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La photographie de guerre, entre témoignage et oeuvre

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"Huis clos" (détail), Antoine d’Agata, 2000. © Antoine d’Agata/Magnum Photos

Représentations des conflits, témoignages de la réalité des combats, les photographies documentent la guerre et ses malheurs. Elles sont toutefois aussi des oeuvres construites, dépendantes de la subjectivité de leur auteur, et expriment un regard particulier sur le sujet. Certaines d’entre-elles ont une véritable dimension artistique, ce qui nous interroge sur le statut de l’image et le bien-fondé d’une forme d’esthétisation de la guerre.

Corps 1

"(…) même rayé à mort,

un simple rectangle

de trente cinq

millimètres

sauve l’honneur

de tout le réel"

Jean-Luc Godard

 

"L’honneur de tout le réel" qu’évoque Jean-Luc Godard parlant du cinéma, cet honneur sauvé par un photogramme qui n’est rien d’autre qu’une photographie parmi les vingt-quatre photographies par seconde qui constituent un film, cette image, que peut-elle nous dire du réel, lorsque ce réel est celui des conflits, celui de la guerre ? C’est une question qui traverse aujourd’hui une double actualité : celle de la guerre en Ukraine, dont la proximité temporelle et géographique nous implique directement, à laquelle nous assistons en direct, à travers toutes les images que les médias et les réseaux sociaux véhiculent, mais aussi une autre actualité, culturelle cette fois-ci : la concomitance de plusieurs expositions consacrées à la photographie de guerre.

"Dès leur origine, les arts s’emparent de la guerre, exaltent les combats, les héros et leurs exploits, fustigent les carnages, les horreurs, pourfendent une inutile tragédie, tracent la fracture entre instinct de vie et pulsion de mort", écrit Françoise Denoyelle. Or, dans le flot des images de conflits, la photographie, à côté des autres images, a joué un rôle précurseur et elle continue à occuper encore une place paradigmatique dans ce que l’on pourrait appeler les informations visuelles ou audiovisuelles qui participent à écrire l’histoire, notamment celle des conflits armés, peut-être parce qu’à côté des images en mouvement, la photographie a ce pouvoir de suspendre le temps, tout en étant hantée par ce qui a été, durant les siècles passés, la peinture d’histoire.

 

Sophie_Ristelhueber

Sophie Ristelhueber, Eleven Blowups #1, 2006, photographie couleur, 110 x 133 cm, avec l’aimable autorisation de l’artiste. © ADAGP, Paris, 2022

 

Or quel est le véritable statut de ces images ? Comment ces images qui se veulent être initialement des documents, des témoignages, vont-elles migrer jusqu’à devenir de véritables icônes, jusqu’à parfois acquérir un statut d’oeuvre à part entière ? N’assumeraient-elles pas, alors, une valeur artistique, voire une valeur esthétique, au risque d’esthétiser la guerre ? Enfin, comment la création artistique elle-même va-t-elle s’emparer de ces images pour interroger leur nature ? Telles sont les questions auxquelles les lignes qui suivent vont tenter d’apporter un éclairage.

De l’image à l’icône

"La mémoire procède par l’arrêt sur image ; son unité de base est l’image isolée (…)" écrit Susan Sontag. "Qu’on mentionne seulement la photographie la plus célèbre de la guerre civile espagnole – celle du soldat républicain "touché" simultanément par l’appareil de Robert Capa et par une balle ennemie – et quiconque ou presque a entendu parler de cette guerre pourra se figurer l’image granuleuse, en noir et blanc, d’un homme vêtu d’une chemise blanche aux manches retroussées tombant à la renverse sur un monticule, le bras droit projeté en arrière tandis que son fusil lui échappe". S’il est une image emblématique - nous pourrions dire mythique -, du photojournalisme des temps héroïques, c’est bien cette photographie prise au plus près de l’action, comme choisissait de le faire Robert Capa. Ce sens du courage et du risque lui coûta la vie, sautant sur une mine au Tonkin, au cours de la guerre d’Indochine, le 25 mai 1954. Or l’image qui est devenue rapidement une icône en même temps que le symbole du drame de la guerre d’Espagne a été l’objet d’une polémique : est-elle une image véridique, un terrible témoignage factuel, saisi à un "instant décisif", pour reprendre l’expression d’Henri Cartier-Bresson concernant l’instantané ou bien s’agirait-il, comme le suppose le journaliste et historien anglais Philipp Knightley, en 1975, d’une image posée, soit d’une mise en scène ?

