Le réseau du musée de l'Homme

Sous-titre
Une épopée tragique

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Musée de l'Homme, palais de Chaillot. Source : Licence Creative Commons
Musée de l'Homme, palais de Chaillot. Source : Licence Creative Commons

(1940 - 1942) Un mouvement de résistance contre l'Allemagne nazie

Corps 1

L'offensive éclair des troupes allemandes en France, lancée le 10 mai, se termine par une victoire complète du IIIe Reich et un désastre pour les Alliés.

Pourtant, après l'appel du général de Gaulle, le 18 juin 1940, et la signature de l'armistice, le 22 juin, des hommes et des femmes refusent de se résigner et choisissent de combattre l'Allemagne nazie.

 

Musée de l'Homme, palais de Chaillot. Source : Collection particulière

 

Parmi ces pionniers de la résistance, trois personnes qui travaillent à Paris au musée de l'Homme, Boris Vildé, Anatole Lewitsky et Yvonne Oddon, fondent dès l'été 1940 un réseau de lutte clandestine, le réseau du musée de l'Homme, dont l'épopée se terminera tragiquement deux ans plus tard sous le coup de la répression nazie.

I - 1940 : le réseau du musée de l'Homme, un pionnier des mouvements de résistance contre l'Allemagne nazie

L'année 1940 voit l'émergence des premiers mouvements et groupes de résistance issus des réactions spontanées d'hommes et de femmes qui n'acceptent pas l'armistice. Ces premiers mouvements vont s'organiser et se mettre en place tout au long de l'année, tant en zone nord qu'en zone sud. Ils agissent aussi bien dans le domaine du renseignement que des filières d'évasion et s'appuient souvent sur la publication clandestine d'un journal destiné à informer et combattre les propagandes adverses.

Été 1940 - Fondation du réseau du musée de l'Homme qui devient en quelques mois un important mouvement de résistance

Dès l'été 1940, le réseau du musée de l'Homme est mis en place par trois personnes qui travaillent dans ce musée parisien : Boris Vildé, un jeune linguiste, Anatole Lewitsky, un anthropologue, et Yvonne Oddon, la bibliothécaire.

 

Boris VILDE. Source : SHD

 

Anatole LEWITSKY. Source : SHD



Ils développent leur organisation en recrutant d'autres résistants, en majorité des intellectuels et des avocats, puis en s'associant à différents groupes qui se sont créés spontanément, à l'instar du groupe du musée de l'Homme. Le réseau s'accroît rapidement grâce aux relations personnelles entretenues par les membres des différents noyaux.

 

Yvonne ODDON. Source : SHD

 

Ainsi, le premier à rejoindre le groupe est René Creston, sociologue au musée de l'Homme, qui connaît et recrute Albert Jubineau, avocat membre d'un groupe anti-occupation au Palais de justice, lequel entre en relation avec Séjournan, également fondateur d'un groupe anti-allemand, tandis que Vildé rencontre, grâce à son beau-père, le professeur Fawtier.

À la fin de l'année 1940, ils sont rejoints par le groupe de Sylvette Leleu, des enseignants de Béthune et l'avocat André Weil-Curriel qui a fondé avec Léon Maurice Nordmann et Albert Jubineau un autre groupe clandestin, Avocats socialistes.

Des contacts sont également établis avec d'autres groupes de résistants, comme celui de l'ambassade américaine, le groupe Walter, le groupe de Bretagne et celui des Aviateurs. Enfin, le groupe entretient une coopération avec le colonel de La Rochère, le colonel Hauet et Germaine Tillion.

Les filières d'évasion, le renseignement et la presse clandestine

Le réseau "élargi" du musée de l'Homme est lié à plusieurs autres équipes et s'engage dans de multiples activités, dont trois principales : les filières d'évasion, le renseignement et la publication d'un journal clandestin, "Résistance".

Deux filières d'évasion sont organisées vers l'Angleterre, l'une par la Bretagne, l'autre par l'Espagne, disposant de relais à Bordeaux, à Perpignan, à Toulouse ou encore en Dordogne. Il faut en effet trouver des "caches" sûres, des guides et des passeurs pour franchir la ligne de démarcation, la frontière espagnole... Elles sont d'abord empruntées par les prisonniers de guerre français et anglais évadés, puis par tous ceux qui se sentent menacés ou veulent rejoindre Londres.

L'activité "renseignement" nécessite également l'instauration de tout un réseau de collecte et d'acheminement d'informations à destination de Londres. Les informations à caractère militaire sont transmises par divers canaux comme l'ambassade des États-Unis ou la légation hollandaise.

La troisième grande activité du réseau concerne la presse clandestine. Dès le mois d'août 1940, il produit et diffuse des tracts comportant des nouvelles issues de la presse étrangère provenant de l'ambassade américaine ou de la BBC. Puis le réseau crée un journal clandestin intitulé Résistance.

Le journal clandestin Résistance (décembre 1940 / mars 1941)

Le réseau du musée de l'Homme se transforme en un "Comité national de Salut public" avec l'aide du professeur Paul Rivet, le directeur du musée, puis lance un journal ronéotypé Résistance, auquel vont participer :

  • Marcel Abraham, ancien directeur de Cabinet de Jean Zay au ministère de l'Éducation nationale .
  • Claude Aveline et Jean Cassou, écrivains, membres du groupe Français libres de France. En septembre 1940, Jean Cassou avait déjà rédigé un tract intitulé "Vichy fait la guerre", tiré par le groupe du musée de l'Homme à plusieurs milliers d'exemplaires.
  • Jean Paulhan et Jean Blanzat, écrivains qui participent à sa rédaction à partir de 1941.

