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La préparation du Débarquement de Normandie

Autour du général D. Eisenhower, les membres du SHAEF posent pour l'Histoire. Copyright Imperial War Museums (TR 1541)
Corps 1

C'est le 6 décembre 1943 que le commandement suprême de l'opération Overlord échoit au général américain Dwight Eisenhower. La prépondérance américaine en troupes et en matériels justifiait le choix d'un ancien de West Point à ce poste. Logisticien de grand talent, doté des qualités de diplomate nécessaires à ses nouvelles responsabilités, "Ike" avait auparavant supervisé l'opération Torch et dirigé les campagnes de Tunisie, de Sicile et d'Italie avec succès. Le 17 janvier 1944, le COSSAC laisse la place au Supreme Headquarter, Allied Expeditionary Force (SHAEF). Basé à une quinzaine de kilomètres de Londres, l'état-major du commandement suprême des forces expéditionnaires alliées comprend le maréchal de l'air Tedder (chef adjoint des forces alliées), l'amiral Ramsay (commandant des forces navales), le maréchal de l'air Leigh-Mallory (commandant des forces aériennes), et le maréchal Montgomery (commandant des forces terrestres) auquel avaient été adjoints les généraux Bradley (à la tête de la 1ère armée américaine) et Dempsey (2ème armée britannique). C'est donc l'amiral Ramsay qui était chargé du versant naval du débarquement : l'opération Neptune. Le général Eisenhower lui dit : "Nous voulons traverser la Manche de nuit pour que l'obscurité dissimule notre importance et notre destination. Nous avons besoin de la lune pour nos parachutages. Nous avons besoin d'environ quarante minutes de jour avant l'heure H de l'assaut pour pouvoir parachever les bombardements préparatoires. Nous devons attaquer presque à marée basse afin de nous débarrasser des obstacles avant que la mer ne les recouvre". Le débarquement étant prévu pour le mois de mai 1944, il ne restait que cinq mois aux planificateurs du SHAEF pour mettre au point les détails de la plus grande opération combinée de l'histoire.

La tâche qui attendait le commandement allié était immense. La coordination de l'action des forces navales, aériennes et terrestres (coopération interarmées) était au cœur des préoccupations des responsables militaires, tout comme la réflexion entreprise autour de la mise en place d'une solide protection de la tête de pont  afin de la préserver des contre-attaques allemandes. Une fois le débarquement effectif, il était donc impératif de retarder l'arrivée des renforts allemands. Le problème de la logistique se posait également de manière aiguë. L'approvisionnement et le soutien des forces débarquées étaient de la plus haute importance, afin que ces dernières puissent déboucher le plus rapidement possible de la tête de pont. Enfin, à côté des moyens "traditionnels" employés, bombardements des voies de communications et des principaux points sensibles (nœuds routiers, gares ferroviaires), les Alliés mirent au point un vaste plan d'intoxication appelé Fortitude. Fortitude South reposait sur la création d'un corps d'armée fictif de 22 divisions commandé par le général Patton, sur des personnels arborant des insignes de divisions imaginaires et sur la fourniture de "Dummies" (engins factices), le tout gardé dans de véritables bases et garnisons implantées dans l'Est du Royaume-Uni.

Les capacités des Alliés en matière de renseignement ont facilité leur travail de préparation et ont compté dans le succès de l'opération Overlord. En effet, le décryptement des communications allemandes codées par la machine "Enigma" ainsi que des messages entre Berlin et Tokyo ont donné des informations capitales sur la perception allemande des intentions alliées. Cela permet de mesurer la réussite totale de Fortitude, les Allemands restant persuadés plusieurs semaines après le D-Day que les Alliés étaient sur le point d'opérer un autre débarquement, cette fois-ci dans le Pas-de-Calais. Ainsi, un décryptement du 15 juillet confirmait qu'une contre-offensive allemande ne serait lancée qu'une fois connue avec certitude l'emploi de l'armée Patton.

La préparation du débarquement passait également par de nombreux exercices sur des plages ressemblant à celles de Normandie. C'est, par exemple, l'exercice Tiger à Slapton Sands, dans le Devon, choisie en raison de sa ressemblance topographique avec Utah Beach, à la fin du mois d'avril 1944. Lors de celui-ci, l'attaque surprise de vedettes lance-torpilles allemandes et des tirs fratricides parmi les navires alliés entraînent un lourd bilan (638 morts, 300 blessés). Cet exercice donne à l'état-major allié un aperçu très concret des difficultés à venir et à résoudre.
 

Afin de réaliser la projection des forces à partir de la Grande-Bretagne vers la France, dans le but d'assurer leur stationnement, leur entraînement, des quantités énormes de matériel et d'équipement s'avèrent nécessaires. Seuls les Etats-Unis ont la capacité de les produire et de les acheminer en Grande-Bretagne, 3 liberty ships (paquebots armés) sortant chaque jour des chantiers navals américains en 1943. Ainsi, 17 millions de tonnes de marchandises sont au total expédiées de la côte est des Etats-Unis vers les ports du Royaume-Uni. L'opération d'acheminement des troupes et des matériels américains des Etats-Unis vers la Grande-Bretagne avait été baptisée Bolero, car sa montée en puissance, à l'approche du D-Day, évoquait celle, plus pacifique, de l'œuvre de Ravel. En plus des liberty ships, des paquebots de ligne avaient été réquisitionnés pour assurer les traversées transatlantiques, tels le Queen Mary et le Queen Elisabeth, capables d'accueillir à leurs bords 15 000 hommes à chaque traversée. De décembre 1943 à mai 1944, 2 divisions américaines arrivèrent tous les mois en Grande-Bretagne, les effectifs américains passant de 774 000 à 1 527 000 hommes qu'il fallait loger, nourrir, approvisionner et soigner dans les camps du Devon, du Somerset et du Dorset, au sud-ouest de l'Angleterre, où certains villages comptaient un Américain pour deux Britanniques. De leur côté, les forces britanniques et canadiennes sont stationnées dans les comtés du Sud et du Sud-Est de l'Angleterre. Ecoles, hôtels et pensions de famille sont réquisitionnés pour cantonner les soldats. Il fallait en outre leur fournir des terrains d'entraînement : des zones littorales entières sont transformées en terrains militaires et vidées de leurs habitants.