 

Conversation_troupe_morte

Conversation d’une troupe morte (une vision après l’embuscade d’une patrouille de l’armée rouge par les mujahidin, près du village de Moquor, Afghanistan, hiver 1986,
Jeff Wall, 1992, duratrans sur boîte lumineuse, 229 x 417 cm. Avec l’aimable autorisation de l’artiste

 

Il en va du doute quasi ontologique de toute photographie. Des enquêtes très méticuleuses ont été menées pour savoir si l’image était celle d’une réalité ou bien d’une réalité "fictionnalisée". Et pourtant, c’est bien parce que l’image contient en elle tous les indices d’un instantané - le léger flou, l’angle de vue, la proximité de la scène - qu’elle nous entraîne à voir un mouvement arrêté, comme elle donne à voir l’instant infinitésimal qui précède la chute : celui de la mort du soldat. Bien sûr, la véracité historique nous importe. Comme l’écrit Roland Barthes, la photographie est toujours l’indice d’un "ça a été", "(…) une hallucination tempérée en quelque sorte, modeste, partagée, (d’un côté "ce n’est pas là", de l’autre "mais ça a bien été") : image folle, frottée de réel".

L’image photographique possède donc ce pouvoir d’être une preuve, un témoignage. Elle informe, documente le réel et pourtant elle laisse toujours planer le doute sur la véracité de ce qu’elle donne à voir et ce malgré cette propriété que Philippe Dubois nomme "la verisimilitude" de la photographie. À propos du rapport au réel, André Rouillé note qu’il y a un "inconvénient à considérer l’image photographique comme une simple découpe d’un réel existant, alors que photographier consiste à transformer du réel en un réel photographique (…). La photographie reproduit moins qu’elle ne produit ; ou plutôt, elle ne reproduit pas sans produire, sans inventer, sans créer, artistiquement ou non, du réel – en aucun cas, le réel".

Pour revenir à l’image devenue icône de Robert Capa, deux hypothèses viennent alimenter la réflexion concernant la façon dont les photographies parviennent à écrire l’histoire : l’éthique du photographe qui rejoint en somme une esthétique : comme pour Cartier-Bresson, "l’instant décisif", la prise sur le vif, l’absence du recadrage et l’absence de manipulation de l’image en laboratoire ; mais aussi, a contrario, l’hypothèse même que la photographie ait pu être mise en scène n’anéantit pas pour autant ce qui relève en elle d’un régime de vérité. Ce que le philosophe Walter Benjamin a pu appeler "la teneur de vérité de l’oeuvre". Car nous savons que le soldat républicain frappé par une balle, même dans l’improbable et macabre hypothèse d’une mise en scène, donne à voir de façon emblématique tous les soldats morts au cours de la guerre d’Espagne, un peu comme le soldat inconnu, qui, dans une forme de condensation, symbolise tous les combattants tombés sur le champ de bataille.

La propagation des images

Si la photographie de guerre s’est développée depuis la seconde moitié du dix-neuvième siècle - la première représentation photographique connue de la mort sur un champ de bataille date de 1859 - elle doit son essor à sa diffusion, dans la première moitié du XXe siècle, liée à celle des revues et à leur circulation, la guerre d’Espagne ayant été un tournant décisif. Alliant les progrès techniques de la photographie avec ceux de l’imprimerie, les images vont gagner le grand public.

