Les grandes opérations militaires de l'année 1943

Sous-titre
Par Gilles Ferragu, Chercheur au Service Historique de la Défense (Vincennes - DREE)

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Des chars légers Stuart M5 du 1er escadron du 3e régiment de spahis marocains (RSM), qui font partie d'un des pelotons du détachement blindé de la 2e division d'infanterie marocaine (DIM), sont engagés dans la poursuite des combats vers Sienne.
Corps 1
  • La campagne de Tunisie

Dans le cours de la guerre, l’année 1942 constitue, à plusieurs titres un tournant, la « fin du commencement » selon la formule de Winston Churchill. Au lendemain de la victoire remportée par le général Montgomery à El Alamein (3 novembre 1942), 112 000 soldats alliés, sous le commandement du général Eisenhower débarquent, le 8 novembre, au cours de l’opération TORCH, au Maroc et en Algérie. L’affaire est imposante : les troupes anglo-saxonnes réussissent un débarquement d’ampleur sur neuf sites répartis au Maroc et en Algérie. Ce projet, vigoureusement soutenu par les Britanniques depuis la conférence Arcadia, fin 1941, vise plusieurs objectifs : tout d’abord reprendre le contrôle de la Méditerranée, afin de rouvrir la route de Suez en évitant le passage, périlleux du fait des U-Boot, par l’Atlantique et le cap de Bonne Espérance ; également, la conquête du Maghreb permettrait de faire basculer le régime vichyste dans le camp allié. Il s’agit enfin, pour les Etats-Unis et Roosevelt, de donner un gage à Churchill, qui est l’un des partisans les plus résolus de cette opération, comme à Staline, qui considère que l’URSS assume quasiment seule le poids de la guerre en Europe. Dans cette logique méditerranéenne, Tunis devient un objectif prioritaire et le commandant en chef de l’opération, le général Eisenhower, envisage même de concentrer les efforts sur l’Algérie afin de prendre la Tunisie au plus vite… mais la crainte d’une attaque allemande via Gibraltar, ou bien d’une contre-attaque vichyssoise par le Maroc, l’oblige à accepter la dispersion de ses forces. Si le débarquement du 8 novembre fut une réussite, celle-ci fut mitigée, tant du fait de la contre-attaque des forces de Vichy, que de failles dans l’organisation. En tous les cas, ce débarquement fut un laboratoire qui permit d’élaborer les suivants. Surtout, Hitler, comprenant la menace pesant sur l’Afrique du Nord, réagit très vite, en ordonnant de préparer l’invasion de la zone libre française et en envoyant des renforts aériens ainsi que des troupes parachutistes en Tunisie… sans que l’amiral Darrien, commandant la base de Bizerte, ne réagisse, faute de consignes claires (de même que le général Barré, à la tête des troupes françaises en Tunisie, et qui campant dans une posture de neutralité, laisse le champ libre aux troupes de l’Axe). Les Américains, qui ont prévu de confier le pouvoir au général Giraud, par lequel ils espèrent rallier l’armée d’Afrique, se retrouvent face à l’amiral Darlan, venu fortuitement au chevet de son fils, et qui prend la situation en main, affirmant défendre l’Empire contre les Anglo-américains… tout en négociant secrètement avec eux le ralliement de l’Algérie et du Maroc, officialisé le 13 novembre. C’est un préalable à la signature des accords Clark-Darlan (22 novembre 1942) par lesquels les Alliés prennent le contrôle de l’Afrique du Nord, non sans exaspérer le général de Gaulle. Et ce d’autant plus que le pouvoir giraudiste fait tout pour écarter les Français libres.

© Auteur inconnu/ECPAD/Défense

Patrouille de tirailleurs du 9e RTA (régiment de tirailleurs algériens) de la DMC (Division de marche de Constantine) armés d'un pistolet-mitrailleur Thompson M1 avec chargeur circulaire, d'un fusil-mitrailleur FM M 24/29 et d'un mousqueton modèle 1892, postés au milieu de cactus.
© Auteur inconnu/ECPAD/Défense
 

