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« Travail de mémoire et projets pédagogiques »

Le témoignage de M. Mouton, professeur d’histoire et de géographie au lycée professionnel Valère Mathé d’Olonne-sur-Mer.

Vous enseignez en lycée professionnel (hôtellerie-restauration).

Pourquoi avoir voulu monter un projet au long cours (suivi sur trois années scolaires) sur le thème du travail de mémoire ?

 

  • Cela fait bientôt dix-huit ans que j’organise un voyage à Oradour-sur-Glane avec mes classes et chaque année nous rendons hommage aux 642 personnes assassinées dans ce village du Limousin. Depuis une dizaine d’années nous bénéficions du témoignage de Monsieur Valade qui a vu disparaître une partie de sa famille et qui a échappé au massacre. Il est devenu un ami et nous nous rencontrons régulièrement. Les élèves lisent des poèmes, entonnent La Marseillaise, respectent une minute de silence et déposent une gerbe au tombeau des martyrs. Les élèves ne reviennent jamais indemnes de ce village et je voulais aller plus loin dans ce travail de mémoire. Il y a six ans de cela mon dossier « Auschwitz » a été retenu par le rectorat de Nantes et le Mémorial de la Shoah de Paris et là encore les élèves ont été vraiment marqués par ce travail (exposition, film, restitution, recherches et rencontre avec Monsieur Fuchs, enfant juif caché en Vendée pendant la Seconde Guerre mondiale). J’ai assisté à la transformation de la classe, les élèves ont modifié leur comportement et ont pu, à leur tour, témoigner de ce qu’ils avaient appris auprès de leur famille, amis… J’ai donc décidé d’organiser des projets plus ambitieux mais avec des élèves motivés qui désiraient ardemment réaliser ce travail voué à la mémoire. C’est une manière de les motiver, les intéresser et créer cette émulation dans la classe même si au départ je suis un peu inquiet car les élèves que nous avons en face de nous aujourd’hui ne sont plus ceux des années 1990.    

 

Comment avez-vous choisi les trois destinations de votre projet (Verdun, Struthof, plages de Normandie) ?

 

  • Verdun est la destination qui s’est imposée d’elle-même avec les commémorations de 2014/2018 et je voulais absolument me rendre sur les lieux de la Bataille de Verdun avant 2016, afin d’offrir aux élèves la possibilité d’un échange avec leur famille lors des retransmissions des cérémonies à la télévision. Les élèves, le proviseur et moi-même avons assisté aux commémorations du 11 novembre. Nous avons pu ainsi tisser des liens avec les élus locaux, nous avons étudié le monument aux morts de la commune du lycée afin de voir les différences avec les autres communes et celui de Verdun. Nous avons également consacré une matinée à la visite du musée local qui possède un réel trésor légué par un fils de poilu de Verdun. Tout autour de ce projet des actions courtes ont eu lieu comme par exemple l’exposition d’un descendant de poilu qui a conservé toutes les lettres envoyées par son grand-père, militaire gradé, à sa grand-mère et les réponses de celle-ci. Sans oublier une multitude d’objets, armes personnelles, photographies sur plaque de verre… Les élèves ont été vraiment intéressés. Nous referons cette action l’an prochain mais ouverte à un public plus large du lycée et parents.

 

  • Le choix du Struthof est la suite logique de Verdun car après la guerre entre Français et Allemands nous mettions l’accent sur la réconciliation avec la visite guidée du Parlement européen. Le Struthof, seul camp sur le territoire français, s’imposait surtout que nous pouvions bénéficier du témoignage de Monsieur Villeret, l’un des derniers rescapés de ce camp de concentration. Avec la classe de Terminale qui est partie du lycée, le travail s’achevait sur une idée positive de réconciliation, de tolérance entre les peuples. Monsieur Villeret (comme Monsieur Valade, Madame Kolinka, Monsieur Fuchs ou Monsieur Laidet déporté à Buchenwald)  a bien insisté sur cette idée d’ouverture d’esprit, de découverte de l’autre, de tolérance, de respect…