Après l’âge d’or du photojournalisme, schématiquement entre la guerre d’Espagne (1936-1939) et la guerre du Vietnam (1955-1975), les autres modes de diffusion des images, en particulier la télévision, sont venus concurrencer les photographies véhiculées par les revues. Dans ce que certains appellent la crise du photojournalisme, notons le rôle qu’a joué et que joue le développement technologique dans le mode de réalisation des images et dans leur diffusion, transformant radicalement le rapport que nous entretenons avec les images et, par voie de conséquence, notre rapport au monde. L’apparition des appareils numériques dans la dernière décennie du XXe siècle, puis des smartphones, d’Internet, des réseaux sociaux a bouleversé le régime des images permettant à tout un chacun de prendre des photographies ou des vidéos et de les transmettre en direct.

 

Huê_Sud-Vietnam

Bataille de Huê, Sud-Vietnam, février 1968. Un marine américain, commotionné et en état de choc, attend d’être emmené à l’arrière, pendant l’offensive du Têt. Don McCullin.
© DON MCCULLIN/CONTACT PRESS IMAGES

 

Un autre aspect, cette fois-ci plus politique, a aussi transformé les images témoins de leur temps : le contrôle exercé par le pouvoir sur l’information. En effet, il est vite apparu que la photographie pouvait être une source d’informations et un instrument de propagande ou bien un vecteur de dénonciation et de critique qui pouvait retourner l’opinion publique. Ce fut le cas au cours de la guerre du Vietnam où les photographies ont joué un rôle majeur dans la perception de la guerre par la population. Ce qui a conduit aussi à ce que la première guerre du Golfe ait été une guerre que l’on a appelée "sans image".

Sans entrer dans les détails de ces aspects historiques, il va sans dire que l’image photographique a pris une place majeure dans la représentation des conflits ; et que certaines images, comme celle de Robert Capa, sont devenues des icônes à part entière, infiltrant la mémoire collective, devenant des représentations emblématiques de ce que l’on peut montrer des conflits, des tragédies individuelles et collectives. "Un simple bout de pellicule, écrit Georges Didi-Huberman à propos de quatre photographies prises clandestinement par des membres du Sonderkommando d’Auschwitz-Birkenau (…) est capable d’engendrer un nombre illimité de tirages, de générations et d’agrandissements en tous formats. La photographie a partie liée avec l’image et la mémoire : elle possède donc l’éminente puissance épidémique".

Cette "puissance épidémique", qui lie photographie, mémoire et histoire tient pour certaines images de leur caractère exceptionnel leur conférant un puissant potentiel de témoignage, mais aussi une puissante charge émotionnelle. On pense bien sûr à la photographie de Eddie Adams montrant une exécution à Saïgon, en février 1968 ou bien à celle de Nick Ut, prise au Vietnam le 8 juin 1972, d’une enfant courant nue, brûlée, après un bombardement au napalm. Peut-on imaginer que l’extrême violence de ces images ne s’imprime pas dans les mémoires tout en façonnant celles-ci, tel un traumatisme ? Mais un autre aspect est à considérer aussi : la morphologie de l’image, ce qui en elle relève, au-delà de ce qu’elle donne à voir comme fragment de réalité, de sa plasticité qui demeure prioritairement vecteur de sens.

"Le vecteur d’un point de vue"

Ces images acquièrent ainsi une autre valeur que simple témoignage. Elles deviennent le vecteur d’un point de vue, d’un regard singulier, d’un regard d’auteur. N’est-ce pas ce que donne à voir la célèbre photographie de Don McCullin, prise juste avant l’explosion d’un mortier, selon le commentaire du photographe. Le soldat américain est en état de choc, immobile, pétrifié. Le point de vue du photographe se situe à la hauteur du soldat assis. Le cadrage est serré et il engendre un face-à-face presque intime avec le soldat dont le regard hagard est perdu dans l’ombre de son casque. "Vient un moment où mon métier ne ressemble plus à rien, confie Don McCullin. A Huê, je n’étais pas un photographe de guerre, j’étais au bord de l’extrême. Dans ces moments-là, le reportage est un voyage dans la folie". Dans une perspective analogue, la photographie de Christine Spengler, montrant Phnom Penh bombardé en 1975, est aussi le fruit d’un regard singulier.

