Quelle "Europe de la mémoire" ?

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Cérémonie européenne du 60e anniversaire de la libération d?Auschwitz : le président de la République, Jacques Chirac, accompagné de Simone Veil, ancienne déportée, et de l?écrivain Marek Halter, 27 janvier 2005
Cérémonie européenne du 60e anniversaire de la libération d?Auschwitz : le président de la République, Jacques Chirac, accompagné de Simone Veil, ancienne déportée, et de l?écrivain Marek Halter, 27 janvier 2005 - © P. Kovarik / AFP

Sommaire

    Galerie photos
    La ligne de front - Belgique 1914-1918
    Belgique - Les cimetières militaires
    Belgique - Autour des cimetières militaires
    Le front belge - Une omniprésence française pendant qutre ans

    En résumé

    DATE : 22 septembre 1984

    LIEU : Verdun, France

    ISSUE : Image de la réconciliation franco-allemande

    REPRÉSENTANTS : Helmut Kohl, chancelier allemand et François Mitterrand, président de la République française

    Peut-on proposer une définition de la "mémoire européenne" ? Ce dossier en esquisse en tout cas une histoire depuis 1945, présente les principaux éléments des politiques de mémoire européennes depuis une vingtaine d’années mais aussi ses lacunes et les phénomènes de rejet nationalistes que connaissent actuellement certains pays de l’Est.

    LE SOUVENIR DE LA SHOAH : "UN MARQUEUR DE L’IDENTITE EUROPEENNE"

    Il est d’usage de lire, souvent à juste titre, que les souvenirs les plus inassimilables de l’histoire récente ou plus ancienne ont été longtemps refoulés ou ont fait l’objet de silences et de tabous. Pour autant, cela fait maintenant près d’un demi-siècle que le rapport au passé des sociétés contemporaines se décline surtout sur le mode du "devoir de mémoire", de la demande de reconnaissance du sort fait aux victimes de l’oppression, des persécutions, des crimes de masse. Si l’on s’arrête à la Seconde Guerre mondiale, l’un des épisodes les plus significatifs de ces passés qui ne passent pas, non seulement son souvenir reste omniprésent depuis 1945 partout en Europe, mais il a largement contribué à faire émerger une nouvelle culture de la mémoire. Celle-ci résulte, en effet, de l’anamnèse de la Shoah, un processus enclenché dans les années 1960 en Allemagne fédérale et dans les années 1970 dans le reste de l’Europe occidentale sous la pression des jeunes générations, et qui s’est étendu à l’Europe centrale et orientale dans les années 1990, après l’effondrement du système soviétique. La confrontation directe avec le passé, avec l’événement central qu’a constitué le génocide des Juifs, aura donc duré autant sinon plus longtemps que la période de silences ou d’oublis, qui fut en définitive plus brève, une vingtaine d’années après la guerre.

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    Le chancelier Willy Brandt s’agenouille devant le monument érigé en souvenir des combattants du ghetto à Varsovie, 7 décembre 1970.

    © Imago / Rue des Archives

    Plutôt que de continuer à se demander pourquoi il aura fallu attendre "si longtemps" avant de parler de la Shoah et d’en évaluer toutes les responsabilités, peut-être faut-il s’interroger sur le poids qu’a pris son souvenir, parfois aux dépens d’autres références historiques. Dans Après-Guerre, paru en 2006, l’historien Tony Judt, décrivant l’histoire de l’Europe comme une longue sortie de guerre depuis la chute du IIIe Reich enfin achevée avec la chute du communisme, voit dans la reconnaissance publique des responsabilités nationales durant la Shoah l’indispensable "péage" pour rejoindre l’Union européenne. La remarque vaut d’abord pour tous les pays d’Europe centrale et orientale, intégrés par les traités de 2003, 2005 et 2007. C’est là où l’extermination des Juifs a connu son paroxysme, avec 50% à 90% de victimes au regard des populations juives d’origine, comme en Pologne, en Hongrie ou dans les pays baltes. C’est là également que la reconnaissance des complicités locales reste souvent controversée non seulement à cause d’un antisémitisme renaissant mais parce que des collaborateurs des nazis y sont considérés comme des libérateurs face à l’oppression soviétique. La remarque de Tony Judt souligne cependant à quel point le souvenir de la Shoah constitue un marqueur de l’identité européenne, à quel point le principe d’une "mémoire négative" a fini par s’imposer.

