Des femmes de plus en plus nombreuses dans les armées françaises

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Opérateur IDA (Installation Desserte Aide aux usagers) lors de l’exercice SIRANO 2018 à Suippes. © Jérémie Faro/ECPAD/Défense

L’intégration des femmes dans les forces armées françaises est le fruit d’un long processus. Véritablement initié dès la Seconde Guerre mondiale, il connaît une accélération avec la fin de la conscription et la professionnalisation des armées au sortir des années 1990. Si la féminisation des armées françaises présente encore des marges de progression certaines, elle fait l’objet d’une volonté institutionnelle armée, qui s’inscrit dans la durée et porte progressivement ses fruits.

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À l’heure où l’OTAN se dote d’une doctrine "Gender", en complément d’un cadre réglementaire déjà fourni, et où les formations "NATO-approved" du Nordic Center for Gender in Military Operations suédois font salle comble, la question de la place des femmes dans les armées françaises, fruit de leur histoire et de leur culture, mérite une étude spécifique. Si l’histoire de France compte un certain nombre de femmes fortes qui ont pris les armes pour défendre leur pays, de Jeanne d’Arc à Lucie Aubrac, il faudra attendre le XXe siècle pour voir actée leur intégration officielle au sein des forces armées, et près d’un siècle encore pour que soient progressivement levés tous les obstacles à une insertion complète, avec comme objectif une égalité professionnelle réelle. Les résultats de cette politique volontariste des autorités civiles et militaires placent la France dans le quatuor de tête des armées les plus féminisées du monde, mais restent toutefois en-deçà des attentes d’une société civile exigeante – à juste titre –, mais sans doute insuffisamment consciente de la singularité du métier des armes. Retour sur une approche française de la mixité dans les armées.

 

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La CRG2 Catherine Bourdès. © DR

 

La progressice conquête de l'égalité

La Première Guerre mondiale voit le premier engagement officiel de femmes françaises sur les théâtres d’opérations, celui du corps des infirmières temporaires, qui sera démantelé après l’Armistice. La véritable reconnaissance du rôle opérationnel des femmes intervient donc durant la Seconde Guerre mondiale, avec la création de nombreuses unités féminines, dont le corps féminin rattaché aux Forces françaises Libres, le corps des volontaires de l’armée de l’Air, les bataillons des conductrices ambulancières (les "Rochambelles") et des transmetteuses (les "Merlinettes") : elles participeront aux combats de la Libération dans des fonctions non combattantes. Pourtant, les Résistantes, les Françaises du SOE (Special Operation Executive / Direction des opérations spéciales britannique) parachutées derrière les lignes ennemies, et ces pilotes d’élite (Maryse Bastié, Maryse Hilsz) qui obtiennent, par un décret trop tardif (juin 1940), l’autorisation de missions de liaison, transport et services sanitaires à défaut de missions de combat, ont démontré que les femmes avaient non seulement les capacités physiques et intellectuelles, mais aussi la volonté morale, de défendre leur nation et de prendre part aux combats.

Dès l’après-guerre, des Françaises étaient donc prêtes à rejoindre durablement des unités de combat, mais la société française, quant à elle, ne l’était pas : les discussions de 1944 sur le vote des femmes ont démontré les résistances encore vives à une évolution de leur statut. La décision du ministre de l’Air, Charles Tillon, de former un corps de pilotes militaires féminins, ne survit pas à son départ en 1946, malgré l’appui du général De Gaulle. Si des femmes ont donc pu faire carrière au sein des forces armées, ce sera dans des unités non-combattantes et avec un statut distinct de celui des hommes.

Il faudra attendre la loi Debré de juillet 1972 pour voir évoluer les choses. Si celle-ci leur accorde le même statut qu’aux hommes, elle ne leur garantit pas pour autant l’accès à toutes les fonctions et à tous les grades. Pour autant, l’histoire est en marche, et la place des femmes dans les armées françaises évolue sans retour en arrière depuis un demi-siècle, avec l’ouverture progressive aux femmes des écoles d’officiers, entre 1987 et 1993, la suppression des quotas qui limitaient le recrutement des femmes dans les armées, en 1998, et la disparition progressive des interdictions d’accès à certaines fonctions (y compris les postes de combat), entièrement levées depuis 2021 : la mixité des métiers est désormais pleinement réalisée, et les femmes servent aussi bien dans la Légion étrangère et dans l’aviation de chasse que dans les sous-marins.