Un paysage lunaire, quasi panoramique s’étend à la lumière d’un soleil qui peine à percer la fumée épaisse qui s’élève à la suite du bombardement. Un champ de ruine, un chaos. Un Vietnamien se retourne au premier plan et croise notre regard, c’est-à-dire celui de la photographe. Quelques silhouettes humaines sont là, dans ce paysage dévasté, baigné par la pénombre. Le noir et blanc de l’image tire vers l’anthracite. L’image dans son étrangeté pourrait même paraître poétique si nous ignorions la terrible réalité qu’elle montre. Ainsi, tout en étant une image de photojournalisme, cette image, comme bien d’autres, celles qui deviennent de véritables icônes, ne migrerait-elle pas, par le regard singulier qu’elle offre, du domaine de l’information et du reportage vers la sphère de l’art ? Ce regard qui d’ailleurs ne montre pas le bombardement lui-même et ses atrocités, mais la destruction qu’il vient de faire advenir. Ce regard et l’image qu’il instaure ne seraient-ils pas hantés par toute l’histoire de la peinture ce qui conduirait ainsi notre propre regard à non seulement percevoir l’image comme photographie mais comme tableau ? Risquant ainsi de porter un regard esthétique sur une image de guerre, ce qui ne va pas sans poser des questions d’ordre éthique.

De la photographie au tableau, de l’image à l’oeuvre

De ce passage qui s’opère de la photographie de reportage vers la sphère de l’art, plusieurs démarches ont vu le jour à partir des années 2000. Soulignons celle de Luc Delahaye qui, jusque-là était un photographe de guerre reconnu et plusieurs fois récompensé par des prix internationaux, couvrant des événements comme les conflits en ex-Yougoslavie, en Afghanistan ou en Tchétchénie. À partir de 2001, Luc Delahaye décide que ses photographies vont quitter le domaine du reportage pour devenir des œuvres à part entière et pénétrer la sphère de l’art. Il limite le nombre de photographies à trois ou quatre par an et il réalise cinq tirages grand format. Ces photographies sont alors exposées dans les lieux de l’art contemporain. Cette démarche avait soulevé une polémique opposant deux points de vue : les défenseurs de l’oeuvre estimant qu’il s’agit là de la continuité par la photographie de la peinture d’histoire, et ceux qui estimaient qu’il était problématique de transporter ces images violentes sur la scène artistique car leurs qualités plastiques entraînent, sinon une esthétisation de la guerre, du moins une "artialisation" du reportage.

"Je ne travaille ni avant, ni après l’événement, mais pendant", confiait Luc Delahaye. "J’avais deux mots : vitesse, indifférence. La recherche du geste parfait, pur dans son efficacité. Cet ensemble de gestes qui n’ont pas d’autre finalité que leur propre accomplissement, cela, pour moi, relève très clairement de la performance artistique". Ce mouvement qui conduit le reportage vers l’art, nous le rencontrons aussi chez un autre photographe, Antoine d’Agata, mais à partir d’un tout autre enjeu. Dans son oeuvre, sa propre expérience personnelle et son implication dans les situations qu’il photographie passent au premier plan, souvent au détriment des qualités formelles de l’image.

 

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Huis clos, Antoine d’Agata, 2000. © Antoine d’Agata/Magnum Photos

 

Envoyé par un journal américain à Jérusalem, Antoine d’Agata confie : "Je me suis retrouvé pour la première fois en position de photographier une situation de conflit. Ce n’est pas le regard que porte le photographe sur le monde qui m’intéresse, mais ses rapports les plus intimes avec celui-ci. Dans les photographies, dans ma pratique ordinaire du mensonge, je ne peux pas prétendre décrire autre chose que ma propre situation – mes états ordinaires, mes déséquilibres intimes (…). Les choix restent inconscients mais les obsessions sont les mêmes : la peur, l’obscurité, la mort…". Ici, ce n’est plus le risque d’esthétisation qui se profile, mais plutôt la volonté d’expression d’une subjectivité par les choix formels, le flou, le refus de la frontalité, le décadrage, l’appareil photographique penché, la composition chaotique, toute une démarche formelle visant à partager une expérience. "J’explore l’espace entre la photographie et l’expérience (…). La photo m’a permis d’aller là où je n’aurais pas eu la force d’entrer (…)".

