Le Nord, un observatoire privilégié de la résistance féminine

Sous-titre
Par Catherine Lacour-Astol - Docteure en histoire contemporaine, Inspectrice d’académie-Inspectrice pédagogique régionale d’histoire-géographie

Partager :

Aviateurs anglais recueillis par la famille Fillerin et posant devant l’avis de recherche que les autorités allemandes ont émis à leur encontre, Pas-de-Calais, septembre 1942. © Collection du Comité d’histoire du Haut-Pays

La Résistance ne s’étant pas déployée de manière uniforme sur le territoire national, il est intéressant de mener une étude ciblée, à l’échelle régionale ou locale. Catherine Lacour-Astol propose de saisir les particularités de l’engagement résistant des femmes du Nord, territoire qui a fait l’objet d’une vive et précoce répression.

Corps 1

La Résistance ne s’est de toute évidence pas développée à l’identique dans une France écartelée. Ce constat fonde la pertinence d’une approche territoriale de l’engagement résistant, dont le présent article, centré sur le Nord, éclaire ponctuellement les apports dans une perspective de genre.

Considérations territoriales

Les deux départements du Nord et du Pas-de-Calais se singularisent par une occupation immédiate (effective dès la mi-juin 1940) et par un régime d’occupation aggravé : rattachés au commandement militaire allemand de Bruxelles, placés sous la coupe d’un Oberfeldkommandant doté des pleins pouvoirs sur sa "province", leur situation stratégique fonde une présence militaire allemande étouffante. La violence de l’invasion, comme le précédent de 1914 et d’une première longue occupation, objet d’une mémoire vive à l’échelle régionale, expliquent que cette confrontation occupants/occupés soit de part et d’autre sans illusions. Enfin, la présence de très nombreux soldats britanniques (plus de 4 000), restés sur le sol régional après l’opération Dynamo, pose d’emblée la question de l’aide à apporter aux Anglais, donc aux ennemis de l’occupant.

Cette situation forme le creuset d’un non-consentement – pour reprendre la notion initiée par Pierre Laborie –, que signalent des actes de désobéissance bien connus (graffitis, écoute de la TSF, irrespect des règles édictées par l’occupant,…) et des actes identifiés par l’occupant comme relevant du combat irrégulier de "francs-tireurs". Ces derniers sont l’objet d’une répression immédiate et rigoureuse, a priori indifférente au sexe : en témoigne, en septembre 1940, la condamnation à mort par le conseil de guerre de la Feldkommandantur d’Arras d’une femme, Blanche-Joséphine Paugan, accusée d’avoir coupé des lignes téléphoniques. Au-delà de ces actes individuels, le refus se traduit par des actions qui relèvent de ce que les historiens appellent communément la résistance civile : création de journaux (tel l’Homme libre, du maire de Roubaix Jean-Baptiste Lebas), dont certains sont les matrices potentielles de mouvements (Voix du Nord, du nom du journal éponyme), établissement de filières d’évasion (comme celle mise sur pied par le groupe Dubar, du nom de son promoteur, Joseph Dubar, un petit industriel roubaisien).

Résistantes de la première heure

Territoire d’une résistance, pour l’essentiel, non armée – ce qui ne signifie pas qu’elle soit dénuée d’une dimension guerrière –, le Nord est donc un observatoire privilégié d’un engagement féminin pluriel. La présence de femmes est attestée dans les premiers noyaux ébauchés dès l’été 1940. Dans l’ombre des fondateurs de La Voix du Nord, Jules Noutour et Natalis Dumez, œuvre une résistante au rôle majeur, Anastasie Samiez. Le groupe Dubar reflète quant à lui l’importance des relations familiales dans la formation des premiers groupes, spécialement le point d’appui que constitue le couple : aux côtés de Joseph Dubar figure son épouse, Laure Hennion, par ailleurs nièce de Jean-Baptiste Lebas ; ce sont les couples Verbert (Joseph et Irène qui tiennent le café de l’Univers à Roubaix) et Berrodier (Marius et Emilienne, fleuristes, tous deux décédés en déportation) qui assurent l’hébergement des futurs candidats à l’évasion ; enfin, c’est toute la famille Marc de Toufflers (Georges et son épouse Elisa Jacquemin, leurs deux filles Raymonde et Luce) qui prend en charge le convoyage.

L’importance de la résistance au sein du couple ne doit pas masquer les traits majeurs de l’engagement féminin : une précocité remarquable, qui se conjugue avec une autonomie inattendue. Cette précocité est lisible dans la chronologie des arrestations comme dans celle des déportations. La première déportée du Nord, Mariette Roels-Duflot, est arrêtée le 2 septembre 1940 et déportée à Aix-la-Chapelle le 16 novembre de la même année. Perçue et sanctionnée par l’occupant, cette résistance immédiate sera reconnue en sortie de guerre, puisque, selon les dates validées par l’administration dans le cadre de la reconnaissance CVR (combattant volontaire de la Résistance), 27 % des résistantes du Nord se sont engagées en 1940-1941, contre 13 % des résistants. L’autonomie de l’engagement féminin est, à l’identique, révélée par la répression. Aux côtés des femmes libres de tout engagement – célibataires, veuves, divorcées – qui s’engagent en résistance de leur plein gré, figurent en effet de très nombreuses femmes mariées dont l’engagement est autonome, soit que leur époux soit absent, soit qu’il ne soit lui-même pas engagé en Résistance. Cette autonomie de l’engagement féminin a peut-être partie liée avec l’expérience de 1914, qui a nourri la mémoire régionale de figures féminines du refus de l’ennemi, telles Louise de Bettignies ou Emilienne Moreau.

Le cas Jeanne Gadenne-Jourdain

Si la résistance non armée implique hommes et femmes, le poids des résistantes dans l’activité d’aide apportée aux Alliés – par le biais de l’hébergement des soldats anglais, puis des aviateurs tombés au sol – et à la Résistance par la mise à couvert de ses membres, constitue un marqueur de l’engagement féminin. Cette mobilisation spécifique est souvent le fait de femmes seules, dont certaines étaient déjà des résistantes avant la lettre en 1914, à l’instar de Jeanne Gadenne-Jourdain. Lors de la reddition de Lille en 1914, en l’absence de son mari mobilisé, la jeune femme avait accepté d’héberger trois soldats anglais et un soldat belge. Dès le mois d’août 1940, désormais veuve, elle ouvre à nouveau sa demeure à des soldats anglais et s’emploie à fournir des faux papiers à des soldats français évadés. Arrêtée en septembre 1943, elle est déportée en février 1944, et revient sauve de déportation en 1945. Son itinéraire montre que la résistance d’aide est le tremplin pour d’autres formes d’engagement : renseignement, domicile utilisé pour les réunions des chefs d’organisation, etc. Cette pluralité des activités résistantes, leur porosité, est aussi l’une des marques d’un engagement résistant féminin dont les traits, accusés dans le Nord, se retrouvent sur l’ensemble du territoire

 

Catherine Lacour-Astol - Docteure en histoire contemporaine, Inspectrice d’académie-Inspectrice pédagogique régionale d’histoire-géographie