Charles Lanrezac

1852 - 1925

Partager :

Portrait de Charles Lanrezac. Source : www.firstworldwar.com

 

Né à Pointe-à-Pitre (Guadeloupe) en 1852, Charles Louis Marie Lanrezac est une personnalité militaire atypique de la Grande Guerre : il est un des généraux dont le rôle stratégique est le plus controversé. Bien que relevé par le généralissime Joffre à la veille de la première bataille de la Marne, il évite, pendant ses trente-deux jours de commandement effectifs, l'anéantissement de l'armée française en août 1914.

Créole guadeloupéen, fils d'un officier arrivé par le rang, Victor Lanrezac, dont le père, Auguste, s'était fait établir des faux papiers au nom de Lanrezac, anagramme de Cazernal à des fins d'anonymat, Charles Louis Marie Lanrezac est issu d'une famille de petite noblesse toulousaine dont l'aïeul Augustin Théreze de Quinquiry d'Olive, d'une famille toulousaine de petite noblesse, avait été obligé de vendre ses biens au lieu dit de "Cazernal" - transcription erronée de "du Cabanial - avant d'émigrer à Hambourg afin d'échapper à la Terreur. Au gré des garnisons, la modeste famille Lanrezac réside à Cherbourg lorsque, titulaire d'une bourse accordée par le préfet de la Manche, Charles entre à l'école impériale spéciale militaire de Saint-Cyr 75e sur 250, après avoir été renvoyé du Prytanée militaire de La Flèche en septembre 1869. A peine un an plus tard, le 14 août 1870, le sous-lieutenant Charles Lanrezac rejoint sa première affectation au 13e régiment d'infanterie.

Le 20 septembre, le Second Empire déchu, le Gouvernement de défense nationale décide de poursuivre la lutte en levant de nouvelles armées. Le jeune militaire est affecté au 15e corps d'armée, la future armée de la Loire, commandé par le général de la Motte Rouge puis le général d'Aurelle de Paladines. Les positions françaises autours d'Orléans enfoncées, l'armée doit évacuer la ville à partir du 11 octobre. Lanrezac, lors de la bataille de Coulmiers (9 novembre), des combats au nord d'Orléans (24 novembre) montre beaucoup de courage et se retrouve provisoirement promu lieutenant et décoré sur le champ de bataille de la Légion d'Honneur. En janvier 1871, son corps rejoint l'armée de l'Est du général Bourbaki afin de tenter de dégager Belfort et de prendre à revers les Prussiens en Alsace. L'entreprise est vaine. Le lieutenant Lanrezac participe aux combats d'Héricourt (15-17 janvier), reste avec son unité à Besançon afin de couvrir la retraite de l'armée, et échappe de peu à l'internement en Suisse après la bataille de Larnod, le 20 janvier.

La guerre terminée, Lanrezac termine sa formation d'officier à Saint-Cyr et rejoint sa nouvelle unité, le 30e régiment d'infanterie, à Annecy. Il entame alors une carrière militaire des plus classiques. Il se marie à Paris en 1873 avec Félicie Marie-Louise Dutau, une réunionnaise, cousine de sa mère. Passé capitaine le 21 février 1876 au 24e régiment d'infanterie, il obtint son brevet d'état-major en 1879, est nommé professeur d'art militaire adjoint à Saint-Cyr, avant d'intégrer l'état-major de la brigade d'occupation de la Tunisie au 113e pendant cinq ans. Ses brillants états de service et son aptitude au commandement lui valent d'être nommé professeur à l'école supérieure de guerre, et finalement d'être promu chef de bataillon à l'ancienneté en juillet 1892.

De 1896 à 1899 il est nommé au 104e RI, à Paris. Parallèlement, il enseigne l'histoire militaire, la stratégie et la tactique générale à l'école militaire. Travailleur doté d'une personnalité haute en couleurs (qui lui vaut déjà quelques remarques), pédagogue averti, son enseignement est rapidement apprécié des cadres et suscite l'enthousiasme des élèves. Lieutenant-colonel, il devient en 1898 sous-directeur des études à l'école supérieure de guerre. Trois ans plus tard, il gagne ses galons de colonel et reçoit le commandement du 119e RI de Paris où il "s'est révélé aussi bon chef de corps qu'éminent professeur", notera sa hiérarchie.