     

    UNE MÉMOIRE EUROPÉENNE VICTIMAIRE

    Venue de la psychologie et utilisée dans l’historiographie allemande, l’expression ne signifie pas seulement que la mémoire nationale des différents états membres de l’Union européenne s’est construite autour d’événements tragiques de l’histoire récente, dont le souvenir des deux guerres mondiales. Elle indique également la transformation progressive d’une mémoire patriotique et héroïque en une mémoire victimaire. L’important n’est plus tant de se souvenir de qui a combattu et pourquoi, mais d’honorer ceux qui ont souffert et de dire par la faute de qui. Il ne s’agit plus uniquement d’encourager une meilleure prise de conscience, mais bien de reconnaître les fautes commises, notamment envers les victimes civiles, voire de "réparer l’histoire" sur un mode symbolique, financier ou judiciaire. La mémoire négative relève d’un engagement civique et moral volontariste qui cherche à agir sur le passé. Elle est négative car elle évoque des épisodes mortifères, mais elle est positive dans ses objectifs : le "plus jamais ça", le souvenir du pire devant permettre un monde meilleur, une idée née après la Grande Guerre et dont l’efficacité reste à démontrer.

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    Le président de la République, Jacques Chirac, lors de la cérémonie commémorative de la rafle du Vel d'Hiv du 16 juillet 1942, Paris, 16 juillet 1995.

    © J. Guez / AFP

    Le pays qui a été le plus tôt confronté à cette forme de contrition publique a été l’Allemagne fédérale. Lorsque Willy Brandt s’agenouille, le 7 décembre 1970, devant le monument de Nathan Rapoport, érigé en 1948 à Varsovie en souvenir des combattants du ghetto, il reconnaît spontanément la responsabilité de son pays et s’en excuse par un geste spectaculaire. C’est l’une des premières expressions en Europe de cette mémoire négative devant un monument qui constitue, au contraire, l’un des plus beaux exemples de mémoire positive de la dernière guerre. En France, la commémoration du Vel d’Hiv instaurée en 1993 par François Mitterrand, et qui a donné l’occasion à Jacques Chirac de reconnaître la responsabilité du régime de Vichy dans la déportation des Juifs de France, a été la première commémoration négative dans un pays habitué à célébrer depuis des siècles ses héros et ses martyrs. Même les grandes commémorations traditionnelles célébrées sur presque l’ensemble du continent connaissent une évolution similaire. C’est le cas du 11 novembre et, de manière générale, de la mémoire de la Première Guerre mondiale qui semble s’imposer à nouveau, notamment dans le cadre du Centenaire, comme élément de la mémoire commune européenne.

     

    VERS UNE MÉMOIRE TRANSNATIONALE DE LA PREMIÈRE GUERRE MONDIALE

    Il n’y a d’ailleurs rien de surprenant à cela puisqu’une bonne partie de l’identité européenne repose sur le rejet de la guerre et le principe de la réconciliation à l’image du chancelier allemand Helmut Kohl et du président français François Mitterrand se tenant la main, à Verdun, le 22 septembre 1984. Toutefois, l’idée de réconciliation rappelle par définition à quel point les alliés d’aujourd’hui ont été les ennemis d’hier. Or cette dimension tend à s’estomper dans les discours plus récents. La Grande Guerre apparaît de plus en plus comme une catastrophe qui s’est abattue sur des combattants unis par un même destin commun qui les a dépassés. Le 11 novembre 2008, lors d’une cérémonie internationale à Verdun, le président Sarkozy évoque "ces milliers de tombes toutes semblables, devant cet ossuaire où dorment ensemble pour l’éternité, sans que l’on puisse les distinguer les uns des autres, 130 000 soldats inconnus, amis et ennemis, que la mort a unis comme si elle avait voulu faire la leçon aux vivants", ajoutant que l’hommage s’adresse "à tous ceux qui ont combattu jusqu’à l’extrême limite de leurs forces avec dans le cœur l’amour de leur patrie et la conviction de défendre une juste cause." Le 11 novembre 2014, le président Hollande inaugure le Mémorial international de Notre-Dame de Lorette en hommage aux 580 000 combattants de toutes nationalités tombés sur les champs de bataille du nord de la France. La mémoire, c’est désormais le souvenir de la souffrance commune et non plus le sacrifice national. Les raisons de la guerre, les responsabilités des uns et des autres, les différends entre belligérants, sans même parler du possible consentement des soldats à la violence extrême de ce conflit, notamment pour défendre leur patrie, cette "juste cause", ont été évacués. La mémoire de la Grande Guerre est une référence désormais uniquement pacifiste, mais d’un pacifisme désincarné, différent de qu’il fut dans les années 1920. En ce qui concerne la commémoration du 8 mai, partout où la journée est célébrée, elle reste le symbole de la victoire sur le nazisme, donc inscrite dans le cadre d’une mémoire positive. Partout… y compris en Allemagne, depuis que le 8 mai 1985, le président de la République fédérale, Richard von Weiszäcker, a déclaré que, pour son pays aussi, "le 8 mai [1945] fut un jour de libération", une déclaration audacieuse qui rompt avec l’idée d’une défaite nationale pour lui opposer celle d’une libération politique.

