Paul Nizan

1905-1940

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Portrait de Paul Nizan. Source : bibliothèque des lettres de l'ENS - Fonds photographique
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J'avais vingt ans. Je ne laisserai personne dire que c'est le plus bel âge de la vie. Ces mots sont écrits par un jeune homme de 26 ans nommé Paul Nizan. Ils inaugurent son premier livre publié en 1931 "Aden Arabie", un pamphlet résolument provocateur contre le colonialisme, qui donne le ton de l'œuvre à venir : à vif, polémique et activement désespéré. Sur les cimes de la révolte et le fil rouge du communisme, Paul Nizan n'a de cesse, tout au long de sa trop brève carrière, de pourfendre l'ordre établi, débusquer les travers de la société bourgeoise et guetter les signes précurseurs de l'Histoire.

Né le 7 février 1905 à Tours, ce fils de petite bourgeoisie et "d'ouvrier devenu bourgeois", intègre, à dix-neuf ans, l'Ecole Normale Supérieure. Ses condisciples de promotion en 1924 ont pour nom Raymond Aron et Jean-Paul Sartre. A la lecture d'"Aden Arabie", Sartre, l'ami inséparable avec lequel on le confond toujours (question de strabisme divergent chez l'un, convergent chez l'autre), le revoit à l'époque "absorbé dans la contemplation de ses ongles et lâchant ses violences avec une sournoise et trompeuse sérénité". Mais cette froideur apparente, cette vitrine brillante de dandy charmeur dont les costumes lilas et les formules lapidaires du genre "Morale, c'est trou de balles" font courir un frisson d'excitation dans les rangs des Normaliens, dissimule mal une blessure secrète.

Ma seule originalité est de traverser périodiquement des phases de dépression, confie-t-il en badinant à celle qui deviendra sa femme, Henriette Alphen. "Je ne suis pas joyeux, je ne suis pas désespéré, mais j'affirme au rôti que la vie n'a aucun sens, et au dessert que personne n'aura lieu de s'étonner si j'entre un jour dans les ordres réguliers." Nizan s'enfonce ainsi des jours entiers dans un mutisme total, quand il ne fugue pas subitement pour resurgir hagard quelques nuits plus tard, cherche sa voie entre l'extrême droite et le communisme, se découvre une passion pour le cinéma. Rongé par un mal de vivre qui ne lui laisse aucun répit, obsédé par la mort, dégoûté de "l'exercice officiel de la philosophie", il part pour Aden, au Yémen, comme précepteur dans une famille anglaise. Aden "ce comprimé d'Europe" sera l'occasion de sa prise de conscience politique. Il en revient un an après et opte pour le marxisme, seule solution concrète à sa révolte. Fin 1927, il adhère au parti communiste français. Il a presque 23 ans, une femme, bientôt deux enfants et l'agrégation de philosophie.

Militant fervent, il est candidat du Parti aux élections législatives de 1932 à Bourg-en-Bresse, où il enseigne un an la philosophie. Il choisit ensuite la littérature et le journalisme et devient tour à tour rédacteur en chef de la revue d'avant-garde "BIFUR" qui révèle Michaux, Sartre et Joyce, chroniqueur littéraire à l'Humanité (1935) où il soutient Céline, Breton et Lacan, et chargé de politique étrangère à "Ce Soir" dirigé alors par Aragon. De Moscou, où il séjourne pour préparer le Congrès International des Écrivains, à Brest, cadre de sanglantes émeutes en pleine montée du Front Populaire, en passant par l'Angleterre et l'Espagne quelques mois avant la guerre civile, il est toujours en première ligne. Grand reporter passionné, il n'en mène pas moins en parallèle sa carrière d'écrivain et publie presque coup sur coup des essais (Les Chiens de garde, Les Matérialistes de l'Antiquité) et des romans (Antoine Bloyé, Le Cheval de Troie), tous salués par la critique. En 1938, La Conspiration obtient le prix Interallié. Paradoxalement, seul le P.C.F. reste toujours réservé, sinon très critique de son œuvre littéraire tant il est vrai que ses écrits ne sont guère orthodoxes et ne s'intègrent pas dans l'étroite grille de lecture du PCF d'alors.

En 1939, son dernier ouvrage Chronique de Septembre démonte les mécanismes des négociations entre Hitler, Daladier, Chamberlain et Mussolini, qui aboutissent aux Accords de Munich et au démantèlement de la Tchécoslovaquie. Le pacte germano-soviétique entre Staline et Hitler le surprend en vacances à Ajaccio.

Il rentre aussitôt à Paris, impatient de connaître la position du Parti, qui approuve le pacte. Fidèle à lui-même et à ses convictions anti-fascistes, Nizan démissionne publiquement du PCF en septembre 1939.

Mobilisé, il continue de militer sur le front, discutant fougueusement sa position avec ses camarades.

Affecté à Lille comme interprète de l'armée anglaise, il est tué le 23 mai 1940 lors de l'attaque des Allemands sur Dunkerque. Il est inhumé dans la nécropole nationale La Targette, à Neuville-Saint-Vaast.

 

Source : MINDEF/SGA/DMPA