Roland Garros

1888-1918

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Roland Garros, ce célèbre inconnu…

Il est des noms que nul n’ignore et dont pourtant bien peu connaissent le destin de ceux qui les ont portés. Celui de Roland Garros en est peut-être l’un des meilleurs exemples dans la mesure où le succès du tournoi de tennis éponyme est tel qu’il a désormais pratiquement totalement occulté la formidable trajectoire de ce pionnier de l’aéronautique disparu dans les dernières semaines de la Grande Guerre.

Enfant de l’outre-mer, Garros, né le 6 octobre 1888 à l’île de la Réunion, a grandi à Saïgon avant de partir en pension à Paris à l’âge de douze ans. De santé fragile, il poursuit sa scolarité à Cannes puis à Nice où il se découvre une passion pour le sport. Le cyclisme et le football mobilisent une grande partie de son énergie sans pour autant qu’il néglige ses études.

Son diplôme des Hautes Études commerciales en poche, Garros ouvre une concession d’automobiles, proposant même un modèle sport aménagé par ses soins. Son rapide succès commercial lui permet de s’offrir un aéroplane avec lequel il effectue seul son apprentissage au printemps 1910. La fascination qu’il avait éprouvée un an plus tôt, lors du meeting aérien de Reims, devant ces fragiles oiseaux entoilés ne le quittera plus. Fini le commerce automobile, il se consacre désormais entièrement à l’aviation.

Tout va très vite, dès l’été il obtient ses premiers contrats rétribués pour des exhibitions en province, puis entraîné aux États-Unis par l’aviateur John Moisant, il part, en octobre, pour une tournée dans le cirque aérien de ce dernier. De retour en France, en 1911, Garros participe aux grandes courses aériennes alors en vogue et, toujours infatigable, s’embarque en fin d’année pour une nouvelle tournée au Brésil.

À peine revenu à Paris, il remporte avec brio, à la mi-juin 1912, le grand prix de l’Aéro-club offrant même son appareil, un Blériot XI, à l’armée, qui le confie au capitaine de Rose, premier officier à avoir obtenu le brevet de pilote militaire.

Le destin de ces deux hommes, pères fondateurs de la chasse, ne va cesser dès lors de se croiser. Si nous ignorons la date de leur première rencontre, nous savons qu’ils ont rapidement sympathisé et œuvré ensemble, tout au long de la même année, sur le problème de la synchronisation du tir de la mitrailleuse avec l’hélice. Dans le même temps, Garros ne cesse de relever de nouveaux défis allant chercher aux commandes de son Morane-Saulnier le record du monde d’altitude, puis traversant victorieusement la Méditerranée, le 23 septembre 1913. Les compétitions se succèdent à travers toute l’Europe tandis que Garros découvre, à l’instar de Pégoud, tous les secrets du looping.

Lorsque le conflit éclate, il n’est pas mobilisable, mais il s’empresse d’aller s’engager le 4 août, pour être affecté comme pilote à l’escadrille MS 23. Il multiplie les missions tout en obtenant l’accord du commandement pour reprendre dès l’automne, soutenu par le capitaine de Rose, ses recherches sur le tir à travers l’hélice. Aidé par Jules Hue, son fidèle mécanicien, Garros parvient à mettre au point un système de déflecteurs sur les pales de l’hélice avec lequel il abat son premier avion le 1er avril 1915.

Malheureusement, dix-huit jours plus tard il est contraint par une avarie de se poser à l’arrière des lignes allemandes. L’appareil, qu’il n’a pas réussi à détruire complètement, tombe aux mains de l’ennemi. Trois longues années de prison l’attendent, au cours desquelles ce fin lettré, ami de Jean Cocteau, écrit ses Mémoires.

Le 15 février 1918, il réussit enfin à s’évader, en compagnie du lieutenant Marchal, et à regagner la France après un long périple. Il demande immédiatement à être réaffecté à son unité, la MS 26, refusant le poste technique qui lui est offert. Dès le mois de mai, il part s’entraîner de nouveau à Pau pour acquérir les nouvelles méthodes de combat sur SPAD XIII, avant de rejoindre son unité, le 20 août. Petit à petit, les sensations lui reviennent et, même si sa vision défaillante lui cause des inquiétudes, il remporte enfin une victoire, le 2 octobre. Trois jours plus tard il disparaît, son appareil étant abattu en plein vol par une patrouille de Fokker.

 

Marie-Catherine Villatoux, Service historique de la défense /DAA.

Fernand Hederer

1889-1984

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Hederer en 1950. Domaine public

 

La promotion 2008 des élèves-officiers du commissariat de la marine a reçu le nom de "promotion Hederer" en mémoire de Fernand Hederer, commissaire de la marine, ancien combattant de la Grande Guerre et résistant à l'occupant nazi.

Né en 1889, Fernand Hederer fait partie de la promotion 1913 de l'école du commissariat de la marine. En 1914, il est affecté au 1er régiment de canonniers marins, puis au 1er groupe d'artillerie lourde sur voie ferrée où il sert comme officier en second puis commandant de batterie. Devenu le 6 avril 1916 observateur aérien puis pilote de chasse en septembre 1917, Hederer prend en février 1918 le commandement de l'escadrille de chasse SPAD 285, distinction tout à fait exceptionnelle pour un jeune commissaire de 3e classe.

La guerre lui permet de côtoyer des "As" de l'aviation, notamment Coli, Guy­nemer, Fonck et Navarre. Hederer reçoit plusieurs citations (armée, division, régiment) et est décoré de la Croix de guerre avec trois palmes et trois étoiles ainsi que de la Légion d'honneur en 1917. Toutes les citations obtenues mettent en relief les qualités de l'homme, son courage, son énergie, son mépris du danger et ses qualités de chef. Hederer a également rapporté de la guerre un éclat d'obus dans l'avant-bras droit, un pied à moitié gelé lors d'un vol où il n'avait échappé aux avions ennemis qu'en montant le plus haut possible. Mais il est une blessure qui ne s'est pas cicatrisée : la mort au combat en moins d'un an des vingt pilotes de son escadrille.

