Les femmes engagées dans la guerre d'Indochine

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Par Chloé Masero - Doctorante allocataire du ministère des Armées

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Brigitte Friang, reporter de guerre et rédactrice à la revue Indochine Sud-Est Asiatique, replie son parachute après un saut au cours de l’opération Castor. © Daniel Camus/ECPAD/Défense

D’après Bernard Fall, la guerre d’Indochine "n’aurait pas eu un caractère vraiment français si les femmes n’avaient pas joué un grand rôle". En effet, après avoir été le plus souvent affectées à des postes administratifs et sanitaires pendant la Seconde Guerre mondiale, et avoir eu du mal à se faire reconnaître un statut militaire, de nombreuses Françaises vont, en Indochine, se retrouver engagées au plus près des combats.

Corps 1

La féminisation des armées est généralement datée des années 1970. Pourtant, l’engagement militaire des femmes est bien antérieur et la guerre d’Indochine en est un catalyseur. Nommées Personnels ou Auxiliaires féminins de l’armée de Terre (PFAT ou AFAT), les femmes occupaient diverses fonctions au sein du Corps Expéditionnaire Français en Extrême-Orient (CEFEO). Bien qu’exponentielle et adaptée au cours du conflit, l’intégration de personnels féminins dans les forces armées n’est cependant pas propre à la guerre d’Indochine. Dès janvier 1944, les armées se dotent de formations auxiliaires et, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, 4 329 femmes servent au sein de l’armée de Terre. En 1946, 25 d’entre elles sont envoyées en Indochine et leur effectif atteint 2 180 en mai 1954.

"Les filles de l'air"

Le rôle essentiel de ces femmes découle d’une adaptation de l’outil militaire au terrain sur lequel il est déployé. En effet, le concept d’EVASAN (évacuation sanitaire) apparaît au cours de la guerre d’Indochine. Pour répondre à cette évolution technique, l’armée de l’Air s’adapte en créant, dès juin 1946, les célèbres convoyeuses de l’air chargées de l’évacuation et du rapatriement des blessés par voie aérienne. Assistantes au service de l’équipage, elles sont aussi hôtesses sanitaires assurant les soins et la sécurité à bord. Parmi ces pionnières indépendantes et intrépides, retenons par exemple Jacqueline Domergue et Alberte Othnin-Girard, pilotes et parachutistes, ou encore Marie-Thérèse Palu, la première chef des convoyeuses. Durant la seule année 1950, au tournant stratégique de la guerre, les infirmières de l’air convoient près de 90 000 passagers et totalisent 10 000 heures de vol.

L'ange de Diên Biên Phu

Une jeune femme de 29 ans a plus particulièrement marqué la presse de l’époque, les mémoires et l’histoire : Geneviève de Galard. Envoyée à Diên Biên Phu pour rapatrier les blessés, elle multiplie les allers-retours à bord de son Dakota. Lorsque le Viêt-Minh lance son offensive sur le camp retranché, elle participe à l’évacuation d’une centaine de blessés à la barbe de l’ennemi, sous un déluge d’artillerie. Mais le 28 mars 1954, elle se retrouve bloquée sur place lorsque son avion est détruit. Infirmière de vocation, elle poursuit sa mission jusqu’à la fin de la bataille, démontrant un courage et un dévouement hors du commun. Après un mois dans l’hôpital de fortune, auprès des blessés, Geneviève de Galard est décorée de la Croix de guerre et nommée chevalier de la Légion d’honneur. Prisonnière du Viêt-Minh après la défaite de Diên Biên Phu, elle poursuit sa mission auprès des blessés. À sa libération, la France et les États-Unis lui rendent les honneurs. Elle reçoit ainsi à New-York la médaille de la Liberté et un surnom entré dans l’histoire, "l’ange de Diên Biên Phu".

Des femmes d'exception

Aux convoyeuses se joignent une quinzaine d’ambulancières, les Rochambelles, dès octobre 1945. Le service de santé les intègre, avec d’autres femmes, à divers postes essentiels au fur et à mesure du conflit indochinois : certaines sont infirmières diplômées d’État, secrétaires médicales ou infirmières parachutistes secouristes de l’air (IPSA). À partir de 1952, les femmes sont autorisées à occuper des postes de médecin et pharmacien au sein des forces armées. Valérie André est l’une d’elles, engagée dès 1949 comme médecin-capitaine en hôpital puis assistante en neurochirurgie. Déployée en soutien sanitaire dans des postes isolés grâce à ses qualifications en parachutisme, elle se forme rapidement comme pilote d’hélicoptère avec celui qui devint par la suite son mari, Alexis Santini. Ensemble, ils révolutionnent l’EVASAN en intégrant ces aéronefs au service des forces armées.

 

Friang

Brigitte Friang, reporter de guerre et rédactrice à la revue Indochine Sud-Est Asiatique,
replie son parachute après un saut au cours de l’opération Castor. © Daniel Camus/ECPAD/Défense

 

Au service d’ordre médical et sanitaire s’ajoute celui en état-major, dans lesquels les femmes sont employées. Dactylos, chiffreuses, mécanographes… elles assurent aussi les transmissions. Elles occupent également une place importante au sein des services sociaux des armées. Assistantes sociales ou encore opératrices de cinéma, leur rôle moral est indispensable auprès des troupes, et plus particulièrement dans les postes isolés qu’elles visitent. Ces emplois, dans les bureaux, bases arrière et autres services sédentaires, permettaient de dégager un maximum de cadres en y engageant du personnel féminin.

Leurs multiples fonctions dépendaient principalement de leurs goûts et ambitions, ainsi que de leur aptitude à l’instruction générale. Engagées pour un séjour de 18 mois, elles étaient astreintes à suivre deux stages avant leur départ : une instruction précoloniale afin de se préparer au théâtre indochinois, puis une formation de spécialité technique pour évaluer leurs capacités réelles. Toutefois, la présence féminine en Indochine ne relève pas d’une volonté du commandement mais de choix individuels, d’un certain jeu du hasard et de situations personnelles. Leur recrutement ne fut pas des plus aisé face à l’impopularité de cette guerre et d’un engagement militaire pour une femme.

Une reconnaissance timide

Les actions de ces femmes volontaires ont principalement été rapportées dans la première revue féminine de la presse militaire, le Bulletin PFAT, qui prit ensuite le nom de la déesse romaine de la guerre, Bellone, rédigé par des femmes et à leur attention. Loin d’être une revue féministe qui luttait pour l’égalité des sexes au sein de l’institution militaire, elle visait plutôt à rassembler ces femmes oubliées pour lutter contre leur isolement et leur solitude dans un environnement masculin, tout en cherchant à créer un esprit de corps et à consolider leur identité féminine.

Aujourd’hui, seul un monument leur rend hommage. Une stèle située dans la caserne de Croÿ à Versailles recense en effet les noms de 28 PFAT ayant trouvé la mort en Indochine. La liste s’achève en fait en 1952, mais cent à deux cents femmes, au total, y ont laissé leur vie.

 

Chloé Masero - Doctorante allocataire du ministère des Armées