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Peindre pour les armées

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Entretien avec Jacques Rohaut, peintre officiel des Armées

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Jacques Rohaut à bord du Charles de Gaulle en Mer Rouge, avril 2019. Embarquement avec d’autres peintres de la Marine à l’occasion du cent cinquantenaire du Canal de Suez. © DR

L’origine des peintres de l’Armée remonte à l’Ancien Régime. Afin de célébrer les hauts faits militaires nationaux, des artistes furent nommés "peintres de batailles". Président de l’association des Peintres officiels de la Marine, Jacques Rohaut revient sur cette tradition typiquement française, avec une attention particulière portée aux hommes et femmes qui prennent le large.

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Qu’est-ce qu’un peintre militaire et comment le devient-on ?

Les peintres officiels des Armées ne sont pas des militaires même si des militaires ont reçu ce titre. C’est un texte réglementaire de 1981 qui définit leur statut et précise leurs spécialités : Marine, Air et Espace, Terre et depuis peu Gendarmerie.

L’existence de peintres au sein des armées s’inscrit dans une longue tradition de représentations des batailles, celles-ci devant exalter la puissance militaire du souverain ou de la Nation en immortalisant hauts faits d’armes et glorieux épisodes guerriers. L’organisation réglementaire actuelle est toutefois plus récente, trouvant par exemple son origine, pour la Marine, au XIXe siècle. Il s’agit en effet, avec le texte de 1981, de perpétuer un titre créé officiellement en 1830 sous Louis-Philippe et qui concrétisait alors, avec l’inscription de deux peintres à l’annuaire des officiers de la Marine, Louis-Philippe Crépin et Théodore Gudin, l’existence d’un corps des peintres de la Marine. En 1919, un premier texte réglementaire organise le statut des Peintres officiels de la Marine (POM).

Les noms des nouveaux artistes, lesquels sont non seulement des peintres mais aussi des graveurs, des dessinateurs, des illustrateurs, des sculpteurs ou des photographes, sont aujourd’hui connus grâce à la publication d’un arrêté de nomination au Journal officiel de la

République française (JORF). Les récipiendaires reçoivent une carte militaire mais aucune rétribution. Le titre est donc très largement honorifique. Certains peuvent porter un uniforme spécifique sans galons (Marine et Terre) mais cet attribut n’est prévu par aucun des textes déterminant le statut. Les POM ont rang d’officiers subalternes pendant 9 ans (lieutenant de vaisseau), puis d’officier supérieur (capitaine de corvette), et sont le plus souvent appelés

"Maître". Une petite ancre posée juste après leur signature est leur marque distinctive. Les peintres des autres armées ont quant à eux des grades équivalents à ceux précédemment cités. Les peintres des armées, preuve de leur statut hybride qui permet des souplesses indispensables, ont des autorités de tutelle. Le Centre d’études stratégiques de la Marine (CESM) est, depuis 2015, celle des POM.

C’est à l’occasion des salons organisés tous les deux ans par les états-majors des armées que sont proposés au ministre des Armées de nouveaux noms d’artistes. Ils sont choisis par un jury composé de militaires, de membres du monde de l’art et de peintres déjà nommés.

Existe-t-il des différences d’approche selon les armes d’appartenance, des sensibilités différentes, ou le "cahier des charges" est-il le même ?

L’ensemble des textes réglementaires reconnaît que le titre est décerné aux artistes qui consacrent une partie de leur activité à la représentation de sujets militaires, maritimes ou aériens mais aussi à ceux dont le talent paraît contribuer au renom des armées. Ce "talent" professionnel est fondamental pour permettre le maintien d’un niveau artistique incontestable.

Là où il peut y avoir des différences d’approche, ce sont dans les modalités et la réputation des salons organisés par chacune des armées. La renommée historique de certains salons peut attirer une pluralité d’artistes, ce qui transparaît bien évidemment ensuite par le biais des oeuvres propres à chacun des corps concernés.

 

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Exercice interarmées, Jacques Rohaut, huile sur toile, 50 x 73 cm, 2014. © DR

 

Les trois associations créées par les peintres des armées, et dont l’Association des Peintres officiels de la Marine (APOM) fait partie, ont un rôle important, en lien la plupart du temps avec l’autorité de tutelle. Elles aident notamment les artistes dans l’organisation de leur travail. Traditionnellement, l’APOM prend ainsi part, chaque année, à de nombreuses activités parmi lesquelles figurent la publication d’ouvrages, l’organisation d’"escales" dans des lieux symboliques du monde maritime ou la conception d’expositions.

La peinture militaire était auparavant considérée comme "le grand genre". Quel est aujourd’hui son statut et, entre témoignage et oeuvre d’art, comment considérez-vous vos oeuvres ?

La peinture marine est d’abord le fruit de la volonté de Louis XIII et Richelieu. Louis XV confia à Claude Joseph Vernet la représentation de 24 ports de France ; 13 sur les 15 réalisés sont des joyaux du Musée national de la Marine de Paris. La peinture de bataille a été particulièrement riche et belle au XIXe siècle. Quant aux premiers tableaux d’aviation, la revue L’Illustration a beaucoup contribué à la diffusion auprès du grand public des oeuvres réalisées par des artistes amoureux du domaine aéronautique, lesquels en devinrent ensuite des spécialistes.

Si une fonction de représentation subsiste chez les peintres des Armées, elle est de fait marginale. Les officiers supérieurs ont plutôt pour volonté de mettre en avant la création artistique, laquelle offre de surcroît un plus grand rayonnement qu’une simple image figurative. Un tableau révèle davantage qu’on ne croit. Il est la traduction d’une époque.

L’existence de peintres militaires au sein des armées est-elle une spécificité française ?

Pour ce qui est des peintres de la Marine, mais c’est aussi vrai pour ceux des autres armées, c’est une tradition unique au monde. Les Anglais nomment des war painters tandis que les peintres de la marine belges ou italiens sont membres d’associations qui utilisent ce titre. Toutefois, cela n’en fait pas des membres d’un corps spécifique d’une armée. Les POM, eux, embarquent très souvent à bord des bateaux de la Marine nationale à l’invitation des commandants. Sont ainsi créés des liens humains et très souvent amicaux.

L’appartenance aux trois associations des peintres est facultative. Seule compte la nomination signée par le ministre compétent, publiée au JORF. Tous les peintres de la marine sont toutefois membres de l’APOM, une association reconnue et aidée par la Marine (plus spécifiquement le CESM) et qui va fêter ses 50 ans en 2023 !

 

La rédaction