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Développer une politique d’innovation numérique sur la durée

Retours sur la journée de lancement de l’appel à projets « Services numériques innovants destinés au tourisme de mémoire »

Le jeudi 19 octobre 2023, un  événement a été organisé par la Direction de la mémoire, de la culture  et des archives (DMCA) du Ministère des Armées pour lancer la 4e édition de l'appel à projets "Services numériques innovants destinés au tourisme de mémoire". Cet appel à projets a pour ambition de contribuer à développer des projets numériques pérennes et durables au service des publics des musées et lieux de mémoire.

Dans cette optique, différents retours d'expériences ont été accueillis durant cette journée afin d'échanger sur la nécessité de construire des projets innovants pour durer.

Cet article présente différents axes inspirants évoqués lors de la présentation de ces projets.

 

Comment soutenir la transition et le développement de projets durables ? Le rôle de la Direction de la mémoire, de la culture et des archives.

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Introduction de l’événement par Monsieur Sylvain Mattiucci CGA, Directeur de la mémoire, de la culture et des archives.


Dès son introduction, Monsieur Sylvain Mattiucci a rappelé les actions structurantes engagées par le ministère des Armées pour soutenir les projets de valorisation des lieux de mémoire. Ce soutien se matérialise par l'animation régulière du réseau des musées et mémoriaux des conflits contemporains.

À ce titre, de nombreux événements ont été organisés depuis 2019 pour accompagner et animer la transformation de ces lieux :

  • Un séminaire sur l'innovation numérique au Mémorial du débarquement et de la libération en Provence au Mont Faron (Toulon),
  • Un cycle de Webinaires en 2020 suivi par plus de 1200 participants sur l'innovation en période de crise sanitaire ;
  • Des séminaires d'application à Lens en 2021 (au Centre d’histoire Mémorial 14-18 Notre Dame de Lorette) et au musée de l'Ordre de la Libération en 2022. 

Cette programmation très active s'est aussi accompagnée d'un appui financier notable de différents projets de rénovation de lieux de mémoire. Ce fut le cas, par exemple, du musée du Débarquement d'Arromanches.

Enfin, un appel à projets a été reconduit 3 fois pour soutenir et appuyer le développement de projets innovants dans les lieux de mémoire. Celui-ci a permis de soutenir plus de 23 lauréats et a recueilli 118 candidatures.

Parmi les différents projets lauréats, 4 retours d’expérience ont ainsi été proposés lors de cette journée pour illustrer la diversité des projets accompagnés tant territorialement, qu'en termes d'enjeux, de formats, de période(s) historique(s) couverte(s) ou de publics ciblés.

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Quelques projets lauréats présentés lors de l’événement : l’application « Territoires de mémoire : sur les traces des plus grands conflits du XXème siècle » développée par la FNCAUE, l’expérience audio « Septfonds, terre des mémoires » proposée par le camp mémorial de Septfonds, l'expérience en réalité virtuelle « Rivesaltes VR » présentée par le Mémorial de Rivesaltes (voir une vidéo de présentation) et l’application « Ici / Avant » mise en place au Centre de la mémoire d'Oradour-sur-Glane.

 

Comment mettre en œuvre des projets durables ? Quelques retours d'expériences.

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Comment développer la durabilité et la pérennité des projets numériques ? Un panel dédié à ces questions avec les interventions de Christine Debray (Directrice de la sobriété numérique, ministère de la Culture) et Aurelien Gnat (Directeur, Mémorial de l’internement et de la déportation – Camp de Royallieu).


Évoquer la durabilité d'un projet numérique, c'est peut-être se confronter à un paradoxe. L'obsolescence des équipements, la difficulté de financer et d'anticiper les coûts de maintenance et d'exploitation d'un projet, la volatilité des usages des publics mais aussi des pratiques des professionnels du secteur sont autant de freins à envisager dans la conception d’un projet sur le long terme. Néanmoins, la création d'un projet pensé et co-conçu en lien étroit avec des partenaires locaux, la nécessité de le cadrer dans une logique pluri-annuelle, d'intensifier ses usages ou d'en assurer son itinérance peuvent être des pistes pour construire plus durablement un projet. C'est ainsi que s'est ouvert ce panel qui a accueilli les interventions de Christine Debray, et Aurélien Gnat.

En préambule de son intervention, Christine Debray a rappelé le contexte global dans lequel s'inscrivent les enjeux de sobriété numérique pour les institutions culturelles : raréfaction des ressources, accélération exponentielle des modèles de production ou impacts sur le dérèglement climatique.

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L’accélération en chiffres évoquée par Christine Debray.


Un tel contexte nécessite donc des approches raisonnées et documentées des projets numériques innovants. Cette approche peut consister, dans un premier temps, à évaluer le dispositif le plus pertinent ou nécessaire qui peut répondre aux besoins et usages de ses publics ou de son établissement.

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Part de l’empreinte carbone associée au type de matériel du numérique en France.