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    L’anneau de la mémoire à Notre-Dame-de-Lorette recense 580 000 noms de soldats français et étrangers morts dans l’Artois pendant la Première Guerre mondiale.

    © J. Salles - ECPAD / Défense

     

    DES INITIATIVES EUROPÉENNES EN FAVEUR D’UNE MÉMOIRE PARTAGÉE

    Outre ces manifestations internationales, qu’en est-il des initiatives visant à forger une mémoire et donc une identité proprement européennes ? Jusqu’en 2000, il n’y avait qu’une seule commémoration émanant d’une institution européenne et non pas qui soit célébrée au même moment dans plusieurs pays : la "Journée de l’Europe" (Europe Day), instaurée en 1985, lors du Conseil européen de Milan. Elle célèbre le discours de Robert Schumann, prononcé le 9 mai 1950, à Paris, annonçant la création de la Communauté européenne du charbon et de l’acier. Exemple de mémoire positive s’il en est qui célèbre un avenir souhaitable et non un passé condamnable, cette journée ne s’est jamais imposée comme un anniversaire notable, pas plus que l’événement n’a donné lieu à des cérémonies, excepté en de très rares occasions. Au contraire, dans les années 1990, s’est développée l’idée que le seul ciment historique commun qui pouvait faire consensus, une mémoire européenne commune, c’était la célébration de la Shoah comme événement à la fois repoussoir et fondateur d’un nouvel humanisme européen, et même mondial. Celle-ci est ainsi devenue un enjeu politique, culturel, éducatif majeur de l’Union européenne, en même temps qu’elle s’internationalisait, notamment par l’investissement des États-Unis dans ce domaine à la fin des années 1980. En 1998, le premier ministre suédois, Göran Persson, lance l’idée d’une "Task force" pour la mémoire et l’enseignement de la Shoah. Aidé par le président américain Bill Clinton et l’historien israélien Yehuda Bauer, il parvient à convaincre 16 pays presque tous membres ou futurs membres de l’Union européenne : Allemagne, Autriche, France, Italie, Hongrie, Lituanie, Luxembourg, Norvège, Pays-Bas, Pologne, République tchèque, Royaume-Uni, Suède, ainsi que l’Argentine, les États-Unis et Israël. Les 27 et 28 janvier 2000, est créée à Stockholm la Task Force for International Cooperation on Holocaust Education, devenue, depuis janvier 2013, l’International Holocaust Remembrance Alliance (IHRA). Elle comprend aujourd’hui 31 membres, dont 26 pays de l’Union européenne. La Déclaration de Stockholm énonce toute une série d’actions à destination de l’enseignement, comme la création d’un manuel européen sur l’histoire de la Shoah (qui sera finalement rédigé par deux universitaires suédois), ou encore celle de la commémoration du 27 janvier qui devient la Journée internationale dédiée à la mémoire des victimes de l’Holocauste (International Holocaust Remembrance Day). Cette dernière a été instaurée d’abord par une décision du Conseil de l’Europe, en octobre 2002, avant de devenir une commémoration internationale par une décision des Nations unies, le 1er novembre 2005, à l’occasion du 60e anniversaire de la libération du camp d’Auschwitz.