Au retour de la paix, Hederer, commissaire de 1re classe, sert à bord du croiseur cuirassé Marseillaise, puis comme commissaire de la base navale de Constantinople. Il rejoint ensuite les services de l'intendance maritime dans divers ports. En 1925, il commence une nouvelle carrière dans le corps du contrôle de la marine. Il est affecté sur sa demande en 1929 au ministère de l'air. Il effectue des missions de contrôle parfois délicates, comme celle de la Compagnie générale aéropostale en Amérique du Sud, qui lui valent d'être intégré en 1933 dans le corps du contrôle de l'administration de l'aéronautique. Nommé contrôleur général en mars 1936, il dirige avec Pierre Cot, alors ministre de l'air, la nationalisation de l'industrie aéronautique.

Toujours au cabinet de Cot durant la "drôle de guerre", Hederer est gravement blessé dans un accident d'automobile lors de la débâcle de juin 1940. Dès le début de l'Occupation, il participe à la diffusion d'une propagande anti-allemande. Sous le pseudonyme de "Pommery", il prend part à de nombreuses actions de résistance et adhère au réseau Marco Polo le 1er janvier 1943. Il entretient des contacts avec des émissaires de Londres et fournit des renseignements au SRA de Lyon, notamment sur les activités de la Luftwaffe entre Salon-de-Provence et Marignane : stockage "des bombes et munitions, postes de contrôle, radars, emplacements de DCA... Organisateur de ce service de renseignement aviation, ses activités le font rechercher par la Gestapo de Marseille et d'Aix début 1944.

Pendant la libération de Paris, il sauvegarde et réorganise sous son autorité les organes d'administration du ministère de l'air. Sa conduite est récompensée par la plaque de grand officier de la Légion d'honneur, la Croix de guerre 1939-1945 avec deux palmes et la Médaille de la Résistance avec rosette.

Nommé, après la guerre, directeur du contrôle de l'aéronautique puis de l'armement, Hederer termine sa carrière au service de l'État comme secrétaire général de l'aviation civile. Parvenu à la limite d'âge de son grade en 1951, il commence une nouvelle vie professionnelle dans l'industrie. Il occupe alors le poste de président-directeur général de la Société française d'équipements pour la navigation aérienne jusqu'en 1965.

À 93 ans, il est élevé à la dignité de grand-croix de la Légion d'honneur. Cette décoration lui sera remise par Marcel Dassault, heureux de pouvoir rendre hommage à celui qui l'avait défendu lorsqu'en 1941 il était poursuivi et emprisonné sur ordre de Laval, à celui qui avait secouru son épouse pendant les deux ans que l'avionneur passa en déportation au camp de Buchenwald et qui avait aidé plusieurs familles juives réfugiées dans le Midi de la France.

 

C. Mommessin, Commissaire de la marine de 1re classe, In Les Chemins de la Mémoire, 197/septembre 2009

Charles Tricornot de Rose

1876-1916

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Charles de Tricornot de Rose dans un supplément de L’Illustration 1923

 

Charles de Rose, père de la chasse aérienne

Jean-Baptiste, Marie, Charles Tricornot de Rose, dit Carlo, baron de Tricornot, marquis de Rose est peu connu du grand public. Pourtant cet esprit libre et inventif est la figure emblématique de l’avion de chasse dont il est le père fondateur.

Né à Paris, le 16 octobre 1876, Charles de Tricornot de Rose choisit de perpétuer les traditions familiales en embrassant la carrière des armes. depuis six générations, en effet, les Tricornot sont officiers de cavalerie. Entré à Saint-Cyr en 1895, il est ensuite affecté au 9e régiment de dragons à Lunéville. Son parcours, qui s'annonce brillant, connaît un arrêt brutal en 1906. Carlo de Rose est mis aux arrêts de rigueur pour avoir refusé d'expulser un prêtre de son église dans le cadre de l'application de la loi sur la séparation de l'Église et de l'État.

Acquitté par le Conseil de guerre, il n'en reste pas moins en non activité pendant trois ans. Carlo de Rose tire néanmoins profit de cette difficile situation en s'intéressant à la mécanique et aux moteurs à explosion, trouvant même un emploi à la société automobile Brillié. Cette expérience, qui va s'avérer déterminante pour la suite de sa carrière, nous révèle un homme à l'esprit libre, curieux et doué d'imagination, qui entrevoit les bouleversements que vont entraîner dans l'avenir les progrès techniques. Son purgatoire prend fin le 25 mars 1909, date à laquelle il est réintégré dans l'armée.

Affecté au 19e régiment de dragons de Carcassonne, Carlo de Rose n'hésite cependant pas, dès la fin de l'année, à se porter volontaire pour une formation de pilote alors que le général Roques met en place le Service aéronautique de l'Armée. Il obtient son brevet civil de l'Aéro-club en décembre 1910 et se fait connaître du grand public en réalisant plusieurs raids. Carlo de Rose a trouvé sa voie dans l'aviation, où son esprit énergique et inventif va pouvoir s'exprimer pleinement.

À la poursuite des avions ennemis

En mai 1911, il est officiellement rattaché à l'établissement de Vincennes où s'effectuent de nombreuses recherches dans le domaine de l'aviation. De Rose se lance dans maintes expérimentations effectuant le premier réglage de tir d'artillerie depuis un aéroplane en août suivant. Il se passionne pour l'armement des appareils, sa rencontre avec Roland Garros en 1912 s'avérant à ce titre une étape décisive dans ce processus.

Lorsque la guerre éclate, le commandement de l'aéronautique de la Ve Armée lui est confié . son expérience se révèle incontournable. La victoire de Frantz et Quenault, qui abattent, le 5 octobre 1914, un appareil allemand, est pour de Rose la preuve éclatante que ses intuitions sont justes. En mars 1915, il confie aux pilotes de son unité, la MS 12, tout juste équipée de Morane-Saulnier, une nouvelle mission : rechercher les appareils ennemis et les abattre. Il jette ainsi les premières bases de la chasse, même si la synchronisation du tir reste un problème qui le préoccupe mais sera finalement résolu par le sergent Alkan de la MS 12 au printemps 1916, après des mois d'efforts. Sa clairvoyance convainc le haut-commandement de mettre en place les premières escadrilles de chasse le long du front.

