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La Résistance en action

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Des maquisards récupèrent des containers d'armes parachutés par les Alliés en Haute Savoie. Date inconnue. Copyright IWM (HU 53231)
Corps 1

Dans la nuit du 5 au 6 juin 1944, alors que l'armada alliée se dirige vers les côtes normandes, la BBC diffuse, à compter de 21h15, 210 "messages personnels" à destination de la Résistance française. Ces messages codés donnent l'ordre de mettre en œuvre sur l'ensemble du territoire national les plans de mobilisation élaborés par le "Bloc Planning". Dirigé par le lieutenant-colonel Combaux, le Bloc Planning est une section du Bureau de renseignement et d'action de Londres (le BRAL, ex-BCRA). Son but est de planifier la participation de la Résistance française au succès de la stratégie alliée. La difficulté principale à laquelle se heurte le cerveau stratégique du Bloc Planning, le capitaine tchèque Miksche, engagé dans les Forces françaises libres, est l'ignorance du lieu du futur débarquement. Il met ainsi au point quatre scénarii dont l'un envisage un débarquement sur les côtes du Cotentin, qui serait combiné avec un autre débarquement sur les côtes méditerranéennes.

Les plans sont élaborés par le Bloc Planning en liaison avec la Résistance intérieure. A Londres, ils sont approuvés par le général Pierre-Marie Koenig, à la tête de l'état-major des FFI, par les services secrets britanniques (le Special Operations Executive, SOE) et par l'état_major interallié. Ils ont pour objectif d'entraver au maximum les forces d'occupation au moment du débarquement allié :
- le Plan Vert, préparé en liaison avec Résistance-Fer, consiste à paralyser le réseau ferroviaire .
- le Plan Tortue, devenu par la suite Bibendum, vise à paralyser le système routier dans le quart nord-ouest de la France .
- le Plan Violet prévoit le sabotage des lignes téléphoniques .
- le Plan Bleu prévoit celui des lignes à haute tension pour priver de courant les voies ferrées électrifiées et les zones côtières.

Le Plan Rouge prévoit le déclenchement de la guérilla à partir de six zones difficilement accessibles : Morvan, Massif Central, Pyrénées, Alpes, Jura, Vosges. Considérées comme des "réduits", ces zones doivent servir de refuge et de base pour les maquis dont la mission est de harceler les arrières allemands.
Enfin, le Plan Caïman envisage des actions à mener en cas de second débarquement en Provence pour libérer le Sud-Ouest et certains secteurs alpins.

Approuvée par le général de Gaulle, l'"Instruction concernant l'emploi de la Résistance sur le plan militaire au cours des opérations de libération de la métropole" datée du 16 mai 1944 définissait une action "progressive et dosée" et visait à éviter une multiplication d'actions insurrectionnelles spontanées. Le principe avait d'ailleurs été approuvé par les Alliés lors d'une conférence de planification franco-anglo-américaine qui s'était tenue le 20 mai suivant. Les plans élaborés par le Bloc Planning devaient donc être réalisés progressivement, dans le temps et dans l'espace, en fonction de la progression des armées alliées et de l'évolution du théâtre des opérations.
Mais le 2 juin, le haut-commandement allié (SHAEF) décide, de manière unilatérale, de déclencher les actions sur l'ensemble du territoire national, y compris les ordres de déclenchement d'action généralisée. Il s'agit de semer la confusion dans les état-s-majors allemands et de les tromper sur le lieu où se produira l'effort principal afin de les maintenir dans l'incertitude et de tenir le plus possible de troupes éloignées du front normand. Cette décision entrait dans le cadre de la vaste opération d'intoxication baptisée Fortitude. Elle montrait néanmoins que la mobilisation de la Résistance française s'effectuait dans un contexte de tensions et d'incompréhension entre de Gaulle et les Alliés, entre les Alliés et la Résistance, entre les états-majors londoniens, qu'ils soient alliés ou français, et les formations agissant sur le terrain.
 
Au final, l'exécution des plans remporte un certain nombre de succès : l'arrivée des renforts ennemis, en particulier des divisions blindées, est considérablement retardée, ce qui permet d'établir de solides têtes de pont en Normandie. Enfin, l'état-major de la Wehrmacht reste persuadé, jusqu'à la mi-juillet, que le débarquement en Normandie n'est qu'une diversion en attendant le débarquement principal, qui doit avoir lieu dans le Pas-de-Calais.

