Les fusillés de Châteaubriant

Sous-titre
22 octobre 1941

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Avis du général von Stülpnagel, Paris, 21 octobre 1941.
Avis du général von Stülpnagel, Paris, 21 octobre 1941. Source : DR
Corps 1

Historique

 

Avis publié dans L'œuvre du 23 août 1941 annonçant que les Français arrêtés sont désormais considérés comme otages – Musée de la Résistance Nationale - Champigny

 

1941 est une année importante pour la Résistance en France. Les groupes et les réseaux se développent. Particulièrement après l’engagement officiel du Parti communiste dans la lutte provoquée par l’attaque allemande contre l’URSS, les attentats et les sabotages contre l'occupant se multiplient. La réaction de celui-ci est de plus en plus violente. À la suite de l'attentat survenu le 21 août contre l'aspirant Moser, dans le métro à Paris, une ordonnance allemande décrète que tous les Français mis en état d'arrestation seront considérés comme otages et, qu' "en cas d'un nouvel acte, un nombre d'otages correspondant à la gravité de l'acte criminel commis sera fusillé". Si les fusillés de Châteaubriant ne sont pas les premiers otages exécutés, leur massacre est le point de départ des exécutions massives perpétrées à titre de représailles par les Allemands.

À la mi-octobre, des groupes armés, dont les membres sont présentés comme des "terroristes" par les Allemands, programment une série d'opérations à Bordeaux, à Nantes et à Rouen. Ces actions visent à obliger l'occupant à maintenir des troupes sur l'ensemble du territoire en entretenant un climat d'insécurité ainsi qu'à développer la lutte armée. Le 19 octobre, un sabotage provoque le déraillement d'un train sur la ligne Rouen-Le Havre. Le lendemain, vers 8h00 du matin, un officier allemand, le lieutenant-colonel Holtz, est abattu à Nantes. Gilbert Brustlein et Guisco Spartaco, deux jeunes Parisiens, rencontrent sur leur chemin, près de la cathédrale, deux officiers, Holtz et le médecin-capitaine Sieger et leur emboîtent le pas. Au moment de tirer, l'arme de Spartaco s'enraye mais le revolver de Brustlein atteint Holtz qui s'effondre.

 

L'intérieur du camp de Choisel, juillet 1941 – Amicale de Châteaubriant – Voves-Rouillé

 

La réaction de l’occupant est immédiate. À Châteaubriant, des troupes allemandes viennent renforcer la gendarmerie française qui assure la garde du camp de prisonniers de Choisel, dont la population est notamment constituée de détenus politiques arrêtés par le gouvernement du maréchal Pétain.

 

Un groupe d'internés du camp de Choisel dont : Charles Michels (1), Maurice Ténine (2), Désiré Granet (3), Henri Pourchasse (4), Guy Môquet (5) et Jules Auffret (6), fusillés le 22 octobre 1941
Amicale de Châteaubriant – Voves-Rouillé

 

Le jour même, un officier allemand se présente au camp pour y consulter la liste des détenus. Le lendemain, le général Von Stülpnagel, commandant militaire en France, fait annoncer par voie d'affiche que, "en expiation de ce crime", cinquante otages seront fusillés ainsi que cinquante autres si les coupables ne sont pas arrêtés avant le 23 octobre à minuit. Une récompense de quinze millions de francs est offerte pour la dénonciation des auteurs de l'attentat.

 

Avis du général von Stülpnagel, Paris, 21 octobre 1941. Source : DR

 

Le choix des otages est laissé à la discrétion du gouvernement de Vichy. Sur la liste de cent détenus présentée par les Allemands au ministre de l'intérieur Pierre Pucheu, les noms de cinquante personnes sont retenus, essentiellement des communistes.

