La « rafle des notables » et le camp de Royallieu

La « rafle des notables », opérée à Paris le 12 décembre 1941, constitue la troisième grande rafle de juifs réalisée par les autorités allemandes en France avec la complicité du gouvernement de Vichy depuis le début de l’Occupation durant la Seconde Guerre mondiale. Cette opération va entraîner la création d’un nouveau secteur réservé à cette catégorie de la population, le « camp juif », ou secteur C, au sein du camp d’internement de Royallieu de Compiègne, qui servira de matrice à la mise en place de la déportation de répression et de persécution en France, dont une grande partie de ces internés constitueront le premier convoi de déportation « vers l’Est » trois mois plus tard.

Le 12 décembre 1941, à l'aube, des membres de la Feldgendarmerie (gendarmerie militaire allemande) et de la SIPO-SD (police de sûreté et service de renseignement du Parti national-socialiste allemand, le NSDAP) ainsi que des policiers français arrêtent à leur domicile 689 juifs – hommes de nationalité française appartenant pour la plupart à des milieux relativement aisés – et les rassemblent dans l'un des manèges de l'École militaire. S'y ajouteront en fin d'après-midi 54 hommes, parmi lesquels des juifs étrangers, arrêtés dans le quartier de l'Étoile, « dans la rue ou au restaurant », pour compléter les effectifs.

Cette troisième grande rafle de l’année 1941 a été organisée à titre de représailles contre les actes de sabotage et les attentats dont ont été victimes des représentants des forces d'occupation, et ceux qui sont arrêtés le 12 décembre sont présentés comme des « juifs influents et réputés pour les campagnes de haine politique auxquelles ils se sont livrés ». L'ambassadeur Abetz l'a bien précisé dans une note adressée au ministère allemand des Affaires étrangères le 7 décembre, alors que plusieurs attentats viennent d’avoir lieu à Paris – où une bombe a explosé au Cercle militaire allemand, rue de la Convention, faisant dix morts et de nombreux blessés, ainsi qu'à Rouen, au Havre et à Dijon :

« Même lorsqu'il est prouvé clairement que les auteurs [des attentats] sont des Français, il est bon de ne pas mettre cette constatation en relief, mais de tenir compte de nos intérêts politiques et de prétendre qu'il s'agit exclusivement de Juifs et d'agents à la solde des services secrets anglo-saxons et soviétiques. » C'est dans ce contexte de « rapprochement idéologique […] opéré entre communistes, "terroristes" et Juifs » que les 743 juifs arrêtés le 12 décembre sont transférés à la caserne de Royallieu, située en périphérie de la ville de Compiègne, devenue camp d’internement et d’otages depuis le 21 juin sous l’appellation de « Frontstalag 122 », en fin de soirée – en autobus jusqu'à la gare du Nord, puis par le train jusqu'à la gare de Compiègne, les trois derniers kilomètres étant effectués à pied jusqu'au camp, dans la nuit noire et sous les coups des gardes.

  • Frontstalag 122, deutsches Polizeihaftlager de Compiègne

Ils sont regroupés dans une partie du camp nouvellement réservée aux internés juifs, le secteur C, et isolés des deux autres secteurs par des clôtures de fils barbelés, eux-mêmes isolés l’un de l’autre. Les conditions imposées au quotidien dans ce secteur sont extrêmement pénibles et, entre la mi-décembre 1941 et la mi-mars 1942, plusieurs dizaines d'internés meurent de malnutrition et d’affaiblissement physiologique. Si les pertes en vies humaines ne sont pas plus lourdes, c'est grâce à la solidarité dont font preuve des détenus des camps français et russe qui s'emploient à fournir un peu de nourriture supplémentaire aux internés juifs qui, eux, n’ont pas le droit de recevoir de colis.

Le 14 décembre 1941, plusieurs journaux français publient un avis du commandant militaire allemand, le général Otto von Stülpnagel, annonçant en outre une nouvelle série de mesures destinées à « frapper les véritables auteurs de ces lâches attentats » et notamment qu’« un grand nombre d'éléments criminels judéo-bolcheviques seront déportés aux travaux forcés à l'Est. Outre les mesures qui paraîtraient nécessaires selon les cas, d'autres déportations seront envisagées sur une grande échelle si de nouveaux attentats venaient à être commis ».

Exécution d'otages et organisation du premier « départ vers l'Est » sont mises en œuvre parallèlement dans le cadre de la stratégie répressive du MBF, l'objectif étant par ailleurs de maintenir dans le « camp juif » de Compiègne un effectif constant de 1 000 « déplorables ». Dans ce cadre, 300 internés de Drancy y sont transférés le 16 décembre.

Camp de Royallieu

Camp de Royallieu

Vue photographique des bâtiments du secteur C dit « le camp juif », camp de Royallieu, Compiègne

Extrait du journal de Marcel Weyl, Directeur général d’une entreprise d’horlogerie (établissements Duverdrey et Bloquel) arrêté lors de la « rafle des notables », rédigé dans le camp du 12 décembre 1941 au 5 mars 1942

  • Le convoi n° 1 du 27 mars 1942

L'organisation du premier convoi de déportation de juifs en dehors du territoire français ne sera pas chose facile, d'autant plus qu'elle doit s'inscrire dans le projet de « solution finale de la question juive » qui vient d'être lancé et dont la conférence de Wannsee va, le 20 janvier 1942, préciser les modalités d'exécution. En raison d’une pénurie de trains en cette fin d’année 1941, ce premier convoi, qui devait partir rapidement, ne pourra être organisé que le 27 mars 1942 à destination du Konzentrationslager d’Auschwitz.

Sur les 1 146 déportés juifs qui constitueront ce premier convoi, 581, en grande majorité de victimes de la « rafle des notables », seront issus du camp de Royallieu et 565 du camp de Drancy. Le taux de mortalité sera de 91,6 % pendant les cinq premiers mois de détention.

Le secteur juif du camp de Royallieu de Compiègne sera officiellement fermé en août 1943. Le camp sera libéré par l’armée américaine en même temps que la ville de Compiègne le 1er septembre 1944.

Environ 3 000 hommes, femmes et enfants juifs seront internés au camp de Compiègne durant les 39 mois de fonctionnement du camp sur un effectif total de 48 233 personnes actuellement identifiées.

  • Le Mémorial de l'internement et de la déportation de Compiègne

Le Mémorial de l'internement et de la déportation de Compiègne a été créé en 2008 sur le site même de l’ancien camp de Royallieu, situé à 80 km au nord de Paris, qui fut durant la Seconde Guerre mondiale, pour l'Europe de l’Ouest, l’un des plus grands centres de transit de civils destinés à la destruction par le travail forcé dans le cadre de la politique allemande de déportation de répression. En juin 1941, à son ouverture, il est désigné comme « camp de concentration permanent pour éléments ennemis actifs » (Internierungslager) sous la dénomination « Frontstalag 122 », puis rapidement comme « camp de détention de police » (Polizeihaftlager) par l’administration militaire allemande d’occupation, de laquelle il était le seul en France à dépendre directement. Le Mémorial assure aujourd'hui la préservation de trois bâtiments de la caserne militaire dans laquelle le camp avait été installé et regroupe un musée, un jardin de la Mémoire et un centre de documentation et de recherche.