Isabelle Zdroui

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Chapeau

Le 16 juillet 1942, Isabelle Zdroui échappe à la rafle du Vel d’Hiv. Après avoir fui l’appartement familial, elle restera cachée dans plusieurs maisons d’accueil jusqu’à la fin de la guerre. Aujourd’hui âgée de 90 ans, elle continue à raconter et transmettre son histoire.

Isabelle Zdroui à son domicile, octobre 2021. © Arnaud Papillon
Texte

Quels souvenirs conservez-vous des premières années de guerre ?

J’avais 8 ans lors du déclenchement de la guerre. Ma soeur et moi étions alors au préventorium de Banyuls-sur-Mer (66). Nous sommes revenues à Paris en octobre/novembre 1941, au moment de la rentrée des classes. Mon père était absent. Nous avons questionné ma mère mais celle-ci n’a rien voulu nous dire. J’ai par la suite appris qu’il avait été engagé volontaire dès 1939, incorporé aux régiments de marche de volontaires étrangers (RMVE), avant d’être démobilisé puis "invité" à se présenter lors de la convocation du billet vert [ndlr : cette convocation correspond à la première vague d’arrestation de Juifs étrangers, le 14 mai 1941, par la police française]. Il a été emmené à Beaune-la-Rolande puis à Compiègne avant d’être déporté à Auschwitz, le 5 juin 1942. Mes parents étaient tous deux originaires de Pologne. Arrivés en France en 1930 pour fuir les pogroms, ils exerçaient le métier de marchands forains. Nous n’étions pas riches et vivions très simplement.

Pouvez-vous nous raconter votre 16 juillet 1942 ?

Nous avons entendu frapper à la porte. Ma mère n’a pas répondu. La concierge a dit aux policiers que nous n’étions pas là. Après leur départ, ma mère, inquiète, s’est tournée vers ma sœur et moi car elle ne savait pas comment nous allions pouvoir quitter l’appartement. Sortir nécessitait que l’on traverse une cour où l’on serait exposées à la vue de tous. Nous nous sommes rendues dans la cuisine et avons ouvert la fenêtre qui faisait face au boulevard Diderot. Une voisine pleurait et disait : "Descendez, je vais vous rattraper et tous vous sauver". Ma mère a privilégié une autre solution. Il y avait un petit muret près de la fenêtre de la cuisine. Moi, ma sœur puis elle-même sommes montées dessus et, collées au mur, nous avons attendu, cachées pendant des heures. En face, un policier nous observait sans rien dire. La concierge est revenue nous avertir que le danger était passé. Elle nous a conseillé de nous sauver au plus vite en nous disant qu’ils allaient revenir le lendemain. Maman a rassemblé quelques affaires puis nous a confiées à une dame. Ma sœur et moi avons dès lors été placées chez différentes nourrices et maisons pour enfants. L’Œuvre de secours aux enfants nous a ensuite envoyées dans une petite ferme où nous avons été très mal traitées, avant de nous transférer dans une institution religieuse à Vatan dans l'Indre, où nous sommes restées jusqu’en 1945. Nous y avons été reçues dans de très bonnes conditions. Maman qui, sans le savoir, résidait dans une ferme à quelques kilomètres de nous, est venue nous chercher après la Libération.

Comment se reconstruit-on après de telles épreuves ?

Cela a été très dur mais j’y suis notamment parvenue en engageant des recherches autour de mon histoire familiale et grâce au soutien de mon mari. Nous avons partagé les mêmes souffrances. Il y a quelques années, nous avons découvert que nos pères s’étaient trouvés à Compiègne au même moment et étaient partis dans le même convoi, celui du 5 juin 1942 portant le numéro 2.

Vous évoquez les recherches que vous avez entreprises autour de votre histoire. Sur quoi portaient-elles précisément ? Que vous ont-elles permis de découvrir ?

J’ai commencé mes recherches afin d’en apprendre davantage sur l’histoire de ma famille, dont je ne savais finalement que très peu de choses. Celles-ci se sont avérées assez ardues en raison de la difficulté à se procurer la documentation. Je m’interrogeais beaucoup sur la vie de mes parents avant le déclenchement de la guerre et sur ce qu’était devenu mon père. Je ne savais pas où il était passé, ce qu’il était devenu et par quels camps il avait transité. Idem pour mon beau-père. Grâce à ces investigations, j’ai pu retracer une partie de mon vécu. Aujourd’hui, je continue toujours de faire des recherches avant d’aller témoigner dans les classes. Les deux vont de pair. Lorsque je me mets en quête d’informations sur les enfants déportés et que je trouve des documents sur les familles, je les transmets aux personnes concernées. D’une certaine façon, je les aide à obtenir des renseignements sur la trajectoire de leurs proches et leur destinée. C’est important de connaître la vérité.

Vous et votre mari ne cessez de témoigner. En quoi est-ce important pour vous ?

Témoigner est quelque chose de normal et je m’attache à le faire régulièrement depuis 2005. Il est nécessaire que les gens sachent ce qui s’est passé, en particulier les enfants. Je reviens avec eux sur les événements qui se sont déroulés pendant la guerre car, bien souvent, leurs parents ne leur en parlent pas ou ne sont eux-mêmes pas au courant. La plupart des élèves écoutent sans intervenir mais sont tout de même intéressés par ce qu’on leur raconte. Un jour, j’ai croisé une petite fille qui avait fait partie d’un groupe devant lequel j’étais intervenue. En me reconnaissant, elle s’est tournée vers son père et lui a dit : "C’est la dame qui est venue nous dire ce que je t’ai expliqué". Il a redressé la tête en me disant : "Vous faites bien madame, il ne faut rien oublier de cette période".


Auteur
La rédaction

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