Si le projet le plus pertinent a recours au numérique, il peut être intéressant d'identifier les matériaux et dispositifs les moins obsolescents possibles. Pour cela, l’analyse de cycle de vie (ACV) de 4 services culturels menée par l’ADEME (Agence de la transition écologique) dans le cadre de son étude « Evaluation de l'impact environnemental de la digitalisation des services culturels » peut être utilisée. Une telle réflexion peut mener à mieux anticiper les usages de ces dispositifs et / ou de s’orienter vers le réemploi de matériaux. 

Le directeur du Mémorial de l’internement et de la déportation - camp de Royallieu a, quant à lui, évoqué la difficulté opérationnelle d'envisager une politique de sobriété énergétique au regard de la mission qui lui est assignée de conserver des bâtiments d’internement et de rétention en l’état, par nature inconfortable.

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3 bâtiments témoignent du passé de rétention au camp de Royallieu.


Son retour d'expérience a, en revanche, permis d'illustrer un projet pensé dans la durée, préfigurant un renouvellement du parcours de visite et impulsant de nouvelles voies de recherche particulièrement riches à explorer.

À l'origine de ce projet, la volonté de mettre en avant des parcours de détenus afin que le visiteur appréhende mieux le camp de Royallieu et le replace dans un processus de répression et de détention plus global ainsi que la diversité des mémoires et des parcours passés par ce lieu. Après une étape de formalisation et d'identification des financements mobilisables, une rencontre avec la société Novelab a été décisive dans la concrétisation d’un tel projet.

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Le parcours augmenté au camp de Royallieu propose de découvrir des parcours de vie et de rétention pour mieux situer ce point de passage dans un système global de détention et de persécution.


Co-construit de façon étroite avec le Mémorial, ce dispositif a été intégré au parcours de visite pour projeter sur les murs les portraits de ces anciens détenus et leurs parcours sur le sol. Un dispositif pensé mûrement pour initier un repositionnement du projet scientifique et culturel du Mémorial dans les prochaines années.

Ce retour d'expérience met en avant différentes conditions permettant de développer un projet durable :

  • Réfléchir un projet en lien étroit avec la stratégie d'un lieu,
  • Mobiliser une pluralité de financements pour mener à bien ce projet,
  • Piloter étroitement la relation avec un partenaire technologique pour répondre au plus près des besoins du lieu.

Ce type de constat a aussi été partagé dans le cadre d'un deuxième panel sur les apports, enjeux et limites de l'usage de l'intelligence artificielle dans le secteur patrimonial (notamment, mémoriel).

 

Quels enjeux et limites pour l'usage de l'intelligence artificielle dans le secteur patrimonial ?

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Quels apports et enjeux de l’usage de l’intelligence artificielle pour le patrimoine mémoriel ? Un panel dédié à ces questions avec les interventions de Patrick Guérin (Chef du département du pilotage scientifique et technique, Service historique de la Défense), Lucie Termignon (Cheffe de projet Données et intelligence artificielle, BnF) et Alexandra Adamova (Cheffe de projet Gallica Images, BnF) ainsi que Corentin Rousman (Conservateur des collections militaires, Mons memorial museum).


Le Service historique de la Défense, la Bibliothèque nationale de France (BnF) et le Mons Memorial Museum, toutes ces institutions ont développé des projets utilisant l'intelligence artificielle. Le recours à ces technologies a été fait aussi bien pour favoriser l'indexation de leurs ressources documentaires que pour développer de nouvelles approches de médiation avec leurs publics.

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RegistrIA, une expérimentation pour créer une base de données grâce à l’usage de l’IA.


Depuis quelques années, le Service historique de la Défense développe des projets d'indexation d’archives grâce à l'intelligence artificielle pour en optimiser les usages. En 2021, un projet expérimental a ainsi été initié : RegistrIA. L’objectif était de créer une base de données en ligne avec une recherche par mots-clés sur la base des registres matricule en Algérie de 1868 à 1918. Cette expérimentation a permis d’extraire de ces fiches numérisées plus d’un million d’informations (noms, prénoms, dates et lieux de naissance, classes, matricules) et, de les rendre accessible sur le site Web Mémoire des Hommes. Cette première expérience a permis de mettre en place un processus pour optimiser au mieux cette indexation.

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MaritimIA, un projet pour industrialiser le processus de traitement des données, leur indexation, leur mise en ligne et leur accessibilité.


Suite à cette première expérimentation, un deuxième projet (MaritimIA) a été mis en place pour indexer automatiquement les registres d’inscription maritime des quartiers de Bretagne sud par le biais de l’IA. 120 000 noms de marins ont ainsi été indexés en moins de 6 mois avec un taux de conformité supérieur à 90 %. Pour industrialiser cette approche, un marché cadre est actuellement formalisé afin de contractualiser avec un partenaire technologique sur plusieurs années et poursuivre ces différents travaux à grande échelle

À l'instar du SHD, la BnF nourrit sa stratégie d'innovation par ce type de projets exploratoires mais aussi par des projets plus industrialisés (en collaboration avec des partenaires d'envergure).

