Sylvain Raynal

1867-1939

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Le Commandant Sylvain Eugène Raynal. Source : D.R.

Sylvain Eugène Raynal naît le 3 mars 1867 dans une famille protestante bordelaise d'artisans, dont il hérite le sens du travail et un profond patriotisme. Il intègre l'école de Saint-Maixent, après une scolarité au lycée d'Angoulême, qu'il quitte avec le même rang d'entrée, treizième. Il connaît ensuite une vie de garnison.

Nommé à l'état-major de Paris, il sert sous les ordre de Guillaumat . découvre ensuite l'Algérie au sein du 7e régiment de tirailleurs de Constantine, où il prend connaissance de l'entrée en guerre de la France à l'été 1914. Blessé à l'épaule par une balle de mitrailleuse en septembre 1914, et en décembre lors du bombardement de son poste de commandement, il est hospitalisé pendant dix mois avant de retourner au combat le 1er octobre 1915.

À la fin 1915, l'offensive allemande se concentre sur le secteur de Verdun sous la direction du Kronprinz, fils aîné du Kaiser. Un face à face de 300 jours qui donnera naissance à une geste militaire contemporaine : Bois des Caures, Froideterre, Mort-Homme, Douaumont, Fleury, etc., Vaux. Le 4 mars 1916, l'état-major germanique ordonne de réduire le verrou de Verdun et de foncer sur Paris.

Place avancée, le Fort de Vaux est défendu par les 300 hommes encore valides du 142e régiment d'infanterie commandés par Raynal du 96e R.I., s'étant porté volontaire pour servir à Verdun, alors qu'il achève une convalescence suite à une blessure de shrapnels qui lui vaut d'être promu officier de la Légion d'honneur. Entre le 2 et le 7 juin 1916, le commandant Sylvain Eugène Raynal résiste avec ses hommes aux attaques allemandes du 39e régiment d'infanterie. "L'héroïsme naît parfois dans les milieux les plus simples" (Fleuriot de Langle, dans Le Ruban Rouge)...

Isolé, il envoie le 4 juin son dernier pigeon voyageur (matricule 787-15) "Vaillant" porteur du message suivant : "Nous tenons toujours, mais nous subissons une attaque par les gaz et les fumées très dangereuses . il y a urgence à nous dégager. Faites-nous donner de suite communication optique par Souville qui ne répond pas à nos appels. C'est mon dernier pigeon. Raynal."

Sans réponse, manquant d'eau potable et dans l'impossibilité de voir sa position être dégagée par des renforts, le commandant et ses hommes finissent par se rendre. Amené devant le Kronprinz, il tend au prince héritier une baïonnette de simple soldat, son épée n'ayant pu être retrouvée dans les décombres du fort, lui disant : "Prince, cette arme vaut une épée d'officier", lequel lui apprend, à la suite de l'interception d'un message émanant de l'état-major français qu'il lui a été décerné la cravate rouge de l'ordre de la Légion d'Honneur. Son messager ayant accompli sa mission recevra le diplôme de la bague d'honneurs - le Musée de la Poste à Paris en conserve le corps de nos jours. Raynal prisonnier est détenu à Mayence du 11 juin 1916 jusqu'en novembre 1917, puis 3 mois à Stressburg sur la frontière Polonaise en Prusse Orientale, et enfin en Suisse, à Interlaken, à partir du 30 mars 1918 jusqu'à sa libération le 4 novembre.

Sylvain Eugène Raynal se retire après guerre au 36 de la rue Denfert-Rochereau à Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine) où il séjournera jusqu'à sa mort le 13 janvier 1939.

Une plaque y a été apposée en 1966 à l'occasion du cinquantenaire de la Bataille de Verdun.

 

Source : Mindef/SGA/DMPA

François Bazaine

1811-1888

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Portrait de François Achille BAZAINE.
Source : Wikipedia, libre de droit

Maréchal de France (Versailles, le 13 février 1811 - Madrid, le 23 septembre 1888)

 

Fils de Pierre Dominique et de Marie Madeleine Josèphe dite Mélanie Vasseur, François Achille Bazaine entre en 1831 dans l'armée à la suite d'un échec au concours d'entrée à l'école Polytechnique. Il sert dans la Légion étrangère en Algérie, puis combat de 1835 à 1838 en Espagne contre les carlistes, avant de revenir à Alger où il dirige le district de Tlemcen. Il devient colonel de la Légion en 1850.

Bazaine s'illustre lors de la guerre de Crimée. Son courage lui vaut d'être élevé au rang de général de division. Il commande les troupes françaises dans l'expédition de Kinburln en 1859, est blessé à Melgrano, et prend une part non négligeable lors de la bataille de Solférino, ce pour quoi il sera élevé à la dignité de Grand Croix de la Légion d'Honneur.

Membre du contingent de légionnaires au Mexique, de 1862 à 1867, il s'empare de Puebla en 1863, et finit par remplacer le général Foyer à la tête du corps expéditionnaire. Il contraint le président mexicain, Benito Juárez, à la clandestinité. Ses qualités de commandement reconnues, il devient maréchal en 1864.

Devenu veuf par le suicide de sa femme, il se remarie en 1865 avec une Mexicaine issue d'une riche famille proche du président déchu, qui l'incite à intriguer contre l'empereur Maximilien de Habsbourg. Face à l'intervention américaine, le corps expéditionnaire français est contraint de se retirer . Bazaine restera avec ses hommes jusqu'au terme du rembarquement à Vera Cruz en 1867.

Bien que disgracié par Napoléon III à son retour en France, sa grande popularité lui octroie en 1869 le commandement de la garde impériale et en 1870 celui du troisième corps de l'armée du Rhin. L'armée allemande, supérieure numériquement, mieux équipée et entraînée, déborde rapidement l'armée impériale. Suite à la défaite de Spicheren, Bazaine décide de tenir une position stratégique. Son expérience coloniale est cependant inefficace. Indécis et inquiet, le maréchal se laisse enfermer dans Metz (18 août) par Constantin von Alvensleben qui lance, deux jours durant, deux corps de troupe à l'assaut de la place. Les renforts demandés tardent à arriver. Tiraillé entre le devoir d'obéissance à une hiérarchie, différant sans cesse les décisions liées à un pouvoir dans lequel il ne croit plus, et celui de se ranger du côté de la puissance venue "libérer la France d'elle-même", Bazaine décide d'attendre l'armée de Châlons du maréchal Mac-Mahon. Apprenant la reddition de Napoléon III à Sedan (2 septembre), il tente de se poser en médiateur de la France, perdant son temps à négocier dans ce dessein avec l'impératrice Eugénie, avant d'être finalement contraint à la reddition sans conditions le 27 octobre 1870. Les Allemands feront prisonniers 140 000 hommes de l'armée du Rhin.

En 1873, il est jugé, après instruction du dossier par Séré de Rivière, par un conseil de guerre présidé par le duc d'Aumale, condamné à la dégradation militaire et à la peine de mort. Gracié par Mac-Mahon, alors président de la République, il est interné pour vingt ans à l'île Sainte-Marguerite, dont il s'évade dans la nuit du 9 au 10 août 1874. Il gagne ensuite l'Espagne et s'installe à Madrid où il reçoit les égard du gouvernement d'Alfonse XII.

Il profitera de ses dernières années de vie pour écrire Épisodes de la guerre de 1870 et blocus de Metz (1883), ouvrage justifiant son attitude.

 

Sources : Michel Mourre, Dictionnaire encyclopédique d'histoire, Paris, Bordas, 1996 (978) . Jean Tulard, Dictionnaire du Second Empire, Paris Fayard, 1995.

Honoré d' Estienne d'Orves

1901-1941

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Portrait d'Honoré d'Estienne d'Orves. Source : www.ordredelaliberation.fr

 

Le 30 août 1941, les Parisiens apprennent, par une affiche jaune bordée de noir placardée sur les murs, que la veille " Henri Louis Honoré, comte d'Estiennes d'Orves, Français, né le 5 juin 1901 à Verrières ", condamné à mort pour espionnage par le tribunal allemand, a été fusillé ainsi que Maurice Barlier et Jan Doornik.

D'Estienne d'Orves est issu d'une longue lignée nobiliaire : les d'Estienne, vieille famille d'origine provençale, côté paternel, et les Vilmorin, côté maternel, familles légitimistes attirées par le christianisme social.

Études et loisirs, répartis équitablement, trament une jeunesse heureuse : il passe son bac en 1917, prépare Polytechnique en 1921, sur fond de voyages en France et en Europe. A sa sortie de Polytechnique, en août 1923, où ses condisciples l'ont décrit comme un homme affable, un esprit curieux, spirituel, il décide de servir dans la Royale. En octobre 1923, il est élève à bord de la Jeanne d'Arc. Ses embarquements successifs vont chaque fois l'emmener vers de nouveaux horizons : Du Brésil à la Chine, du Maroc à Bali, les escales sont pour lui autant d'occasions d'apprendre, de tenter de comprendre les hommes et leurs cultures.

En 1929, il s'est marié avec Eliane de Lorgeril, elle-même issue de la vieille noblesse bretonne. De cette union vont naître 5 enfants. 1939 : La guerre éclate. Le lieutenant de vaisseau d'Estienne d'Orves se trouve affecté sur le Duquesne, à l'état-major de la Force X qui, sous les ordres de l'amiral Godfroy, doit renforcer la flotte britannique de l'amiral Cunningham en Méditerranée orientale.

L'Armistice intervient alors que les Français sont à Alexandrie : un accord tacite entre les amiraux français et anglais évite l'affrontement entre les alliés de la veille, mais les bateaux français sont immobilisés. Cette inaction prévisible et la conscience de jouir encore d'une certaine liberté de manoeuvre vont conduire d'Estienne d'Orves à poursuivre le combat. Cette décision n'est pas sans déchirement : il sait qu'il devra laisser au loin sa famille, sa terre natale . ses origines, son éducation, sa position militaire même, auraient pu l'inciter à rester dans le camp où vont se retrouver la majorité de ses amis. Pourtant, écrira-t-il, "En continuant la lutte, j'ai pensé que j'agissais conformément à nos traditions". Et, sous le pseudonyme de Château vieux (du nom de l'une de ses aïeules), il publie un communiqué de presse annonçant la création du 1er Groupe marin.