Cette première étape conditionne les suivantes, à commencer par l’objectif tunisien, et la prise en tenaille des forces de l’Axe, entre la VIIIe armée de Montgomery et les forces anglo-américaines fraichement débarquées, des forces qui – dans le cas américain – ont besoin de s’acclimater et de s’entraîner. Toutefois, dans les faits, la Tunisie s’avère inaccessible : se heurtant à des problèmes logistiques ainsi qu’à des insuffisances de matériel, les Alliés ne parviennent pas, contrairement à leurs espérances, à rallier Tunis rapidement, et les Allemands se sont employés à renforcer leur position autour du périmètre Tunis-Bizerte. Pourtant, le rapport de force est favorable aux Alliés, qui alignent alors 40 000 hommes contre 25 000 soldats de l’Axe. Mais une première offensive sur Tunis, menée le 25 novembre par le général Anderson, échoue : le maréchal Rommel, avec l’accord du résident général français à Tunis (amiral Esteva), a réussi à ramener à Tunis la Ve armée blindée du général von Arnim, lequel repousse l’assaut de la Ière armée britannique et parvient, jusqu’à la fin du mois de février 1943, à bloquer les offensives alliées. Cependant, ces premiers succès ne sont que temporaires : une série d’erreurs stratégiques, sur fond de discorde et de blocus allié, finissent par affaiblir les armées italo-allemandes. Surtout, Eisenhower, afin d’appuyer l’avancée du général Montgomery, s’avance vers Sfax un manœuvre qui oblige Rommel à attaquer les forces américaines avant de se voir couper la retraite. La prise du col de Kasserine par l’armée allemande bloque, un temps, l’offensive alliée, mais elle permet aussi d’alléger la pression qui s’exerçait sur la VIIIe armée du général Montgomery lequel, ayant pris Tripoli le 23 janvier, a franchi la frontière tunisienne le 16 février. Entre-temps, Dès le mois de mars, les troupes alliées se sont ressaisies : mieux équipées, et dominant désormais le ciel, elles font reculer les forces de l’Axe qui, à la mi-avril, ne tiennent plus que la poche de Tunis. Entre-temps, après la rencontre Montgomery-Leclerc à Tripoli, les Français libres sont rentrés dans la campagne de Tunisie, via la Force L, qui participe donc aux opérations. Quant aux forces de l’Axe, elles sont progressivement acculées, et le maréchal Rommel, au demeurant affaibli, l’a compris, laissant la place, le 9 mars, au général von Arnim. Le 13 mai 1943, sous les coups de boutoirs des Alliés, qui ont fait leur jonction le 7 avril, les 240 000 combattants ennemis déposent les armes : une victoire qui fait écho à celle de Stalingrad. « L’espoir change de camp » et la Méditerranée est désormais ouverte.

© Auteur inconnu/ECPAD/Défense

Un chef de char léger Renault D1 observe à la jumelle depuis la tourelle du blindé (armé d'un canon de 47 mm, modèle 1934, et d'une mitrailleuse de 7,5 mm MAC 31 Reibel) dans le secteur de Pichon.
© Auteur inconnu/ECPAD/Défense
 
Corps 2
  • Le débarquement en Sicile

Dans la foulée de la libération de l’Afrique du Nord, les Alliés lancent l’opération HUSKY, planifiées lors de la conférence interalliée Symbol (14-24 janvier 1943) et qui vise, en attaquant l’Italie, maillon faible du dispositif allemand, à sécuriser la Méditerranée ainsi qu’à alléger la pression allemande sur le front de l’Est. L’opération a été longuement préparée en amont, avec la mise au point d’une manœuvre de déception parmi les plus emblématiques du second conflit mondial, l’opération MINCEMEAT, qui simule un crash d’avion et la noyade de son pilote, porteur de documents secrets prévoyant un débarquement allié en Grèce et en Sardaigne… une mystification qui fonctionne parfaitement. Précédée par la prise de Pantelleria - une île située à mi-chemin de la Sicile et de l’Afrique, conquise le 11 juin après un pilonnage opéré par la flotte britannique pendant six jours - et par un bombardement massif des côtes méditerranéennes par 146 escadrilles américaines et 121 escadrilles anglaises, l’opération a été minutieusement pensée. En outre, elle tombe quelques jours après le début de l’offensive d’été allemande en URSS, dans le saillant de Koursk, au moment où l’attention et les moyens allemands sont concentrés sur l’Est.

© Jacques Belin/ECPAD/Défense

Tirs de préparation d'artillerie d'un obusier de 105 mm HM2 (howitzer) du 3e groupe du 64e régiment d'artillerie d'Afrique ( III/64e RAA), placé en action d'ensemble de la 2e division d'infanterie marocaine (DIM) lors d'une grande offensive dans le secteur des monts Monna Casale et Monna Acquafondata.
© Jacques Belin/ECPAD/Défense
 

L’attaque commence dans la nuit du 9 au 10 juillet, avec l’assaut des parachutistes anglais et américains : malgré des conditions météorologiques difficiles, ils parviennent à leurs objectifs, les villes de Syracuse et d’Avola. Le lendemain matin, 10 juillet 1943, sous le commandement du général Alexander, les 180 000 soldats de la VIIIe armée britanniques (général Montgomery) et de la VIIe armée américaine (général Patton), escortés par plus de 2500 navires et 400 avions, débarquent dans le Sud de l’île, un débarquement qui sert aussi de répétition à ceux de 1944. Dans un premier temps, l’opération est un succès, qui renforce les premiers points d’appui… mais la progression des armées alliées est rendue difficile par la forte contre-offensive menée par les chars de la division Hermann Goering. Entre-temps, le maréchal Kesselring, arrivé dans l’île le 12 juillet, a constaté que l’île était perdue, mais il choisit de contre-attaquer, faisant venir une division supplémentaire. La conquête de l’île en est sévèrement ralentie, en dépit des faits d’armes alliés (à commencer par ceux des troupes françaises du 4e Tabor, débarqués le 14 juillet). Certes, Hitler fait savoir dès le 15 juillet à Mussolini que la Sicile ne recevra plus d’aide allemande supplémentaire… mais sur le terrain, les combats demeurent féroces. Tout s’accélère avec la prise de Palerme par le général Patton le 20 juillet, et la chute de Mussolini le 25, après les premiers bombardements sur Rome (19 juillet) : les forces de l’Axe décident d’évacuer l’île le 10 août et parviennent à ramener sur le continent plus de 100 000 hommes et une majeure partie de leur équipement, profitant notamment du manque de coordination entre Américains et Britanniques. Une victoire en demi-teinte donc pour les Alliés, qui découvrent au passage les complexités de la guerre en coalition.

© Auteur inconnu/ECPAD/Défense

Des chars légers Stuart M5 du 1er escadron du 3e régiment de spahis marocains (RSM), qui font partie d'un des pelotons du détachement blindé de la 2e division d'infanterie marocaine (DIM), sont engagés dans la poursuite des combats vers Sienne.
© Auteur inconnu/ECPAD/Défense
 
  • La libération de la Corse

Dans la mécanique complexe de la libération du territoire national, la Corse, fait, à plusieurs titres, figure de laboratoire mais également d’exception. Occupée depuis le mois de novembre 1942, l’île se soulève le 8 septembre 1943, dans la foulée de la signature de l’armistice italien et de l’évacuation allemande de la Sardaigne durant l’été. Les 80 000 soldats italiens du VIIe corps d’armée, commandé par le général Magli se rallient à la résistance française pour chasser les forces allemandes. Mais la réaction allemande nécessite rapidement une aide, sollicitée dès le 10 août : le 1er bataillon de choc de la France libre débarque deux jours plus tard à Ajaccio, prélude à l’arrivée de 6000 hommes de l’Armée d’Afrique. Sartène est libérée après de rudes combats, Porto Vecchio est atteint dès le 23. La reconquête du Nord de l’île prend plus de temps au général Martin et à ses troupes. Les opérations VESUVE et NORMAN, lancées le 13 septembre pour libérer la Corse, aboutissent le 4 octobre avec la prise de Bastia, les forces allemandes ayant évacué la ville peu de temps auparavant. La Corse est le premier territoire de la France métropolitaine à être libéré, largement par les armes françaises. Le 6 et le 7 octobre, le général de Gaulle se rend à Ajaccio et Bastia pour marquer cette grande étape dans la libération.

© Auteur inconnu/ECPAD/Défense

Un tirailleur marocain et un résistant corse sont postés derrière un mur de pierres dans le maquis, dans le secteur du col de San Stefano.
© Auteur inconnu/ECPAD/Défense
 

La Corse est libérée, et libérée par l’action conjointe de la résistance intérieure et de l’Armée d’Afrique.  Cependant ce succès entraine des soubresauts politiques. L’opération, lancée à l’initiative du général Giraud et sans consultation du CFLN, dont il partage la présidence avec le général de Gaulle, est certes une réussite militaire, mais une faute politique qui lui coûte sa coprésidence du CFLN, fin septembre. La libération de la Corse annonce le débarquement de Provence, mais elle éclaire aussi les complexités politiques de l’après-guerre. En effet, le poids des structures résistantes d’obédience communiste dans cette manœuvre fait débat au sein du Comité français de libération nationale d’Alger. Car l’une des spécificités de la résistance en Corse est d’être, majoritairement, affiliée au Front national, organisation d’inspiration communiste fondée depuis juillet 1941. Dans la plupart des communes de l’île, le Front national, après avoir déclaré déchues les précédentes municipalités, fait proclamer par applaudissement les nouvelles autorités, toutes communistes. 200 communes sont ainsi revendiquées par le Parti, qui fait une véritable démonstration de force. Dans un second temps, le PCF installe auprès du préfet (vichyste) un conseil de préfecture dominé par les communistes. Mais dès le 14 septembre, le nouveau préfet nommé par de Gaulle, Charles Luizet, est à pied d’œuvre pour endiguer cette influence. Les nouveaux équilibres de la Libération se mettent en place.

© Auteur inconnu/ECPAD/Défense

Les habitants du village de Patrimonio libéré applaudissent le passage des chars légers Stuart M5A1 du 4e RSM (régiment de spahis marocains) qui traversent la commune.
© Auteur inconnu/ECPAD/Défense

Gilles Ferragu, Chercheur au Service Historique de la Défense (Vincennes - DREE)