Biographie du général (2s) François Meyer

Décédé le 10 juin 2022, le général de brigade (2s) François Meyer est célébré par la communauté harkie pour avoir assuré le transfert en métropole et sauvé environ 350 soldats, femmes et enfants harkis, et avoir poursuivi jusqu’à sa mort son action d’aide et d’assistance en faveur de ces populations qui s’étaient engagées au service de la France. Il est présenté, dans l’opinion publique, notamment par les médias, comme un officier ayant « désobéi » aux directives émises au printemps 1962, interdisant le transfert de cette catégorie de combattants. Cette assertion est cependant à relativiser dans la mesure où l’armée française a délibérément convoyé de l’Algérie vers la France 28 000 harkis entre 1962 et 1963.

 

I – Carrière militaire

 

  • Guerre d’Algérie et commando de chasse

 

François, Marie, Louis, Meyer, naît le 20 octobre 1933 à Saint-Raphaël, dans le Var. Enfant, François Meyer connaît l’exode de 1940 et l’humiliation de la défaite[1]. Ces événements et son statut de fils d’officier le conduisent à choisir la carrière des armes et, le 3 octobre 1953, il fait son entrée à l’École spéciale militaire de Saint-Cyr ; il intègre, deux ans plus tard la promotion « Franchet d’Espèrey » (1955-1957)[2]. À l’issue de sa scolarité, il choisit l’arme blindée et cavalerie (ABC).

Nommé sous-lieutenant le 1er août 1957, il effectue un stage de deux mois en Algérie avant de rejoindre l’École d'application de l’ABC à Saumur, au mois d’octobre. Le 1er septembre 1958, il est affecté au 3e régiment de Spahis en Algérie, régiment qui change d’appellation le 1er novembre suivant et devient 23e Régiment de Spahis (23e RS). Il sert au premier escadron qui opère en Zone Sud-Oranais (ZSO) jusqu’à la fin de de l’année 1960. Jeune chef de peloton à cheval, le lieutenant Meyer (nommé à ce grade le 1er août 1959) se signale particulièrement par son courage et son allant, notamment en mars 1959 dans la région de Doui Thabet (à environ 150 km au sud d’Oran).

Le 18 janvier 1961, François Meyer est détaché à l’encadrement du commando de chasse 133, mieux connu sous le nom de « Commando Griffon », une unité qui agit, elle-aussi, dans le Sud-Oranais. Il y sert d’abord comme chef de commando de chasse, puis comme lieutenant en premier[3]. Cette affectation prend fin le 16 avril 1962. Au cours de la guerre d’Algérie, le lieutenant Meyer est cité à quatre reprises (voir annexe 1), une fois à l’ordre du régiment, une fois à l’ordre de la brigade et deux fois à l’ordre du corps d’armée.

          

  • Parcours « classique » d’un officier de cavalerie en métropole et en Allemagne

 

De retour en métropole à l’été 1962, il est nommé au mois d’août instructeur à l’École d’application de l’ABC, enseignant à des sous-officiers puis des officiers d’active et de réserve. Il est promu capitaine le 1er juillet 1963. Au début de l’année 1966, il intègre les rangs de la 29e promotion de l’École d’état-major et obtient le diplôme (DEM) au mois de juin de la même année.

À la fin du mois de juillet 1966, il prend le commandement du 4e Escadron du 3e régiment de hussards à Pforzheim (Allemagne). Il quitte ce corps en août 1968 et est muté à la 1re Région militaire au sein de la Section « moral-information » de l'état-major de l'armée de Terre. En janvier 1970, il est affecté à Paris, à l'École supérieure de guerre dans les fonctions de chef de cabinet du commandant de l'école, puis de professeur à l'école d'état-major où ses qualités pédagogiques et la sûreté de son jugement sont soulignées. Il est promu chef d'escadron le 1er novembre 1972.

Au mois d’août 1973, il est affecté au 3e Régiment de cuirassiers de Lunéville comme officier supérieur adjoint (OSA) puis rejoint une nouvelle fois, à l'été 1975, l'École d'application de l'arme blindée et cavalerie de Saumur. Il y exerce les fonctions de commandant d'une brigade du cours des capitaines, puis celles de commandant de la division des élèves-officiers de réserve. Officier brillant, il obtient de ses supérieurs des résultats remarqués. Promu au grade de lieutenant-colonel le 1er décembre 1976, il se voit confier le commandement du 1er Régiment de chasseurs, qui est le Centre de perfectionnement des cadres et d'instruction des tireurs à Canjuers, en août 1979.