Au début de juillet 1940, d'Estienne d'Orves offre ses services au général Legentilhomme, commandant des troupes françaises à Djibouti, qui a annoncé son intention de repousser l'Armistice et d'entraîner avec lui la colonie. Avec quelques autres officiers et marins, il gagne Suez où il rencontre le colonel de Larminat qui vient de passer à la France Libre. Le 23 juillet, il débarque de l'Antenor à Aden pour apprendre que Legentilhomme a échoué dans son projet. D'Estienne d'Orves décide alors de rejoindre la Grande-Bretagne où des bâtiments français attendent des équipages.

Embarqués le 2 août 1940 sur un vieux cargo armé, le Jehangir, d'Estienne d'Orves et ses compagnons arrivent à Londres fin septembre à bord d'un paquebot, l'Arundel Castle, après une équipée le long des côtes africaines.

Il n'aura jamais la satisfaction de reprendre la mer sur une passerelle de commandement : le réarmement des bateaux se fait en effet très lentement et, de plus, il s'avère être l'un des seuls officiers des Forces Navales Françaises Libres à avoir fait l'école de guerre. Le 1er octobre 1940, il est promu capitaine de corvette . il se voit donc affecté au 2ème Bureau de l'état-major. La tâche primordiale du service de renseignements de la France Libre vise bien sûr le pays occupé : connaître le mouvement des troupes ennemies, l'emplacement des aérodromes, les positions des batteries ...

Plusieurs missions ont déjà été envoyées dans ce but sur les côtes françaises. Devenu l'adjoint du colonel Passy, chef du B.C.R.A, d'Estienne d'Orves jette les bases d'un réseau, "Nemrod". Le 6 septembre 1940, Maurice Barlier est le premier agent à gagner la France . Jan Doornick le suit le 1er octobre.

Mais d'Estienne d'Orves veut bientôt aller lui-même sur place pour coordonner l'action de ses hommes, nouer les contacts indispensables, recruter d'autres agents. C'est à ce moment qu'il prend la tête du service, Passy étant appelé temporairement à d'autres fonctions. Etait-il prudent d'envoyer déjà en France occupée le chef des services secrets ? Passy doute même qu'au fond, cet homme foncièrement droit, d'une nature confiante, soit fait pour l'action clandestine. Mais le général de Gaulle donne son accord : Le 21 décembre 1940, le chalutier " la Marie-Louise" part de Newlyn, en Cornouailles, avec à son bord d'Estienne d'Orves - devenu "Jean-Pierre" - et un jeune radio alsacien, Alfred Geissler dit "Marty", qui débarquent le soir même non loin de la Pointe du Raz, avant d'être hébergés à Chantenay, près de Nantes. Des contacts sont pris avec les membres de "Nemrod", à Lorient, à Nantes. Le 25 décembre, la première liaison radio entre la France occupée et Londres est établie. Barlier est chargé de prospecter la région bordelaise, d'Estienne d'Orves s'occupant du Nord et de la région parisienne. Le 27 décembre, ce dernier est à Paris où il rencontre des pionniers de la Résistance.

De Bretagne, "Marty" envoie régulièrement d'importants messages vers Londres. Il se montre toutefois curieusement buveur et bavard. "Jean-Pierre", de retour à Nantes le 19 janvier 1941, décide de le ramener avec lui en Angleterre.

Mais "Marty", fils d'un Alsacien pro-nazi, germanophile lui-même, aurait déjà contacté ce même jour le contre-espionnage allemand, donnant les noms des 34 membres du réseau. De fait, les arrestations se succèdent - d' Estienne d'Orves est arrêté dans la nuit du 21 au 22 janvier - alors que "Marty" émet jusqu'en février de faux messages vers Londres. Les prisonniers sont successivement transférés à Nantes -où ils subissent les premiers interrogatoires - à Angers, à Paris et à Berlin, avant d'être à nouveau incarcérés à Paris, le 26 février, dans la prison du Cherche-Midi.

Le 13 mai 1941 commence son procès et celui de 26 de ses compagnons. Il durera 12 jours. D'Estienne d'Orves couvre ses co-détenus. Les juges militaires vont prononcer 9 sentences de mort et des peines de prison, après avoir, fait notable, rendu hommage à l'adversaire. Des recours en grâce sont déposés.

Le sursis dont va bénéficier notamment d'Estienne d'Orves est diversement expliqué : certains y voient le désir de Von Stülpnagel, le commandant militaire en France, d'attendre une occasion spectaculaire pour frapper les esprits . d'autres rappellent que la condamnation provoqua une forte émotion dans la marine, à Londres mais aussi à Vichy, au point que l'amiral Darlan intervint auprès des autorités allemandes.

Dans la prison du Cherche-Midi, puis |f dans celle de Fresnes, d'Estienne d'Orves lit, médite, prie, commente les grands classiques littéraires, entretient le moral de ses co-détenus. Surtout, il écrit. Son journal est un témoignage, presque au v-i sens religieux du terme : il raconte aux siens son enfance, leur laissant l'exemple d'un chrétien et d'un soldat. Périodes d'espoirs et de déceptions se succèdent au fil des jours. Son avocat, l'Oberleutnant Mörner, paraît confiant. Le 21 août 1941, l'aspirant Moser, de la Kriegsmarine, est abattu à Paris, dans la station de métro Barbès-Rochechouart. Le 22, le général Schaumburg, commandant du "Gross Paris", signe une ordonnance transformant désormais les Français arrêtés en otages. Parallèlement, le commandant militaire en France, Von Stülpnagel, a sans doute trouvé l'occasion de faire un exemple en exécutant des prisonniers déjà condamnés à mort.

Le 28 août 1941, d'Estienne d'Orves écrit à sa soeur, parlant de la France, " je meurs (...) pour sa liberté entière, j'espère que mon sacrifice lui servira".

"Que personne ne songe à me venger. Je ne désire que la paix dans la grandeur retrouvée de la France. Dites bien à tous que je meurs pour elle, pour sa liberté entière, et que j'espère que mon sacrifice lui servira. Je vous embrasse tous avec mon infinie tendresse.

Honoré"

Le lendemain, d'Estienne d'Orves, Barlier et Doornik - leurs 6 compagnons ont été graciés - sont emmenés au fort du Mont-Valérien.

C'est un matin ensoleillé. Devant poteau d'exécution, l'officier de marine se montre égal à lui-même, pardonnant publiquement à ses juges. Il avait écrit : " N'ayez à cause de moi de haine pour personne, chacun a fait son devoir pour sa propre patrie. Apprenez au contraire à connaitre et à comprendre mieux le caractère des peuples voisins de la France". A 6h30, les trois hommes sont fusillés.

D'Estienne d'Orves plaçait très haut le devoir d'obéir : II choisit pourtant de désobéir à ses supérieurs hiérarchiques au nom d'un idéal alors qu'il aurait pu trouver aisément sa place dans la France du maréchal Pétain. Jamais il ne l'envisagea, persuadé qu'un combat n'est jamais vraiment perdu tant qu'il subsiste la possibilité d'une action libre. Le 11 mars 1943, Aragon faisait paraitre son poème "La Rose et le Réséda" qui évoque le combat commun de "celui qui croyait au ciel et celui qui n'y croyait pas". D'Estienne d'Orves était le premier.

 

Source : Mindef/SGA/DMPA

Théodose Morel

1915-1944

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Portrait de Théodose Morel alias "Tom". Source : http://www.ordredelaliberation.fr

Théodose Morel, dit "Tom"

 

Issu, par son père, d'une vieille famille lyonnaise d'industriels de la soierie et, par sa mère, d'une famille d'officiers et de juristes savoyards, Théodose Morel voit le jour le 1er août 1915, à Lyon.

Après des études primaires secondaires chez les Pères Jésuites, il choisit le métier des armes et prépare, de 1933 à 1935, le concours de l'Ecole spéciale militaire de Saint-Cyr à l'école Sainte Geneviève de Versailles. Admis à l'ESM en 1935 (promotion Lyautey), son rang de sortie, deux ans plus tard, lui permet de choisir son affectation : le 27e Bataillon de Chasseurs Alpins (27e BCA), à Annecy où il arrive le 1er octobre 1937, jour de sa nomination au grade de sous-lieutenant.

Formé comme éclaireur-skieur à Chamonix, Théodose Morel, qui épouse en novembre 1938 Marie-Germaine Lamy, devient officier adjoint au commandant de la section d'éclaireurs-skieurs à Abondance avant d'en prendre lui-même la tête.

En mai 1939, sa section gagne la Savoie et la frontière italienne. Elle est en poste au-dessus de Val d'Isère.

Le 21 septembre il est promu lieutenant et, alors que le 27e BCA part pour le front de l'Est, sa section, à son grand regret, reste sur place pour la garde des frontières.

Ce qui ne l'empêche pas de se distinguer, du 12 au 20 juin face aux troupes alpines italiennes . par une manoeuvre habile mais risquée, avec un de ses chasseurs, il réussit au cours d'une reconnaissance à faire quatre prisonniers.

Blessé par balle au bras droit le 18 juin, il continue néanmoins le combat avec ses chasseurs . il reçoit la croix de guerre.

Les 21 et 22 juin 1940, appelé en renfort avec sa section près du col du Petit Saint-Bernard, il parvient à localiser les forces adverses permettant à l'artillerie d'effectuer un tir d'arrêt qui contraint l'ennemi à se replier. Le lieutenant Morel reçoit une seconde citation et la croix de la Légion d'Honneur.

Il sert ensuite dans l'armée d'armistice à Annecy où le commandant Vallette d'Osia a pris le commandement du 27e BCA tout en préparant son unité à la revanche.