En mars 1906, il commande par intérim la 43e brigade de Vannes et reçoit au mois de mai ses étoiles de général de brigade. Reconnu par sa hiérarchie, il officie en tant que chef d'état-major d'une armée lors des exercices de mobilisations dans les Vosges en 1908. Son ascension se poursuit en 1909 : il devient, en mai, commandant en chef de la défense des places du groupe de Reims dont il est le gouverneur, et devient membre du Comité technique d'état-major au mois d'août, organe consultatif auprès du ministre de la Guerre. En 1911, il commande la 20e division d'infanterie de Saint-Malo, devenant général de division en mars. Et, bientôt au faîte de sa gloire, Lanrezac se fait remarquer par le général Lyautey - "quand une armée possède un chef de cette valeur, c'est au premier rang qu'il doit être" écrit-il le 13 novembre 1911 - qui ajoute, en 1912, à son commandement les départements du Finistère, de la Loire-inférieure (Loire-Atlantique), du Morbihan et de la Vendée. C'est à nouveau sur ses conseils qu'il quitte son commandement le 10 avril 1914 pour entrer au Conseil supérieur de la guerre. Il succède au général Galliéni à la tête de la Ve armée le 24 avril 1914, et est élevé, à la veille de la guerre à la dignité de commandeur de la Légion d'Honneur, à l'âge de soixante ans.

La guerre déclarée, Lanrezac prend le commandement de la Ve armée après une brève réunion de chefs d'état-major qu'il juge décevante en raison de l'apparente absence de stratégie du général Joffre. Familier de la langue et de la pensée germanique, il fait remettre, le 31 juillet 1914, un rapport au généralissime dans lequel il met en évidence l'importance du secteur de la Meuse . le document sera sans suite. Il a sous ses ordres 300 000 hommes, 800 canons, 110 000 chevaux et 21 000 véhicules. Dans la première quinzaine d'août, il établit son quartier général à Rethel et concentre ses troupes entre Vouziers et Aubenton avant de faire mouvement vers la frontière nord-est. Le 6 août, il reçoit l'ordre de prêter main forte au troupes belges sur la Meuse, alors que les Allemands, passés en Belgique depuis le 3 août, assiègent la ville de Liège. Lanrezac obtient l'autorisation de porter une de ses unités vers le Nord, en avant du fleuve et parvient à repousser un corps de cavalerie allemand dans le secteur de Dinant, le 15 août. Cet épisode amène le généralissime à déployer l'armée de Lanrezac sur la frontière nord (vers Jeumont et Charleroi) où, avec les Britanniques du maréchal French, les armées alliées couvrent les fronts nord et est jusqu'à Maubeuge. A partir du 21 août, Joffre décide de concentrer l'offensive sur le front belge et les Ardennes, contre les Ve, VIe armées du Reich, la IIe armée de von Bülow et la Ie armée de von Kluck. Du 21 au 23 août, les affrontements autour de Charleroi, à Tamines, Roselies, Mons tournent à la défaveur des troupes franco-britanniques qui, suivant les ordres de l'état-major, attaquent désespérément un ennemi retranché et masqué. L'armée française est menacée d'encerclement, d'anéantissement donc. Le 23 août, Lanrezac décide de passer outre les consignes de combat à outrance du généralissime et ordonne la retraite, échappe aux armées allemandes, entérinant l'abandon du plan d'attaque XVII deux jours après. Cette bravade lui vaut l'inimitié d'officiers de l'entourage de Joffre, lequel envisage dès lors de se passer de ses services. La même attitude prélude aux combats de Guise, entre le 26 et le 29 août 1914. Ayant reçu l'ordre de porter l'attaque vers le Nord afin de venir en aide au 2e corps anglais qui s'est fait surprendre au Cateau, Lanrezac obtient une journée afin de permettre à son armée de se reposer et de préparer son attaque. Le 29 août, il place ses troupes en équerre : le 10e corps au nord-nord-ouest sur la rive sud de l'Oise, vers Guise, les 3e et 18e corps complétés de troupes de réserve glissent le long du fleuve et se présentent par l'Ouest face aux Allemands.

