Les représentations des femmes dans les films de guerre

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"L’Armée des ombres", Jean-Pierre Melville, 1969. © Films Corona - Fono Roma © Christophe

Stéréotypes de genre, peu de présence à l’écran, de temps de parole et de rôles importants… À l’image des autres genres cinématographiques, les films de guerre souffrent d’un manque de considération et de représentation des femmes. Rares sont les cas où l’on rend compte, avec justesse et précision, de leur implication et des rôles multiples qu’elles ont occupés dans les conflits contemporains.

Corps 1

Les films de guerre sont par définition un genre masculin, et les femmes y tiennent le plus souvent un rôle marginal, extérieur à l’action principale. Pour brosser l’évolution de la place des femmes dans les films de guerre français depuis 1945, je ferai référence aux films qui ont eu un succès public et/ou critique. Il s’agira plus largement des films qui se passent en temps de guerre et d’occupation militaire, limités au XXe siècle.

Invisibilisation et second rôle

Dans le cinéma français des années 1930, les femmes soit sont totalement absentes, comme dans Les Croix de bois (R. Bernard, 1932), soit incarnent une perturbation supplémentaire dans un quotidien déjà dangereux, comme celui des aviateurs de L’Équipage (A. Litvak, 1935), soit un réconfort éphémère, comme pour le prisonnier de guerre évadé Jean Gabin dans La Grande Illusion (J. Renoir, 1937), sans parler des espionnes qui utilisent leurs charmes pour soutirer des informations à l’ennemi, comme Edwige Feuillère dans Marthe Richard au service de la France (R. Bernard, 1938). La censure allemande interdit les films de guerre pendant les quatre années d’occupation mais, dès 1945, le cinéma se donne pour tâche d’héroïser les différentes formes de lutte armée des hommes pour faire oublier les années noires. Les femmes sont ainsi absentes du Bataillon du ciel (A. Esway, 1947), qui traite des parachutistes entraînés en Angleterre et largués sur la France en 1944. Les otages de Jéricho (H. Calef, 1946) sont tous des hommes, et le plus grand succès de cet immédiat après-guerre, Le Père tranquille (R. Clément, 1946), est une réhabilitation du patriarcat qui ne laisse aux femmes que des rôles passifs. En revanche, la Manon de H.G. Clouzot (1949) incarne à elle seule toutes les turpitudes morales favorisées par l’Occupation.

Pérennité des clichés

Les films des années 1950 s’éloignent de la vision héroïque propre à l’immédiat après-guerre, mais les stéréotypes genrés sont toujours là : Brigitte Bardot, vedette de Babette s’en va-en-guerre (Christian-Jaque, 1959), un des premiers films comiques sur la Seconde Guerre mondiale, fait un triomphe en surjouant le type de la ravissante idiote. Le plus gros succès de la décennie est une comédie, La Vache et le prisonnier (H. Verneuil, 1959) où Fernandel, en train de s’évader, a pour seule partenaire une vache ! Le Passage du Rhin (A. Cayatte, 1960) reprend des stéréotypes féminins éculés : Florence (Nicole Courcel) sombre dans la collaboration horizontale, pendant qu’Helga incarne la version allemande d’un idéal de soumission amoureuse qu’on trouvait déjà dans La Grande Illusion.

Mais au même moment, Hiroshima mon amour (1959), écrit par Marguerite Duras pour Alain Resnais, crée le scandale en donnant la parole à une femme tondue à la Libération. Fortunat (A. Joff é, 1960) fait se rencontrer dans la clandestinité une grande bourgeoise (Michèle Morgan) et un marginal (Bourvil) qui la protège. La Vie de château (J.P. Rappeneau, 1965) est focalisé sur Catherine Deneuve, héritière des coquettes de vaudeville, bien loin de la réalité tragique de l’Occupation.