 

  • En ce qui concerne la Normandie, le lien avec les programmes d’Histoire, de Géographie et d’Enseignement Moral et Civique a été privilégié, mais aussi avec le Concours « Bien Parler Pour Réussir » organisé par l’Ordre de la Légion d’Honneur et celui des Palmes Académiques dont le thème est la Fraternité. La Normandie est proche de la Vendée et nous pouvons ainsi atteindre nos objectifs pédagogiques sans difficultés (visite des plages du débarquement, prise de conscience des pertes humaines militaires et civiles, visite des cimetières américain et allemand avec minute de silence, dépôt de gerbe et lecture de textes dans les deux cimetières…). Et encore une fois nous partirons de notre région avec la visite du bunker de La Rochelle, celui des Sables d’Olonne avec présentation du propriétaire des bunkers  au lycée (lien avec celui de Ouistreham dont la visite est programmée). Nous prévoyons la conférence d’un militaire à la retraite, historien qui fera le lien entre tous ces thèmes (la Normandie, la guerre, la réconciliation et la fraternité).

 

Quelles sont les principales difficultés que vous avez dû surmonter pour mener à bien les différentes étapes de votre projet ?

 

  • Les principales difficultés auxquelles nous devons faire face sont essentiellement financières. Nos élèves, pour la plupart, n’ont pas les moyens de financer un voyage coûteux. En revanche, ils sont motivés pour collecter des fonds en vendant des brioches et en préparant un repas solidaire pour le Lions Club des Sables d’Olonne qui nous accorde un soutien financier.

 

Comment avez-vous eu connaissance des aides proposées par le ministère de la défense ? Et sur quels partenariats vous appuyez-vous pour le montage de vos projets ?

 

  • Il y a deux ans, mon proviseur, Monsieur Milon, m’a parlé d’un projet de classe défense. Je ne connaissais pas ce terme, je ne savais pas à quoi cela correspondait. Je suis allé sur le site du ministère de la défense et j’ai découvert les actions menées ainsi que les possibilités de financement de projets. J’en ai parlé à la Directrice Académique, Madame Bazzo, qui suit mes projets de près et assiste aux restitutions des élèves. J’ai téléchargé le document, j’ai suivi la démarche et j’avoue que je ne le regrette pas. J’ai ainsi pu rencontrer des personnes vraiment géniales, ouvertes d’esprit et intéressées par nos projets. C’est rassurant et en même temps cela me conforte dans l’idée de poursuivre dans cette voie.

 

  • Les différents partenaires sont les suivants : la Fédération nationale André Maginot (nous avons remporté leur premier prix pour notre voyage Verdun en janvier 2016), le Souvenir français, Le Lions Club des Sables d’Olonne, l’ordre de la Légion d’honneur, l’ordre des Palmes académiques et l’ordre du Mérite national qui nous a remis le prix d’excellence pour notre projet Verdun en 2015. Chacun apporte une contribution à la mesure de ses moyens mais surtout chacun suit notre projet et nous encourage. 

 

En tant que professeur, quel est à votre avis l’intérêt à développer ce type d’approche et de travail pédagogique avec les élèves ?

 

