Mémorial de Chartres

Sous-titre
Entretien avec Gérard Valin

Partager :

Couverture de l’ouvrage Mémorial de Chartres : le drame de 1940 en noirs et blancs. © Éditions L’Harmattan

Membre du comité scientifique de la revue Allemagne d’Aujourd’hui, Gérard Valin présente ici une pièce de théâtre dont il est l’auteur. Ce drame en 10 tableaux fait intervenir cinq hommes et une femme qui mettent en scène un récit inspiré d’archives militaires, de discours officiels et de rapports d’unités combattantes. Les faits évoquent pourtant un drame peu connu du second conflit mondial.

 

Corps 1

GV-Bréhat

Gérard Valin. © Droits réservés

 

Que raconte cette pièce ?

Le 13 juin 1963, près de Chartres, quatre anciens combattants de la Seconde Guerre mondiale se retrouvent inopinément pour célébrer la mémoire de l’abbé Franz Stock, "l’aumônier de l’enfer". Leur rencontre a lieu dans l’ancien camp militaire du Coudray-Morancez, où Franz Stock avait organisé le "séminaire des barbelés" ; plusieurs centaines de futurs prêtres catholiques allemands y ont été prisonniers de 1945 à 1947. Ce jour-là, les cendres du Père Franz Stock, qui avait accompagné les Français condamnés à mort par les nazis et fusillés au Mont-Valérien, sont transférées du cimetière de Thiais à l’église Saint-Jean Baptiste de Rechèvres. Franz Stock, recteur de la mission catholique allemande pendant la Seconde Guerre mondiale, avait été, à sa demande, nommé visiteur des prisons de la Santé, de Fresnes et du Cherche-Midi. Le lieutenant Pierre et le sergent-chef Kao-Bao du 26ème RTS (Régiment de Tirailleurs Sénégalais) réalisent qu’ils prennent le café avec leurs adversaires des 16 et 17 juin 1940 : le Major Reutlingen et l’Oberfeldwebel Schmidt. Ces anciens combattants en viennent à parler des affrontements meurtriers du 26ème RTS avec la première division de cavalerie ("KD 1") du général Kurt Feldt, unité de la 4ème armée du generaloberst von Kluge. Ces combats ont causé la mort, l’envoi en "Frontstalag" ou la "disparition" de 600 hommes de ce régiment colonial.

Quelles raisons ont présidé au choix de ce sujet ?

Un double hasard. J’ai découvert le rapport du lieutenant Pierre (2ème bataillon, 5ème compagnie, en charge de la 4ème section), relatant ces combats devant Chartres, dans des archives familiales. Je l’ai déposé au musée des troupes coloniales de Fréjus : c’était le dernier rapport manquant. La même année, l’association des Amis de l’abbé Franz Stock m’a demandé d’assurer sa présidence à Paris. J’ai alors fait le lien entre le drame vécu par Jean Moulin, préfet d’Eure-et-Loir, et les combats du 26ème RTS près de Chartres. Le général Feldt exigeait que le préfet reconnaisse les crimes supposés des troupes coloniales sur des victimes civiles à La Taye. Jean Moulin a refusé ce mensonge (Premiers combats-Journal posthume publié par sa soeur Laure), a été emprisonné avec un tirailleur du 26ème RTS pendant la nuit du 17 juin et a tenté de se suicider. Bénédicte Vergez-Chaignon relate cet épisode dans son livre : Jean Moulin, l’affranchi. Sur ordre du Général Kurt Feldt, les officiers de ces "sauvages noirs" devaient être fusillés. La « schwarze Schande », la "honte noire", a été évoquée par les historiens : Mme Levisse-Touzé (La campagne de 1940-collectif), MM. Chapoutot (Des soldats noirs face au Reich - Les massacres racistes de 1940), Le Naour (La honte noire), Lormier (Comme des lions), Schek (Une saison noire-Les massacres des tirailleurs sénégalais, mai-juin 1940), Fargettas (Les tirailleurs sénégalais. Les soldats noirs entre légende et réalité 1939-1945). L’excellent travail de M. François mérite une mention particulière (La guerre de 1939-40 en Eure-et-Loir - 4 T.).

 

 Franz Stock

Portrait de Franz Stock. © Association les Amis de Franz Stock

 

La Wehrmacht véhiculait les ressentiments liés à l’occupation de la Ruhr par les troupes coloniales en 1923-25. Les soldats allemands subissaient une intense propagande nazie contre les noirs. Ils étaient accompagnés par les compagnies de propagande de Goebbels. Les Tirailleurs et leurs officiers redoutaient, à juste titre, le sort qui leur serait réservé à l’issue des combats qu’avaient ordonnés le général Gransard (Xème Corps d’Armée), le général Gillier (VIIIème DLIC) et le colonel Perretier (26ème RTS). Ces coloniaux ont poursuivi la lutte sur le Cher et la Loire et n’étaient plus qu’un cinquième des effectifs le 25 juin. Le 17 juin à 12h le maréchal Pétain, qui succédait à Paul Reynaud, avait pourtant annoncé la fin des combats en accord avec son ministre de la guerre, Maxime Weygand. Ce même jour, de Gaulle arrivait à Londres et rencontrait Churchill. Le lieutenant Pierre, fait prisonnier avec les survivants de sa section le 18 juin, à 1 km de La Taye, réussit une périlleuse évasion grâce à la famille Gérard de Fontaine-les-Côteaux. Ce 18 juin, l’amiral Cadart embarquait 2 000 tonnes d’or de la Banque de France à Brest à destination de Dakar, la veille de l’arrivée des troupes allemandes…

Quels sont les publics visés ?

Les publics concernés par l’histoire de la Seconde Guerre mondiale y retrouveront leurs centres d’intérêt. Les jeunes générations sont peu informées de ces événements dramatiques. J’ai donc écrit des "tableaux" qui peuvent être joués sans formation d’acteurs. Les troupes de théâtre peuvent adapter cette pièce conçue pour les divers âges, du collège au lycée.

J’exprime ma reconnaissance aux membres chartrains de l’association Franz Stock qui organisent des visites du camp du Coudray-Morancez pour les scolaires de tous les pays d’Europe, à commencer par les Allemands et les Français. Les fresques peintes par Franz Stock dans le local qui servait de chapelle ont été restaurées par les associations de Chartres, Neheim (diocèse de Paderborn) et Paris. L’oeuvre de réconciliation de Franz Stock, au pied de Notre-Dame de Chartres, est ainsi mise à la portée de tous.

Les pays d’origine des Tirailleurs comprennent les territoires de l’Afrique Occidentale française et Afrique Équatoriale française. Un vibrant hommage est rendu aux combattants de la campagne de France et ce témoignage de leur bravoure s’adresse aujourd’hui à leurs familles, à leurs descendants et à leurs pays. Je serais ravi si cette pièce figurait un jour dans le programme du festival-off d’Avignon, ma ville natale, haut-lieu d’échange des cultures.

 

mémorial Chartres

Couverture de l’ouvrage Mémorial de Chartres : le drame de 1940 en noirs et blancs. © Éditions L’Harmattan

 

Quelles sont les intentions et la vocation de cette pièce ?

Je propose d’explorer les voies difficiles de la réconciliation entre les pays et les hommes qui se sont combattus. Le pardon échangé ne saurait se réaliser dans l’oubli des drames vécus de part et d’autre. C’est ce qu’exprime magnifiquement le discours d’adieu de Franz Stock lorsque le "séminaire des barbelés" a fermé ses portes en 1947. Le général de Gaulle avait repris ce message d’espoir en 1962 à Ludwigsburg, avant de signer le traité d’amitié franco-allemand de l’Elysée avec le chancelier Adenauer en janvier 1963. La pièce illustre une démarche éprouvante mais nécessaire, en incarnant diverses attitudes de pardon réciproque, avec ses succès et ses échecs, chez ces quatre combattants de 1940. L’issue de la pièce suggère qu’hésitations, doutes et refus, jalonnent ce chemin ardu. Les efforts pour dépasser les antagonismes exigent courage, générosité et lucidité réciproque. Cette réconciliation entre des frères ennemis doit, à mon avis, être considérée comme un modèle que l’on a tendance à négliger à une époque où s’exacerbent les tensions et les volontés hégémoniques sur tous les continents.

Ces retours vers la fraternité ont été relayés par Edmond Michelet, le nonce Roncalli, futur Jean XXIII, ou Robert Schuman, pour ne citer que trois grandes figures de la génération de la guerre. De nouveaux acteurs de paix se manifestent, encore et toujours, de par le monde : espérons qu’ils seront écoutés en temps utile pour relever les défis des temps présents.

Avez-vous l’ambition de faire jouer cette pièce outre-Rhin ?

Je m’en remets aux professionnels du théâtre. Laurent Contamin, ancien président des "Écrivains associés du théâtre" et auteur bien connu des deux côtés du Rhin, m’a aidé à formaliser ce projet. Grâce à lui, la pièce a été lue par des acteurs familiers de l’Odéon, le "théâtre de l’Europe". Je fais confiance aux associations des amis de l’abbé Franz Stock pour réunir des publics intéressés dans nos deux pays.

Pour aller plus loin, je traduirais volontiers la pièce en allemand avec l’accord de mon éditeur, L’Harmattan. Cependant, je donne aujourd’hui la priorité à l’achèvement d’un essai sur le célèbre écrivain Thomas Mann, Prix Nobel et grand réconciliateur des cultures contemporaines.

 

La rédaction