En août 1941, le lieutenant Morel est nommé instructeur à Saint-Cyr, repliée à Aix-en-Provence, et c'est dans l'esprit de la reprise du combat qu'il oriente et instruit ses élèves.

Après l'invasion de la zone sud par les Allemands en novembre 1942 et la démobilisation de l'armée d'armistice, il entre dans la Résistance de Haute-Savoie et dans la clandestinité sous le couvert d'une entreprise de tissage.

Retrouvant Vallette d'Osia, qui commande l'Armée Secrète (AS) du département, et le capitaine Anjot du 27e BCA, il s'attache à mettre sur pied l'AS de Haute-Savoie, que l'instauration du Service du Travail Obligatoire (STO) en février 1943 va contribuer involontairement à alimenter.

Avec l'arrestation de Vallette d'Osia en septembre 1943 par les Allemands, qui ont remplacé les Italiens, puis son évasion pour l'Angleterre, l'AS de Haute-Savoie perd son chef. Il est remplacé par Henri Romans-Petit, chef de l'AS de l'Ain. Morel redouble d'activité, sa famille échappe de peu à l'arrestation.

À la fin du mois de janvier 1944, le lieutenant Théodose Morel, alias Tom, reçoit de Henri Romans-Petit le commandement des maquis de Haute-Savoie et la mission de réceptionner les parachutages sur le plateau des Glières à 1500 mètres d'altitude et à une quinzaine de kilomètres d'Annecy. Les actions de résistance et de sabotage se multiplient, la loi martiale est décrétée dans le département. Tom décide alors le regroupement de 120 maquisards aux Glières. Deux compagnies sont constituées.

À partir de février, et pendant six semaines, les accrochages se multiplient avec les Gardes Mobiles de Réserve (GMR) qui ceinturent le plateau sur lequel se trouvent, à la fin du mois de février, plus de 300 hommes formant trois compagnies.

Tom organise énergiquement, avec les moyens dont il dispose, la défense du site des Glières et instruit son bataillon pour en faire une unité forte et homogène, en vue des combats de la libération. Sous son impulsion, le bataillon - qui a adopté la devise "vivre libre ou mourir" - regroupe des membres de l'AS mais aussi des Franc-Tireurs et Partisans (FTP) et plusieurs dizaines de Républicains espagnols, réussissant l'amalgame entre les différentes branches armées de la résistance savoyarde.

Un premier parachutage de 54 containers permet de les équiper en armes légères.

Le 2 mars, il décide une opération contre l'Hôtel Beau séjour à Saint Jean de Sixt, où sont cantonnés les GMR. Trente d'entre eux sont faits prisonniers, monnaie d'échange en contrepartie de la libération de Michel Fournier, un étudiant en médecine, infirmier du maquis, arrêté au Grand Bornand quelques jours auparavant. Mais, malgré l'accord sur l'honneur de l'intendant de police Lelong d'Annecy, celui-ci reste détenu.

Le 5 mars, les Glières connaissent leur second parachutage de 30 containers. Pour obliger Lelong à respecter sa promesse et sur des renseignements précis, Tom décide alors de mener, dans la nuit du 9 mars 1944, contre le P.C. des GMR à Entremont, une opération importante dans laquelle il engage une centaine d'hommes. Il se réserve l'objectif principal : l'attaque de l'Hôtel de France, siège de l'Etat-major des forces de l'ordre. La section des éclaireurs-skieurs parvient à pénétrer à l'intérieur, au prix d'un combat acharné.

Au moment où les chasseurs désarment leurs prisonniers, le commandant Lefèvre, chef des GMR, sort de sa poche une arme restée cachée et tire lâchement à bout portant sur Tom Morel qui s'effondre, touché au coeur, avant d'être lui-même abattu.

Le lieutenant Théodose Morel est enterré par ses camarades, sur le plateau des Glières, le 13 mars. Le 2 mai 1944, son corps est descendu dans la vallée. Il est aujourd'hui inhumé au cimetière Militaire de Morette, aujourd'hui Nécropole Nationale des Glières, en Haute-Savoie.

  • Chevalier de la Légion d'Honneur
  • Compagnon de la Libération - décret du 20 novembre 1944
  • Croix de Guerre 1939-1945 (2 citations)

 

Source : http://www.ordredelaliberation.fr

Jean Rosenthal

1906-1993

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Portait de Jean Rosenthal. Source : www.ordredelaliberation.fr

 

Jean Rosenthal est né le 5 septembre 1906 à Paris dans le 1er arrondissement. Son père était marchand de pierres précieuses. Il fait ses études secondaires à l'Ecole Alsacienne, passe le baccalauréat et obtient une licence en droit.

En octobre 1925, il s'engage par devancement d'appel au titre du 1er Groupe d'Ouvriers d'Aéronautique. Nommé caporal en juin 1926, puis sergent en novembre, il est libéré en mai 1927.

Il travaille ensuite avec son père dans la joaillerie avant de se mettre à son compte, en 1935.

Mobilisé en septembre 1939 comme lieutenant de réserve, Jean Rosenthal est affecté à la 8ème Escadre aérienne. Démobilisé en juillet 1940, il réside dès lors dans sa maison familiale de Megève.

En décembre 1942, il décide de s'évader de France par l'Espagne . arrêté, il est incarcéré une quinzaine de jours à la prison de Pampelune puis, par Madrid et Lisbonne, il réussit à gagner la Grande-Bretagne le 23 janvier 1943.

Affecté en février 1943 comme lieutenant à la Force "L", il est dirigé sur Le Caire via Freetown et Lagos. Il rejoint Tripoli et les forces du général Leclerc le 25 mars 1943 . lieutenant de chars, il est envoyé en mission à Londres par le général Leclerc en juillet 1943.

Le 1er septembre 1943, il est incorporé au Bureau Central de Renseignements et d'Action (BCRA) et, après un bref stage d'instruction, se porte volontaire pour une mission en France occupée.

Dans la nuit du 21 au 22 septembre 1943, dans le cadre de la mission "Musc", il est déposé par opération aérienne sur le terrain "Junot" au carrefour des départements du Rhône, de l'Ain et de la Saône-et-Loire avec le colonel britannique Richard Heslop (alias "Xavier") du Special Opération Executive (SOE). Leur mission consiste à évaluer la situation des maquis de Haute-Savoie, leur besoin en armement et en ravitaillement, l'importance de leurs effectifs et leur niveau d'instruction. Il font la tournée des maquis pendant laquelle le capitaine Jean Rosenthal sous le nom de "Cantinier" installe un poste radio dans la gendarmerie de Megève.

Revenu à Londres par opération aérienne dans la nuit du 16 au 17 octobre afin de rendre compte directement au général de Gaulle, "Cantinier" se voit immédiatement confier une seconde mission. Il est désormais délégué de la France Libre et est déposé dans le Jura, sur le terrain "Orion", près de Bletterans, dans la nuit du 18 au 19 octobre, avec Xavier, le capitaine radio américain Denis O. Johnson dit Paul et Elisabeth Reynolds, agent de liaison. Il s'installe en Haute-Savoie dans la clandestinité. Dans son équipe figure notamment sa cousine Micheline Rosenthal dite Michette, âgée de seize ans, qui devient agent de liaison.

En compagnie de Bourgès-Maunoury, il rencontre Chaban-Delmas, mais surtout, précédant la mise en place des FFI, il négocie un accord avec les FTP. A Paris, il rencontre leur chef, Charles Tillon, et un gentleman agreement est conclu. Cantinier va pouvoir se consacrer aux grandes manoeuvres des Glières.

Il mène début 1944, en liaison avec les chefs des différents maquis, des missions périlleuses et notamment la délicate opération de sabotage des usines de roulements à bille Schmidt-Ross à Annecy qui interrompt la production de l'usine pendant plusieurs mois. Il organise également en février plusieurs parachutages sur le maquis des Glières.

Présent le 9 mars 1944 lors de l'expédition contre la garnison des GMR à Entremont au cours de laquelle Tom Morel est abattu, il participe à la défense du plateau des Glières et, après l'ordre de repli donné au maquis le 26 mars 1944, s'attache à préparer la libération de la Haute-Savoie.

Le 3 mai 1944, Jean Rosenthal retourne à Londres pour prendre des instructions et repart une nouvelle fois pour la France. Il est parachuté dans la nuit du 7 au 8 juin 1944, à Cluny en Saône-et-Loire, en compagnie de Maurice Bourgès-Maunoury et Paul Rivière, pour assurer la liaison entre les maquis et l'État-major interallié.

En août 1944, sous sa direction, les maquisards de Haute-Savoie libèrent le département, capturent 3 000 prisonniers et un important matériel de guerre . le 19 août 1944, il reçoit, à la préfecture de Haute-Savoie, en compagnie du Chef Régional FFI Nizier, la capitulation des forces allemandes commandées par le général Oberg.

En octobre 1944, Jean Rosenthal est muté à la Direction Générale des Etudes et Recheches (DGER) à Paris puis il se porte volontaire pour servir en Extrême-Orient contre les Japonais . il part de Londres en avril 1945 pour Calcutta où il est l'adjoint du chef de base . promu au grade de chef de bataillon, il prépare les parachutages et obtient des équipes de parachutistes de brillants résultats. Après plusieurs aller et retours à Paris, il rentre définitivement en mars 1946 et est démobilisé deux mois plus tard.

Dès lors, Jean Rosenthal reprend ses activités d'avant guerre et son métier de négociant en pierres précieuses. Il est Président de la Confédération Internationale des Bijoutiers, Joailliers, Orfèvres et Horlogers.

Colonel Honoraire, il assume également des responsabilités importantes au sein de la communauté juive comme président du CRIF et de l'Association Unifiée des Juifs de France.

Jean Rosenthal est décédé le 2 août 1993 à Garches (Hauts-de-Seine). Il a été inhumé au cimetière du Montparnasse à Paris.

 

  • Grand Officier de la Légion d'Honneur [list]Compagnon de la Libération - décret du 20 novembre 1944
  • Croix de Guerre 39/45 (6 citations)
  • Médaille Coloniale
  • Military Cross (GB)

 

Source : http://www.ordredelaliberation.fr

 

Maurice Anjot

1904-1944

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Portrait du Capitaine Anjot. Source : Jourdan-Joubert L., Helgot J., Golliet P., Glières, Haute-Savoie : première bataille de la Résistance 31 janvier-26 mars 1944

dit "Bayart"

 

Né à Rennes, le 21 juillet 1904, Maurice Anjot grandit dans une famille qui conservait très vives les traditions religieuses et nationales. Il lui dut le sens du devoir et les qualités morales qui lui donnèrent, avant l'âge, une maturité de caractère et d'intelligence que ses chefs ont toujours admirée. C'était un homme vif et robuste. Au premier abord, on le trouvait réservé et froid . mais on sentait bien vite que, s'il se communiquait peu et ne cherchait pas à briller, c'est qu'il vivait intensément en lui-même, avec ses responsabilités, avec son idéal et avec sa foi.

Sa carrière militaire fut brillante. Sorti de Saint-Cyr en 1925, il y revint en 1929 comme instructeur pour six ans. Ses chefs notèrent toujours en lui " un rare ensemble de qualités morales, intellectuelles et physiques " qui en faisait un homme complet. Il apparaissait comme un " chef à la fois énergique et pondéré", faisant preuve d'un " jugement très sûr, de sens pratique, de coup-d'oeil et de tact ". Capitaine depuis 1935, il mérita, lors des combats sur l'Aisne et sur la Marne, une belle citation. C'est après l'Armistice qu'il fut affecté au 27e BCA d'Annecy.

Tel est l'officier d'élite qui se mit, dès le printemps 1941, au service de la Résistance. Des rapports de police pour « menées antigouvernementales », nous permettent de deviner le genre d'activité qu'il déploya pendant un an. On le voit multiplier les contacts avec les officiers de réserve pour constituer dans la région des bataillons secrets. « Au printemps 1941, dit un des témoins interrogés lors de l'enquête qui fut menée en automne 1942, j'ai reçu la visite du capitaine Danjot ou Anjot, adjudant-major du 27e chasseurs. Il était en civil et était venu en voiture. Il se présenta à moi, puis fit un tour d'horizon sur la situation de la France. Après leur défaite, en 1918, les Allemands avaient monté une organisation occulte pour refaire une armée. Il était normal que la France fît de même, me dit-il... Voici quelle était l'organisation du mouvement : il s'agissait de constituer dans chaque arrondissement, avec des éléments de réserve, un bataillon semblable aux bataillons de chasseurs, comprenant environ un millier d'hommes à mobiliser par convocation individuelle. »

C'était là un plan de résistance qui aurait été particulièrement efficace : il aurait, au moment voulu, fait surgir sur les arrières de l'ennemi une véritable armée de réserve élargissant brusquement l'armée d'armistice. Le projet était d'autant plus audacieux qu'il datait du début de 1941, à une époque où la masse des Français ne songeait guère à faire de la résistance à l'intérieur. L'invasion de la « zone libre », en novembre 1942, fit tout échouer. Il fallut trouver d'autres méthodes . mais le but restait le même : reconstituer des bataillons « pour le jour où, comme disait Anjot d'après un autre rapport de police, il faudrait nettoyer le pays ». Alors naquit l'armée secrète. Le capitaine Anjot en fut l'un des principaux artisans en Haute-Savoie, sous les ordres du colonel Vallette d'Osia.

Après l'arrestation de son chef, il connaît lui aussi la vie de proscrit. Il se laisse pousser la moustache et les favoris . il devient un autre homme, avec une autre identité. Il trouve un gîte chez des amis, puis chez un prêtre, puis dans une ferme. HIl est, dans la Résistance, ce qu'il était dans l'armée : un homme méthodique, travaillant avec obstination, poursuivant son idée sans relâche. Il assure lui-même les liaisons importantes . il centralise les renseignements . il s'assure des complicités et des concours -activité souterraine, dont lui seul a connu l'ampleur et la fécondité. Au moment de Glières, il n'hésite pas à se présenter à l'intendant de police, le colonel Lelong, pour parlementer. " Ma vie importe peu, dit-il à ceux qui veulent lui épargner les risques d'une pareille démarche, si je peux sauver celle des autres. " Quelques jours après, Tom fut tué dans l'engagement d'Entremont. Il fallait un officier qui se dévouât pour continuer l'entreprise envers et contre tout, afin que Glières restât Glières. Anjot se proposa et il se trouva que sa venue était ardemment souhaitée par les officiers du Plateau.

Il écrivit alors à sa femme une lettre où l'on sent bien quel homme il était : " Tu sais combien les événements ont marché depuis ton départ. La disparition brutale de notre camarade Morel a nécessité son remplacement. Si j'ai pris cette charge, c'est parce que j'ai jugé que mon devoir était là. Ne crois pas qu'il ne m'en a pas coûté de le faire, toi absente . mais peut-être que cette absence même m'a permis de surmonter plus librement le côté familial de la question. Nombreux sont ceux qui, par des sentiments plus ou moins lâches et faux, se laissent détourner actuellement du devoir national. En tant qu'officier, je ne puis le faire. Que cette décision soit acceptée par vous deux, Claude et toi, très crânement."

A ce testament spirituel, il ajoutait un petit mot pour son fils : " Je te recommande surtout d'être toujours très gentil avec ta maman. Sois très obéissant et toujours le bon petit élève que j'avais plaisir à faire travailler. Je rentrerai à la maison dès que je le pourrai et nous reprendrons notre vie d'avant. N'oublie pas ton papa dans tes prières. "

En fait, tandis qu'il essayait ainsi de rassurer les siens, il connaissait trop bien la situation pour être optimiste. Au lieu de vivre dans l'enthousiasme du Plateau, il avait dû suivre personnellement de près, jour par jour, la marche des événements . il savait toutes les menaces qui s'amoncelaient. Il n'espérait pas redescendre . il le fit comprendre à un ami, chez qui il passa sa dernière soirée avant d'aller prendre son commandement. Mais, toujours méthodique, il établit avec lui les plans d'une action concertée pour le cas où la situation n'évoluerait pas trop rapidement.

Il monta à Glières le 18 mars. C'était toute une expédition pour rejoindre le Plateau à travers les barrages. Il apportait le drapeau de la compagnie qu'il avait commandée au Pont de Kehl, afin de le faire flotter symboliquement à Glières. Il emmenait aussi avec lui sa vareuse de chasseur alpin : " Si je dois mourir, disait-il, je veux mourir Anjot " . c'est pourquoi, dès son arrivée moustache et favoris disparurent.

Les événements allèrent trop vite pour lui permettre de donner sa mesure. Pendant les huit jours où le Plateau put résister encore, il n'eut que le temps de s'installer dans son nouveau commandement et de renforcer hâtivement la défense. L'initiative appartenait désormais à l'adversaire . la grande idée d'Anjot fut de sauvegarder l'honneur en épargnant le plus possible la vie des hommes : c'est cette préoccupation du sort de plus de quatre cents jeunes gens qui lui avait inspiré de venir prendre cette charge désespérée. Après avoir refusé fièrement de traiter avec les miliciens, il mit en oeuvre tous les moyens disponibles pour soutenir l'attaque imminente. Le soir du 26 mars, quand les défenses furent irrémédiablement percées, il lança l'ordre d'évacuation, en donnant à chaque chef des instructions détaillées pour son repli. Il partit avec la nombreuse colonne qui s'engagea dans la gorge d'Ablon. Il était déjà parvenu au village de Nâves, en compagnie du lieutenant Lambert Dancet et de Vitipon, lorsqu'un barrage allemand ouvrit le feu sur leur petit groupe et sur les Espagnols qui suivaient. Ils ripostèrent, mais ils ne tardèrent pas à tomber. Anjot avait été atteint par une rafale de mitraillette. P. G.

 

Source : Jourdan-Joubert L., Helgot J., Golliet P., Glières, Haute-Savoie : première bataille de la Résistance 31 janvier-26 mars 1944, Annecy, Association des rescapés des Glières, 1994

Henri Romans Petit

1897 - 1980

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Portrait de Henri Romans-Petit. Source : site ordredelaliberation.fr

 

Fils d'un agent des chemins de fer, Henri Petit est né le 13 février 1897 à Firminy dans la Loire.

Il fait ses études au lycée de Saint-Etienne et s'engage en 1915 pour la durée de la guerre au 13e Bataillon de Chasseurs. Promu caporal puis sergent, il est cité à l'ordre de l'Armée et décoré de la Légion d'Honneur. Admis à Saint-Cyr en 1918 au titre des réserves, il en sort aspirant. Muté dans l'Aviation, il rejoint alors l'escadrille B.R.127 affectée au bombardement de jour. Il est nommé sous-lieutenant avant d'être démobilisé.

Reprenant ses études à Lyon, il obtient sa licence en droit et s'occupe alors des relations publiques et de la publicité pour des maisons d'édition. Il crée en 1928 à Saint-Etienne l'agence de publicité Stefa.

Capitaine de réserve dans l'aviation, il est rappelé en août 1939 et commande les bases aériennes de Cannes et de Nice. Refusant l'armistice de juin 1940, il tente en vain de rallier le général de Gaulle à Londres. En 1942 Henri Romans-Petit arrive dans l'Ain où il établit immédiatement des contacts avec la Résistance. Au bout de quelques mois, en décembre 1942, il commence à organiser l'hébergement de réfractaires du STO.

Il crée en juin 1943, près de Mongriffon, une école de cadres pour former les maquisards dont le nombre augmente sans cesse dans la région.

En juillet 1943, les camps, qui ne doivent pas, pour des raisons de sécurité et de mobilité, compter plus de 60 hommes, sont réellement structurés. Au même moment, les contacts se multiplient entre le maquis de l'Ain et l'Armée secrète (AS).

En septembre, sous la direction de Romans-Petit, les maquisards réalisent deux coups d'éclat : ils prennent un dépôt d'Intendance des Chantiers de Jeunesse à Artemare et l'Intendance de l'Armée à Bourg-en-Bresse.

En octobre 1943, Romans-Petit devient chef militaire, responsable de l'Armée secrète (AS) pour le département de l'Ain.

Le 11 novembre 1943, il organise le célèbre défilé d'une partie de ses troupes (250 hommes) à Oyonnax.

Devant une foule médusée puis ravie, il dépose une gerbe en forme de Croix de Lorraine au monument aux morts avant de quitter la ville en bon ordre. Le défilé d'Oyonnax, filmé par le fils de Henri Jaboulay, abondamment raconté par la presse clandestine et la radio de Londres, a un impact très important sur la population française et sur les Alliés pour lesquels la résistance armée française a désormais une existence concrète. A la fin de l'année, alors que les effectifs paramilitaires de l'Ain (AS et maquis) atteignent 2 000 hommes, il prend en main les forces clandestines et l'AS de Haute-Savoie en remplacement du commandant Vallette d'Osia . il y applique les mêmes principes que dans l'Ain : école de formation des cadres, action brève et repli rapide. Il est en liaison avec Londres par le biais de la mission "Musc" composée de Jean Rosenthal (Cantinier), chargé de l'inspection des maquis, et de Richard Heslop (Xavier) du SOE britannique.

Pour répondre au besoin de parachutages d'armes, il choisit le plateau des Glières près d'Annecy où, en janvier 1944, sont rassemblés tous les maquisards du département.

Il regagne l'Ain après avoir confié le commandement des Glières à "Tom" Morel.

Lorsque, 5 000 Allemands appuyés par de l'aviation attaquent en masse les camps du maquis de l'Ain, y massacrant les maquisards, Romans-Petit se rend immédiatement sur place . à ski, il part à la recherche des rescapés, passant au travers du dispositif allemand. Il réorganise ensuite le maquis et rencontre les responsables des forces du Haut-Jura.

Le 6 avril 1944, plusieurs milliers de soldats de la Wehrmacht sont rassemblés dans la région d'Ambérieu et donnent l'assaut le lendemain. Le colonel Romans-Petit décide alors de disperser les maquis . ceux-ci organisent néanmoins des opérations de sabotage de nuit. Les Allemands se vengent sur les villages d'Oyonnax et de Saint-Claude, entre autres. Le 6 juin 1944, prévenus du débarquement, les maquisards détruisent le dépôt d'Ambérieu, plaque tournante du réseau ferroviaire du sud-est. Cinquante-deux locomotives et dix machines outil sont rendues inutilisables.

Le même mois Henri Romans-Petit est fait Compagnon de la Libération par décret du général de Gaulle.

Le 11 juillet 1944, les Allemands tentent une contre-offensive d'envergure avec quelque 27 000 hommes. Les 5 000 maquisards du colonel Romans-Petit parviennent à résister malgré de violents combats. En septembre l'Ain est libéré.

Après la guerre, Henri Romans-Petit reprend son métier de publicitaire. Il est également administrateur de sociétés, notamment dans l'électronique. Président d'honneur des Anciens des maquis de l'Ain et de Haute-Savoie et président de l'Association nationale des Résistants de l'Air, il est également membre du comité directeur de la LICRA.

Il est l'auteur de plusieurs ouvrages sur la guerre et notamment Les Obstinés et, en 1974, Les Maquis de l'Ain.

Henri Romans-Petit est décédé le 1er novembre 1980 à Ceignes dans l'Ain. Ses obsèques se sont déroulées devant le mémorial du Val d'Enfer à Cerdon (Ain).

Il a été inhumé au cimetière d'Oyonnax.

 

  • Grand Officier de la Légion d'Honneur
  • Compagnon de la Libération - décret du 16 juin 1944
  • Croix de Guerre 14/18
  • Croix de Guerre 39/45
  • Médaille de la Résistance
  • Officier de la Legion of Merit (USA)
  • Distinguished Service Order (GB)
  • Officier de l'Ordre de Léopold (Belgique)
  • Croix de Guerre (Belgique)
  • Grand Officier du Nicham Iftikhar
  • Commandeur de l'Ordre du Mérite (Congo)
  • Officier de l'Ordre du Mérite (Cameroun)

 

Henri Romans-Petit est l'auteur de :

  • Les Obstinés, Editions Janicot, Lille 1945
  • L'Appel de l'aventure, Editions Dorian, Saint-Etienne 1947
  • Les Maquis de l'Ain, Hachette, Paris 1974

 

Source : http://www.ordredelaliberation.fr

Émile Gilioli

1911-1977

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Portrait d'Emile Gilioli

Gilioli est l'un des chefs de file de l'abstraction lyrique dans la sculpture française des années 50 aux côtés de Brancusi et de Arp. Il a conçu le mémorial de la résistance du plateau des Glières (Haute-Savoie).

Émile Gilioli naît le 10 juin 1911, à Paris, dans une famille de cordonniers italiens installée au bord du canal Saint-Martin. Il apprend l'art de la forge dès l'enfance pendant les vacances dans sa famille paternelle dans les environs de Mantoue.

À la fin de la Première Guerre mondiale, les Gilioli se rapprochent de l'Italie en s'installant à Nice. Le jeune Emile travaille dans l'affaire familiale et suit en parallèle des cours à l'école des arts décoratifs de la ville. En 1928, il entre au service d'un artisan sculpteur pour qui il travaille pendant deux ans avant d'intégrer en tant que boursier l'Ecole des Beaux Arts de Paris. Il fréquente alors l'atelier de Jean Boucher où, comme de nombreux artistes de sa génération, il est influencé par le travail de Charles Malfray.

Mobilisé en 1939, il est envoyé à Grenoble et y reste jusqu'à la Libération. Sur place il se lie d'amitié avec Andry-Fracy, conservateur du musée de 1919 à 1949, qui lui transmet son intérêt pour le cubisme et le présente au peintre Closon, pionnier de l'abstraction française. C'est dans la cité grenobloise qu'il réalise sa première exposition personnelle à la galerie Laforge en 1945.

De retour à Paris, il anime la jeune école abstraite de Paris avec Poliakoff et Deyrolle, et expose ses oeuvres à la galerie Breteau en 1946. Il participe alors à la plupart des manifestations artistiques françaises et étrangères : le Salon des Réalités nouvelles en 1947, expose fréquemment au Salon de Mai, et au Salon de la Jeune Sculpture. Le musée Galliera lui consacre une exposition en 1968. Il expose la même année sa conception de l'art dans La Sculpture (édition Robert Morel).

La simplicité de son art où la forme et la matière se conditionnent réciproquement, inspiré à la fois de la Grèce archaïque, de la statuaire de l'ancienne Egypte, et du Cubisme, lui vaut d'honorer nombres de commandes publiques, notamment dans le département de l'Isère où il réalise le Mémorial de Voreppe en 1946, le monument aux morts des Déportés de Grenoble en 1950, le monument de la Chapelle-en-Vercors en 1951, le Gisant de Vassieux-en-Vercors en 1952, le Mémorial de la Résistance au plateau des Glières en 1973.

 

Insatiable travailleur, Gilioli signe Prière et Force, sculpture de béton à laquelle il se consacre de 1959 à 1963, La Mendiante (1962), Apparition de la Vierge à Bernadette (1964), une Fontaine pour l'Hôtel de Ville de Grenoble (1968). Parmi ses oeuvres de bronzier figurent ses Composition et Formes, un Cadran Solaire, des Soleil sur la montagne, ses Histoire crétoise, une Divinité, une Tête siennoise. Travaillant le marbre, il sculpte des Abstraction, L'Homme oiseau, Chloe, Tabernacle, et Forme Abstraite.

Ses gouaches et aquarelles révèlent une Composition pour le monument des Glières, des Compositions. A noter encore : une Composition bleu, rouge et noir (collage), une Vitesse (acier), une Composition transparente (résille), un Portrait de femme (fusain).

Les oeuvres d'Émile Gilioli sont exposées dans le monde entier, notamment : Musée National d'Art Moderne de Paris, Tate Gallery de Londres, Musée de Sculpture de Plaen Air de Middelheim d'Anvers, Museo de Arte Moderna de Sao-Paulo, Museum of Modern Art de New York, Musée Bezabel de Jerusalem, Musée de Peinture et de Sculpture de Grenoble, Musée des Beaux-Arts d'Ostende, Musée National d'Histoire et d'Art de Luxembourg, Centre Georges-Pompidou à Paris, Musée de Sculpture de la Ville de Paris, Museo de Bellas Artes de Caracas, Musée des Beaux-Arts de Dunkerque, Musée des Beaux-Arts de Rouen, Museo dei Bozzetti Pietrasanta, Kunsthaus de Zurich, Musée Fabre Montpellier.

Un de ses ateliers, "son grenier", aménagé dans une bâtisse acquise par la municipalité de Saint Martin de la Cluze en 1997, resté intact depuis sa disparition, est aujourd'hui ouvert au public.

 

Sources : Benezit E., Dictionnaire des peintres, sculpteurs, dessinateurs et graveurs, t. 6, 1999 - Ragon M., dans : Nouveau dictionnaire de la sculpture moderne, Paris, Hazan, 1970.
 

 

 

Edouard de Castelnau

1851-1944

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Portrait de Castelnau. Source : SHD

 

Castelnau, Noël Marie Joseph Edouard de Curières, de (24 décembre 1851 : Saint-Affrique, Aveyron - 19 mars 1944 : Montastruc-la-Conseillère, Haute-Garonne)

 

Édouard de Castelnau est issu d’une vieille famille aristocratique et catholique du Rouergue ruinée par la Révolution. Son père, avocat, exerce dans la petite ville de Saint-Affrique. Le futur général mène la vie des fils de paysans et de petits notables. Comme eux, il parle l'occitan et forge au grand air une robuste constitution. Bien que de petite taille, il devient un véritable athlète, condition qu’il gardera jusqu’à un âge avancé. Il fait ses études au collège jésuite de Saint-Gabriel (Saint-Affrique) d’où il sort bachelier ès Sciences avant de préparer Saint-Cyr.

