Daniel Cordier : "Le chapeau vert est toujours vert"

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Par Sébastien Albertelli - Agrégé, docteur en histoire

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Ordre de mission de l’aspirant Daniel Cordier, 24 juin 1942. © SHD

Pour un Français libre, rejoindre les rangs du Bureau central de renseignements et d’action, c’est donner la priorité à l’action clandestine en France. Les ordres de missions témoignent de la diversité des formes que cette action a revêtue. Les archives des services spéciaux conservées par le Service historique de la défense réservent encore des surprises, même pour Daniel Cordier, qui s’est pourtant acquis, dès les années 1980, une réputation méritée de découvreur d’archives.

Corps 1

À la fin des années 1970, lorsqu’il s’est lancé dans une recherche au long cours sur la vie et l’œuvre de Jean Moulin, Daniel Cordier a voulu utiliser autant que possible les traces documentaires plutôt que les témoignages. Il possédait lui-même beaucoup de documents, qu’il avait conservés au moment de quitter la Direction générale des études et recherches (DGER), où il avait été chargé du tri des archives et de la rédaction d’une partie du Livre blanc du Bureau central de renseignements et d’action (BCRA). Son statut d’ancien secrétaire de Jean Moulin et de Compagnon de la Libération lui avait en outre permis de bénéficier d’un accès privilégié à certains fonds inaccessibles aux autres chercheurs, notamment celui du BCRA conservé aux Archives nationales. Il a également sillonné la France à la découverte de dépôts d’archives méconnus. En somme, rien, semblait-il, ne pouvait lui avoir échappé. Et pourtant... et pourtant, jusque très récemment, Daniel Cordier ne connaissait pas son propre ordre de mission, dont aucune copie ne semble avoir été conservée ailleurs que dans les archives des services spéciaux, à Vincennes (voir diaporama).

Un pianiste

Cet ordre de mission, signé par le général de Gaulle, a été rédigé le 24 juin 1942 par Bruno Larat, de la section Action Missions (A/M) du BCRA, qui devait être arrêté un an plus tard en même temps que Jean Moulin et qui est mort en déportation. Comme toujours, il s’agit d’un document très bref, qui valide le principe d’une mission sans entrer dans le détail : l’aspirant Daniel Cordier sera envoyé en zone non occupée comme opérateur radio - on parle alors de pianistes (voir Les transmissions au service de l'action) - pour le compte du Commissariat national à l’Intérieur (CNI).

D’emblée, le lecteur est frappé par l’utilisation du nom de Cordier, convaincu que les ordres de mission des services secrets sont rédigés sous un nom d’emprunt adopté à Londres. En fait, tel est bien le cas : le véritable nom du jeune agent est alors celui de son père, Bouyjou . Cordier est le nom du second mari de sa mère, Charles Cordier. Les volontaires de la France libre ayant la possibilité d’adopter un nom d’emprunt pour des raisons de sécurité, Daniel Bouyjou saisit cette opportunité de réaliser un vieux rêve et choisit d’adopter le nom de Cordier, nettement plus commun. Depuis 1946, son véritable nom est Daniel Bouyjou-Cordier.

L’ordre de mission n’est que la partie émergée d’un dossier de mission beaucoup plus complet présenté par le BCRA au chef de l’état-major particulier (EMP). Ainsi est-il précisé que la mission de l’opérateur Cordier sera, à la demande de Jean Moulin, d’assurer les transmissions du "Bureau Information-Propagande" qu’il a créé en zone sud quelques semaines plus tôt pour alimenter la presse de la France libre en informations émanant des mouvements de résistance, et réciproquement. Il s’agit en réalité du Bureau d’information et de presse (BIP), dirigé par Georges Bidault, lui-même porteur de l’alias Bip. Quoi qu’il en soit, Daniel Cordier devient BipW, un nom de code qui combine l’acronyme BIP et le suffixe W, qui sert à désigner les opérateurs radio. La formation qu’il a reçue en Angleterre le rend, en outre, apte à organiser des opérations aériennes clandestines pour le compte de la Royal Air Force (RAF), notamment pour faire atterrir un Lysander dans quelque champ isolé.

Daniel Cordier est finalement parachuté non loin de Montluçon dans la nuit du 25 au 26 juillet 1942, en même temps que deux autres agents du BCRA. Tous trois sont reçus par un autre agent, Paul Schmidt, arrivé quelques semaines avant eux. Parmi les dispositions fixées avant son départ figure une phrase - "Le chapeau vert est toujours vert" - par laquelle il devra répondre si Londres lui pose la question : "Darnaud est-il toujours au même endroit ?" Toute autre réponse signifierait qu’il n’est plus libre.

Ordres et réalités

Un ordre de mission n’est que le début d’une aventure dont les péripéties peuvent être bien éloignées de ce qui avait été prévu dans les bureaux de Londres. Le cas de Daniel Cordier en est le parfait exemple. Comme pour beaucoup de ses camarades de combat, il était ainsi prévu que BipW reviendrait en Angleterre "dans un délai de trois mois environ" s’il parvenait à former "un ou plusieurs opérateurs radio".

Jamais un tel délai n’a été respecté dans les faits. Daniel Cordier ne revint en définitive à Londres qu’en mai 1944... Surtout, la réalité de son travail en France n’a rien eu à voir avec le libellé de son ordre de mission. La faute à Jean Moulin, qui le retint auprès de lui au lieu de le détacher auprès de Bip et qui lui confia le soin d’organiser son secrétariat plutôt que d’assurer ses transmissions avec Londres. C’est ainsi que Daniel Cordier monta le secrétariat de Jean Moulin, alias Rex, successivement en zone sud et en zone nord... au grand désespoir du BCRA, qui manquait cruellement d’opérateurs radio et qui ne comprit pas comment Rex avait ainsi pu détourner de son rôle un agent qu’il avait fallu former pendant de longs mois.

 

Sébastien Albertelli - Agrégé, docteur en histoire

 

POUR EN SAVOIR PLUS
L'ordre de mission de Daniel Cordier est conservé dans les archives du BCRA et sera classé dans la sous-série GR 28 P 4 (dossiers des agents des réseaux).
Son dossier individuel de résistant, conservé sous la cote GR 16 P 85797, est consultable en salle de lecture.
Son témoignage oral (voir Des archives du BCRA au Livre blanc), conservé sous la cote GR 3 K1 40, est consultable librement.
  • Ordre de mission de l'aspirant Daniel Cordier, 24 juin 1942.
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