Mettre en scène le réel

Si ces exemples concernent des photographies d’auteurs, d’autres voies artistiques prennent cette fois-ci appui sur les images de conflits pour développer un écart, un regard critique ou tout du moins un regard oblique qui interroge la nature des images de guerre et leur rapport au réel. C’est alors la mise en scène qui sert d’opérateur. Dans cette perspective, Jeff Wall, dont les oeuvres se présentent comme des tableaux lumineux retro-éclairés, de grands formats, compose une scène de guerre de toutes pièces, à partir de plusieurs prises de vue assemblées, en référence à une embuscade d’une patrouille de l’armée rouge en Afghanistan en hiver 1986. La composition s’inspire du tableau Le Radeau de la Méduse peint par Géricault en 1818-1819 et l’image produite se présente d’emblée, par son caractère outrancier et par son titre, comme un simulacre. La mise en scène produit une mise à distance qui interroge nos représentations d’un réel exacerbé, infusées par notre culture visuelle et historique.

Dans une orientation analogue, des artistes comme Eric Baudelaire ou Emeric Lhuisset vont jouer sur la mise en scène, pour le premier par la reconstitution en studio, à Los Angeles, de scènes de guerre, dans un sens filmique et pour le second, à la jonction du reportage et de la composition plasticienne, dans un travail complexe sur le terrain du conflit.

Sous un autre angle, le choix que fait une artiste comme Sophie Riestelhuber est, quant à elle, de montrer, en les suggérant, les meurtrissures de la guerre, comme des "cicatrices du paysage". Ici, ni victimes, ni combattants, et pourtant la puissance métonymique de la photographie, par le montage, est une image en creux de la violence de la guerre.

 

Al_Qaida

Déconstruire Oussama. Le Dr Fasquiyta-Ul Junat menant une incursion de la guérilla des talibans d’Al-Qaïda dans la zone de combat au nord de Mazar-e-Sharif,
Joan Fontcuberta, 2003, tirage à développement chromogène (Joan Fontcuberta). © ADAGP, Paris, 2022

 

Enfin, un regard plus distancié et non dénué d’humour est celui de l’artiste et théoricien de la photographie, Jaon Fontcuberta. Cette fois-ci, le simulacre est poussé à l’extrême, lorsque Joan Fontcuberta met en scène, dans une fiction humoristique qui mêle le vrai et le faux dans une production parodique de photographies et de divers documents, un dirigeant d’Al Quaïda qu’il incarne lui-même. Le regard est ici iconoclaste. Il déconstruit ce que les images véhiculent comme croyance dans le négoce qu’elles entretiennent avec le réel, car selon Joan Fontcuberta, "toute photographie est une fiction qui se prétend véritable".

Que peut-on montrer de la guerre et pourquoi le montrer ? Quelle position prendre face aux images de meurtrissures, face aux meurtrissures de l’Histoire, "devant la douleur des autres", pour paraphraser Susan Sontag ? Être au plus près du réel afin de pouvoir se le représenter, afin de pouvoir le penser ou bien éprouver la nécessaire distanciation afin d’échapper à la fascination parfois malsaine des images ? Souvenons-nous des mots écrits par Walter Benjamin en 1935 : "Au temps d’Homère, l’humanité s’offrait en spectacle aux dieux de l’Olympe ; c’est à elle-même, aujourd’hui, qu’elle s’offre en spectacle. Elle est suffisamment aliénée à elle-même pour être capable de vivre sa propre destruction comme une jouissance esthétique de tout premier ordre". Les questions restent pour autant posées et l’art est là, non pour leur apporter une réponse, mais pour les faire résonner jusqu’à ce que raisonnent et s’éveillent les consciences par la sensibilité qu’aiguisent les oeuvres de l’art, grâce à leur teneur de vérité autant qu’à la mesure de leurs artifices salvateurs. Et comme nous le rappelle Maurice Blanchot par une équation à double sens : "Il y a une limite où l’exercice d’un art, quel qu’il soit, est une insulte au malheur. Ne l’oublions pas.

 

Pierre Juhasz - Professeur agrégé d’arts plastiques - Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne