Pratiques sportives et formation militaire : le cas italien

Sous-titre
Angela TEJA, Société italienne d'histoire du sport et Société italienne d'histoire militaire, Rosalba CATACCHIO, Surintendance des archives des Pouilles et Société italienne d'histoire du sport.

Partager :

L'Italienne Vanessa Ferrari lors de la finale du sol en gymnastique artistique féminine aux Jeux olympiques de Tokyo, 2 août 2021. © Loïc Venance / AFP.

L'armée italienne accueille depuis longtemps de nombreux sportifs dans ses rangs. Elle a joué un rôle important dans l'organisation des Jeux olympiques de Rome, en 1960, et promeut aujourd’hui un modèle d’intégration qui permet à ses athlètes de bénéficier d’excellents conditions de préparation.

Corps 1

De nombreux sportifs italiens de haut niveau sont affiliés à l’institution militaire. Les raisons historiques de ce phénomène tiennent au fait que, depuis les guerres du Risorgimento [NDLR : ensemble des événements qui, au XIXe siècle, permettent à l'Italie de réaliser son unité] et plus encore depuis la Grande Guerre, les sportifs ont toujours été recherchés pour leurs qualités d'excellents soldats.

Après la Seconde Guerre mondiale, l'armée s’intéresse plus particulièrement au noyau de sportifs d'élite qui, en raison de la conscription (obligatoire en Italie jusqu'en 2004), afflue dans ses rangs. En 1950, elle crée une section sportive militaire au sein du bureau d'instruction de l'état-major de l'armée et s’attache à résoudre les problèmes découlant inévitablement de la prise en charge d’athlètes de haut niveau. Elle parvient ainsi, dès 1954, à la signature d'un accord entre l'instance sportive suprême et le ministère de la Défense, pour un engagement clair en faveur de la prépa- ration à la compétition des meilleurs jeunes sportifs italiens. Un accord qui consiste en la protection que les deux organismes, chacun de leur côté, offrent aux athlètes « d'intérêt national évident », afin qu'ils continuent à participer aux compétitions pendant les mois qu'ils passent dans les casernes. C'est dans ce contexte que le Centre sportif de l'armée (Centro sportivo esercito) est créé en 1960, année olympique. L’intégration, par le biais du service militaire, de sportifs déjà accomplis impliquait en effet de ne pas interrompre leur mise en forme pendant les 15 puis 12 mois de leur service. C'est la raison principale de la création de trois « pelotons spéciaux d'athlètes » dans les années 1960, le ministère de la Défense mettant l'accent sur les aspects compétitifs susceptibles d'apporter médailles et notoriété à l'Italie et à ses forces armées.

Pour se faire une idée de l'importance du secteur sportif de l'armée dans l'histoire du sport italien, il suffit de mentionner le caractère prolifique de la section de boxe de la Scuola militare di educazione fisica (SMEF) [NDLR : École militaire d'éducation physique] d'Orvieto ou de la section de pentathlon moderne du Centre équestre préolympique militaire de Montelibretti (Rome). En ce qui concerne la boxe, presque toutes les médailles italiennes aux Jeux olympiques de Rome en 1960 proviennent de l'armée, du groupe qui s'entraîne à Orvieto avec le champion et ancien bersagliere [NDLR : corps d'infanterie] Natalino Rea. Il s'agit de champions tels que Francesco Musso, bersaglier, Franco De Piccoli, artilleur blindé, médaillés d'or respectivement en poids plume et en poids lourd, puis des médaillés d'argent Primo Zamparini, fantassin, et Carmelo Bossi, artilleur. En équitation, le couple des frères D'Inzeo est célèbre, Piero, capitaine de cavalerie, obtenant la médaille d'argent tandis que Raimondo, officier des carabiniers, remporte l'or dans le Grand Prix de saut d'obstacles. L'armée remporte également des médailles chez les cyclistes, une médaille d'or dans l'épreuve du 100 km par équipe avec le grenadier Livio Benito Trapè et le fantassin Antonio Bailetti, ainsi qu'une médaille d'argent pour Trapè sur la route.

En athlétisme, de célèbres sportifs se sont entraînés dans le centre romain de la caserne Cecchignola. Celle-ci porte le nom de Silvano Abba, champion olympique de pentathlon moderne à Berlin en 1936, mort pendant la Seconde Guerre mondiale en URSS. Les premiers noms à retenir sont ceux qui apparaissent dans les premières années. Il s'agit de Roberto Frinolli, recordman du 400 haies, champion d'Europe en 1966 et six fois champion national, d'Eddy Ottoz, également double champion d'Europe du 110 mètres haies et médaillé de bronze aux Jeux de Mexico, et de Sergio Ottolina, « troisième fleuron » de la Compagnia Atleti [NDLR : Compagnie des athlètes], champion national et d'Europe du 200 mètres à la même époque.

En 1960, la IIe Compagnie des athlètes spéciaux est également créée à Naples, qui donnera d'illustres champions au rugby et au volley-ball italiens.

La IIIe Compagnie d'athlètes spéciaux de Bologne, créée en 1962, nous donne l'occasion de nous attarder sur le football, l'une des spécialités sportives les plus populaires. Cette troisième compagnie a pour mission non seulement de « réunir et sauvegarder un patrimoine sportif d'intérêt national évident », mais aussi d'éviter que les autres départe- ments d'athlètes ne soient perturbés par des « interférences extérieures de diverses natures », car les footballeurs attirent toujours des foules de spectateurs et de supporters sur les terrains et dans leurs environs.

C'est ainsi que des footballeurs célèbres comme Gianni Rivera, Giovanni Trapattoni qui allait diriger l'équipe nationale de football, Mario Corso, Giacinto Facchetti, Enrico Albertosi, Paolo Rossi, Giuseppe Bergomi, Paolo Maldini, Gianluca Vialli et bien d'autres, sont passés par la caserne « Masini » de Bologne.

Les champions militaires continuent à apporter des médailles jusqu'à aujourd'hui. Après Claus Di Biasi en plongée et Mauro Sarmiento en taekwondo, on peut citer les tout récents champions de plongée et de natation qualifiés pour les Jeux de Paris 2024, le chef diplômé Giovanni Tocci et la gymnaste caporal Vanessa Ferrari, par ailleurs médaillée d'argent à Tokyo 2021.

Depuis 1998, tous les athlètes de l'armée de terre ont été transférés au bataillon des athlètes à Rome, où a été créé en 2000 le centre d'entraînement gymnastique-sport de l'armée de terre, siège du secteur éducation-formation hérité du SMEF d'Orvieto, fermé depuis une dizaine d'années. La fin du service militaire obligatoire, tout en bloquant l'afflux de footballeurs dans les rangs de l'armée, entraîne une augmentation de l'afflux d’autres spécialités sportives, le Centre de Rome étant reconnu comme un laboratoire d'entraînement technique de haut niveau. Depuis 2008, le centre a été transformé en Centre des sports olympiques de l'armée. Les installations sportives ont été agrandies et améliorées pour répondre aux normes internationales. Un centre de physiothérapie a également été mis en place pour la rééducation et les soins des athlètes. Ceux-ci sont rémunérés et peuvent poursuivre leur carrière militaire à l'issue de leur carrière sportive, tandis que l'armée gagne en prestige et en notoriété grâce aux succès remportés. Cette formule a toujours assuré la renommée du système sportif militaire en Italie.