Du point de vue logistique, l'effort assuré par les Alliés est colossal. Pour ravitailler en carburant les troupes débarquées, les ingénieurs d'Overlord mettent au point d'énormes tambours flottants "Conundrum" sur lesquels est enroulé le pipe-line baptisé Pluto (Pipe-line under the ocean). Pour pallier l'absence de port en eaux profondes sur la zone de débarquement, ils conçoivent les ports "Mulberry", ports artificiels composés d'un assemblage de caissons de béton formant des quais. De plus, afin de protéger les plages de la houle, ils décident de couler au large un grand nombre de vieux navires qui formeront des brise-lames appelés "Gooseberry", tandis que des caissons de béton "Phoenix" seront posés sur le fond pour constituer une barrière solide. Pour contourner les obstacles naturels mais aussi les obstacles défensifs disposés en grand nombre par les Allemands sur les plages, les Alliés mettent au point toute une gamme d'engins spéciaux, des tanks baptisés "Funny" : chars "Crabs" dotés de chaînes rotatives pour faire sauter les mines, chars "Crocodiles" lance-flammes ou encore "poubelles volantes", véhicules blindés dotés d'un mortier de gros calibre pour détruire les bunkers allemands. En complément des renseignements précieux fournis par la Résistance française sur la nature et la position des défenses ennemies, les Alliés ont à leur disposition des milliers de photographies aériennes. Et dans les semaines qui précèdent le D-Day, de petites équipes vont jusqu'à prélever et rapporter en Angleterre du sable des plages du débarquement afin d'en étudier la structure…

Rien n'était laissé au hasard dans la préparation de l'opération Overlord dont la minutie était à la hauteur des enjeux. Cependant, les exercices réalisés dans les mois et les semaines précédant le D-Day avaient mis au jour quelques défaillances importantes, notamment en ce qui concerne la coopération entre les forces terrestres et aériennes. A la veille du débarquement, les Alliés avaient fait le maximum pour en assurer le succès . néanmoins, ils ne pouvaient pas tout maîtriser, et certains impondérables, notamment météorologiques, échappaient à leur contrôle.

  • Le général Frederick Morgan qui fut, en tant que COSSAC, l'un des principaux planificateurs d'Overlord. Imperial War Museums (EA 33078)

  • Le général Dwight Eisenhower, commandant suprême de la force expéditionnaire. Imperial War Museums (NYP 31355)

  • L'amiral Sir Bertram Ramsay, commandant en chef des forces navales pendant l'opération Neptune, le volet naval d'Overlord. Imperial War Museums (A 23443)

  • Avant le débarquement, exercice allié à Slapton Sands, dans le Devon (Angleterrre). 1944 Copyright US Nara - US Coast Guard

  • Vue aérienne de la batterie de Merville, à 3 kms à l'est de Ouistreham (secteur de Sword Beach) après son bombardement en mai 1944. Copyright Imperial War Museums

  • Carte Top Secret de la Pointe du Hoc réalisée par les Alliés. En date du 21 avril 1944, elle localise avec précision l'organisation des défenses allemandes. Copyright US Nara

  • 4 juin 1944 - Des bombardiers moyens de la 9e Air Force viennent de frapper la Pointe du Hoc. Copyright US Nara

  • Construction des caissons Phoenix devant servir de brise-lames - Weymouth, avril 1944. Copyright Imperial War Museums (A 25792)

  • Pipe-line rangé à terre avant d'être enroulé sur un tambour flottant Conodrum. Copyright Imperial War Museums (T 31)

  • Mise à l'eau d'un tambour flottant Conundrum dans le cadre de l'opération Pluto, juin 1944. Copyright Imperial War Museum (T30)

  • Pipie-line étant enroulé sur un tambour flottant Conundrum dans le cadre de l'opération Pluto, juin 1944. Copyright Imperial War Museums (T 32)

  • Planeurs Horsa en attente sur un terrain d'aviation anglais, 4-5 juin 1944. Copyright Imperial War Museums (H 39087)

  • 31 mai 1944 - Sur une base de planeurs de la RAF, en Angleterre, des membres des Womens Auxiliary Force réparent et plient les parachutes destinés aux troupes aéroportées. Copyright Imperial War Museums (TR 1783)

  • 22 avril 1944, des parachutistes britanniques à bord d'un Dakota de la RAF pour un saut d'entraînement. Copyright IWM (TR 1662)

  • Parachutistes de la 6e division aéroportée britannique recevant leur solde en monnaie française à la veille du Débarquement. Copyright Imperial War Museums (H 39081)

  • Des parachutistes de la 6e division aéroportée britannique sont briefés avant le début de l'opération Overlord, 4-5 juin 1944. Copyright Imperial War Museums (H 39089)

  • Le Major-General Richard Gale, de la 6e division aéroprtée britannique, s'adresse à ses hommes, 4-5 juin 1944. Copyright Imperial War Museums (H 39075)

  • Des parachutistes de la 6 division aéroportée britannique embarquant dans un Albemarle de la RAF au soir du 5 juin 1944. Copyright Imperial War Museums (H 39071)