    La déclaration de Stockholm contribue à faire de la Shoah le point d’appui originel de l’Europe. Non seulement le souvenir de la dernière guerre n’a pas été surmonté plus d’un demi-siècle après, mais les bases d’une refondation se font sur ce que l’Europe a commis et connu de pire dans son histoire récente. C’est un déplacement notable des références originelles de l’Union européenne, qui a suivi en cela la voie ouverte par certains de ses membres, à commencer par l’Allemagne et la France. La démarche des fondateurs s’inscrivait dans la perspective de la liquidation définitive des causes économiques ou politiques ayant déclenché les deux guerres mondiales. Elle reposait sur une forme d’oubli officiel et fonctionnel, assumé et marqué par son corollaire, la réconciliation entre ennemis, acquise quinze ans à peine après la découverte des camps nazis. Un demi-siècle plus tard, cette même Europe a cherché à s’incarner dans la victime – et singulièrement la victime juive – même si l’attention déploie aujourd’hui ses activités vers d’autres catégories, en particulier les Roms, et vers d’autres formes de persécution.

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    Le chancelier allemand Helmut Kohl et le président français François Mitterrand rendent hommage aux soldats des deux nations morts aux combats pendant la Première Guerre mondiale lors d’une commémoration à l’Ossuaire de Douaumont (Verdun), 22 sept. 1984

    © Rue des Archives

    On peut ajouter que la notion de mémoire négative ne se décline pas uniquement sur le mode commémoratif. Elle a débouché sur une conception plus normative du passé, à l’exemple des lois mémorielles en France. Le 28 novembre 2008, le Conseil européen a adopté une décision-cadre sur "la lutte contre certaines formes et manifestations de racisme et de xénophobie au moyen du droit pénal". Elle implique en particulier que les États membres adoptent des législations appropriées pour réprimer "l’apologie publique, la négation ou la banalisation grossière des crimes de génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre, tels que définis dans le statut de la Cour pénale internationale [ou] la Charte internationale du tribunal militaire de 1945." Depuis 2014 et les discussions sur son entrée en vigueur, cette décision-cadre a suscité de nombreux débats sur la possibilité ou l’opportunité de pénaliser la négation ou la banalisation du génocide des Arméniens ou encore celui des Tutsi au Rwanda, sur le modèle de la répression des propos négationnistes concernant la Shoah.

     

    DU "DILEMME DU DOUBLE HÉRITAGE" EN EUROPE ORIENTALE

    À ce tableau très général, on peut apporter une série de nuances importantes. En premier lieu, l’évolution décrite ici ne concerne pas que l’Europe. Elle relève d’une évolution générale des pays démocratiques ou en voie de démocratisation : l’entretien d’une mémoire, la reconnaissance des responsabilités, la nécessité de juger et de réparer les conséquences des violences de guerre ou des violences politiques font aujourd’hui partie de l’arsenal des droits humains, à une échelle mondiale. En deuxième lieu, cette évolution ne concerne plus uniquement des événements ayant trait aux conflits s’étant déroulés sur le continent. La mémoire négative s’exerce depuis les années 2000 à propos de l’héritage colonial, au Portugal, en Belgique, aux Pays-Bas, en Italie, en France avec la question de l’esclavage ou de la guerre d’Algérie. En troisième lieu, une partie de l’Europe centrale et orientale reste confrontée au dilemme du "double héritage", celui du nazisme et celui du communisme, lequel pose de nombreux problèmes puisque les deux systèmes, d’abord alliés, se sont combattus ensuite dans une lutte sans merci. Sur quel fléau faut-il mettre le plus l’accent ? Peut-on honorer des figures "héroïques" de la lutte anticommuniste qui furent membres d’organisations nazies ou pronazies, comme c’est le cas pour la légion Waffen SS lettone dont les derniers vétérans peuvent défiler dans la capitale ? Faut-il, comme par exemple en Pologne, débaptiser les noms de rue de ces héros antifascistes qui furent aussi des militants ou des cadres des régimes communistes oppressifs ? Le débat n’a cessé depuis la chute du Mur de Berlin. Le 23 septembre 2008, à la suite de l’action de personnalités comme le tchèque Vaclav Havel, le lituanien Vytautas Landsbergis ou encore l’allemand Joachim Gauck, le Parlement européen adopte une résolution faisant du 23 août, date de la signature du Pacte germano-soviétique, une "Journée européenne de commémoration des victimes du stalinisme et du nazisme". L’année suivante, le 2 avril 2009, est créée une "Journée européenne du souvenir", en hommage aux victimes du totalitarisme, un titre moins explicite qui s’adresse aux victimes de tous les totalitarismes, donc y compris le fascisme, le nazisme, et d’autres régimes autoritaires européens. Pour autant, cette journée est restée ignorée dans beaucoup de pays, notamment en France. Elle concerne la partie centrale et orientale de l’Union européenne, recréant ainsi l’ancienne frontière de la Guerre froide car elle n’a jamais eu ni l’ampleur, ni le caractère relativement intégrateur de la commémoration de la Shoah.

