires occupés, appliqué à l’Italie.

Sur le plan militaire, la mobilisation de vingt-cinq classes d’Européens d’Afrique, auxquels s’ajoutent 250 000 maghrébins et 60 000 tirailleurs d’AOF, permet l’engagement d’un corps expéditionnaire, organisé et réarmé selon les standards américains, de 110 000 hommes en Italie. Sous les ordres du général Juin, ceux-ci jouent un rôle décisif dans la percée de la ligne Gustav au Garigliano (11-21 mai 1944) et la poursuite de l’ennemi jusqu’en Toscane. De son côté, de Lattre prépare la participation d’une armée de 250 000 hommes au débarquement de Provence en août 1944. Enfin, Leclerc, qui a réussi à constituer, à partir d’un noyau de Français libres, une 2e DB composée majoritairement d’unités de l’armée d’Afrique, reçoit mission de participer aux opérations alliées en Normandie, avec pour objectif Paris. Si elle obtient satisfaction sur l’emploi de ses troupes sur les différents fronts, la France ne parvient pas, en revanche, à être associée aux décisions stratégiques concernant la conduite de la guerre, qui demeure la chasse gardée des « Trois Grands », les États-Unis, le Royaume-Uni et l’URSS.

© Auteur inconnu/ECPAD/Défense
Les généraux Clark et Juin acclamés par la foule à Rome. 05/06/1944
© Auteur inconnu/ECPAD/Défense


Dans les colonies, le CFLN, confronté aux revendications nationalistes en Afrique du Nord et au Levant, qui exacerbent les tensions franco-britanniques au Proche-Orient, balance entre conservatisme et volonté de réformes. Cette dernière, exprimée en Algérie par Catroux, en Afrique noire par de Gaulle lors de la conférence de Brazzaville, prend la forme d’un plan de développement économique et d’une participation des autochtones aux affaires de leurs territoires.

En France occupée, le BCRA, les services secrets du général de Gaulle, repense, à partir de l’été 1943, qui voit l’arrestation de chef de l’Armée secrète, Delestraint, et du délégué général du CFLN, Moulin, l’organisation militaire de la Résistance intérieure sur un mode plus décentralisé, comme l’y invitaient les Britanniques. Des délégués militaires régionaux reçoivent la tâche d’organiser la Résistance armée sur le plan régional et d’assurer la mise en œuvre des plans de sabotage conçus par le Bloc Planning. Sur le plan administratif, une centaine de responsables – préfets, commissaires de la République – sont chargés de prendre en main les appareils de l’État en pleine insurrection. À leurs côtés, des comités départementaux de la Libération se mettent en place, à partir de l’automne 1943, pour organiser l’action immédiate et représenter la population auprès des autorités nouvelles.

Rassemblés au sein des Forces françaises de l’intérieur, sous le commandement du général Kœnig, encadrés par des instructeurs parachutés en France, les groupes paramilitaires de la Résistance préparent l’insurrection nationale, qui doit accompagner le débarquement et l’avancée des forces alliées, dans un climat de violences croissantes marquées particulièrement par le drame des Glières en mars 1944.

Remanié le 4 avril pour accueillir dans ses rangs deux commissaires communistes, le CFLN devient, le 3 juin 1944, le gouvernement provisoire de la République française (GPRF). Trois jours plus tard, les forces alliées débarquent sur les plages de Normandie.
 

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Sylvain Cornil-Frerrot,
Docteur en histoire et responsable des recherches historiques à la Fondation de la France Libre