A l’issue de son temps de commandement, il est chargé, en août 1981, des relations publiques des armées à la 11e Division militaire territoriale à Paris, puis l'année suivante, au Service d'information et de relations publiques des armées (SIRPA) au profit de la 2e Région militaire. Il accède au grade de colonel le 1er juillet 1982. Au mois de juin 1983, il est désigné pour exercer les délicates fonctions de chef de cabinet du commandant de la 1re armée à Strasbourg et est rattaché administrativement au 40e Escadron du quartier général. Le 15 juillet 1987, il est nommé secrétaire général de la Commission « Armées Jeunesse » (CAJ).

Son dévouement pour la défense et sa grande réussite dans les différentes responsabilités exercées tout au long de sa carrière lui valent d'être nommé général de brigade dans la 2e section des officiers généraux le 23 octobre 1990 et est placé en position de retraite par limite d’âge le même jour.

Le général de brigade (2s) François Meyer s’éteint à Clamart le 10 juin 2022, célibataire et sans enfants.

 

II – Engagements en faveur des harkis

 

Le général de brigade (2s) François Meyer a connu une certaine notoriété en raison de son action en faveur des harkis, une action qui, contrairement, à celle de ses camarades ayant eu un comportement similaire, est sortie de l’anonymat, notamment grâce à l’ouvrage qu’il publie en 2005 : Pour l'honneur... avec les harkis, de 1958 à nos jours (CLD éditeur). En effet, entre juin et juillet 1962, le lieutenant Meyer est à l’origine du rapatriement d’environ 350 harkis[4] (sur un total de 28 000[5]). Il s’agit principalement des soldats qui ont combattu sous ses ordres au sein du Commando Griffon, de leurs femmes et de leurs enfants. Ceux-ci sont dirigés vers les camps provisoires du Larzac, dans des camps et hameaux de forestage – il en existera sept en Lozère entre 1963 à 1967.

Les médias qui relatent cet épisode font tous état d’une « désobéissance » aux ordres de François Meyer. C’est le cas du journal Le Figaro ou encore de RMC radio. Le premier évoque un officier qui « a outrepassé les ordres »[6] quand la seconde parle d’un « général français décoré…pour avoir désobéi »[7]. Dans le discours que prononce le président de la République, en septembre 2021, à l’occasion de la Journée nationale d’hommage aux harkis, Emmanuel Macron présente un homme qui a choisi « d'exfiltrer par ses propres moyens ses hommes et leurs familles vers la métropole, en contradiction flagrante avec les directives officielles ». C’est à cette même occasion que le Président élève François Meyer à la dignité de Grand-Croix dans l’Ordre de la Légion d'honneur".

Cette représentation, qui a tendance désormais à être acceptée « officiellement », mérite cependant d’être nuancée sinon contredite. En effet, si, effectivement, son action n’apparaît pas pas en conformité avec le plan de transfert officiel et les directives émises au printemps 1962, il convient de noter que ce plan a été conçu à un moment où les autorités gouvernementales estimaient que les accords d’Evian entraîneraient une période « d’accalmie ». La période de troubles et de violences[8] qui succède à la signature de ces accords a pour conséquence une large mansuétude face au non-respect des directives par les militaires, ce qui permet à ces derniers de rapatrier des dizaines de milliers de harkis (mais aussi de supplétifs algériens). Ainsi, selon François-Xavier Hautreux, auteur de la thèse de référence sur les harkis, « Le 21 juillet 1962, 12 000 Algériens ont été transférés en France par l’armée. Ils sont plus de 20 000 en décembre de la même année, et encore 6 600 de plus dans le courant de 1963. Parmi eux, les anciens harkis et leurs familles forment le groupe le plus nombreux (69,5 %) – les moghaznis[9] (11,8 %), GMS [Groupes mobiles de sécurité[10]] (13,4 %), et civils (5,2 %) contribuant à délimiter les contours du groupe originel des réfugiés « Français musulmans » d’Algérie (…) Le ministère des Armées et l’état-major savent parfaitement que les officiers ont ignoré délibérément les directives ; (…) ». « La comparaison brute entre le nombre de réfugiés algériens transférés par l’armée (environ 28 000) et ceux ayant gagné la France par leurs propres moyens (de 30 000 à 50 000 personnes) confirme les insuffisances du plan de transfert officiel »[11].

Les soldats nord-africains des commandos de chasse ont été rapatriés en urgence par l’armée, car ils comptaient souvent parmi eux des membres du FLN retournés qui risquaient de subir plus que les autres des représailles. Il n’apparaît pas que l’armée française se soit opposée aux opérations de rapatriement.

