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D’une guerre, faire naître le patrimoine mémoriel - Musée départemental de la Guerre de 1870 & de l’Annexion

Beaucoup s’accordent aujourd’hui à faire cette lapalissade : on ne commémore pas une défaite. En cela, la guerre de 1870 qui vit s’affronter l’armée du Second Empire français et les forces militaires d’un Royaume de Prusse allié aux autres principautés de l’Allemagne d’alors est un cas d’école de l’Histoire de France et d’Europe. Et pourtant…

Ce conflit armé qui, selon les experts de l’époque, ne devait se dérouler que sur le territoire allemand pour une durée de quelques jours aura été un véritable marqueur dans les esprits européens de la fin du XIXe siècle : jamais des territoires n’avaient jusqu’alors connu un tel déferlement militaire ; jamais autant d’hommes n’avaient fait couler leur sang sur des champs de bataille en France ; jamais des troupes ennemis n’avaient dépassé Paris et n’avaient installés leurs bivouacs de Forbach à Nantes, de Calais à Dijon. La mobilisation éclaire des troupes françaises, venues de toute la France et des colonies, avec ses 400 000 militaires de carrière lors de la déclaration de la guerre, à qui on ajoute les engagés volontaires pour qui « l’Empire c’est la paix » et les personnels mobilisés représentent plus d’un million d’hommes, issus d’un pays où sept personnes sur dix vivent de l’agriculture. L’été 1870 devient alors celui des moissons de la rage.

Du 14 au 18 août 1870, la presse relaie les « batailles autour de Metz ». Ce moment clé du début du conflit se fait alors que les troupes allemandes démultiplient les percées sur les territoires de l’est de la France et encerclent les villes-forteresses telles que Strasbourg ou Metz. Cette dernière est perçue comme étant la ville-forte la plus importante d’Europe. C’est notamment à ce titre que l’Empereur Napoléon III s’y installe pour prendre le commandement de ses armées dès la fin du mois de juillet. Les maréchaux Bazaine et Mac-Mahon, avec leurs armées, en présence pour défendre le quart nord-est de la France doivent désormais fermer la route qui mène à Verdun et permettre à l’Empereur de quitter Metz.

Rebourt, Ligne de feu : souvenir du 16 août 1870

Rebourt, Ligne de feu : souvenir du 16 août 1870

Doncourt, La mort du Major Von Hadeln

Ces quatre jours entraîneront la mort et la disparition de 75 000 hommes. Les batailles de Borny, Mars-la-Tour, Rezonville (avec la dernière charge de cavalerie de l’histoire militaire européenne) et la fameuse journée du 18 août avec les batailles de Gravelotte et de Saint-Privat seront des plus sanglantes.

À cette date, l'armée du maréchal Bazaine et celle du prince Frédéric-Charles de Prusse entrent en bataille à Gravelotte. Ce sont alors 125 000 Français qui doivent en découdre avec 285 000 Allemands. A quelques kilomètres de là, à Saint-Privat, Canrobert est en souffrance et défend coûte que coûte ses positions et demande des renforts qui lui sont refusés.

Après une journée d’assauts répétés qui mettent ces deux villages à feu et à sang, contre toute attente l’ordre est donné au général Canrobert de quitter ses positions avec ses hommes et de se réfugier dans la citadelle de Metz. Lorsque la bataille prend fin, environ 12 000 Français et 20 000 Allemands, tués ou blessés, gisent sur le terrain des combats.

Au lendemain, le Roi de Prusse Guillaume Ier ne peut que constater l’ampleur du drame qui s’est joué quelques heures auparavant. Pour lui, Gravelotte est « le tombeau de sa garde ». Ici sont tombés, morts ou blessés, des enfants de ses proches. Gravelotte, Saint-Privat, Rezonville seront, selon sa volonté, annexées à l’Empire allemand par le Traité de Francfort du 10 mai 1871. Mars-la-Tour restera française et sera la commune frontière qui permettra de se rappeler les sacrifices faits lors des combats autour de Metz.

Dans l’immédiat après-guerre, les familles et les vétérans ont souhaité conserver le souvenir des combats. Outre l’expression « ça tombe comme à Gravelotte » entrée dans la culture populaire, c’est ainsi que, rapidement, la campagne d’Alsace-Lorraine annexée a vu l’érection de nombreux monuments allemands (plus de 170 autour de Metz). La mémoire française n’a pu être célébrée sur cette zone qu’à partir de 1908 et de la construction du monument du Souvenir français à Noisseville.  C’est ainsi également que, dans le cadre du travail de mémoire, des lieux tels que le musée de Gravelotte, celui de Gorze, de Mars-la-Tour ont vu le jour dès 1875. Qu’ils soient tenus par des vétérans, des aubergistes, des prêtres, tous ces lieux avaient en commun la volonté de mettre en avant le souvenir du sacrifice des soldats, français ou allemands, aujourd’hui toujours ensevelis sous la Halle du Souvenir de Gravelotte, dans les cimetières militaires de cette guerre, ou ayant disparus corps et biens sous une terre retournée par les premiers obus tirés au début des combats.

Aujourd’hui encore, le Département de la Moselle met en avant la mémoire de ces hommes par le biais d’une grande commémoration réunissant entre 1500 et 1800 personnes, entre le 15 et le 18 août, à Gravelotte.

 

Laurent Thurnherr - Directeur du Musée départemental de la Guerre de 1870 & de l’Annexion - Département de la Moselle