À l'évidence, lorsque débute la terrible bataille de Verdun en février 1916, un homme est en mesure de retourner la situation, qui est alors défavorable à la France, le commandant de Rose. Le général Pétain lui confie une mission qu'il résume en ces termes demeurés célèbres : "Rose, balayez-moi le ciel ! Je suis aveugle." De Rose obtient l'envoi de 15 escadrilles équipées du fameux avion Nieuport XI dit "Bébé" et rassemble les meilleurs pilotes avec parmi eux les célèbres as tels Navarre, Guynemer, Brocard, Garros, Heurtaux, Nungesser, Dorme... Après de rudes combats, les patrouilles françaises parviennent enfin à obtenir, au mois d'avril, la maîtrise de l'air.

Le 11 mai, alors qu'il effectue un vol de démonstration au sud de Soissons, aux commandes de son Nieuport décoré d'une rose, son insigne personnel, le commandant de Rose, victime d'une panne de moteur, se tue accidentellement après avoir donné ses lettres de noblesse à la chasse.

 

Marie-Catherine Villatoux, Service historique de la Défense, département de l'armée de l'Air, In Les Chemins de la Mémoire, 193/avril 2009

René Cassin

1887-1976

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René Cassin. Domaine public

 

"Il n'y aura pas de paix sur cette planète tant que les droits de l'homme seront violés en quelque partie du monde que ce soit". Ainsi s'exprime René Cassin, grand juriste français et l'un des pères de la Déclaration universelle des droits de l'homme. Nul mieux que lui n'a compris que les droits de l'homme et la paix étaient indissolublement liés.

Appartenant à une vieille famille de tradition juive, René Samuel Cassin voit le jour le 5 octobre 1887 à Bayonne. Après de brillantes études au lycée Masséna de Nice, il entre à la faculté de droit d'Aix-en-Provence. Licencié ès-Lettres, premier prix au concours général des facultés de droit, il devient docteur ès-sciences juridiques, économiques et politiques et obtiendra son agrégation en droit privé en 1919.

René Cassin est mobilisé en 1914 comme caporal chef. Un tir de mitrailleuse le blesse grièvement le 12 octobre de la même année à Saint-Mihiel. Il reçoit la Croix de guerre avec palme et la Médaille militaire. Réformé, il enseigne à la faculté d'Aix-en-Provence, puis à celles de Marseille, Lille et Paris. Par solidarité avec ses anciens camarades de combat, il participe dès 1917 à la création de l'une des toutes premières associations de victimes de guerre. En 1929, il devient vice-président du conseil supérieur des pupilles de la nation. Jusqu'en 1940, il consacre une partie de ses activités aux anciens combattants et fera voter plusieurs lois en faveur des victimes de guerre.

Militant de la paix, René Cassin veut "effacer toute frontière entre les hommes, reconnaissant à chacun d'entre eux les mêmes droits inséparables à la dignité d'être". En 1924, il fait partie de la délégation française à la Société des Nations. Après les accords de Munich, qu'il dénonce, il refusera de siéger à Genève. Dès le début des années 1930, averti des dangers du nazisme par des juifs allemands rencontrés lors d'un voyage en Palestine, il avait pressenti un nouveau conflit en Europe.

Prix Nobel de la paix pour ce défenseur des droits de l'homme

En juin 1940, il refuse l'idée d'un armistice, rejoint l'Angleterre et se présente le 29 juin au général de Gaulle. Ce dernier lui confie la mission de négocier l'accord du 7 août 1940 avec les Britanniques, accord qui fait de De Gaulle un allié à part entière et donne un statut à la France libre qu'il dote ensuite de structures juridiques et administratives propres à assurer la continuité de l'État et de la République.

À la demande du général de Gaulle, il prend la direction, en 1943, de l'Alliance israélite universelle qu'il dirigera jusqu'à sa mort. Secrétaire permanent du Conseil de défense de l'Empire français, président du comité juridique de la France combattante puis du Gouvernement provisoire de la République française (1941-1944), il est nommé, en 1944, vice-président du Conseil d'État, fonction qu'il exercera jusqu'en 1960.

Délégué de la France à l'ONU, René Cassin a fait partie, dès 1946, du petit groupe de spécialistes chargés de rédiger la Déclaration universelle des droits de l'homme, adoptée à Paris le 10 décembre 1948 par l'assemblée générale des Nations-Unies. Aux côtés de la présidente de la commission, Eleanor Roosevelt, épouse de l'ancien président des États-Unis, il y joue un rôle majeur . il obtient que la Déclaration soit "universelle" et non "internationale", faisant admettre que les droits économiques, sociaux et culturels soient désormais considérés comme des droits fondamentaux.

En janvier 1959, il est choisi par l'assemblée consultative du Conseil de l'Europe pour siéger comme juge à la Cour européenne des droits de l'homme, qu'il présidera de 1965 à 1968. Il reçoit le prix Nobel de la paix en octobre 1968 . le montant de la récompense lui permet de créer, en 1969, l'Institut international des droits de l'homme.

René Cassin participe par ailleurs activement à la vie institutionnelle de la France. Il préside, en 1958, le comité chargé de préparer la Constitution de la Ve République et reçoit, en 1959, en tant que vice-président du Conseil d'État, le serment du nouveau président de la République, le général de Gaulle. Il joue également un rôle essentiel dans la création du Conseil constitutionnel dont il est membre de 1960 à 1971.

Grand Croix de la Légion d'honneur, Compagnon de la Libération, médaillé de la Résistance, commandeur des Palmes académiques, René Cassin décède le 20 février 1976 à Paris. Le 5 octobre 1987, à l'occasion du centième anniversaire de sa naissance, son corps est transféré au Panthéon.

 

Source : In Les Chemins de la Mémoire, 188/novembre 2008

Georges Bernanos

1888-1948

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Georges Bernanos vers 1940. Domaine public

 

L'auteur du Journal d'un curé de campagne s'engage dans la cavalerie en août 1914 à l'âge de 26 ans. Comme celle de bien d'autres écrivains, œuvre de Georges Bernanos est marquée par la Grande Guerre. À travers son travail d'écriture, il ne cessera de sonder le mystère du mal tout en s'engageant dans un combat pour la foi et la liberté.