Ainsi, la doxa mémorielle tend à oublier que l’armée a officiellement transféré près de 28 000 Algériens. On ne peut parler de désobéissance pour désigner les harkis rapatriés car les directives de rapatriement n’ont jamais pu être appliquées à la lettre : trop lourdes, trop bureaucratiques (il fallait prouver que l’on était menacé), trop centralisées au regard de l’urgence de la flambée de violence à partir du mois d’avril 1962.

Pour son action, François Meyer est – tardivement – salué par une lettre de félicitations du 10 octobre 1997 signée par le général Mercier, chef d’état-major de l’armée de Terre : « Après une brillante carrière dans l'Arme blindée cavalerie, s'est consacré au monde associatif militaire, en s'investissant tout particulièrement dans l'aide aux anciens harkis et dans les relations avec la société civile ».

Sa mort a été l’occasion de nombreux hommages sur les réseaux sociaux de la communauté harkie[12]. En revanche, si la presse algérienne semble avoir été discrète, on peut relever sur le site du journal en ligne ObservAlgérie.com, média assez suivi, l’assertion suivante : « Pour les Algériens, le général François Meyer fait partie également de ceux qui ont glorifié la colonisation. Il fait partie des négationnistes des atrocités commises par les Français en Algérie tout au long de leur présence »[13].

 

III - Engagements associatif forts et prises de position contestées sur l’armée et la torture en Algérie

 

Entre 1990 et 1993, le général de brigade (2s) François Meyer est secrétaire général de la Commission "Armée - Jeunesse" avant d’être chargé de cours au Collège interarmées de défense (CID) jusqu'en 1995. Il assure la vice-présidence de l'Association des Spahis (Le Burnous) et des anciens du 1er Régiment de chasseurs depuis 1993 ; il œuvre avec succès au maintien des traditions de ces deux unités et à leur connaissance puisqu’il est l'un des promoteurs de l'exposition consacrée aux Spahis qui se tient au Musée de l'Armée en 1997.

A partir de 1992, il est conseiller du président de l'Association nationale des officiers de carrière en retraite (ANOCR), et prend une large part en 1996 à la consultation nationale sur le Service national, notamment par ses contacts avec la presse et le milieu parlementaire.

Membre de l’Association de soutien à l'armée française (ASAF), le général de brigade (2s) François Meyer est l’un des signataires du Manifeste des 521 officiers généraux ayant servi en Algérie (mars 2002) et qui défend l’action de l’armée française, en Algérie, au cours de la période 1945-1952, récusant les accusations de torture, regrettant des « dérives marginales » et affirmant que l’action de l’armée a été au contraire caractérisée par « sa lutte contre toutes les formes de torture ». Pour cette raison, il remet en cause les affirmations contenues dans l’ouvrage du général Aussarès : Services spéciaux : Algérie 1955-1957 (Perrin, 2001). Ces prises de position qui vont à l’encontre de ce que l’historiographie a établi ont donné lieu à controverse publique.


Service historique de la Défense

 

 

[1] Témoignage du général (2s) François Meyer, in Mohammed Aïssaoui, « François Meyer, au nom de tous les harkis, Le Figaro, 13 mars 2012.

[2] La différence de date entre l’entrée à Saint-Cyr (1953) et son rattachement à la promotion Franchet d’Espèrey (1955) s’explique par l’obtention de deux congés maladies de six mois chacun au cours de l’année 1954 et d’un troisième congé de cinq mois en 1955.

[3] Dans l’armée française d’alors, le lieutenant en premier est le lieutenant le plus ancien. S’il n’a pas le titre ni la fonction de commandant en second de l’unité dans laquelle il sert, c’est lui qui naturellement en assure la charge en l’absence de son titulaire.

[5] François-Xavier Hautreux, La guerre d'Algérie des Harkis. 1954-1962. Perrin, « Synthèses Historiques », 2013.

[6] Mohammed Aïssaoui, « François Meyer…», art. cit.

[7] Nicolas Poincaré, « Harki et guerre d’Algérie : qui est François Meyer, ce général français décoré... pour avoir désobéi ? » BFM avec RMC, le 20 septembre 2021.

[8] ANOM 81F 1040, 22 mai 1962. Enquête menée par le haut-commissaire au sujet des musulmans menacés. « Annexe : Nombre de musulmans menacés du fait de l’évolution politique ».

[9] Algériens engagés comme supplétifs dans l’armée française.

[10] Supplétifs algériens plus particulièrement chargés de missions de police rurale.

[11] Ibid.

[12] Publications Facebook, lien consulté le 16 juin 2022 à 16h30, https://twitter.com/search?q=fran%C3%A7ois%20meyer&src=typed_query&f=live

Publications Facebook, lien consulté le 16 juin 2022 à 16h30,

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