L’accès aux plus hauts grades

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Entretien avec l'Inspectrice générale des armées Monique Legrand-Larroche

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Ingénieure générale de classe exceptionnelle de l’armement Monique Legrand-Larroche. © DGA

Femme pionnière, Monique Legrand-Larroche est la première femme en France à avoir été nommée officier général quatre étoiles avant d’être promue générale cinq étoiles. Celle qui a su s’imposer par son travail et sa pugnacité dans un univers très masculin, revient sur son parcours et partage sa vision de la place des femmes au sein des armées.

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En 2014, vous devenez la première femme officier général quatre étoiles en France et le 1er septembre 2022, vous êtes élevée au rang et appellation d’ingénieure générale de classe exceptionnelle de l’armement, devenant la première femme promue générale cinq étoiles en France. Pouvez-vous revenir sur les grandes étapes de votre parcours professionnel ?

Je suis devenue ingénieure de l’armement à la sortie de l’École Polytechnique. J’ai débuté ma carrière à la Direction générale de l’armement (DGA), dans le domaine de la recherche en lien avec les universités, les laboratoires du CNRS et les établissements publics comme l’ONERA dans le domaine de l’aérodynamique. Il faut imaginer la jeune ingénieure que j’étais discuter avec des chercheurs expérimentés pour les amener à travailler de manière utile pour les projets d’aéronefs militaires.

J’ai ensuite occupé différentes fonctions dans le domaine de la conduite de programmes d’armement. En tant que directrice de programme puis directrice d’unité de management, j’ai notamment eu la responsabilité de conduire la réalisation des hélicoptères Tigre et NH90. Le travail mené avec mes équipes consistait d’abord à comprendre les besoins des armées puis à contractualiser avec les industriels conformément aux exigences défi nies. Après la notification des contrats, il s’agissait de piloter le développement du programme d’armement, suivre son déroulement et gérer les difficultés associées, tout en veillant à respecter les délais et le budget approuvé par le ministre.

J’ai été nommée directrice des opérations de la DGA en 2014. À la tête de cette direction d’environ 1 000 personnes, j’avais la responsabilité de l’ensemble des programmes d’armement conduits par la DGA au profit des armées. Nous avons mené de nombreux projets, comme l’acquisition dans le cadre d’une compétition européenne du nouveau fusil HK416 ou le lancement du programme de frégates FDI ; programme qui a été l’occasion de mettre en place, pour la première fois, le travail en plateau collaboratif État-industrie. Je travaillais avec le cabinet du ministre, les états-majors des armées et les industriels de la Base industrielle et technologique de défense (BITD). Fin 2017, nous nous sommes mobilisés pour préparer la loi de programmation militaire 2019-2025, étudiant et évaluant les différents scénarios.

En 2018, à la demande de la ministre des Armées, j’ai quitté la DGA pour porter la réforme du Maintien en condition opérationnelle (MCO) aéronautique et j’ai créé la Direction de la maintenance aéronautique (DMAé). L’objectif, que nous avons atteint, était de modifier profondément la gouvernance, l’organisation et la relation entre l’État et l’industrie pour améliorer fortement la disponibilité des aéronefs. Avec mon équipe, nous avons analysé les difficultés rencontrées et élaboré des solutions ; nous avons ainsi décidé de responsabiliser un ou deux industriels par flotte d’aéronefs, de leur donner plus de visibilité, plus de périmètre et, en contrepartie, ils ont amélioré la disponibilité, sans augmenter les coûts associés. Cela n’a pas été facile, il a fallu mener des négociations acharnées mais lorsqu’un objectif important est à atteindre, on y arrive ! Je tiens à souligner que les industriels ont été au rendez-vous pendant la crise COVID et ont maintenu leur activité pour le MCO, leurs équipes étant mobilisées pour que nos forces puissent continuer à disposer des aéronefs dont elles avaient besoin. Le 1er septembre 2022, j’ai été nommée inspectrice générale des armées.

 

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Un navigateur officier systèmes d’armes en retour de mission, Finlande, 30 mai 2023.
© Thierry GERARD/armée de l’Air et de l’Espace/Défense
 

Considérez-vous ce parcours comme une exception au sein des armées, ou au contraire comme un exemple représentatif d’une tendance plus large, la place grandissante des femmes au sein de l’institution militaire ?

Sans être une exception, mon parcours reste encore trop rare. Ainsi, parmi les ingénieurs de l’armement, il n’y a encore que 14 % de femmes et ce pourcentage est malheureusement assez stable. Je ne parlerai pas de place grandissante des femmes ; j’évoquerai plus volontiers une meilleure reconnaissance aujourd’hui des qualités et des apports des femmes au sein de l’institution militaire.

Quelles ont été, et sont, les motivations de votre engagement ?

Je suis devenue ingénieure de l’armement pour être au service de l’État et par passion pour les hélicoptères. Les missions de la DGA d’équiper les forces armées et de préparer l’avenir du système de défense me correspondaient et me correspondent toujours parfaitement. Je suis restée au sein du ministère parce que j’y ai toujours trouvé des postes alliant technique, pilotage de projets, relations humaines avec des défis passionnants à relever.

Un officier féminin commande-t-il différemment d’un homme ?

Je ne crois pas qu’il y ait un type de commandement féminin comme d’ailleurs un type de commandement masculin. Il y a de nombreuses manières de commander selon les caractères. Mon équilibre entre ma vie professionnelle et ma vie familiale m’a certainement permis de prendre plus facilement du recul par rapport à la pression du travail et à mieux supporter des enjeux parfois lourds. Cela m’a aidé à ne pas transmettre cette pression de manière exagérée à mon entourage.

S’il est sans doute aujourd’hui plus facile pour une femme de faire carrière qu’il y a 10, 20 ou 30 ans, pensez-vous que le "plafond de verre", souvent évoqué pour le secteur civil, a pour autant disparu ou n’existe pas dans les armées ?

Le plafond de verre continue d’exister, y compris au sein des armées, même s’il se fendille un peu. Encore aujourd’hui, on demande aux femmes, plus qu’aux hommes, de faire leurs preuves. Il est reproché à une femme d’être susceptible alors qu’un homme ayant du caractère est félicité ! Une étape importante sera franchie lorsqu’on ne se sentira plus obligé de compter les femmes générales. En tout cas, je suis heureuse de voir au sein du ministère de nombreuses femmes brillantes qui ont toutes les qualités pour devenir générales à leur tour.

 

La rédacton