Né à Paris en 1888, Georges Bernanos fait des études de droit et de lettres. Catholique et royaliste, il milite auprès des "Camelots du Roi". Ses premiers essais romanesques paraissent dans la presse en 1913 et 1914 avant d'être réunis dans un livre intitulé Dialogues d'ombres. Bien que réformé en 1911, il parvient cependant à s'engager fin août 1914. Sa passion des chevaux et de l'équitation le conduit à choisir la cavalerie. Il rejoint fin décembre le 6e régiment de dragons dans lequel il servira jusqu'à l'armistice.

La guerre va changer Bernanos. Elle est le creuset de son œuvre. Il écrit dans une lettre: "Ceux qui n'entendent pas ce que ce temps a de tragique, non pas à cause des quelques milliers de morts, mais parce qu'il marque une limite dans l'histoire du monde, sont des ânes."

"L'épreuve des tranchées lui a révélé la redoutable grimace de l'humanité moderne", a observé Albert Béguin, professeur de littérature, critique d'art et éditeur, que Bernanos a chargé de s'occuper de ses écrits après sa mort. C'est là sans doute que prend naissance la dimension tragique de son œuvre, l'auteur passant, comme le souligne Jean Bastier "d'un univers un peu conventionnel à des ciels bas et troubles, des aubes sales et livides, des terres boueuses et sataniques", qui peupleront ses grands romans. De son livre Sous le soleil de Satan, commencé peu après l'armistice et paru en 1926, Bernanos lui-même dira qu'il est né de la guerre.

En février 1915, Bernanos est dans la Marne . en avril, près de Verdun. En mai, sa division se trouve en Picardie où une partie des hommes sont terrés dans les tranchées. En septembre, avant les deux grandes offensives en Artois et en Champagne, il espère une percée de l'infanterie qui permettra enfin à la cavalerie de chevaucher victorieusement. Mais la grande attaque est annulée. Durant l'hiver qui suit, le 6e dragons fournit encore des détachements aux tranchées. Lors d'un bombardement, le 1er mai 1916, Bernanos est sérieusement commotionné : "Leurs gros obus nous encadraient bien régulièrement, en rétrécissant le cercle de minute en minute, jusqu'au moment où l'un d'eux éclatait dans la tranchée même, à la hauteur d'une tête et à un mètre de moi. Quel éclair (...) et tout de suite après, quel noir! La chose étincelante m'avait jeté je ne sais où, avec un camarade, sous une avalanche de terre fumante. Le sol autour de nous et au-dessous de nous était criblé d'éclats énormes (...)".

En février et mars 1917, il suit des cours de pilotage à l'école d'aviation de Dijon-Longvic, puis à celle de Chartres. Mais, sa vue n'étant pas jugée suffisamment bonne, il est renvoyé début avril au 6e dragons. Il profite cependant de son éloignement momentané du front pour se marier le 14 mai 1917.

Arrivent les grandes offensives allemandes du printemps 1918. L'unité de Bernanos se bat, à pied, dans l'Aisne, l'Oise. Le 30 mai, il est blessé à la jambe et reçoit une citation. "J'ai fait deux jours de service de liaison entre ma section et ma compagnie. (...). J'ai circulé toute la journée de jeudi dans une plaine et un bois littéralement criblé de balles (....). J'ai combattu comme je l'avais toujours rêvé."

Hospitalisé en juillet-août, Bernanos rejoint en septembre son régiment : "Poussière, boue (...), je reprends la couleur de nos chemins". Quand arrive le 11 novembre, l'écrivain partage le regret des cavaliers : il n'y a pas eu de victoire complète, pas de poursuite avec désorganisation de l'armée ennemie. Il sera également déçu par l'application du traité de Versailles : "La Victoire ne nous aimait pas", écrira-t-il dans Les Enfants humiliés.

Dans les années trente, il rompt avec son milieu politique. Installé avec sa famille à Palma de Majorque, il assiste de là à la guerre d'Espagne qui lui inspirera Les grands cimetières sous la lune (1938), où il stigmatise Franco et ses partisans. En 1938, il part pour le Paraguay, puis le Brésil. Qualifiant le régime de Vichy de "ridicule dictature agricole", il prend le parti du général de Gaulle.

Il rentre en France en 1945, repart pour la Tunisie d'où il ne reviendra que pour mourir, à Neuilly, en 1948.

 

Source : Jean Bastier, "Georges Bernanos, le dragon de 1914-1918" In Les écrivains combattants de la Grande Guerre, Giovanangeli éd., 2004. In Les Chemins de la Mémoire, 186/septembre 2008

Franklin Delano Roosevelt

1882-1945

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Roosevelt en 1933. ©Library of Congress/Elias Goldensky

 

Né le 30 janvier 1882, Franklin Delano Roosevelt est issu d’une famille de colons hollandais émigrés aux États-Unis au XVIIe siècle. Diplômé de la prestigieuse université d’Harvard, il entreprend une carrière d’avocat avant de se lancer en politique, sur les traces de son cousin Theodore Roosevelt, président des États-Unis de 1901 à 1909.

Figure montante du parti démocrate, sa carrière débute en 1910, lorsqu’il est élu sénateur de l’État de New York. En 1913, il est nommé secrétaire adjoint à la Marine par le président Woodrow Wilson. Au cours du premier conflit mondial,  il s’emploie au développement des sous-marins et soutient le projet d’installer un barrage de mines en mer du Nord pour protéger les navires alliés des attaques sous-marines allemandes.

À l’occasion d’une tournée d’inspection en Grande-Bretagne et sur le front français, il rencontre pour la première fois Winston Churchill.

Chargé de la démobilisation après l’Armistice, il quitte son poste à la Marine en juillet 1920. La même année, la défaite  des démocrates aux élections présidentielles inaugure une longue traversée du désert lors de laquelle il contracte une maladie qui lui fait perdre l’usage des jambes, en 1921.