 

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Maryse Bastié (1898-1952), aviatrice française. © Roger-Viollet/Roger-Viollet

 

La mise en oeuvre d'une politique volontariste

À côté de cette égalité de droits qui s’impose progressivement, le ministère des Armées s’est appliqué à obtenir une égalité de fait : il n’était pas envisageable que des coutumes, des mentalités, des modes de fonctionnement, des processus ou des textes inadaptés empêchent les femmes d’intégrer les armées et d’y mener une carrière correspondant à leurs compétences, leurs talents et leurs ambitions. Le ministère s’est donc fixé comme objectif parallèle d’assurer l’égalité professionnelle réelle, notion qu’il a d’ailleurs inscrite dans la loi de programmation militaire 2019-2025.

Cette égalité a été obtenue par des politiques concrètes en faveur de la mixité. Le ministère met donc en place :

  • Une gouvernance dédiée pour piloter cette féminisation : nomination d’un Haut fonctionnaire chargé de l’égalité des droits entre les femmes et les hommes en 2012, création d’un Observatoire de la parité entre les femmes et les hommes présidé par le ministre en 2013, et désignation d’un directeur de projet Mixité en 2018 ;
  • Des plans d’actions en faveur de l'égalité des chances : plan Mixité pour les personnels militaires en 2019, plan Égalité professionnelle des personnels civils en 2020, plans Famille en 2019 et 2023 ;
  • Des formations visant à transformer progressivement les esprits : plan Formation à l’Égalité entre les femmes et les hommes et à la Diversité en 2020, création du réseau des référents Mixité-Égalité en 2020 ;
  • Une cellule de signalement pour prévenir toute forme de harcèlement, violences sexuelles, sexistes et de discrimination : création de la cellule THEMIS en 2014.

Un tissu associatif actif complète les mesures mises en œuvre au niveau ministériel et renforce cette démarche. On peut citer l’association "Avec les femmes de la défense" (AF1D2), créée en juin 2016 avec les encouragements du ministre Jean-Yves Le Drian, et le réseau Combattantes@ Numerique né en septembre 2018.

Cette politique très volontariste en faveur de la féminisation des armées a permis au ministère de recueillir pleinement les fruits de cet engagement. Les chiffres annuels de la féminisation montrent des avancées significatives pour la mixité. Pour ne citer que les plus symboliques :

  • Avec 34 200 femmes militaires, soit 16,8 % des militaires, les armées françaises se placent au 4e rang des armées les plus féminisées au monde, derrière Israël, les États-Unis et la Hongrie ;
  • Parmi les militaires projetés en missions extérieures, le taux de femmes frôle actuellement les 10 % ;
  • En 2022, année où la première femme est élevée au rang de générale cinq étoiles en France, 22 % des lauréats des concours d’officiers et près de 10 % des officiers généraux étaient des femmes.

 

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Lancement du plan "Mixité" par Florence Parly, alors ministre des Armées, 7 mars 2019. © Erwan Rabot/SGA/COM
 

La mixité, une nécessité et un atout

La politique volontariste du ministère a donc rencontré un succès indéniable. Pourtant, la société civile critique régulièrement un taux de féminisation qu’elle juge encore insuffisant à l’aune de la loi Sauvadet, en particulier dans certaines spécialités de combat, et la quasi-absence de femmes aux plus hauts échelons des armées. Cette analyse factuellement correcte doit être mise en perspective, à la lumière de la singularité des armées, des objectifs réels de leur féminisation et des conditions historiques de sa mise en œuvre.

