L’effort de guerre féminin durant la Seconde Guerre mondiale

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Femmes empaquetant des graines pour l'agriculture, février 1941. © LAPI/Roger-Viollet

En France, comme dans les autres pays belligérants, les femmes jouent un rôle important durant la Seconde Guerre mondiale. Si cette mobilisation s’inscrit, sous l’autorité du régime de Vichy, dans le cadre de la "révolution nationale" et d’une vision très genrée de la place des femmes dans la société, elle conduit aussi à une évolution de leur image et à une première émancipation politique en 1944.

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Séverine, journaliste socialiste, écrivait en 1919 : "Les femmes n’ont été que les domestiques de la guerre", une formule qui témoigne d’une déception. En effet, au lendemain de la Grande Guerre, les femmes françaises n’ont pu obtenir une reconnaissance politique (le droit de vote) à la hauteur de leur implication indéniable dans l’effort de guerre. C’est avec cet horizon d’attente, teinté d’amertume, qu’il faut envisager l’engagement des femmes durant la Seconde Guerre mondiale. Dans une guerre totale, où la société est prise à partie, à la fois comme ressource et comme cible, la question de la mobilisation féminine au service de l’effort de guerre est par nature complexe. D’une part, parce qu’elle confronte des réalités socio-économiques et des discours politiques. D’autre part, parce qu’elle pose la question des moyens de cette politique, de ses finalités et de ses conséquences sociales, concernant la place des femmes dans la société et donc la répartition sexuelle des rôles, avec en perspective une forme d’émancipation. Plus largement, c’est l’image de la femme qui change et évolue.

Subvenir aux besoins des siens

Un premier constat s’impose : contrairement à l’impréparation qui régnait en 1914, le gouvernement français a, très tôt, et en concertation avec les organisations professionnelles, orchestré la mobilisation des femmes. La loi du 11 juillet 1938 sur l’organisation générale de la nation pour le temps de guerre permet aux entreprises indispensables pour la défense nationale de réquisitionner sur place le personnel féminin et établit le service civil des femmes par engagement volontaire. S’y ajoute le décret du 29 février 1940 qui dresse la liste des travaux pour lesquels l’embauche de la main d’œuvre féminine est déclarée obligatoire, avec une sélection médicale et psychotechnique, qui débouche sur une orientation professionnelle et une formation. Une mobilisation organisée et émancipatrice donc ?

Le cadre législatif se heurte cependant à la réalité de la guerre. Être une femme dans la Seconde Guerre mondiale, c’est d’abord subir des conditions de vie rudes, des privations, le deuil et les bombardements. En effet, la guerre s’est accompagnée d’un manque de nourriture, de chauffage, de vêtements ; une pénurie générale, qui impose une politique de rationnement, et l’émergence d’un marché noir. Ces difficultés sont certes celles de la plupart des civils, mais c’est aux femmes qu’incombe en priorité, et souvent seules, d’assurer le quotidien. Les Françaises font donc face à l’adversité, en dépit de l’armistice et compte tenu du nombre considérable de prisonniers (sur 1,5 million de prisonniers, 700 000 sont mariés). L’absence du mari, du père, signifie nécessairement un accroissement des tâches dans un quotidien devenu âpre. La recherche de nourriture et de combustible devient une occupation consommatrice de temps et d’énergie, affaire de femmes essentiellement. En outre, l’augmentation des prix va de pair avec la baisse des revenus familiaux : la pension versée est souvent loin de compenser le salaire manquant. Au point que l’État finit par débloquer, en février 1942, un crédit exceptionnel de 1 milliard pour les familles de prisonniers.

L'exaltation de la "bonne féminité"

Être une femme, c’est aussi se heurter à une idéologie officielle hostile. Car les discours sur la femme et sa place dans la société pèsent également sur cette mobilisation : la femme des années 30, "garçonne émancipée" est le contre-modèle de ce que doit être la femme dans le régime du maréchal Pétain, et la "révolution nationale" passe par le retour à la "bonne féminité", la figure de la femme mère, douce, soumise et dévouée à sa famille. Le régime de Vichy réorganise l’enseignement féminin autour des arts ménagers, multiplie les institutions en charge d’une politique familiale (du secrétariat d’État à la famille et à la jeunesse de 1940, au conseil supérieur de la Famille, en juin 1943). Officialisée en 1941, la fête des mères incarne cet idéal, étayé par une politique nataliste vigoureuse.

 

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Femmes empaquetant des graines pour l'agriculture, février 1941. © LAPI/ oger-Viollet

 

Le recours aux femmes, un impératif

Dans ce contexte, la mobilisation féminine ne va pas de soi. Ainsi le régime de Vichy, par la loi du 11 octobre 1940, renvoie au foyer les femmes mariées travaillant dans la fonction publique, met à la retraite les plus de 50 ans et interdit l’embauche des épouses (sauf les mères de plus de 3 enfants et celles dont le mari est absent). Hors de la fonction publique, la loi du 8 octobre 1940 va dans le même sens. En 1940, les femmes représentent 26 % des chômeurs. Toutefois, l’État français est rapidement contraint de composer avec la réalité : dès 1941, le recours à la main d’œuvre féminine s’impose et les lois dites d’"utilisation et orientation de la main d’œuvre" (3 lois, du 4 septembre 1942, 26 août 1943 et 1er février 1944) touchent progressivement toutes les femmes de 18 à 45 ans, excepté les mères. De même, le Royaume-Uni institue en avril 1941 la conscription féminine pour les célibataires : les femmes ont le choix entre défense civile, auxiliariat aux armées et emploi civil… une mesure copiée par l’Allemagne en janvier 1943.

Il s’agit toutefois surtout de maintenir les Françaises sur le sol national, et de s’opposer discrètement à l’occupant, qui, avec la politique de relève en 1942 (un prisonnier contre trois travailleurs volontaires), vise également les Françaises. En 1943, les associations chrétiennes engagent le maréchal Pétain à refuser l’extension du service du travail obligatoire (STO) aux femmes… mais la contrainte allemande est la plus forte et le nombre de Françaises travaillant en Allemagne passe de 14 500 (1941) à 43 000 (1944), une population qui se compose largement de manœuvres, d’employées de commerce et de femmes de ménage. Il est vrai que le STO, qui aspire 1,5 million de travailleurs français en Allemagne, libère des emplois attribués à des femmes.

La mobilisation féminine est une question politique autant qu’économique, et l’émancipation finale de 1944 fut aussi à ce prix.

 

Gilles Ferragu - Service historique de la Défense