Il revient sur le devant de la scène politique en 1928, en étant élu gouverneur de l'État de New York. Au cours de ce mandat, il entreprend des réformes tant en faveur des campagnes que dans le domaine social, mettant notamment en place l'Office temporaire des secours d'urgence pour venir en aide aux chômeurs, réduisant la durée du temps de travail pour les femmes et les enfants ou encore veillant à l’amélioration des hôpitaux. Il fait également montre de tolérance en matière d’immigration comme de religion. Son action, couronnée de succès, est validée par sa réélection en 1930.

 

Roosevelt (à droite) avec Woodrow Wilson le 14 juin 1914. ©Library of Congress /Domaine public

 

En 1932, Roosevelt est désigné candidat à l’élection présidentielle par le parti démocrate, basant sa campagne sur le New Deal (« nouvelle donne »), un programme de redressement économique qui doit mettre fin à la crise qui touche le pays depuis le krach boursier de 1929. Élu par 57 % des suffrages, il met en œuvre son programme de relance de l’économie et de lutte contre le chômage, réforme le système bancaire américain et fonde la Sécurité sociale. Tout en restant fragile, l’économie se rétablit progressivement et Roosevelt est réélu en 1936 puis en 1940.

La situation se dégradant en Europe, il s’efforce de rompre avec la politique d’isolationnisme et de neutralité des États-Unis soutenue par le Congrès et l’opinion publique américains. Il obtient tout d’abord, en septembre 1939, l'abrogation des lois sur l'embargo des ventes d’armes aux belligérants puis, en 1941, l’accord du Congrès pour une aide en armements aux Alliés, sans remboursement. La loi Lend-Lease (prêt-bail), signée le 11 mars 1941, permet ainsi aux Américains de fournir les Alliés en matériel de guerre sans intervenir directement dans le conflit. Le 14 août 1941, Roosevelt et Churchill signent la Charte de l’Atlantique, déclaration commune définissant les principes moraux devant présider au rétablissement durable de la paix et qui servira ultérieurement de base à la Charte des Nations unies (juin 1945).

 

Le président américain Roosevelt signant la déclaration de guerre contre le Japon, le 8 décembre 1941.
© National Archives and Records Administration/ Abbie Rowe

 

Entre-temps, dans le Pacifique, les relations entre le Japon et les puissances occidentales se détériorent. Les États-Unis accordent leur soutien à la Chine, opposée au Japon, par l’octroi d’un prêt-bail puis, celui-ci refusant de se retirer de l'Indochine et de la Chine, les États-Unis, la Grande-Bretagne et les Pays-Bas décident d’un embargo sur les matières premières tandis que les avoirs japonais aux États-Unis sont gelés. Le 7 décembre 1941, les forces japonaises bombardent Pearl Harbor, la plus grande base navale américaine dans l'océan Pacifique, faisant entrer les États-Unis dans la guerre.

 

Franklin Delano Roosevelt signant la déclaration de guerre contre l'Allemagne,  le 11 décembre 1941.
© Farm Security Administration/Office of War Information/Domaine public

 

En 1942, Roosevelt donne la priorité au front européen tout en contenant l'avancée japonaise dans le Pacifique. C'est ainsi que les États-Unis interviennent aux côtés des Britanniques, d'abord en Afrique du Nord (opération Torch en novembre 1942) puis en Europe par les débarquements en Italie et en France.

Durant le conflit, il est l’un des principaux acteurs des conférences interalliées (Anfa en janvier 1943 pour le choix du prochain front en Europe et la reddition sans condition de l’Allemagne, Dumbarton Oaks en août-octobre 1944 pour préparer la réunion constitutive de l’Organisation des Nations Unies, Yalta en février 1945 pour résoudre les problèmes de l’Europe d’après-guerre).

 

Franklin D. Roosevelt, Churchill, Giraud et de Gaulle lors de la conférence d’Anfa (Casablanca), 24 janvier 1943.
© National Archives and Records Administration.

 

Ne reconnaissant pas la légitimité du général de Gaulle, dont il se méfie car il voit en lui un apprenti dictateur, Roosevelt s'oppose à ce que la France Libre participe aux Nations unies tant que des élections n’auront pas eu lieu en France. Le retour de Laval au pouvoir en 1942 entraîne le rappel de Vichy de l'ambassadeur américain et l’ouverture d’un consulat à Brazzaville. Le président américain soutient successivement l'amiral Darlan –collaborateur notoire- puis le général Giraud –vichyste patenté- et tente d’entraver l'action du Comité français de la Libération nationale d'Alger dont de Gaulle à résolument pris la tête, reléguant Giraud à des tâches strictement militaires.

Quant à son idée de placer la France libérée sous occupation militaire américaine (AMGOT), elle ne verra jamais le jour, le général Eisenhower ayant affirmé à de Gaulle, dès le 30 décembre 1943 : « Dans les faits, je ne connaîtrai en France d’autre autorité que la vôtre ». En signe d’apaisement et pour satisfaire une presse et une opinion publique américaines très favorables au Général, il reçoit celui-ci à Washington en juillet 1944.  Mais il ne reconnaît officiellement le Gouvernement provisoire de la République française (GPRF) qu'en octobre 1944 et n’invite pas son chef à  Yalta, signe que sa méfiance ne s’était pas totalement dissipée.

 

  Conférence de Yalta, 1945. © Army Signal Corps Collection/National Archives

 

Le 7 novembre 1944, Franklin Roosevelt est réélu pour un quatrième mandat à la Maison Blanche. Il décède brusquement le 12 avril 1945, d’une hémorragie cérébrale. Conformément à la constitution américaine, le vice-président Harry Truman lui succède.

 
Source : La rédaction du site CDM

Marc Bloch

1886-1944

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Marc Bloch. ©Roger-Viollet/Albert Harlingue

Aussi illustre soit-il en tant qu'historien, la résistance de Marc Bloch, qui fut arrêté en mars 1944 par la Gestapo et fusillé, avec 29 autres résistants, le 16 juin à Saint-Didier de Formans, reste peu connue. L'historien Laurent Douzou relate l'action clandestine de cet intellectuel engagé, depuis l'année 1943 jusqu'à sa mort.

 

"On devrait se préoccuper davantage qu'on ne le fait de la façon dont meurent les universitaires, quand il leur arrive de ne pas mourir de maladie ou de vieillesse" écrivait le philosophe Georges Canguilhem à propos de Marc Bloch, dont l'extraordinaire notoriété d'historien a parfois occulté le rôle actif durant l'Occupation.