L'attaque conjointe appuyée par les batteries de 75 surprend l'état-major allemand, qui abandonne le plan Schlieffen. Paris est sauvée. Von Bülow renonce à poursuivre le maréchal French et n'aura de cesse de talonner la Ve armée. Cette dernière, en effet, a remporté une victoire défensive, mais l'initiative reste aux mains des Ie et IIe armées allemandes qui tentent d'encercler Lanrezac et ses hommes, découverts sur leurs flancs et battant toujours en retraite. Les Français atteignent la Marne, la franchissent et installent le quartier général à Sézanne. Le 3 septembre, à 17 heures, Lanrezac est relevé de son commandement et remplacé par le général Franchet d'Espérey... Deux jours plus tard la première bataille de la Marne commence.

Les raisons de cette destitution sont multiples : l'entêtement d'un chef que seul ses troupes intéresse, ses penchants à contester les ordres, ses mauvais rapports avec le maréchal French alors que l'état-major français déploie des trésors d'ingéniosité pour ménager son allié, la reconnaissance implicite de la supériorité stratégique allemande dont le plan d'action (plan Schlieffen) est offensif et mobile alors que le plan XVII n'est qu'un plan de concentration de troupes, la nécessité de trouver des coupables pour expliquer cette "débâcle" des premiers engagements. Lanrezac écrira plus tard : "A la place du général Joffre, j'aurais agi comme lui . nous n'avions pas la même manière de voir les choses, ni au point de vue tactique ni au point de vue stratégique . nous ne pouvions pas nous entendre... J'étais bien décidé à ne pas attaquer le généralissime, car je n'avais pas le droit de juger ses actes sur les autres parties du champ de bataille."

Lanrezac est mis à la disposition du général Galliéni, gouverneur militaire de Paris, qui l'envoie à Bordeaux où le Gouvernement s'est réfugié. A partir du mois d'octobre, Lanrezac se voit confier des missions ponctuelles : inspecteur des centres d'instruction des élèves de l'école militaire de Saint-Cyr en octobre 1914, inspecteur de l'école normale supérieure et de l'école forestière en 1915, inspecteur général des camps et dépôts d'infanterie des XIXe et XXe régions en février 1916, etc. Fin 1916, le généralissime est limogé. L'état-major et le Gouvernement cherchent à réparer l'injustice en proposant des postes à la hauteur de ses compétences. Lanrezac les repousse et obtient du général Lyautey le poste d'inspecteur de l'instruction de l'infanterie. Pétain, promu généralissime, le fait élever à la dignité de Grand Officier de la Légion d'Honneur le 3 juillet : "par sa science militaire et son habileté à exécuter une manoeuvre des plus difficiles au cours de laquelle il a remporté des succès marqués et a rendu au pays les plus éminents services". Le 1er août 1917, Charles Lanrezac quitte le service actif pour raisons de santé.

L'entreprise de réhabilitation du général commence alors. Plusieurs articles d'Engerand, député du Calvados, parus dans Le Correspondant en 1917 et 1918 reviennent sur le bien fondé de son limogeage. Le général de Maud'huy dans un article publié dans le Gaulois, en 1920, écrit que Lanrezac a sauvé la France à Charleroi. Le général Palat dans son Histoire de la Grande Guerre porte à la connaissance du public français le respect de ses anciens adversaires, von Bülow et von Hausen. En 1922, le général déchu Lanrezac est décoré de la grand-croix de la Couronne de Belgique avec Croix de guerre avec palme en raison de Charleroi. Le 29 août 1924, date anniversaire de la bataille de Guise, la grand-croix de la Légion d'Honneur lui est accordée. Elle réhabilite la mémoire du général. Les insignes lui sont remis le 6 septembre, à Neuilly-sur-Seine, par le maréchal Pétain et le ministre de la Guerre, le général Nollet.

Charles Lanrezac décède le 18 janvier 1925. Sur sa tombe au cimetière de Montmartre est inscrit : "A celui qui, en août 1914, sauva la France".

Forme ultime de réhabilitation et de reconnaissance nationale : le général Lanrezac repose aux Invalides depuis 1933.

 
Source : "Lanrezac, Charles." Encyclopædia Britannica, 2006. Beau G., En Août 1914, Lanrezac a-t-il sauvé la France ?, Paris, Presses de la Cité, 1964. Engerand F., Lanrezac, Paris, Bossard, 1926