Pour le ministère des Armées, cette révolution – car il ne faut pas sous-estimer l’impact de cette féminisation de l’institution militaire – relevait non seulement d’un enjeu de société, c’est-à-dire du devoir d’intégrer en son sein les évolutions sociétales pour continuer à représenter la communauté qu’il défend, mais aussi d’une nécessité opérationnelle : depuis la fin de la conscription en 1996, et devant la difficulté croissante de recruter des hommes en nombre suffisant, il ne pouvait tout simplement plus "se passer de la moitié des talents de la société française" (Florence Parly, ancienne ministre des Armées).

Ce n’est que récemment, avec l’arrivée progressive dans la société civile de femmes à des postes de direction, que l’on a découvert l’apport original de la diversité à la façon de diriger une société et de gérer une administration, que l’on a commencé à percevoir l’intérêt d’une approche différente, divergente, des questions politico-stratégiques. La question de la féminisation s’est alors dégagée du quantitatif pour aborder le qualitatif : la mixité est devenue un atout de la performance opérationnelle. Il convient aussi de noter que les femmes se sont révélées des capteurs exceptionnels des évolutions sociétales et des nouveaux besoins professionnels : les mesures initiées pour fidéliser les femmes militaires, telles que l’élargissement du créneau du concours de l’École de Guerre, ont pour la plupart été adoptées avec enthousiasme par les militaires masculins.

D’autres études restent à mener, en particulier sur l’apport des femmes militaires en temps de conflits armés : la présence de femmes au combat permettrait-elle un meilleur respect des normes civilisationnelles, des droits des civils et des combattants, comme l’ONU le soutient ? Une féminisation minimale serait alors souhaitable pour nos armées démocratiques qui doivent, même lorsqu’elles portent le fer, rester fidèles à des idéaux et principes humanistes. Mais cela reste à étudier à l’aune de la haute intensité.

La féminisation des armées n’est donc pas un dogme, ni un objectif imposé de l’extérieur à des armées réticentes, mais un engagement nécessaire vers la mixité, qui a entraîné un bouleversement de l’institution.

 

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Opérateur IDA (Installation Desserte Aide aux usagers) lors de l’exercice SIRANO 2018 à Suippes. © Jérémie Faro/ECPAD/Défense

 

Des résultats significatifs

Il a été beaucoup écrit sur les difficultés rencontrées par les femmes lors de leur intégration dans l’institution militaire, qui sont réelles et très documentées. On parle moins du coût très lourd, pour les armées, de la mise en œuvre de cette mixité : contrairement au reste de la société civile, les armées ont dû repenser les infrastructures des sites d’accueil (vestiaires, toilettes, douches, etc.), réfléchir au fonctionnement des unités (ex : comment intégrer des femmes minoritaires dans des espaces clos comme les bâtiments de surface et les sous-marins), faire évoluer les équipements (tailles et modèles des uniformes, des équipements de sécurité, etc.), et adapter les modes de commandement et l’expression des traditions militaires. Cette liste est loin d’être exhaustive.

À l’aune de ces efforts, il faut considérer les résultats obtenus comme significatifs, et leur hétérogénéité entre les différents employeurs militaires comme le produit de la singularité des armées et de leur histoire.

Les armées présentent des taux de féminisation très élevés dans certaines spécialités : près de 63 % au service de santé des armées, près de 34 % au commissariat des armées. Il n’y a donc pas d’objection fondamentale à la présence, même importante, de femmes en uniforme. Le taux de féminisation, il est vrai, est moindre dans les unités de combat : il est inférieur à 2 % dans l’infanterie et se situe entre 5 et 6 % chez le personnel navigant. Mais avant d’y voir une possible discrimination, il faut étudier et comprendre concrètement les contraintes physiques et matérielles de telles spécialités. Le niveau d’exigence physique dans les fonctions concernées et les profils recherchés réduisent le vivier potentiel à une population féminine statistiquement réduite. Sur cette base étroite, et parmi celles d’entre ces femmes qui font le choix des armes, il faut aussi accepter, lors du recrutement initial ou plus tard dans la carrière, leur décision de servir leur pays dans des conditions ou des fonctions plus adaptées à la maternité et à une vie familiale (horaires raisonnables, une moindre absence en opérations extérieures, etc.), dont les femmes, militaires ou pas, continuent à porter l’essentiel du fardeau. Ce qui ne fait pas d’elles des militaires de seconde zone : les armées ont besoin de tous les profils, et chacune, quel que soit son poste, apporte une contribution essentielle. Mais cela entraîne souvent des carrières raccourcies : la fidélisation des femmes militaires demeure un problème dimensionnant.