Saint-cyrien, il fait ses premières armes au cours de la guerre de 1870. Issu de la promotion 1869 de l’École Spéciale Militaire, dont il sort sous-lieutenant le 14 août 1870, il est nommé au 31e régiment d’infanterie (RI). Ne pouvant rejoindre son corps à temps par suite de la désorganisation des services de l’arrière, il est affecté dans l’armée de la Loire du général d’Aurelles de Paladine, lieutenant au 36e Régiment de marche, le 2 octobre . il est promu capitaine quinze jours plus tard.

Après le désastre de Sedan et la reddition de Bazaine à Metz, cette armée de la Loire est la principale force combattante française. Les conditions climatiques sont effroyables. Elle doit d’abord subir des pluies diluviennes puis, à partir de la fin du mois de décembre jusqu’à l’armistice du 30 janvier 1871, un froid sibérien s’abat sur la moitié nord du pays. Les températures restent constamment inférieures à -10°C. La neige recouvre les champs de bataille. Route et chemins sont verglacés. C’est une armée mal approvisionnée, mal équipée. La fatigue et bientôt les maladies éreintent les soldats français. Castelnau combat notamment à Tusey, Sainte-Maxime, Chambord, Gué-du-Loir, Le Mans. Après l’armistice, avec son régiment, sous les ordres du colonel Davout d’Auerstedt, il participe aux combats de l’armée versaillaise qui au cours de la « semaine sanglante », du 21 au 28 mai 1871, écrase les combattants de la Commune. Reclassé lieutenant par la commission de révision des grades, il est à nouveau promu capitaine qu’en 1876.

Sa longue carrière militaire est ensuite des plus traditionnelles : garnisons de Bourg, de Givet, de Ham, de Laon. Il entre à l’École de Guerre en 1878 dont il sort breveté en 1880 avant d’être muté au 59e RI de Toulouse. Stagiaire à l’état major du 17e corps, nommé ensuite à celui de la 34e division, il revient au 126e RI et au 17e corps en 1888.

Chef de bataillon le 6 mai 1889, il reçoit la croix de la Légion d’honneur en 1891 puis rejoint le général de Miribel en 1893 au premier bureau de l’état-major général à Paris. Lieutenant-colonel le 10 septembre 1896, il est promu sous-chef puis chef du premier bureau, et officier de la Légion d’honneur en 1899. Il connaît un premier incident de carrière lors de la parution d’un article du pamphlétaire Urbain Gohier qui le dénonce comme un descendant d’officier de l’armée du prince de Condé. Cela lui vaut de perdre deux ans pour son avancement au grade colonel. Avançant les mêmes raisons, le général André, lors de son arrivée au ministère de la Guerre, l’évince de la direction du premier bureau. Pour compenser ce qu’il considérait comme une injustice, le chef d’état-major de l’époque, le général Delanne, le nomme au commandement du 37e régiment de Nancy avant de remettre sa démission au ministre.

Cet incident place Castelnau en délicatesse avec les ministres de la Guerre successifs qui le maintiennent dans ce commandement pendant une durée anormalement longue. Sans illusion à propos de ses chances de devenir un jour général, Castelnau s’autorise certaines provocations : au cours d’une parade consacrée à l’histoire de l’armée française, il fait mettre en scène ses hommes de l’Ancien Régime à la République sans aucune distinction. Ces rétrospectives lui valent les foudres de la presse républicaine d’autant qu’il les fait précéder de cérémonies religieuses auxquelles il assiste au premier rang en grande tenue. Au cours d’une visite aux unités de couverture en poste sur la frontière, le président de la Chambre des députés, Paul Doumer, mis en sa présence, est impressionné par sa personnalité et ses qualités militaires. Il intervient alors pour qu’il soit nommé général le 25 mars 1906. Il commande la 24e brigade à Sedan puis la 7e à Soissons. C’est à cette époque qu’il fait la connaissance du général Joffre qui commande le 2e corps d’armée dont dépend sa brigade. Le futur généralissime favorise sa nomination au grade de général de division le 21 décembre 1909 en dépit de l’opposition du général Sarrail, directeur de l’Infanterie au ministère de la Guerre. Ne pouvant atteindre Castelnau, Sarrail se vengera en refusant toutes les promotions demandées pour les officiers de la 7e brigade. De cet incident date un profond antagonisme entre les deux hommes qui aura des répercussions pendant la Grande Guerre elle-même. 

Castelnau prend alors la 13e division à Chaumont. Rappelé à l’état-major sur demande express de Joffre, il est nommé, le 2 août 1911, premier sous-chef d’état-major général sous ses ordres. Il se consacre à la conception du plan XVII qui doit servir de cadre à la mobilisation et aux déploiements des armées françaises lors de l’ouverture des hostilités le 3 août 1914. À cette occasion, Castelnau préconise l’extension du service militaire sur une durée de trois ans. Cette mesure déclenche une crise politique d’une rare intensité qui voit s’affronter tous les grands leaders politiques de l’époque. Les opposants à « la loi des trois ans », dont notamment Jean Jaurès, stigmatisent Castelnau qu’ils accusent de tenir le ministre de la Guerre et le chef d’état-major sous son influence. Une violente campagne de presse se déclare contre lui. Clemenceau, bien que favorable à la loi, se joint aux critiques et affuble Castelnau de sobriquets qui lui resteront : Capucin botté, général de la jésuitière, etc.

Cela n’empêche pas le gouvernement de lui marquer sa confiance, car,la même année, il est promu commandeur de la Légion d’honneur et il entre au Conseil Supérieur de la Guerre le 29 novembre 1913.

À l’ouverture du conflit, il commande la 2e armée. Il est chargé de lancer une offensive en Lorraine en direction de Morhange. Progressant méthodiquement, conjointement avec la 1re armée de Dubail, il atteint le signal de Barouville, au-delà de Dieuze et de la région des étangs. Le 20 août, se préparant à attaquer, il reçoit de plein fouet la contre-offensive de la VIe armée allemande commandée par le Prince Rupprecht de Bavière. Le piège Nied-Sarre préparé de longue date par les Allemands vient de fonctionner. Castelnau sauve son armée en ordonnant la retraite vers Nancy. Retardé par l’indécision du généralissime von Moltke, Rupprecht perd deux jours avant d’entamer la poursuite et d’engager son armée dans la Trouée de Charmes. Ce délai est mis à profit par Castelnau pour regrouper ses forces et lancer une attaque de flanc qui arrête la marche des Allemands. Cette victoire rarement mentionnée dans l’historiographie française alors qu’elle a toute sa place outre-Rhin, empêche les armées françaises d’être tournées par la droite et rend possible leur redressement ultérieur. De plus, elle pousse le général von Moltke à maintenir le tiers de ses forces en Lorraine. Elles lui feront défaut pendant la bataille de la Marne où il ne disposera plus de la supériorité numérique. À Nancy, à partir du 4 septembre, s’en suit une violente bataille qui se déroule en parallèle de celle de la Marne. Fortement retranchée, l’armée de Castelnau résiste à tous les assauts allemands en dépit de leur très large supériorité en matière d’artillerie lourde. À l’occasion de cette nouvelle victoire, Castelnau fera poser un un ex-voto dans l’église Notre-Dame du Bon Secours : Nisi Dominus custoderit civitatem frustra vigilat qui custodit eam [si Dieu ne protégeait la cité c’est en vain que veillerait celui qui la garde. (Psaume 118)] ». Il est alors promu Grand-Officier de la Légion d’honneur (18 septembre).

Au cours de cette période, il perd deux de ses fils. Le premier Xavier est tué à Morhange et le second, Gérald, lors de la bataille de la Marne. Un troisième, Michel, sera blessé et fait prisonnier. Un an plus tard, un troisième fils, Hughes, sera tué pendant la bataille d'Artois.

La 2e armée est alors envoyée en Picardie où commence la « course à la mer ». À Roye, et devant d’Arras, il poursuit avec acharnement la lutte face notamment à l’armée du général von Kluck qui, après la guerre dira de lui : « L’adversaire français vers lequel sont allées instinctivement nos sympathies, à cause de son grand talent militaire et de sa chevalerie, c’est le général de Castelnau. Et j’aimerais qu’il le sût ».

 

En juin 1915, Castelnau nommé au commandement du groupe d’armées du Centre, dirige l’offensive de Champagne du 25 septembre 1915 : en quelques jours il fait 25 000 prisonniers, prend 125 canons et contrôle une zone de territoire de plusieurs kilomètres de profondeur en territoire allemand. À la suite de cette victoire il est fait Grand-Croix de la Légion d’honneur (8 octobre 1915) et devient l’adjoint du généralissime Joffre. La popularité de Castelnau dans l’opinion publique est telle que L’Express de Lyon — des propos similaires sont tenus dans la presse étrangère, dont le Manchester Guardian — commente ainsi sa nomination : « C’est une promotion qu’il ne doit qu’à son mérite incontestable, car sa fidélité à la foi catholique l’a fait tenir à l’écart pendant longtemps. Il est notoire que sous le régime de la délation maçonnique de Combes et du général André, le général de Castelnau était un général à qui tout avancement était refusé » (23 décembre 1915). Cependant, il faut noter que le climat anticlérical s’est beaucoup atténué. La plupart des grands leaders politiques, dont des personnalités telles que Georges Clemenceau, n’hésitent pas à afficher leur soutien à cette nomination.

Avec le titre de chef d’état-major général des armées, Castelnau rejoint le Grand Quartier Général (GQG). À ce poste, lui sont soumises toutes les décisions préparées par l’état-major avant approbation par le généralissime. Dès sa prise de fonction, il se rend à Salonique le 19 décembre 1915 pour décider du maintien d’un corps expéditionnaire franco-anglais et de l’organisation éventuelle d’un camp retranché. Il fait approuver l’idée de recueillir les débris de l’armée serbe et de constituer une tête de pont destinée à de futures offensives comme celle qui permettra au général Franchet d’Espèrey de pénétrer jusqu’en Hongrie en septembre 1918.

À son retour, il porte une attention particulière au secteur de Verdun où il pressent, contre l’avis d’une partie des officiers du GQG, une grande offensive allemande. Il fait renforcer les défenses et préparer des renforts. Trois jours après le début de l’attaque allemande du 21 février 1916, il se rend à Verdun pour prendre les principales mesures qui permettent de ne pas abandonner la rive droite aux Allemands. Il nomme Pétain, modifie profondément l’organisation du commandement. Par la suite, il continuera à exercer cette supervision intervenant dans les principales décisions et lors des épisodes les plus critiques. Il imposera notamment la dernière offensive, celle conduite victorieusement par le général Mangin en décembre 1916 qui reprend les dernières positions stratégiques perdues depuis le début de la bataille. Par contre, Castelnau ne sera pas directement impliqué dans la bataille de la Somme. Lors du remaniement du haut commandement en décembre 1916, son poste de chef d’état-major général est supprimé. Il reçoit alors le commandement du groupe des armées de l’Est. Ce secteur étant peu actif, le gouvernement lui confie une mission de liaison interalliée en Russie où il part le 18 janvier 1917. Revenu au mois de mars, il retrouve son commandement à Mirecourt dans les Vosges où il restera jusqu’à l’Armistice. Il est décoré de la Médaille militaire en septembre 1917. Son groupe d’armée est peu affecté par les grandes offensives allemandes du printemps 1918. Toutefois, il est pressenti pour préparer et conduire une offensive en Lorraine visant à couper les lignes de repli allemandes vers le Rhin. Cette opération qui aurait dû commencer le 14 novembre est contremandée par l’Armistice.

Comme tous les grands chefs militaires français, il participe à de nombreuses célébrations. Il fait une entrée triomphale à Colmar puis à Strasbourg. Il défile également le 14 juillet 1919 sur les Champs Élysées.

De nombreuses controverses naitront après-guerre à propos du fait qu’il n’accède pas au maréchalat. On peut écarter l’idée qu’une injustice ait été commise à son égard au moment de l’Armistice. En effet, le gouvernement entendait réserver cette distinction aux seuls généraux ayant été généralissimes. Mais, par la suite, lors de l’extension de cette liste par Aristide Briand en 1921, le fait que Castelnau soit à cette époque un parlementaire très en vue, fait hésiter le gouvernement. Son exclusion de la nouvelle liste déclenche un scandale politique dont les échos sont encore perceptibles de nos jours tant le parcours militaire du général de Castelnau semblait lui donner de plein droit accès à cette dignité.

Cependant, comme les maréchaux, il est maintenu en activité sans limite d’âge ce qui fera de lui le général d’active le plus âgé au début de la Seconde Guerre mondiale.

Élu député de l’Aveyron, à soixante-huit ans, sur une liste du Bloc national en 1919, il est très actif au sein de la Commission de l’Armée de la Chambre. Battu aux élections de 1924, il fonde l’année suivante la Fédération nationale catholique (FNC), mouvement encouragé par le Vatican et l’épiscopat français, afin de mettre en échec le projet anti-clérical du Cartel des Gauches. Bien implantée dans les paroisses (il met en place en moins d’un an une vaste organisation pyramidale de 1,5 à 2 millions de membres), organisant des manifestations de masse, notamment en Alsace-Lorraine, dans l’Ouest et le Massif central, la Fédération contraint le gouvernement Herriot à reculer. La FNC, véritable pépinière d’officiers en retraite tels Tournès, Margot, Navel, de Reynies, de la Bussières, Picard, de Maitre d’Allerey, Étienne, Amiot, Mazurier et Keller, est aussi un important groupe de pression qui, en plus de son rôle d’arbitrage lors des élections, surveille la vie parlementaire, n’hésitant pas à publier dans la presse la liste des parlementaires qui ont voté pour ou contre tel ou tel projet de loi, notamment dans les domaines relatifs à ses valeurs comme l’éducation, la famille, les libertés religieuses, en proposant d’autres par l’intermédiaire de ses représentants à la Chambre.

L’influence politique de Castelnau diminue au cours des années 1930. L’anticléricalisme n’occupe plus les esprits, le catholicisme se trouve d’autres terrains d’action. Castelnau s’implique notamment en soutenant le gouvernement de Gaston Doumergue menacé par les ligues d’extrême-droite lors de la manifestation du 12 février 1934. Il prend également position contre l’Action Française en approuvant la position prise par le Vatican à l’encontre de ce mouvement et met en garde contre des organisations telles que les Croix de feu qui recrutent dans l’univers catholique. Enfin, il intervient dans le débat à propos des lois sociales du Front populaire dont il soutient les principales mesures à l’exception de celle concernant la réduction du temps de travail.

Il consacre une part de son temps à une activité éditoriale au sein d’un grand quotidien national de droite, l’Écho de Paris, où il côtoie le futur général de Gaulle ainsi que d’autres personnalités qui, comme lui, prendront position contre le régime de Vichy. En effet, dès l’annonce de l’Armistice de juin 1940, il prend ses distances avec la FNC ainsi qu’avec l’épiscopat français à qui il reproche leur attitude passive vis-à-vis du maréchal Pétain. Dès le mois de janvier 1941, il affiche ouvertement sa réprobation à l'encontre du régime de Vichy. Les chefs des deux principaux réseaux de Résistance de la région Toulouse où Castelnau s’est retiré mentionnent que, malgré son grand âge, ils le considèrent comme un résistant actif. Il décède au château de Lasserre à Montastruc-la-Conseillère le 19 mars 1944. Cette disparition aux heures plus sombres de l’Occupation, contribue un peu plus à effacer sa trace dans l'histoire. Pourtant, le général Édouard de Castelnau a figuré au rang des personnalités de son époque. Homme du monde et fin lettré, il a été le Mainteneur des jeux Floraux de Toulouse, membre de l’Institut, membre fondateur de l’association d’entraide de la noblesse française, membre de la société des Sciences, Arts et Lettres de l’Aveyron. Son courage et sa maîtrise de l’art militaire l’ont élevé aux dignités internationales de Croix de guerre, Grand-Croix de l’Ordre du Bain, de Saint-Grégoire-le-Grand, de l’Aigle blanc, de Saint-Stanislas et de Sainte-Anne de Russie, de Saint-Alexandre Nevski, de l’Ordre de Victoria d’Angleterre, de chevalier de la Virtuti militari de Pologne, de Grand-Croix de Saint-Lazare de Jérusalem.

 
Sources : Berstein G. et S., Dictionnaire historique de la France contemporaine
Bonafoux-Verrax C., "Le général de Castelnau au service de la patrie et de la foi", dans Forcade Olivier, Duhamel Éric, Vial Philippe (dir.), Militaires en République (1870-1962). Les officiers, le pouvoir et la vie publique en France
Chenu B., Castelnau, "Le quatrième maréchal", 1914-1918 - Huet J.-P., Édouard de Castelnau (1851-1944), L'artisan de la Victoire

 

 

Charles Lanrezac

1852 - 1925

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Portrait de Charles Lanrezac. Source : www.firstworldwar.com

 

Né à Pointe-à-Pitre (Guadeloupe) en 1852, Charles Louis Marie Lanrezac est une personnalité militaire atypique de la Grande Guerre : il est un des généraux dont le rôle stratégique est le plus controversé. Bien que relevé par le généralissime Joffre à la veille de la première bataille de la Marne, il évite, pendant ses trente-deux jours de commandement effectifs, l'anéantissement de l'armée française en août 1914.

Créole guadeloupéen, fils d'un officier arrivé par le rang, Victor Lanrezac, dont le père, Auguste, s'était fait établir des faux papiers au nom de Lanrezac, anagramme de Cazernal à des fins d'anonymat, Charles Louis Marie Lanrezac est issu d'une famille de petite noblesse toulousaine dont l'aïeul Augustin Théreze de Quinquiry d'Olive, d'une famille toulousaine de petite noblesse, avait été obligé de vendre ses biens au lieu dit de "Cazernal" - transcription erronée de "du Cabanial - avant d'émigrer à Hambourg afin d'échapper à la Terreur. Au gré des garnisons, la modeste famille Lanrezac réside à Cherbourg lorsque, titulaire d'une bourse accordée par le préfet de la Manche, Charles entre à l'école impériale spéciale militaire de Saint-Cyr 75e sur 250, après avoir été renvoyé du Prytanée militaire de La Flèche en septembre 1869. A peine un an plus tard, le 14 août 1870, le sous-lieutenant Charles Lanrezac rejoint sa première affectation au 13e régiment d'infanterie.

Le 20 septembre, le Second Empire déchu, le Gouvernement de défense nationale décide de poursuivre la lutte en levant de nouvelles armées. Le jeune militaire est affecté au 15e corps d'armée, la future armée de la Loire, commandé par le général de la Motte Rouge puis le général d'Aurelle de Paladines. Les positions françaises autours d'Orléans enfoncées, l'armée doit évacuer la ville à partir du 11 octobre. Lanrezac, lors de la bataille de Coulmiers (9 novembre), des combats au nord d'Orléans (24 novembre) montre beaucoup de courage et se retrouve provisoirement promu lieutenant et décoré sur le champ de bataille de la Légion d'Honneur. En janvier 1871, son corps rejoint l'armée de l'Est du général Bourbaki afin de tenter de dégager Belfort et de prendre à revers les Prussiens en Alsace. L'entreprise est vaine. Le lieutenant Lanrezac participe aux combats d'Héricourt (15-17 janvier), reste avec son unité à Besançon afin de couvrir la retraite de l'armée, et échappe de peu à l'internement en Suisse après la bataille de Larnod, le 20 janvier.

