Quand s’achèvent les combats sur le front occidental ?

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Par Gilles Ferragu, chercheur au Service Historique de la Défense (Vincennes - DREE)

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Le 7 mai 1945, l’Allemagne nazie signait la reddition sans conditions avec les Alliés. © Collection La Documentation Française / ECPAD / Défense

Le lundi 7 mai 1945, à Reims, à 2h41 du matin, après d'âpres discussions, le général Jodl, plénipotentiaire allemand, accepte de signer la reddition totale, sans condition et simultanée des forces allemandes des fronts de l'Ouest et de l'Est. Exceptées les indications techniques, les traductions et une brève déclaration de la délégation allemande, la cérémonie de signature se déroule dans un silence pesant. La guerre est finie, mais on ne commémore la paix que le 8, voire le 9 mai en Russie. Le 7 mai 1945 fut-il donc le dernier jour de la guerre en Europe ?

Corps 1

 

Pour comprendre ce décalage temporel singulier, il faut revenir quelques jours en arrière, aux alentours du 5 mai 1945. À cette date, l’effondrement militaire allemand est acté, symboliquement marqué par le suicide de Hitler, le 30 avril, et l’entrée des troupes soviétiques dans Berlin, le 2 mai. Les Alliés ont obtenu les redditions partielles des différentes armées allemandes stationnées sur le flanc Nord-Ouest du territoire de l’Allemagne, ainsi qu’en Italie et aux Pays Bas. L'amiral Karl Dönitz, qui dirige le gouvernement provisoire allemand, envoie à Reims le 5 mai 1945 l'amiral von Friedeburg et le colonel Poleck pour ouvrir des pourparlers avec le général Eisenhower. L’OKW (Oberkommando der Wehrmacht), le commandement militaire allemand, lui offre la reddition des troupes qui se battent sur son théâtre d’opération. Mais le commandant suprême des forces alliées en Europe refuse, exigeant une capitulation globale.

À Reims se joue alors un épisode décisif, mais aussi significatif des rapports interalliés.

Libérée le 30 août 1944, la ville de Reims est une place stratégique majeure, proche du front et dotée de nombreuses infrastructures de communication. Elle abrite l’un des quartiers-généraux avancés du Commandement suprême des Forces alliées expéditionnaires (Supreme Headquarters Allied Expeditionary Forces– SHAEF), installé depuis février 1945 dans une partie des bâtiments du collège moderne et technique. Suite au refus d’Eisenhower d’une reddition partielle, Dönitz dépêche le 6 mai à Reims, le général Jodl, son chef d'état-major, en dernier ressort. L’Allemagne est résignée à capituler pleinement et sans condition sur tous les fronts. Il s’agit désormais de faire cesser les hostilités au plus vite, afin d’épargner les vies qui peuvent l’être. Le soir du 6 mai, Eisenhower déclenche l'opération Jackplane, consistant à faire discrètement venir à son quartier général rémois plusieurs correspondants de guerre triés sur le volet (reporters, photographes et cameramen du Signal Corps américain et de la British Paramount News) pour couvrir la capitulation de l'Allemagne nazie.

 

Le général Jodl signant l'acte de reddition des forces armées allemandes du IIIe Reich, le 7 mai 1945, à Reims. © Musée de la Reddition

Le général Jodl signant l'acte de reddition des forces armées allemandes du IIIe Reich, le 7 mai 1945, à Reims. 
© Musée de la Reddition

 

Deux cérémonies distinctes de la capitulation allemande se déroulent les 7 et 8 mai 1945. La première est à l’initiative des Alliés occidentaux, signée à Reims dans la fameuse War Room, la « salle des cartes » du SHAEF (conservée en l’état au sein du musée de la Reddition du 7 mai 1945) le 7 mai. La fin des hostilités est officiellement fixée au lendemain 8 mai 1945, à 23h01. La délégation allemande est dirigée par le général Jodl (chef des opérations de l’armée allemande), le commandement allié est représenté par le général Bedell-Smith (chef d’état-major du commandant suprême Eisenhower, lequel a décidé de ne pas viser le document et est resté dans son bureau), les Français par le général Sevez (sous-chef d’état-major de la Défense nationale et second du général Juin) et les Soviétiques par le général Sousloparov (représentant du haut commandement soviétique auprès du SHAEF). Ce dernier signe le document de capitulation, même s’il n’a pas reçu à temps de Moscou la conduite à tenir – Staline s’oppose à la signature, notamment car le document, rédigé par le général Bedell-Smith, n’est pas conforme au projet élaboré par les Alliés en juillet 1944; il a néanmoins obtenu de prévoir la possibilité de procéder à une seconde signature, si l’une des parties alliées l’exige – ce que demande immédiatement Staline.

À 2h59 du matin, Eisenhower enregistre dans la War Room, sous les drapeaux américains, britanniques et soviétiques, son discours de la Victoire destiné aux actualités cinématographiques. Le message classifié envoyé aux chefs militaires alliés est laconique « The mission of this allied Forces was fulfilled at 0241, local time 7 th. May 1945 ». Peu avant 4 heures du matin, il enregistre le discours de la victoire : « Je pense qu’il est particulièrement symbolique que la reddition ait été signée au cœur de la France. », et se fait prendre en photo, souriant, tenant en mains les stylos de la signature et faisant le V de la victoire. Le discours, ainsi que les photographies, ne sont cependant pas publiés dans la foulée, Eisenhower venant de recevoir l’ordre de garder secrète la nouvelle jusqu’au lendemain, mardi 8 août 1945, afin de la rendre publique, conjointement avec les Soviétiques. Pourtant, à Reims, la rumeur se répand dans les artères de la ville. À midi, la foule se presse devant cette « salle de la reddition » dans l’espoir d’apercevoir Eisenhower. Cependant, et du fait d’une indiscrétion de la presse, Le monde occidental est informé de l’événement grâce au journaliste Edward Kennedy qui choisit d’outrepasser les consignes de discrétion. La révélation est fixée provisoirement au 8 mai à 15h. Elle correspond à la décision des différents chefs d'État d'annoncer simultanément la victoire des alliés sur le régime nazi. À Reims, à 15H30, le bourdon de la cathédrale des Sacres se met à sonner pour confirmer la nouvelle.

 

Stylo utilisé par le général de Lattre le 8 mai 1945 à Berlin, pour apposer sa signature sur l'acte de capitulation de l'Allemagne. © Musée de l'Armée, Paris

Stylo utilisé par le général de Lattre le 8 mai 1945 à Berlin, pour apposer sa signature sur l'acte de capitulation de l'Allemagne. 
© Musée de l'Armée, Paris

 

La seconde signature a donc lieu à Berlin le 8 mai 1945, à l’initiative des Soviétiques. Le général Sousloparov est de nouveau présent, l’Allemagne est représentée par le maréchal Keitel, chef d’état-major de l’armée allemande, les Anglais par le général Tedder, les Américains par le général Spaatz et la France par le général de Lattre de Tassigny (en seule qualité de témoin). Signée en fin de soirée, cette seconde signature s’aligne sur l’horaire de capitulation prévu la veille à Reims (8 mai à 23h01). Le décalage horaire avec Moscou étant de deux heures avec Berlin, l’entrée en vigueur du cessez-le-feu est officialisée le 9 mai 1945 à 01h01. Ceci explique que les commémorations de l’URSS puis de la Fédération de Russie se déroulent uniquement le 9 mai. 

La guerre est finie, la paix peut enfin régner, lourde de nouvelles menaces.

07/05/2025 - SGA/DMCA/BAPIM