De décembre 1940 à mars 1941, le journal Résistance diffuse cinq numéros :

  • Le premier numéro paraît le 15 décembre 1940 sur quatre pages 21 X27 cm. Son éditorial débute en ces termes : "Résister ! C'est le cri qui sort de votre coeur à tous, dans la détresse où vous a laissé le désastre de la Patrie. C'est le cri de vous tous qui ne vous résignez pas, de vous tous qui voulez faire votre devoir." Ce bulletin comporte également des informations sur l'évolution de la guerre et engage ses lecteurs à l'action en se proposant de coordonner l'activité de ceux qui veulent agir. Les textes sont écrits dans l'appartement des Martin-Chauffier puis chez les éditeurs Albert et Robert Émile-Paul, sous couvert d'une association littéraire, le "Cercle Alain-Fournier". Dactylographiés par Agnès Humbert, ils sont ronéotés d'abord au musée de l'Homme puis chez Jean Paulhan.
  • Le deuxième numéro paraît le 30 décembre 1940 sur six pages. Il contient le texte intégral de l'appel lancé le 18 juin de Londres par le général de Gaulle, publié sous le titre "L'heure d'espérance", ainsi qu'une revue de presse intitulée "Dans la presse illégale" qui cite notamment le numéro 4 de Pantagruel, un autre journal clandestin.
  • Le troisième numéro paraît le 31 janvier 1941. Il est en grande partie consacré à la position des États-Unis.
  • Le quatrième numéro paraît le 1er mars 1941.
  • Le cinquième et dernier numéro paraît à la mi-mars. Il est entièrement rédigé par Pierre Brossolette.

II - 1941 / 1942 : La répression nazie s'abat sur le réseau du musée de l'Homme

En janvier 1941, Léon Maurice Nordmann est arrêté pour diffusion du tract Résistance. Le 10 février, c'est le tour de Anatole Lewitsky et Yvonne Oddon puis, le 26 mars, de Boris Vildé et, le mois suivant, de Agnès Humbert et Pierre Walter.

Dix-neuf personnes qui sont ainsi arrêtées dans le cadre de "l'affaire du musée de l'Homme". Cette première série d'arrestations ne met pas pour autant un terme aux activités du réseau. D'autres groupes, comme le groupe La Rochère ou le groupe Hauet, prennent le relais jusqu'à ce que ceux-ci soient eux-mêmes touchés en juillet 1941.

Été 1941 - Germaine Tillion dirige le réseau du musée de l'Homme

Germaine Tillion prend la tête de l'organisation et assure la continuité des activités du réseau, notamment en matière de renseignement, jusqu'à son arrestation, en août 1942.

1942 - La fin d'une épopée tragique

Le 8 janvier 1942, le procès des dix-neuf membres du réseau arrêtés en 1941 s'ouvre après plusieurs mois d'instruction, devant une cour militaire allemande présidée par le capitaine Ernst Roskothen. Le procès se conclut par dix condamnations à mort, des déportations, des peines d'emprisonnement et quelques acquittements ou relaxations.

Exécutions : le 23 février 1942, les sept hommes condamnés à mort sont exécutés au Mont-Valérien, puis enterrés au cimetière d'Ivry. Ce sont Léon Maurice Nordmann, Georges Ithier, Jules Andrieu, René Sénéchal, Pierre Walter, Anatole Lewitsky et Boris Vildé.

 

Pierre WALTER. Source : SHD

Déportations : la condamnation à mort de Yvonne Oddon, Sylvette Leleu et Alice Simmonet est commuée en déportation.

 

Sylvette LELEU. Source : SHD

 

Emprisonnements : Émile Muller et Agnès Humbert sont condamnés à cinq ans d'emprisonnement en Allemagne, Jean-Paul Carrier et Élisabeth de la Bourdonnaye, respectivement à trois ans et six mois de prison.

Acquittements, relaxes : Jacqueline Bordelet, Albert Jubineau, Daniel Héricault, René-Georges Étienne sont acquittés. Henri Simmonet est relaxé.

Août 1942

L'arrestation de Germaine Tillion met fin au réseau du musée de l'Homme

Après l'arrestation de Germaine Tillion, le 13 août 1942, les "survivants" du groupe rejoignent pour la plupart le réseau Manipule puis Ceux de la Résistance, tous deux fondés et dirigés par Jacques Lecompte-Boinet.

"... Une nuit de février, ce fut Lewitsky qu'on arrêta. Il fallut quitter une zone pour l'autre, s'en aller travailler ailleurs, Lyon, Toulouse. Vildé se trouvait alors à Marseille. Il accourut. En apprenant ce que nous appelions "l'accident" de Lewitsky, il décida de remonter à Paris.

Je nous revois sur la place Carnot, devant Perrache, et sur le quai même de la gare, le suppliant de remettre une expédition aussi folle. Je n'ai pas le courage d'évoquer le reste. Son arrestation fantastique, l'interminable instruction - un an -, les dix condamnations à mort, Fresnes, le Mont-Valérien, Vildé demandant à mourir le dernier... "

Claude Aveline, Souvenir de ténèbres, article paru dans le journal Franc-Tireur du 11 septembre 1944, retraçant la fin tragique du réseau du musée de l'Homme.

 

Plaque commémorative dédiée à la mémoire des victimes de guerre, musée de l'Homme.
Source : Collection particulière

 

Collection "Mémoire et citoyenneté", N° 5, MINDEF/SGA/DMPA