  • Ce travail permet aux élèves d’effectuer des tâches différentes, enrichissantes, pédagogiques et valorisantes. Ils progressent et surtout se construisent en tant que futur citoyen européen, responsable, tolérant et ouvert. Certains élèves réservés voire timides se sont révélés et ont pris confiance en eux. Ils ont tous un rôle à jouer : préparer l’exposition, présenter les lieux visités à leurs camarades et restituer devant une assemblée. On leur demande ces activités lors des épreuves de Bac auxquelles je les prépare donc sans qu’ils s’en rendent vraiment compte. De plus ils parlent de leur expérience à leurs parents, leur famille, leurs amis et on les écoute, ce qui valorise leur travail. Les parents sont invités à assister à la restitution et ils découvrent leur enfant sous un jour nouveau, capable de présenter leur projet devant une assemblée importante, ce qui permet une relation différente par la suite. C’est un travail vraiment intéressant pour les élèves mais aussi pour l’enseignant qui travaille dans un climat de confiance et peut ainsi mettre cette nouvelle ambiance sereine au service des cours et du programme.  Ainsi chaque année la classe de Première participe au Concours national de la Résistance et de la Déportation et certains élèves remportent quelques distinctions. La classe de Terminale participe aussi, mais seulement les volontaires car ils ont déjà travaillé l’année précédente.

 

Qu’est-ce que ce projet a changé dans la vie de votre classe ?

 

  • Ce projet a permis une plus grande tolérance entre les élèves, une confiance entre eux et avec les enseignants. La classe a complètement modifié son comportement, elle s’est montrée plus scolaire, plus intéressée, plus active en cours. Cette année, la classe de première n’est pas toujours facile mais un tel projet lui permet de se valoriser, de prendre confiance en elle et de prouver qu’elle est capable de réaliser un bon travail. Cette année, ce sera le projet Normandie et l’an prochain (sur les conseils de Madame Sima, chef du cabinet du Président de la République à qui nous écrivons chaque année) nous organiserons un voyage Verdun-Strasbourg plus complet.

 

Aux deux tiers de cette « aventure mémorielle », pouvez-vous en tirer un premier bilan ?

 

  • La classe de Terminale qui vient de partir du lycée a réalisé un merveilleux travail. Depuis trois années, la classe de Terminale en partant passe le témoin à la classe de Première qui le passe à son tour, quand les élèves accèdent à la classe supérieure,  à celle de Première et ainsi de suite. C’est une méthode qui, pour l’instant, porte ses fruits. Les élèves entraînés par leurs aînés se retrouvent l’année suivante dans le rôle de tuteurs, ce qui est valorisant et motivant pour eux. Le travail de cette année consiste à organiser le voyage en Normandie par les classes de Terminale et Première. La classe de Seconde se rendra à Oradour-sur-Glane et assistera à la restitution du voyage en Normandie. Même si les élèves de Seconde sont difficiles, ils feront comme leurs aînés : ils évolueront, progresseront de manière positive sous le regard bienveillant des élèves plus âgés et motivés par leur action.

 

Votre travail a été présenté au Musée de la Marine de Rochefort dans le cadre des Journées européennes du Patrimoine :  comment cela s’est-il passé et comment le public a-t-il réagi ?

 

  • Dimanche 18 septembre 2016 nous avons présenté notre projet « Devoir de Mémoire » au Musée de la Marine de Rochefort. Ce fut une expérience enrichissante et valorisante pour les élèves qui ont pu exposer leur motivation et  le résultat de leurs recherches au public. Au départ, les visiteurs ne comprenaient pas pourquoi nous étions présents (3 élèves m’accompagnaient) et avaient du mal à saisir le but de notre exposition. Beaucoup ignoraient le thème de cette année 2016 : « Patrimoine et citoyenneté ».  Notre travail s’inscrivait parfaitement dans cette démarche. Nous leur avons expliqué et raconté notre voyage et nombreux sont ceux qui ont été intéressés et ont posé des questions. Monsieur Mathieu, le directeur du Musée de la Marine de Rochefort a tout mis en œuvre pour nous accueillir chaleureusement et nous mettre à l’aise. Tout avait été préparé en amont par Monsieur Auda, du ministère de la défense, et lorsque la proposition de cette participation aux journées du patrimoine m’a été soumise,  je voyais l’opportunité de terminer notre projet dans le même esprit pédagogique : valorisation du rôle et du travail des élèves. Cette journée fut une réussite parfaite. A tel point que nous envisageons que la reconduire l’an prochain.