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Les combattantes de 1870

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Par Jean-François Lecaillon -  Docteur en histoire

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Vignette publicitaire de la maison Chocolat-Louit représentant Marie-Antoinette Lix, lieutenant des francs-tireurs de Lamarche pendant la guerre de 1870, début du 20e siècle. © Look and Learn/Bridgeman Images

L’engagement des femmes en 1870-1871 est peu connu et souvent occulté. Pourtant, celui-ci est important et pluriel : des espionnes aux infirmières et des ouvrières aux combattantes, des femmes de tous les milieux ont participé à l’effort de guerre. Auteur d’un ouvrage qui leur est entièrement consacré, Jean-François Lecaillon s’attarde sur la trajectoire de quelques-unes d’entre elles.

Corps 1

Face à l’invasion du territoire, les Françaises de 1870 se sont mobilisées. Mais, exception faite des cantinières qui avaient vocation à aider les soldats en périphérie des combats, elles n’étaient pas autorisées à intégrer des unités combattantes. Celles qui en eurent l’idée furent vite remises à leur place et, à l’instar de Rosa Bonheur par le maire de Thomery, invitées à aller préparer de la charpie pour les blessés.

L’engagement des femmes dans les violences de l’insurrection parisienne en 1871 a conforté cette façon de concevoir leur place dans la guerre. Historien de la Commune, Robert Tombs rappelle que celle-ci "représentait une subversion fondamentale de la société bourgeoise, un rejet choquant de la moralité conventionnelle, une offense délibérée aux convenances sociales, un franchissement plein d’assurance de la frontière entre les sexes, un défi à l’autorité patriarcale". Dans ce contexte, celles qui bravèrent l’interdit se cachèrent sous des habits d’hommes et de fausses identités. Retrouver leur trace n’est donc pas toujours tâche aisée.

Un engagement de circonstances

Si les femmes étaient dissuadées de prendre les armes, certaines n’ont toutefois pas eu le choix. Ce sont des occasionnelles. Lors de la bataille d’Orléans, par exemple, madame Benit, de Belleray, participe à une attaque contre des sentinelles prussiennes. Les femmes de Brosville et Tourneville (dans l’Eure) prennent, elles aussi, fusils et gibernes pour défendre leur village. Le 7 octobre à Rambervillers, d’autres mettent en fuite une quarantaine de hussards prussiens et, le 13 octobre, elles combattent aux côtés de leur mari.

Les cantinières avaient seulement mission de soutenir les combattants mais quelques-unes trouvèrent l’opportunité de prendre le fusil. Madame Barnier, cantinière du 102e bataillon de la garde nationale mobile de la Seine rapporte dans ses souvenirs, publiés dans Le Matin du 18 décembre 1941, qu’elle prit part à tous les engagements autour des forts de Bagneux, Châtillon et du Sud de Paris. Cantinière au 72e bataillon de la garde nationale de la Seine, madame Philippe participa au combat de Buzenval. Dick de Lonlay évoque le cas d’une cantinière qui, le 6 août, dans le bois de Niederwald, fit le coup de feu avec l’arme d’un zouave tué. Cantinière au 4e bataillon des mobiles de Seine-Inférieure, Aglaé Massey se saisit de même d’une arme en pleine bataille et courut à l’ennemi. Sur la foi des récits de témoignages, ce type de comportement n’a rien d’exceptionnel.

 

Lix

Vignette publicitaire de la maison Chocolat-Louit représentant Marie-Antoinette Lix, lieutenant des francs-tireurs de Lamarche
pendant la guerre de 1870, début du 20e siècle. © Look and Learn/Bridgeman Images

 

Les femmes engagées dans une unité comme combattantes furent plus rares. Les cas sont surtout mal connus parce que ces femmes se cachaient des autorités pour ne pas être renvoyées dans leur foyer, des hommes qu’elles côtoyaient au quotidien ou des Prussiens qui pouvaient les faire fusiller comme terroristes. L’histoire retient quand même quelques noms tels ceux de Jane Dieulafoy, Marie Favier ou Marie-Antoinette Lix. Connues ou restées anonymes, elles s’enrôlent dans des corps francs. Peu regardantes, ce sont les seules unités qui les acceptent. Elles suivent souvent un compagnon de vie. Jane Magre (1851-1916) est dans une unité de franc-tireur placée sous le commandant de Marcel Dieulafoy qu’elle venait d’épouser. Marie Favier (1843- ?) intègre les francs-tireurs du Doubs dont elle épouse le commandant Nicolaï ; Marie-Antoinette Lix (1839-1909) s’engage dans la Compagnie franche de Lamarche quand Émilie Schwalm rejoint les francs-tireurs des Vosges de Mirecourt.

Femmes-soldats

Les plus expérimentées sont gradées et commandent des hommes. Sous-lieutenant lors de sa première incorporation, Marie Favier est élevée au grade de capitaine adjudant-major par Garibaldi quand elle est rattachée à la 4e brigade de l’armée des Vosges. Marie-Antoinette Lix, qui avait fait ses classes en Pologne lors de l’insurrection contre les Russes en 1863, est engagée comme lieutenant ; Émilie Schwalm est connue de ses hommes sous le sobriquet de "lieutenant Mimile".

Les femmes qui s’engagent dans les unités combattantes se voient souvent attribuer des missions qui ne les exposent pas trop au feu : logistique, soins aux blessés, reconnaissances. Mais les plus hardies sont des soldats comme les autres. Jane Dieulafoy se bat aux côtés de son mari ; à la tête de sa section, Marie-Antoinette Lix participe à la bataille de Nompatelize (6 octobre) où elle assume la défense du passage entre La Salle et Saint-Rémy. Marie Favier se distingue tout particulièrement lors des affrontements du 21 janvier 1871 autour de Dijon. Émilie Schwalm concourt à la défense de Neuf-Brisach. La veille de la capitulation de la place (26 septembre), le lieutenant-colonel de Kerwell, découvrant sa véritable identité, exige son évacuation. Décidée à poursuivre la lutte, la jeune femme se voit confier des dépêches à transmettre au général Cambriels. Ces quelques exemples sont les figures d’un engagement plus important dont les sources ne gardent que des informations fragmentaires et mal documentées. Les troupes garibaldiennes, par exemple, comptaient des combattantes dans leurs rangs. L’une d’elles est identifiée sous le nom de Pépita et occupe le poste de capitaine de cavalerie. Une autre, dénommée Lucie B., interpellée pour vagabondage en janvier 1873, produisit devant le Tribunal correctionnel de Lons-le-Saulnier un certificat signé du général Bordone, témoignant qu’elle avait servi comme cantinière à la 3e brigade de l’armée des Vosges et qu’elle y avait fait "le service de simple soldat […] à la satisfaction de tous ses chefs".

Les combattantes en 1870 restent des cas d’exception dont la mémoire spécifique s’est en partie perdue. Ces cas s’inscrivent dans la tradition des guerres qui ont toujours connu leur lot d’héroïnes armées telles Jeanne d’Arc ou Jeanne Hachette. La nature de leur engagement dans le conflit franco-prussien annonce toutefois l’accession de la guerre à une modernité qui conduira à repenser la place des femmes dans les unités combattantes.

 

Jean-François Lecaillon -  Docteur en histoire