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    Commémoration de la fin de la Seconde Guerre mondiale au Bundestag à Berlin, 8 mai 2015 en présence du président allemand Joachim Gauck, de la chancelière Angela Merkel.

    © ODD Andersen / AFP

    … À LA MONTÉE DES NATIONALISMES

     

    Toutefois, c’est une quatrième et dernière nuance de taille, la célébration de la Shoah comme événement fondateur suscite de plus en plus de réticences, et entraîne de plus en plus des tentatives officielles de révision de l’Histoire. En Pologne, où la mémoire a constitué depuis 1989 un enjeu politique de toute première importance, et alors que le pays a connu dans la dernière décennie une politique patrimoniale assez remarquable concernant l’histoire du communisme, du nazisme, de la collaboration, de la Shoah mais aussi du judaïsme en tant que tel, on assiste depuis quelques années à une forme de réaction qui vise à réécrire l’histoire du pays dans un sens "plus positif". L’actuel gouvernement populiste s’en est officiellement pris à l’historien américain Jan Gross, d’origine polonaise, qui fut l’un de ceux qui ont mis au jour les complicités polonaises dans l’extermination des Juifs par l’étude des massacres de Jedwabne, en juillet 1941, ou des pogroms de 1946. Ce même gouvernement a publiquement dénoncé le musée de la Seconde Guerre mondiale de Gdansk, initié par le Premier ministre pro-européen Donald Tusk, qui a ouvert ses portes en 2017 avec le projet d’offrir à la fois une vision polonaise de la guerre et une vision européenne du conflit, notamment dans sa partie orientale. Dans le contexte d’une montée des populismes et des nationalismes hostiles aux principes européens, il n’est pas certain que cette mémoire négative puisse rester le seul ciment fondateur d’une identité européenne.

    Peut-on, au demeurant, imposer une telle mémoire négative sur plusieurs générations ? Jusqu’à quand les nouvelles devront-elles assumer les erreurs de leurs prédécesseurs et un passé qui n’est plus le leur ? La question reste ouverte alors que disparaissent les derniers survivants de la Seconde Guerre mondiale mais que l’on manque de recul sur les effets à terme de la politique de mémoire négative qui a placé la Shoah au centre du dispositif. Il faudrait être naïf pour croire que la dimension universelle du crime commis contre les Juifs a été acceptée à une large échelle. De larges fractions de l’opinion des pays européens rejettent le caractère exemplaire de cette mémoire, par antisémitisme, par nationalisme, par sentiment antieuropéen. La mémoire européenne se trouve ainsi face à un dilemme assez clair : comment éviter, d’un côté, les illusions de la table rase et la construction d’une mémoire artificielle sans fondements historiques réels, et, de l’autre, la rumination d’un passé mortifère, où dominent encore les passions nationales et qui ne peut constituer le seul horizon d’attente de plus d’un demi-milliard de citoyens ?

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    Ouverture du musée de la Seconde Guerre mondiale à Gdansk en Pologne, 29 janvier 2017.

    © W. Radwanski / AFP

    Auteur

    Henry Rousso - Directeur de recherche à l’Institut d’histoire du temps présent, CNRS, Paris

  • Imago / Rue des Archives Le chancelier Willy Brandt s'agenouille devant le monument érigé en souvenir des combattants du ghetto à Varsovie, 7 décembre 1970.
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  • ODD Andersen / AFP Commémoration de la fin de la Seconde Guerre mondiale au Bundestag à Berlin, 8 mai 2015 en présence du président allemand Joachim Gauck, de la chancelière Angela Merkel.
  • W. Radwanski / AFP Ouverture du musée de la Seconde Guerre mondiale à Gdansk en Pologne, 29 janvier 2017.
  • En savoir plus

    Bibliographie

    Face au Passé, Essais sur la mémoire contemporaine, Henry Rousso, Paris, Belin, 2016.

     

    Articles en ligne

    1945 L'horreur révélée

    Après la guerre, quelle Europe ?

     

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