La guerre terminée, Lanrezac termine sa formation d'officier à Saint-Cyr et rejoint sa nouvelle unité, le 30e régiment d'infanterie, à Annecy. Il entame alors une carrière militaire des plus classiques. Il se marie à Paris en 1873 avec Félicie Marie-Louise Dutau, une réunionnaise, cousine de sa mère. Passé capitaine le 21 février 1876 au 24e régiment d'infanterie, il obtint son brevet d'état-major en 1879, est nommé professeur d'art militaire adjoint à Saint-Cyr, avant d'intégrer l'état-major de la brigade d'occupation de la Tunisie au 113e pendant cinq ans. Ses brillants états de service et son aptitude au commandement lui valent d'être nommé professeur à l'école supérieure de guerre, et finalement d'être promu chef de bataillon à l'ancienneté en juillet 1892.

De 1896 à 1899 il est nommé au 104e RI, à Paris. Parallèlement, il enseigne l'histoire militaire, la stratégie et la tactique générale à l'école militaire. Travailleur doté d'une personnalité haute en couleurs (qui lui vaut déjà quelques remarques), pédagogue averti, son enseignement est rapidement apprécié des cadres et suscite l'enthousiasme des élèves. Lieutenant-colonel, il devient en 1898 sous-directeur des études à l'école supérieure de guerre. Trois ans plus tard, il gagne ses galons de colonel et reçoit le commandement du 119e RI de Paris où il "s'est révélé aussi bon chef de corps qu'éminent professeur", notera sa hiérarchie.

En mars 1906, il commande par intérim la 43e brigade de Vannes et reçoit au mois de mai ses étoiles de général de brigade. Reconnu par sa hiérarchie, il officie en tant que chef d'état-major d'une armée lors des exercices de mobilisations dans les Vosges en 1908. Son ascension se poursuit en 1909 : il devient, en mai, commandant en chef de la défense des places du groupe de Reims dont il est le gouverneur, et devient membre du Comité technique d'état-major au mois d'août, organe consultatif auprès du ministre de la Guerre. En 1911, il commande la 20e division d'infanterie de Saint-Malo, devenant général de division en mars. Et, bientôt au faîte de sa gloire, Lanrezac se fait remarquer par le général Lyautey - "quand une armée possède un chef de cette valeur, c'est au premier rang qu'il doit être" écrit-il le 13 novembre 1911 - qui ajoute, en 1912, à son commandement les départements du Finistère, de la Loire-inférieure (Loire-Atlantique), du Morbihan et de la Vendée. C'est à nouveau sur ses conseils qu'il quitte son commandement le 10 avril 1914 pour entrer au Conseil supérieur de la guerre. Il succède au général Galliéni à la tête de la Ve armée le 24 avril 1914, et est élevé, à la veille de la guerre à la dignité de commandeur de la Légion d'Honneur, à l'âge de soixante ans.

La guerre déclarée, Lanrezac prend le commandement de la Ve armée après une brève réunion de chefs d'état-major qu'il juge décevante en raison de l'apparente absence de stratégie du général Joffre. Familier de la langue et de la pensée germanique, il fait remettre, le 31 juillet 1914, un rapport au généralissime dans lequel il met en évidence l'importance du secteur de la Meuse . le document sera sans suite. Il a sous ses ordres 300 000 hommes, 800 canons, 110 000 chevaux et 21 000 véhicules. Dans la première quinzaine d'août, il établit son quartier général à Rethel et concentre ses troupes entre Vouziers et Aubenton avant de faire mouvement vers la frontière nord-est. Le 6 août, il reçoit l'ordre de prêter main forte au troupes belges sur la Meuse, alors que les Allemands, passés en Belgique depuis le 3 août, assiègent la ville de Liège. Lanrezac obtient l'autorisation de porter une de ses unités vers le Nord, en avant du fleuve et parvient à repousser un corps de cavalerie allemand dans le secteur de Dinant, le 15 août. Cet épisode amène le généralissime à déployer l'armée de Lanrezac sur la frontière nord (vers Jeumont et Charleroi) où, avec les Britanniques du maréchal French, les armées alliées couvrent les fronts nord et est jusqu'à Maubeuge. A partir du 21 août, Joffre décide de concentrer l'offensive sur le front belge et les Ardennes, contre les Ve, VIe armées du Reich, la IIe armée de von Bülow et la Ie armée de von Kluck. Du 21 au 23 août, les affrontements autour de Charleroi, à Tamines, Roselies, Mons tournent à la défaveur des troupes franco-britanniques qui, suivant les ordres de l'état-major, attaquent désespérément un ennemi retranché et masqué. L'armée française est menacée d'encerclement, d'anéantissement donc. Le 23 août, Lanrezac décide de passer outre les consignes de combat à outrance du généralissime et ordonne la retraite, échappe aux armées allemandes, entérinant l'abandon du plan d'attaque XVII deux jours après. Cette bravade lui vaut l'inimitié d'officiers de l'entourage de Joffre, lequel envisage dès lors de se passer de ses services. La même attitude prélude aux combats de Guise, entre le 26 et le 29 août 1914. Ayant reçu l'ordre de porter l'attaque vers le Nord afin de venir en aide au 2e corps anglais qui s'est fait surprendre au Cateau, Lanrezac obtient une journée afin de permettre à son armée de se reposer et de préparer son attaque. Le 29 août, il place ses troupes en équerre : le 10e corps au nord-nord-ouest sur la rive sud de l'Oise, vers Guise, les 3e et 18e corps complétés de troupes de réserve glissent le long du fleuve et se présentent par l'Ouest face aux Allemands.

L'attaque conjointe appuyée par les batteries de 75 surprend l'état-major allemand, qui abandonne le plan Schlieffen. Paris est sauvée. Von Bülow renonce à poursuivre le maréchal French et n'aura de cesse de talonner la Ve armée. Cette dernière, en effet, a remporté une victoire défensive, mais l'initiative reste aux mains des Ie et IIe armées allemandes qui tentent d'encercler Lanrezac et ses hommes, découverts sur leurs flancs et battant toujours en retraite. Les Français atteignent la Marne, la franchissent et installent le quartier général à Sézanne. Le 3 septembre, à 17 heures, Lanrezac est relevé de son commandement et remplacé par le général Franchet d'Espérey... Deux jours plus tard la première bataille de la Marne commence.

Les raisons de cette destitution sont multiples : l'entêtement d'un chef que seul ses troupes intéresse, ses penchants à contester les ordres, ses mauvais rapports avec le maréchal French alors que l'état-major français déploie des trésors d'ingéniosité pour ménager son allié, la reconnaissance implicite de la supériorité stratégique allemande dont le plan d'action (plan Schlieffen) est offensif et mobile alors que le plan XVII n'est qu'un plan de concentration de troupes, la nécessité de trouver des coupables pour expliquer cette "débâcle" des premiers engagements. Lanrezac écrira plus tard : "A la place du général Joffre, j'aurais agi comme lui . nous n'avions pas la même manière de voir les choses, ni au point de vue tactique ni au point de vue stratégique . nous ne pouvions pas nous entendre... J'étais bien décidé à ne pas attaquer le généralissime, car je n'avais pas le droit de juger ses actes sur les autres parties du champ de bataille."

Lanrezac est mis à la disposition du général Galliéni, gouverneur militaire de Paris, qui l'envoie à Bordeaux où le Gouvernement s'est réfugié. A partir du mois d'octobre, Lanrezac se voit confier des missions ponctuelles : inspecteur des centres d'instruction des élèves de l'école militaire de Saint-Cyr en octobre 1914, inspecteur de l'école normale supérieure et de l'école forestière en 1915, inspecteur général des camps et dépôts d'infanterie des XIXe et XXe régions en février 1916, etc. Fin 1916, le généralissime est limogé. L'état-major et le Gouvernement cherchent à réparer l'injustice en proposant des postes à la hauteur de ses compétences. Lanrezac les repousse et obtient du général Lyautey le poste d'inspecteur de l'instruction de l'infanterie. Pétain, promu généralissime, le fait élever à la dignité de Grand Officier de la Légion d'Honneur le 3 juillet : "par sa science militaire et son habileté à exécuter une manoeuvre des plus difficiles au cours de laquelle il a remporté des succès marqués et a rendu au pays les plus éminents services". Le 1er août 1917, Charles Lanrezac quitte le service actif pour raisons de santé.

L'entreprise de réhabilitation du général commence alors. Plusieurs articles d'Engerand, député du Calvados, parus dans Le Correspondant en 1917 et 1918 reviennent sur le bien fondé de son limogeage. Le général de Maud'huy dans un article publié dans le Gaulois, en 1920, écrit que Lanrezac a sauvé la France à Charleroi. Le général Palat dans son Histoire de la Grande Guerre porte à la connaissance du public français le respect de ses anciens adversaires, von Bülow et von Hausen. En 1922, le général déchu Lanrezac est décoré de la grand-croix de la Couronne de Belgique avec Croix de guerre avec palme en raison de Charleroi. Le 29 août 1924, date anniversaire de la bataille de Guise, la grand-croix de la Légion d'Honneur lui est accordée. Elle réhabilite la mémoire du général. Les insignes lui sont remis le 6 septembre, à Neuilly-sur-Seine, par le maréchal Pétain et le ministre de la Guerre, le général Nollet.

Charles Lanrezac décède le 18 janvier 1925. Sur sa tombe au cimetière de Montmartre est inscrit : "A celui qui, en août 1914, sauva la France".

Forme ultime de réhabilitation et de reconnaissance nationale : le général Lanrezac repose aux Invalides depuis 1933.

 
Source : "Lanrezac, Charles." Encyclopædia Britannica, 2006. Beau G., En Août 1914, Lanrezac a-t-il sauvé la France ?, Paris, Presses de la Cité, 1964. Engerand F., Lanrezac, Paris, Bossard, 1926