Professeur à la Sorbonne, le co-fondateur des Annales d'histoire économique et sociale était, quand la guerre éclata, une sommité scientifique. Alors qu'il entrait dans sa pleine maturité, il avait déjà une œuvre à son actif. Il avait, de surcroît, été exposé au feu au cours de la Grande Guerre qu'il avait terminée avec la Légion d'honneur à titre militaire et la Croix de guerre.

Âgé de 53 ans en 1939, ce père de six enfants demanda à combattre. Chargé du ravitaillement en essence de la 1re Armée, il remplit sa mission non sans constater avec stupéfaction que l'édifice qu'il avait cru solide était vermoulu. Disséquant dans une analyse rédigée à l'été 1940 et publiée en 1946 sous le titre de L'Étrange Défaite, les niveaux de responsabilité du désastre, il ne s'exonéra pas pour autant des siennes : "J'appartiens à une génération qui a mauvaise conscience. De la dernière guerre, c'est vrai, nous étions revenus bien fatigués. Nous avions aussi, après ces quatre ans d'oisiveté combattante, grande hâte de reprendre sur l'établi, où nous les avions laissé envahir par la rouille, les outils de nos divers métiers : nous voulions, par des bouchées doubles, rattraper le travail perdu. Telles sont nos excuses. Je ne crois plus, depuis longtemps, qu'elles suffisent à nous blanchir".

Touché par le statut des Juifs d'octobre 1940, Marc Bloch fut exclu de son poste de professeur détaché auprès de l'université de Strasbourg repliée à Clermont-Ferrand. Au titre de l'article 8, qui prévoyait des exemptions pour les individualités ayant rendu des services exceptionnels à la France, il fut relevé de cette mesure, en janvier 1941, et affecté à Montpellier en juillet. Il renonça à user du visa qu'il avait obtenu pour les États-Unis parce qu'il ne voulait pas laisser les siens. Il exerça ses fonctions à Montpellier jusqu'à sa révocation le 15 mars 1943.

À cette date, la paisible vie de labeur du médiéviste avait bifurqué radicalement. Entré de plain pied en résistance, Marc Bloch était devenu "Narbonne" en nouant contact avec Franc-Tireur. Georges Altman, dirigeant de ce mouvement, a relaté cette rencontre : "Je revois encore cette minute charmante où Maurice [Pessis], l'un de nos jeunes amis de la lutte clandestine, son visage de vingt ans rouge de joie, me présenta sa "nouvelle recrue", un monsieur de cinquante ans, décoré, le visage fin sous les cheveux gris argent, le regard aigu derrière ses lunettes, sa serviette d'une main, une canne de l'autre ; un peu cérémonieux d'abord, mon visiteur bientôt sourit en me tendant la main et dit avec gentillesse : Oui, c'est moi le "poulain" de Maurice..."

Précieux témoignage qui suggère bien ce que put représenter pour l'universitaire Marc Bloch le saut dans une clandestinité où, les cartes rebattues, il lui fallut faire ses preuves comme un débutant. Tout ce qu'il eut dès lors à faire s'inscrivit en rupture avec sa vie antérieure comme le relevait Georges Altman : "Et l'on vit bientôt le professeur en Sorbonne partager avec un flegme étonnant cette épuisante vie de "chiens de rues" que fut la Résistance clandestine dans nos villes". Au "poulain de Maurice" on confia vite des tâches à la mesure de ses talents. Il collabora aux Cahiers politiques du Comité général d'Études et à La Revue libre, éditée par Franc-Tireur. Ces publications portent sa marque, notamment cette table méthodique des articles de la première année des Cahiers politiques dans le numéro 5 de janvier 1944 !

En juillet 1943, Marc Bloch devint un des trois membres du directoire régional des Mouvements unis de résistance, poste à la fois exposé et harassant. Conscient du danger, efficace et déterminé, "Narbonne" s'affirma comme un dirigeant légitime et respecté dans le petit monde si exigeant de la clandestinité. Son arrestation, par une Gestapo bien renseignée, au matin du mercredi 8 mars 1944 sur le pont de la Boucle à Lyon, bouleversa ses camarades. Torturé dans les locaux de l'École de santé militaire, interné à la prison de Montluc, Marc Bloch fut fusillé le 16 juin 1944 avec 29 autres résistants à Saint-Didier-de-Formans.

 

Laurent Douzou, historien, In Les Chemins de la Mémoire, 234/mars 2013

Louis Pergaud

1882-1915

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« Mort pour la France »

 

Louis Pergaud naît le 22 janvier 1882 à Belmont dans le Doubs. Fils d’un instituteur laïc, il vit son enfance dans des petits villages, explorant la campagne et traquant la truite avec ses copains. Brillant élève, il entre, en 1898, à l’École normale et est nommé instituteur à Durnes en octobre 1901. La mort de ses deux parents, en février et mars 1900, a causé au jeune homme un traumatisme profond qu’il surmonte en lisant les poèmes de Léon Deubel, lesquels suscitent en lui une passion littéraire.

En 1902, il effectue son service militaire dont il garde un mauvais souvenir . son mariage, en 1903, avec Marthe Caffot, se révèle un échec et sa fille décède en 1904. En même temps, son républicanisme de combat lui vaut des querelles avec la population, entraînant sa mutation à Landresse, à un moment où les tensions entre l’Église et l’école républicaine sont extrêmement vives. Mal dans sa peau, Louis Pergaud se réfugie dans la chasse, les promenades où se réveillent les parfums de l’enfance, les discussions avec les amis dont le volubile cafetier Duboz. Il tombe bientôt amoureux de l’une de ses filles, Delphine. Léon Deubel, qui l’a aidé, en 1904, à faire paraître son premier recueil de poèmes, lui propose de le rejoindre à Paris.

Pergaud décide de changer de vie. En 1907, il gagne la capitale, fait venir Delphine qu’il épouse après son divorce. Léon Deubel le conforte dans son désir d’écrire. Pour subsister, il reprend son métier d’instituteur et pendant ses vacances recueille le matériau de ses ouvrages. D’emblée, la figure de Louis Pergaud s’impose dans le monde littéraire : le Prix Goncourt couronne en 1910 son premier ouvrage, De Goupil à Margot, qui rencontre un véritable succès.