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Actions identifiées dans le cadre de la Feuille de route IA de la BnF (2021-2026).


Depuis 2022, l'établissement a fixé une feuille de route concernant l'intelligence artificielle afin d'affecter des moyens à la hauteur des enjeux que ce type de projets pourrait favoriser en termes d'innovation et de développement pour un établissement tel que la BnF.

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Indexer avec les IA les illustrations identifiées.


À ce titre, Gallica Images constitue une bonne illustration. Entre 2023 et 2026, ce projet a pour objectif d'améliorer significativement la recherche et les usages liés aux illustrations numérisées et publiées sur cette base de données particulièrement renommée auprès d'un large public (chercheurs, enseignants, scolaires, curieux, etc.). Dans le cadre d’un projet lauréat France 2030 et, en collaboration avec l’Institut national d’histoire de l’art, la Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg et 8 autres partenaires associés, Gallica Images optimisera le recensement, l’indexation et l’accès aux ressources en ligne. L'usage de l'intelligence artificielle permettra ainsi d'affiner la qualité et la précision des recherches d'images. Ce projet illustre ainsi une autre piste pour un établissement qui souhaiterait définir une véritable stratégie d'innovation développée en lien étroit avec son projet culturel et scientifique.

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Self portrait, un projet expérimental entre gaming et eye tracking au Mons Memorial Museum, le dispositif Selfportrait questionne les liens entre mémoires autobiographiques, mémoire collective et mémoire digitale.


Un dernier retour d'expérience est venu enrichir ce panel particulièrement exemplaire en termes de diversité d'approches stratégiques, celui du Mémorial de Mons. Ce lieu culturel belge a accueilli en ces murs un projet entre art et science faisant usage de l'intelligence artificielle. Ce projet, produit par Souhail Anouar et Kiral World, proposait de créer une œuvre dont la démarche réflexive avait pour ambition de faire entrer en écho les souvenirs et la mémoire individuelle des visiteurs avec les archives et ressources de ce lieu de mémoire.

Pour mener à bien cette ambition, un dispositif de projection d'images d'archives a été positionné à l'entrée du Mémorial. Équipé de détecteurs de mouvement, ce dispositif, selon le positionnement du regard du visiteur, projetait des images différentes et personnalisées par le biais des algorithmes d'une intelligence artificielle. Démarche artistique avant tout, un tel projet nécessite une importante médiation humaine pour mieux appréhender les réflexions à l'initiative de ce dispositif. Cette démarche, par nature exploratoire, permet aussi de tester de nouvelles formes d'application qui pourraient venir enrichir la stratégie du Mémorial de Mons.

À ce sujet, ce retour d'expérience est particulièrement emblématique des projets portés par le pôle muséal de Mons (auquel est rattaché le mémorial). Ce pôle s'est doté d'un laboratoire muséal grâce à la mobilisation de fonds européens : le Museumlab. Ce Museuml a ainsi facilité la mise en œuvre de ce projet mais, plus généralement, permet aux musées du pôle d'expérimenter un ensemble de projets innovants, d'itérer avec une diversité de partenaires externes (entreprises innovantes, autres musées, centres de recherche, etc.) pour mener des projets pérennes.

Si la volonté de recourir aux technologies liées à l'intelligence artificielle pour développer de nouveaux services ou renouveler leurs liens avec leurs publics réunit ces trois établissements, chacune de leur démarche de mise en œuvre et de pérennisation est singulière. Le SHD opté pour la mise en place d'un marché cadre afin de stabiliser une relation long terme avec un partenaire technologique. La BnF a défini une feuille de route pour fixer un cap tout en conservant l'agilité nécessaire à ce type de projet. Le Musée mémorial de Mons, quant à lui, s'est inscrit dans la stratégie d'un pôle muséal qui s'est doté d'un programme d'innovation ouverte particulièrement ambitieux. Trois manières d'aborder et d'intégrer des projets numériques et innovants dans la stratégie globale d'un établissement.

Si le lancement de la 4e édition de l’appel à projets "Services numériques innovants pour le tourisme de mémoire" est désormais effectif, cette journée  a aussi été riche en retours d'expériences pour contribuer à développer des projets plus durables et pérennes.

La diversité des démarches pouvant être mises en œuvre témoigne aussi de la nécessité d'intégrer et d'ancrer de tels projets numériques dans une stratégie globale d'établissement en lien avec son positionnement scientifique et culturel, ses publics ou ses partenaires. Cette stratégie globale d'établissement peut aussi nécessiter la prise en compte de son environnement : choix de matériaux et de technologies durables, mobilisation d'un écosystème créatif local, inscription dans un temps long et dans une politique d'animation active. Autant de témoignages qui contribuent à définir des projets innovants et ambitieux pour les lieux de mémoire.


Pour en savoir plus :