Vingt ans après la fin de la guerre, c’est une version burlesque de la Résistance et de l’Occupation qui va devenir le plus grand succès du cinéma français : La Grande Vadrouille (G. Oury, 1966), oppose deux types masculins : le bourgeois autoritaire (Louis de Funès) et l’ouvrier soumis (Bourvil), à côté de qui les personnages féminins ne sont que des faire-valoir. La veine burlesque continuera d’alimenter de gros succès publics, comme La 7e compagnie et ses suites (R. Lamoureux 1973, 1975, 1977), ou Papy fait de la résistance (J.M. Poiré, 1983) qui se démarque toutefois par la présence décapante des comédiennes Jacqueline Maillan et Dominique Lavanant.

 

Signoret

L’Armée des ombres, Jean-Pierre Melville, 1969. © Films Corona - Fono Roma © Christophe

 

Femmes en lutte

Les films qui traitent sérieusement des femmes dans la Résistance doivent se contenter de succès d’estime, comme La Ligne de démarcation (Chabrol, 1966), qui met en scène une aristocrate anglaise (Jean Seberg) résistante alors que son mari, officier français (Maurice Ronet), a abandonné la lutte ; ou L’Armée des ombres (J.P. Melville, 1969) qui magnifie Simone Signoret en résistante, mais sa vulnérabilité de mère amènera ses compagnons à la sacrifier.

Autre film valorisé par la critique, Lacombe Lucien (L. Malle, 1974) prend le contrepied du mythe résistantialiste pour raconter l’histoire d’un jeune paysan frustre devenu milicien tout en protégeant une jeune fille juive (Aurore Clément) dont il est amoureux.

Quant à Monsieur Klein (J. Losey, 1977), également encensé par la critique, les personnages féminins y font de la figuration : les choses sérieuses, la traque des juifs dont le héros est profiteur avant d’en devenir victime, se passent entre hommes. Le Dernier Métro (Truff aut, 1980), en revanche, est centré sur un personnage féminin pour traiter sérieusement de l’occupation allemande dans le milieu du théâtre : Marion (Catherine Deneuve) doit louvoyer entre les compromissions nécessaires à la sauvegarde de son théâtre et de son mari juif caché dans la cave, et l’engagement résistant de certains comédiens.

C’est un film plus confidentiel, Blanche et Marie (J. Renard 1985), pourtant servi par deux excellentes comédiennes, Miou-Miou et Sandrine Bonnaire, qui met en lumière le rôle des femmes dans la résistance, y compris armée, et les difficultés qu’elles rencontrent face au machisme ambiant qui n’épargne pas les milieux résistants.

Sous-représentation chronique

Les guerres de décolonisation sont peu traitées par le cinéma français, et encore moins la présence des femmes. Indochine (Régis Wargnier, 1992) est un drame très "glamour" dans l’Indochine française des années 1930 à 1950 centré sur Eliane (Catherine Deneuve), propriétaire d’une plantation d’hévéas, qui a une liaison avec un officier français, lequel tombe amoureux d’une princesse (!) vietnamienne qui rallie le Vietminh.

Il faut attendre les années 2010 pour que le cinéma français traite de la présence des femmes dans l’armée : Voir du pays (Delphine et Muriel Coulin, 2016) observe un groupe de militaires de retour d’Afghanistan, dont les traumatismes engendrent des comportements violents, en particulier vis-à-vis des deux jeunes femmes du groupe. En revanche, Volontaire (Hélène Filières, 2018) enfile les stéréotypes d’un autre âge à propos d’une jeune diplômée qui s’engage et tombe amoureuse de l’officier supérieur qu’elle sert.

Bilan décevant au regard du cinéma états-unien qui traite depuis fort longtemps de la présence des femmes dans les armées et dans les guerres. Ce constat s’explique sans doute par un tabou plus large concernant le traitement de la politique dans le cinéma français.

 

Geneviève Sellier - Professeure émérite en études cinématographiques à l'Université Bordeaux Montaigne,
Animatrice du site collectif de critique féministe du cinéma et de la télévision "Le Genre et l’écran"