 

Un autre groupe d'internés dont Jean-Pierre Timbaud, Désiré Granet, Henri Pourchasse et Jean Poulmarch, fusillés le 22 octobre 1941 – Amicale de Châteaubriant – Voves-Rouillé

 

Tandis que se prépare ainsi l'exécution du premier groupe d'otages, un autre officier, le conseiller d'administration militaire Reimers, est abattu à son tour à Bordeaux par Pierre Rebière. La riposte est la même : cinquante otages fusillés, cinquante en sursis jusqu'à l'arrestation des coupables, offre d'une récompense de quinze millions de francs aux dénonciateurs.

Le 22 octobre, vingt-sept otages sont fusillés à Châteaubriant. En début d'après-midi, ce mercredi, les Allemands regroupent les otages dans une des baraques du camp de Choisel où ils peuvent écrire une dernière lettre avant d'être conduits à la carrière de la Sablière, à la sortie de la ville, lieu de leur exécution. Celle-ci se déroule en trois salves, à 15h50, 16h00 et 16h10. Tous refusent d'avoir les yeux bandés et les mains liées. Ils meurent en chantant la Marseillaise. Le même jour, seize otages sont également exécutés à Nantes, au champ de tir du Bèle, et cinq autres au Mont-Valérien.

 

Guy Môquet, fusillé le 22 octobre 1941 à l'âge de dix-sept ans, photographié en compagnie de sa mère et de son frère, Serge, en visite à Châteaubriant
Musée de la Résistance Nationale – Champigny

 

Le lendemain, les Allemands dispersent les vingt-sept corps dans neuf cimetières des environs. Le dimanche suivant, malgré les interdictions, des fleurs sont déposées à l'emplacement des neuf poteaux par la population de Châteaubriant et de ses alentours.

Dans le discours prononcé par le maréchal Pétain à la radio le soir du 22, nulle condamnation de ces exécutions. Il dénonce au contraire les auteurs d'attentats et enjoint aux Français de se dresser contre eux en les poussant à la délation : "Par l'armistice, nous avons déposé les armes. Nous n'avons plus le droit de les reprendre pour frapper les Allemands dans le dos… Aidez la justice. Je vous jette ce cri d'une voix brisée : ne laissez plus faire de mal à la France."

Le 23 octobre, le secrétariat général à l'information diffuse un communiqué destiné à apaiser les esprits : "Il est établi que les autorités occupantes ne choisissent pas les otages destinés à être exécutés parmi les personnes arrêtées après un attentat, mais parmi les suspects internés dont la culpabilité a été nettement prouvée".

Le 24 octobre, cinquante otages sont fusillés à Souges, près de Bordeaux, à la suite de l'attentat du 21 octobre contre le conseiller militaire Reimers.

Dans le même temps, le maréchal Pétain propose de se livrer lui-même aux Allemands comme otage. Rencontrant l'opposition de ses ministres, il renonce à son projet et Pierre Pucheu est chargé de négocier avec les autorités d’occupation.

Les Allemands ont menacé de fusiller de nouveaux otages si les coupables ne sont pas découverts. L'offre de récompense pour la dénonciation des auteurs de l'attentat n'ayant pas porté ses fruits, Stülpnagel essaie d'amener les Français à coopérer en promettant aux familles qui apporteront leur concours la libération des détenus en Allemagne et le retour des prisonniers dans leur foyer. Au terme de ses tractations avec les autorités de Vichy, Stülpnagel renonce finalement aux exécutions complémentaires.

Alors que l'autorité allemande pensait faire de la fusillade de Châteaubriant un exemple, elle obtient l'effet inverse. Partout, cette exécution suscite l'indignation et la colère. Elle frappe de manière irréversible la conscience des habitants de la région et l'ensemble de la population française, jouant un rôle important dans la mobilisation des énergies pour combattre l'occupant. Son retentissement est considérable dans le pays comme à l'extérieur.

 


 

Les camps de Châteaubriant :

Après la défaite de 1940, les troupes allemandes occupent une partie de la France. Elles parviennent ainsi en Bretagne et, le 17 juin 1940, entrent dans Châteaubriant, petite ville de 10 000 habitants située dans la vallée de la Chère.