 

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Source : Rapport social unique 2022

 

Pour ce qui concerne leur rareté dans les grades sommitaux, il faut comprendre qu’"il faut 30 ans pour faire un général", comme le rappelle régulièrement le chef d’état-major des armées. Or il y a 30 ans, quotas et fermeture aux femmes de certaines spécialités limitaient structurellement leur accès aux armées, en particulier sur les postes dans lesquels les armées recrutent en priorité leurs officiers généraux (aviation de chasse, infanterie, etc.). Aujourd’hui, leur nombre est donc trop réduit pour constituer un vivier suffisant afin de satisfaire les objectifs fixés dans le reste de la fonction publique. Car, contrairement aux administrations civiles, les armées ne tolèrent pas – ou plus, depuis les guerres de l’Empire qui ont vu des généraux de 25 ans – les nominations anticipées (les "parachutages") de personnels, hommes ou femmes, n’ayant pas suivi le long parcours qualifiant de l’officier. Pour autant, le nombre de femmes augmente chaque année dans les promotions d’offi ciers, et le vivier se constitue progressivement.

Pour finir, il faut savoir comparer ce qui est comparable. Un simple rapprochement avec les armées étrangères montre que ces taux jugés insuffisants par certains commentateurs sont considérés avec envie et enthousiasme par nos consœurs des armées alliées…

Poursuivre les efforts

Le ministère des Armées peut donc s’attribuer un satisfecit mérité. Il a d’ailleurs reçu en 2022 le Label AFNOR Alliance, couvrant les labels "Égalité professionnelle entre les femmes et les hommes" et "Diversité". Il s’agit d’une consécration officielle de la politique volontariste du ministère menée en matière d’égalité de traitement et de promotion des valeurs de diversité, d’intégration et de cohésion sociale.

Pour autant, le combat de la féminisation est encore loin d’être gagné. Au-delà des chiffres du recrutement, il faut assurer la fidélisation des jeunes femmes militaires, trop souvent découragées par la difficile conciliation entre vie privée et vie professionnelle. Il faut aussi savoir offrir à ces femmes les parcours qualifiants qui leur manquent trop souvent pour être efficaces dans les postes les plus porteurs. Cela passe d’abord par la formation promotionnelle (pour les officiers, École de guerre et Centre des Hautes Études Militaires), mais aussi et surtout par les affectations très déterminantes que sont les postes en cabinet militaire auprès d’une autorité politique, et les affectations dans les think-tanks militaires tels qu’ESMG (Études, synthèse et management général), ou dans les services travaillant sur les finances et le capacitaire : ce sont ces postes qui font tourner les armées d’aujourd’hui, fondent la réflexion sur les armées futures et forment la pépinière des chefs de demain.

 

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Des élèves officiers mariniers se préparent pour le défilé militaire sur l’avenue des Champs-Élysées à Paris, 14 juillet 2022. © Bertrand Guay/AFP

 

Au-delà des directives, il faut enfin s’attacher, comme pour toute opération militaire, à "gagner les cœurs et les esprits". L’égalité réelle ne se décrète pas, elle se construit, par une volonté politique sincère de convertir les déclarations en actes et d’instaurer une dynamique durable, et par une collaboration étroite et volontaire entre les femmes et les hommes du ministère, afin que l’égalité professionnelle ne soit pas acceptée par les armées par simple adhésion institutionnelle, mais bien aussi par la somme des adhésions individuelles.

Il faut, enfin, construire la mixité sans jamais perdre de vue l’objectif principal des armées : le succès des armes de la France.

Cet article ne constitue pas la politique ou la position officielle du MINARM. L’auteur s’y exprime à titre personnel.

 

Commissaire générale de 2e classe Catherine Bourdès -  Haute fonctionnaire à l’égalité des droits