La politique à l’égard des anciens combattants depuis la Grande Guerre en France

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Carte du combattant. © Collection Maurice Bleicher

En France, la catastrophe de la Première Guerre mondiale fonde la politique sociale à l’égard de ceux qui ont combattu, telle qu’on la connaît encore aujourd’hui. Elle repose sur des principes liés que sont la réparation, la reconnaissance et la solidarité, et se conduit en étroit partenariat avec le monde associatif.

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Le 20 novembre 1917, Georges Clemenceau, nommé président du Conseil par le président Poincaré quelques jours auparavant, monte à la tribune de la Chambre des Députés et déclare : "Ces Français que nous fûmes contraints de jeter dans la bataille, ils ont des droits sur nous". Ce discours fonde la politique de reconnaissance et de réparation à l’égard des anciens combattants.

En effet, la France a mis en place après la Grande Guerre une politique originale fondée sur deux principes qui sont toujours en vigueur : le droit à la réparation des infirmités causées par les guerres, et le droit à la reconnaissance, par la Nation, de ceux qui ont contribué par les armes à la défense de la patrie. Depuis plus d’un siècle, ces principes continuent de guider l’action de l’État à l’égard de ceux qui ont combattu pour défendre la France et les Français.

Le "droit à réparation"

Le principe de la réparation, par l’État, des préjudices subis à son service et en particulier à l’occasion des conflits armés, est ancien et a connu de multiples applications à travers l’histoire de notre pays, comme en témoigne, notamment, l’existence et la persistance de l’Institution nationale des Invalides établie par Louis XIV à Paris. La Révolution érige ce principe en "dette de reconnaissance de la Nation" par la loi du 2 août 1790, mais cette dette reste principalement morale et symbolique faute de budget. Il faut attendre les lois des 11 et 18 avril 1831, sous Louis-Philippe, pour que se mettent en place des procédures lourdes, lentes et complexes au sein de l’institution militaire permettant d’attribuer des pensions aux blessés graves et infirmes incurables victimes “d’événements de guerre” ou d’accidents survenus en service commandé.

 

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Le président du Conseil Georges Clemenceau à la tribune de la Chambre des Députés, le 11 novembre 1918. © L’Illustration

 

La Grande Guerre (1914-1918) rend très rapidement cette organisation obsolète : dès le début du conflit, la masse des blessés est considérable et les progrès de la médecine de guerre permettent la survie d’un grand nombre d’entre eux, y compris parmi les plus gravement atteints, dont un nombre exceptionnel d’infirmes et de mutilés. Les services médicaux et administratifs chargés d’instruire les cas de réforme pour invalidité et la liquidation des pensions sont immédiatement débordés. Le sentiment d’injustice et la colère des victimes de la guerre incitent celles-ci à s’organiser en associations et à faire pression sur le gouvernement. Pour la première fois, la situation des blessés n’est plus une "affaire de temps de paix" à traiter après les combats, dans le calme des commissions médicales et des bureaux du ministère de la Guerre, mais un sujet brûlant et vital pour l’État qui ne peut conduire la guerre en laissant, à l’arrière, se développer des situations dramatiques aux effets désastreux sur le plan humain et pour le moral de la Nation.

Dès 1915, les associations de pensionnés de guerre, mutilés, blessés, font donc pression sur le gouvernement pour obtenir une prise en charge plus large et plus complète de la situation des invalides renvoyés dans leurs foyers et les travaux de réforme s’engagent, qui permettent notamment la création en 1916 d’un organisme public : l’Office des mutilés. Cet établissement public, qui existe toujours sous le nom d’Office national des anciens combattants et victimes de guerre (ONAC-VG), est toujours géré de nos jours de façon "paritaire" avec les associations représentatives de ses ressortissants. Rattaché alors au ministère du Travail, cet office national coordonne en particulier les politiques visant à faciliter les soins, puis la réinsertion des invalides dans la société en temps de guerre, ainsi qu’en temps de paix.

L’expérience acquise en la matière, et les réflexions conduites par les mutilés eux-mêmes, via leurs associations, conduisent à la consécration du droit à réparation par la loi Lugol (31 mars 1919), puis à la création d’une administration spécifique, le ministère des Pensions (qui deviendra en 1938 ministère des Anciens combattants) appuyé sur un corpus législatif et réglementaire considérable qui sera codifié en 1951 pour constituer le code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de la guerre (CPMIVG). Ce code, refondu et complété à de nombreuses reprises, fixe les contours du "droit à réparation", qui sera étendu progressivement aux familles, et détermine un véritable statut pour une notion bien française, celle d’" ancien combattant".

 

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Carte du combattant. © Collection Maurice Bleicher

 

Le "droit à reconnaissance" et le statut d’ancien combattant

Un très important tissu associatif se développe dès l’immédiat après-guerre autour des anciens soldats tout juste démobilisés et que leur situation sociale, professionnelle et familiale rend particulièrement fragiles. Essentiellement formées afin de poursuivre l’entraide née dans les tranchées, défendant un "esprit combattant" fait de brassage social et de fraternité d’armes, ces associations réclament et obtiennent la reconnaissance de la Nation envers ceux qui ont effectivement joué leur rôle de "soldats-citoyens" en combattant : en 1926, l’État crée un office du combattant chargé d’attribuer une "carte du combattant" aux anciens soldats ayant effectivement connu le feu pendant la guerre, leur conférant par conséquent un véritable statut.

Cette carte et ce statut offrent en effet l’accès à diverses mesures de reconnaissance nationale : constitution d’une rente mutualiste abondée par l’État, attribution d’une indemnité annuelle (la retraite du combattant, créée en 1930), avantages fiscaux. Ce statut d’ancien combattant sera progressivement étendu aux anciens militaires ayant servi en Afrique du Nord entre 1954 et 1964, puis aux anciens des opérations extérieures, les critères d’obtention ayant été assouplis ces dernières années.

Particularité française, l’ensemble de ces dispositifs dédiés à la reconnaissance par la Nation de l’engagement combattant continue d’être géré en étroite coopération par les associations d’anciens combattants et par l’administration du ministère des armées, qui a pris le relais du ministère des pensions et de celui des anciens combattants à partir de 1999.

 

La rédaction