 
 
 
En 1912, il publie La Guerre des boutons, roman de ma douzième année. Sur fond de rivalités entre deux villages, l’auteur développe, avec un humour parfois féroce, des thèmes qui lui sont chers : la vie campagnarde, l’esprit de clocher, les querelles laïco-cléricales…1913 est pour Pergaud une période faste qui voit le succès de son Roman de Miraut, chien de chasse, mais aussi douloureuse à cause du suicide de Léon Deubel.

Écrivain naturaliste, Pergaud déploie une écriture riche et dense pour un hymne à la vie encore sauvage, se montrant novateur en cherchant l’empathie avec les animaux. Il revisite son univers rural, préparant plusieurs textes, qu’il remet au printemps 1914 au Mercure de France sous le titre Les rustiques. Le livre n’est pas encore imprimé que Louis Pergaud reçoit son ordre de mobilisation. La guerre éclate le 2 septembre. Matricule 2216 au recrutement de Belfort, il est affecté comme sergent au 166e régiment d’infanterie, à Verdun. « Pacifiste et antimilitariste, je ne voulais pas plus de la botte du Kaiser que de n’importe quelle botte éperonnée pour mon pays. » (1)

En octobre, il gagne le front, dans le secteur meusien de la Woëvre, région humide dont les collines font l’objet d’âpres combats. Sa correspondance stigmatise « les patriotes en chambre », décrit le courage des poilus, la boue des tranchées, la mort permanente. Les bagarres juvéniles entre la bande de Lebrac et celle de l’Aztec des Gués, héros de La Guerre des boutons, ont pris la dimension mortelle d’un conflit d’adultes.

 

Le sous-lieutenant Louis Pergaud (au centre de l'image).

 

Au printemps 1915, les Français lancent une offensive dans les Hauts de Meuse. Le 7 avril, dans la nuit, la compagnie du sous-lieutenant Pergaud attaque, depuis Fresnes-en-Woëvre, la cote 233 vers Marchéville. Près des tranchées ennemies, sous une pluie battante, les soldats subissent une intense fusillade. La section de Louis Pergaud est décimée, les survivants se terrent puis se replient au petit jour. Nul ne reverra l’écrivain. Des hommes l’ont dit blessé. Des brancardiers allemands auraient pu le récupérer et le transporter dans une tranchée, en attendant de pouvoir l’évacuer. Mais pour assurer la conquête de la crête des Éparges, la cote 233 doit être reprise : le lendemain, l’artillerie française la pilonne, détruisant tout le paysage, ensevelissant à jamais, sans distinction, les hommes dans cette terre.

Le 4 août 1921, par jugement du tribunal de la Seine, Louis Pergaud, disparu, fut déclaré « mort pour la France » le 8 avril 1915 à Fresnes-en-Woëvre. Il compte au nombre des 1 160 morts et disparus du 166e RI pour l’année 1915. En l’absence de tombe, ce sont désormais ses livres qui portent le souvenir de l’écrivain au destin brisé.

 

Plaque commémorative, 3 rue Marguerin, Paris 14e. Source :  © Public Domain / Wikimedia Commons

 

Ministère de la défense - DMPA - Daniel Fleury - Revue : Les Chemins de la Mémoire n° 221 – Déc. 2011

 

(1) Lettre à Lucien Descaves, mars 1915.

Mustapha Kemal Atatürk

1881-1938

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Mustapha Kemal Atatürk Source : Licence Creative Commons. Photo libre de droit.

Mustapha Kemal est né à Salonique, en Macédoine, le 19 mai 1881.

Après des études à l'École de guerre et à l'Académie militaire d'Istanbul, capitaine d'état-major en 1905, il est affecté à Damas, en Syrie, où il sert au sein de la 5e armée en lutte contre les Druzes. Dans le même temps, il forme un petit groupe d'opposition, Vatan ve Hürriyet (Patrie et Liberté). À l'automne 1907, il est nommé à l'état-major de la 3e armée, à Salonique, où il côtoie le Comité Union et Progrès et les Jeunes-Turc, opposants au régime qui obtiennent le rétablissement de la Constitution de 1876. En avril 1909, il est chef d'état-major du général Mahmoud Chevket, commandant de l'armée mise en place par des officiers constitutionnalistes pour combattre le soulèvement, à Istanbul, des défenseurs de l'absolutisme.

Il s'illustre en décembre 1911 en Libye, durant la guerre italo-turque, en remportant la bataille de Tobrouk avant de prendre le commandement militaire de Derna, en mars de l'année suivante. Cependant, le Monténégro ayant déclaré la guerre à la Turquie en octobre, il rentre afin de participer à la première guerre balkanique qui oppose la Turquie au Monténégro, à la Serbie, à la Bulgarie et à la Grèce. Chef d'état-major à Gallipoli, il repousse les offensives bulgares. Il devient attaché militaire à Sofia en 1913.

En novembre 1914, la Turquie entre en guerre aux côtés de l'Allemagne. Lieutenant-colonel, Mustapha Kemal est chargé de former la 19e division d'infanterie et se distingue lors de la contre-offensive germano-turque visant à faire échouer le débarquement franco-anglais dans le détroit des Dardanelles. Repoussant les assauts alliés, il remporte une victoire majeure sur le front d'Anafarta, en août 1915. Promu général, il prend, en 1916, le commandement du 16e corps d'armée dans le Caucase puis celui de la 2e armée à Diyarbakir. Affrontant les troupes russes, il reprend Mus et Bitlis. Rappelé en Syrie, où il sert sous les ordres du général allemand Erich von Falkenhayn, il prend le commandement de la 7e armée. De retour à Istanbul à l'automne 1917, il accompagne à la fin de l'année le prince héritier Vahidettin dans un voyage officiel en Allemagne. Il rejoint à nouveau la Syrie en août 1918 où il reprend le commandement de la 7e armée contre les Britanniques jusqu'à la signature de l'armistice de Moudros, le 30 octobre 1918.

Après l'armistice, opposé à l'occupation et au démembrement de la Turquie, il organise la résistance nationale.