Les soldats faits prisonniers à Nantes et dans les environs sont dirigés sur Châteaubriant et regroupés sur le champ de courses de Choisel. Quatre camps sont alors créés :

  • le camp "A", au moulin Roul, où sont enfermés des tirailleurs sénégalais,
  • le camp "B", dans le marais de la Courbetière, où sont rassemblés des prisonniers anglais,
  • le camp "S", dans le terrain de sport de la Ville en Bois, où sont détenus des prisonniers venus de Nantes,
  • le camp "C", celui de Choisel, le plus important et le mieux organisé.

Ce sont bientôt quelque 45 000 prisonniers qui sont internés à Châteaubriant. Le 14 janvier 1941, ces hommes sont transférés en Allemagne.

 

Vue aérienne du camp de Choisel – Amicale de Châteaubriant – Voves-Rouillé

 

Seul le camp de Choisel va subsister. Aux prisonniers y succèdent des nomades raflés sur les routes et des droits communs puis, à partir de la fin avril, des détenus politiques des deux sexes, anciens dirigeants syndicalistes des Bourses du travail, dirigeants des mouvements du Front Populaire ou communistes arrêtés par le gouvernement de Vichy. En octobre, environ 600 personnes sont détenues dans ce camp.

 

Un rassemblement à l'intérieur du camp – Amicale de Châteaubriant – Voves-Rouillé

 

Extrêmement solidaires les uns des autres, ces prisonniers occupent leurs journées à des activités intellectuelles, organisent des cours de langues, ou effectuent des travaux de jardinage destinés à améliorer l'ordinaire.

 

Une séance de gymnastique sous la direction d'Auguste Delaunne, mort sous la torture – Amicale de Châteaubriant – Voves-Rouillé

 

En vertu de l'ordonnance d'août 1941 transformant les Français arrêtés en otages, signée par le général Schaumburg, commandant du "Gross Paris", plusieurs de ces détenus sont fusillés, notamment les 22 octobre et 15 décembre 1941.

À la suite de plusieurs évasions, Choisel ferme le 9 mai 1942 et les prisonniers sont transférés vers Voves et Aincourt.

 

Octobre

Le vent qui pousse les colonnes de feuilles mortes

Octobre, quand la vendange est faite dans le sang

Le vois-tu avec ses fumées, ses feux, qui emporte

Le massacre des Innocents

 

Dans la neige du monde, dans l'hiver blanc, il porte

Des taches rouges où la colère s'élargit .

Eustache de Saint-Pierre tendait les clefs des portes

Cinquante fils la mort les prit,

 

Cinquante qui chantaient dans l'échoppe et sur la plaine,

Cinquante sans méfaits, ils étaient fils de chez nous,

Cinquante aux regards plus droits dans les yeux de la haine

S'affaissèrent sur les genoux

 

Cinquante autres encore, notre Loire sanglante

Et Bordeaux pleure, et la France est droite dans son deuil

Le ciel est vert, ses enfants criblés qui toujours chantent

Le Dieu des justes les accueille

 

Ils ressusciteront vêtus de feu dans nos écoles

Arrachés aux bras de leurs enfants ils entendront

Avec la guerre, l'exil et la fausse parole

D'autres enfants dire leurs noms

 

Alors ils renaîtront à la fin de ce calvaire

Malgré l'Octobre vert qui vit cent corps se plier

Aux côtés de la Jeanne au visage de fer

Née de leur sang de fusillés.

 
Pierre Seghers, décembre 1941.
Poème publié en janvier 1942 dans le n° 3 de la revue suisse Traits.

 

Monument érigé à la Sablière en hommage aux fusillés de Châteaubriant – Amicale de Châteaubriant – Voves-Rouillé

 

Collection "Mémoire et citoyenneté", N°20, Publication Ministère de la défense/SGA/DMPA