Le Plan Vert est réalisé par des équipes de sabotage déjà bien rodées. Dans les vingt-quatre heures suivant le débarquement, la quasi-totalité des coupures de voies ferrées prévues est réalisée. A compter du 6 juin et durant tout l'été 1944, aucun train ne peut effectuer de long trajet sans subir une ou plusieurs interruptions et 820 locomotives sont endommagées. Quant aux voies ferrées remises en état, elles subissent très vite de nouvelles coupures. Mais les sabotages de la Résistance ne sont pas les seuls responsables de cette paralysie d'un réseau ferroviaire qui était également la cible des bombardements aériens alliés.
Le Plan Tortue est réalisé au gré des déplacements des soldats allemands : épandage de crève-pneus sur les chaussées, ponts et carrefours endommagés, arbres coupées mis en travers des routes, déplacements de panneaux indicateurs sont autant d'actions menées pour ralentir l'ennemi.
Le Plan Violet vise les lignes téléphoniques allemandes qui subissent 7 coupures le 6 juin 1944, 32 le lendemain. Près d'une centaine de coupures de câbles à longue distance sont effectuées pour le seul mois de juin.
Le Plan Bleu permet le sabotage d'un certain nombre de lignes à haute tension.

Plus problématique est la mise en œuvre du Plan Rouge. En effet, sur bien des aspects, le déclenchement de l'insurrection pouvait paraître prématuré. Au printemps 1944, les "maquisards" sont au nombre d'environ 50 000, concentrés essentiellement dans les zones de moyenne montagne.  Pour la plupart d'entre eux, ils sont mal équipés, mal armés. L'enthousiasme accompagnant l'annonce du débarquement entraîne un afflux massif de volontaires dans les maquis. Cela pose un problème d'encadrement, d'armement et donc d'efficacité militaire face à une Wehrmacht expérimentée et incomparablement mieux équipée. Certes, les parachutages de containers d'armes à la Résistance française s'accélèrent à l'été 1944. Mais il s'agit pour l'essentiel d'armes légères individuelles. Les armes collectives, mitrailleuses et mortiers, font cruellement défaut.

Dans les jours qui suivent le 6 juin 1944, des dizaines de communes passent sous le contrôle de la Résistance, en particulier dans le sud et dans les zones montagneuses et périphériques, au gré de la grande "montée au maquis". Ces libérations s'accompagnent parfois de proclamations du retour de la République, comme à Oyonnax où la "IVe République" est proclamée. Mais rapidement, la Wehrmacht se ressaisit et écrase les maquis qui menacent ses lignes de communication, en particulier dans la vallée du Rhône, et les accès aux cols alpins, voies de retraite vers les Vosges et l'Italie. La 157e division de montagne du général Pflaum mène ainsi les opérations de répression - les "Aktionen" - contre les maquis des Bauges, de l'Ain, du Vercors et de l'Oisans. Dans le Limousin, c'est la 2e division blindée de Waffen-SS "Das Reich" qui réprime violemment les maquis de la région. Ces opérations s'accompagnent de massacres d'une ampleur jusque là inconnue en France : Tulle (99 pendaisons) et Argenton-sur-Creuse (56 habitants massacrés) le 9 juin, Oradour-sur-Glane (642 habitants massacrés) le 10 juin, ou encore Vassieux-en-Vercors les 21 et 22 juillet (72 habitants massacrés). Au final, le bilan humain est lourd pour les combattants des maquis, devenus Forces françaises de l'intérieur (FFI) et pour les populations civiles. Refusant de reconnaître les FFI comme des combattants réguliers, l'armée allemande exécute sommairement tous ceux qu'elle capture, les assimilant à des "francs tireurs".

Craignant de ne plus maîtriser la situation, l'état-major du général Koenig envoie aux organisations de Résistance le télégramme suivant le 10 juin :
"Freiner au maximum activités de guérilla. Impossible actuellement nous ravitailler en armes et munitions en quantités suffisantes. Rompez partout contact dans mesure du possible pour permettre phase réorganisation. Evitez gros rassemblements. Constituez petits groupes isolés." Difficilement compris, ce coup d'arrêt fut difficilement applicable.

Certaines zones libérées par la Résistance sont épargnées : ce sont celles que les Allemands ne jugent pas stratégiques ou celles qu'ils n'ont pas les moyens de reprendre, comme les cantons de Mauriac dans le Cantal, ou de Vabre, dans le Tarn.

Quel bilan peut-on tirer de l'action de la Résistance à l'été 1944 puis pendant toute la campagne de France ? L'efficacité de la Résistance est difficilement quantifiable. Dans son ouvrage de mémoires intitulé Croisade en Europe, paru en 1949, le général Eisenhower dit des résistants français qu'ils ont "joué un rôle particulièrement important. Ils ont été extrêmement actifs en Bretagne, et, en tous points du front, ils nous ont aidé de mille façons. Sans eux, la libération de la France et la défaite de l'ennemi en Europe occidentale auraient été bien plus longues et nous aurait coûté davantage de pertes". Sans nul doute, les sabotages ont ralenti les communications allemandes. Sans nul doute, l'activité de harcèlement des maquis et des FFI a plongé la Wehrmacht dans un climat d'insécurité permanent qui a contribué à accélérer sa retraite. Sans nul doute, la Résistance a joué un rôle déterminent dans la libération du territoire national.