Nommé inspecteur général des armées du Nord et du Nord-Est en mai 1919, il est chargé d'assurer la sécurité de la région de Samsun, où populations turques, grecques et arméniennes s'affrontent, et lance ses forces contre les troupes grecques débarquées à Smyrne.

En désaccord avec la politique du sultan, il appelle, de la ville d'Amasya, le 22 juin 1919, à la création d'une représentation nationale indépendante puis convoque les congrès d'Erzurum et de Sivas en juillet et en septembre. Enfin, la réunion de la Grande Assemblée nationale à Ankara, le 23 avril 1920, aboutit à la formation d'un gouvernement national à la tête duquel Mustapha Kemal, président de l'Assemblée, est élu.

Obtenant le retrait de la France en Cilicie et la restitution par l'Arménie des régions occupées, il parvient en outre à repousser les Grecs d'Anatolie, menant et remportant notamment la bataille de Doumlupinar (30 août 1922), et signe avec eux, le 11 octobre 1922, l'armistice de Moudanya.

Entre-temps, le sultan a accepté, le 10 août 1920, le traité de Sèvres qui réduit considérablement l'Empire turc. Mustapha Kemal parvient à obtenir des Alliés sa révision. Le 24 juillet 1923, le traité de Lausanne met un terme aux revendications arméniennes et grecques et reconnaît la souveraineté turque sur tout le territoire national.

Cette étape franchie, il s'emploie, par de profondes réformes politiques, économiques et sociales, à faire de la Turquie un pays moderne. Le sultanat est abolit (1er novembre 1922) et la République proclamée (29 octobre 1923). Élu président, il installe la capitale à Ankara, inscrit la laïcité dans la Constitution et engage son pays dans la voie du développement économique. Conformément à la loi de 1934 imposant aux citoyens turcs de prendre un nom de famille, il prend celui d'Atatürk, "Père de tous les Turcs".

Il décède le 10 novembre 1938 à Istanbul.

 

Source : MINDEF/SGA/DMPA

Charles Nungesser

1892-1927

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Charles Nungesser. ©SHD/Air

 

En mai 1927, L’oiseau blanc, l’avion de Charles Nungesser et de François Coli, disparaît au-dessus de l’Atlantique. Cet accident met un terme à la vie d’un des "as des as" de la Grande Guerre.

Charles Nungesser naît à Paris le 15 mars 1892. Dès son enfance, il fait preuve d’un caractère audacieux qui l’amène à se passionner pour la mécanique et le pilotage de voitures de course et d’avions.

En 1907, après l’école des Arts et Métiers, Charles Nungesser entreprend un voyage en Amérique du Sud. Employé comme mécanicien à Buenos Aires chez un importateur de moteurs, il prend part en 1909 à l’un des
premiers raids automobiles de la Cordillère des Andes. Il s’introduit dans le monde de l’aviation et ses talents de pilote se révèlent à l’occasion d’un meeting aérien et de nombreux vols au-dessus de l’Uruguay et de l’Argentine.

Quand éclate la Grande Guerre, Nungesser regagne la France et est incorporé dans un régiment de cavalerie. Il participe à la bataille des frontières mais se retrouve encerclé. Il parvient à regagner les lignes françaises le 3 septembre 1914 après avoir intercepté une voiture d’état-major allemande, tué les quatre officiers qui l’occupaient et traversé à vive allure, au volant du véhicule, toute la région occupée par les Allemands. Cette action d’éclat lui vaut la Médaille militaire.

Mais Nungesser, qui rêve d’aviation, demande à y être incorporé. Le 22 janvier 1915, il commence une formation et obtient  le 8  avril son brevet de pilote. Affecté à l’escadrille de bombardement 106, basée à Saint-Pol, près de Dunkerque, il effectue le 11 avril sa première mission au-dessus de la Flandre occupée à bord d’un Voisin 3.

Le 26, Nungesser engage son premier duel aérien contre un Albatros allemand. À quatre reprises, le Voisin est touché, mais l’avion est ramené à bon port. Une citation vient couronner ces premiers exploits.

Nommé adjudant le 5 juillet, Nungesser se rend à Nancy avec son escadre. Il abat son premier avion ennemi dans la nuit du 30 au 31 juillet.

Blessé, il regagne le front pour reprendre ses missions

Après un stage de perfectionnement pour des missions de chasse, Charles Nungesser rejoint en novembre l’escadrille de chasse N65 de Nancy. C’est à cette époque qu’il fait peindre sur la carlingue de son Nieuport, un blason qui va devenir légendaire : un cœur noir frappé de la tête de mort et des tibias croisés argent, au-dessus d’un cercueil flanqué de flambeaux allumés.

Au cours de la bataille de la Somme, en septembre 1916, Nungesser réussit l’exploit d’abattre trois appareils ennemis le même jour. En décembre, il remporte sa vingtième victoire, ce qui lui vaut une citation à l’ordre de l’armée et la Military Cross.

Blessé, réformé, il obtient cependant l’autorisation de continuer à voler et abat deux avions ennemis le 1er mai 1917. Le 16 août, il remporte sa trentième victoire. Pourtant, conséquence de ses blessures, sa santé se dégrade d’autant qu’il est grièvement blessé dans un accident de voiture dans lequel Pochon,
son mécanicien, est tué. Malgré tout, le lieutenant Nungesser est de retour sur le front en décembre.

Quand, le 5 juin 1918, il abat son trente-sixième avion, il reçoit, outre une nouvelle citation, la Légion d’honneur et déclare : "Après ça, on peut mourir !".

Après un nouveau séjour à l’hôpital, Nungesser revient sur le front le 14 août.

Le 15, il remporte sa quarante-cinquième et dernière victoire.

La guerre finie, Charles Nungesser accepte de créer une école de pilotage qui s’installe à Orly. Cependant, ce grand sportif, amateur de défis et d’exploits, réfléchit à un projet de traversée de l’Atlantique en avion.

Le 8 mai 1927, L’oiseau blanc, l’avion de Nungesser et de Coli, un camarade de guerre, décolle du Bourget en direction du continent américain. On ne le reverra jamais.

 

Source : MINDEF/SGA/DMPA