Les étrangers dans la France libre

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Maquisards allemands défilant dans la ville de Nîmes libérée.
Maquisards allemands défilant dans la ville de Nîmes libérée. - © Collection musée de la Résistance nationale (AAMRN)

Sommaire

    En résumé

    Le dossier retrace l’engagement aux côtés des combattants de la France libre de nombreux volontaires étrangers.

    Durant la Seconde Guerre mondiale, la résistance au nazisme est l’œuvre d’hommes et de femmes de toutes conditions sociales et de toutes nationalités. Des étrangers, fuyant leur pays pour des raisons politiques ou économiques, se sont engagés dans ce combat, souvent jusqu’à la mort.

    La France libre offre le singulier exemple d’une tour de Babel militaire. Sur les 63 000 engagés volontaires qui ont combattu dans les rangs des Forces françaises libres (FFL), du 18 juin 1940 au 31 juillet 1943 (date de leur fusion avec l’armée d’Afrique), on dénombre environ 32 000 soldats coloniaux et 3 000 étrangers, soit 56% de l’effectif, contre 44% de citoyens français. À côté de forts contingents d’Espagnols, de Polonais ou de Belges, on trouve aussi des poignées d’Argentins, de Canadiens, de Britanniques, de Roumains, de Yougoslaves et même une dizaine de Chinois, trois Cubains et deux Équatoriens. Si les soldats coloniaux ne sont pas étudiés dans ce dossier, on essaiera de dresser le tableau de ces milliers d’étrangers qui, au lendemain de la défaite, sur la base du volontariat et au péril de leur vie, décidèrent de servir la France.

    Le nombre de ces étrangers n’est pas aisé à estimer dans la mesure où les fiches d’engagement dans les FFL ne mentionnent pas systématiquement la nationalité du volontaire. Difficulté encore renforcée par la forte proportion, parmi les étrangers, de légionnaires qui pouvaient s’engager sous un nom et une nationalité d’emprunt. Et que dire des nombreux volontaires possédant une double nationalité ou des apatrides ? Au Levant, où les FFL recrutèrent fortement, il est souvent difficile de distinguer qui se cache derrière les nationalités mentionnées sur les fiches d’engagement : « Arméniens » (plus de 300), « Palestiniens » (comprenons, selon les termes de l’époque, des juifs de Palestine ; environ 200), « Turcs », « Libanais », « Syriens » ou « Druzzes ». Au total, plus de trente nationalités cohabitent sous l’uniforme à Croix de Lorraine. Malgré cette somme de difficultés, on peut estimer à 2800 le nombre des étrangers et à 200 celui des volontaires à la nationalité incertaine, mais dont on peut supposer qu’ils étaient étrangers au moment de l’engagement. Le nombre total d’étrangers est donc de l’ordre de 3000 individus, soit 8,5% des non-coloniaux et 4,7% de l’ensemble de l’effectif.

    À leur manière, les FFL constituent ainsi une autre forme de « brigades internationales », même si les effectifs étrangers y furent nettement moindres, ainsi que montré par l’historien Rémi Skoutelski : environ 130 Britanniques dans les FFL contre 1 800 dans les brigades, 90 « Français libres » américains et canadiens contre 2 800 brigadistes, 260 Belges contre plus de 1 700, une vingtaine de Néerlandais contre 630.

    La Légion étrangère dans la France libre

    Dans la mesure où les FFL ont par trois fois puisé dans le vivier de la Légion – à l’été 1940 avec la 13e Demi-brigade de Légion étrangère (DBLE), puis à l’été 1941 avec le 6e Régiment étranger d’infanterie (REI) au Levant, enfin, par de nombreuses désertions en Algérie au printemps 1943 – les origines de ces volontaires étrangers sont fortement déterminées par la nature des engagements dans la Légion étrangère à la fin de l’entre-deux-guerres. À cet égard, comme l’indique l’historien britannique Douglas Porch, plusieurs phénomènes retiennent l’attention.

    La 13e DBLE rejoint les forces de la France libre. Défilé du général de Gaulle à Londres, le 14 juillet 1940.
    © Musée de l'Ordre de la Libération

    Dès la déclaration de guerre, comme en 1914, mais à une échelle encore plus importante, les volontaires étrangers affluent vers les armées françaises : 64 000 demandes d’engagement en 1939, 83 000 en février 1940, soit deux fois plus qu’en 1914. Pour la seule année 1939 et pour la seule Légion étrangère, Porch comptabilise 3 050 volontaires espagnols, 800 Tchèques, 640 Italiens, 530 Polonais. En outre, les origines de ces étrangers sont très polarisées et 75% d’entre eux appartiennent à trois groupes principaux : républicains espagnols, Tchèques et Juifs d’Europe centrale, auxquels s’ajoute un contingent nettement moins important d’antifascistes allemands, autrichiens ou italiens. Ce portrait de groupe est donc très différent de celui des engagés de la Légion de 1914 où prédominaient Italiens, Russes, Alsaciens-Lorrains, Espagnols, Suisses, Grecs. Il diffère également des lignes de force de la Légion de l’entre-deux-guerres, nettement dominée par les Russes, les Allemands et les Italiens. Enfin, comme en 1914, l’attitude des autorités françaises à l’égard de ces étrangers est des plus ambiguës, oscillant entre l’encouragement à l’engagement et la méfiance, dans le contexte de xénophobie rampante de la fin des années 1930.

    Au sein de la Légion, l’amalgame se passe plutôt mal. Les volontaires étrangers, dans leur grande majorité, ne souhaitaient pas servir dans la Légion dont l’image à la fin des années 1930 était sulfureuse et négative. En outre, le choc des cultures est violent entre la « vieille légion », composée de soldats professionnels et apolitiques, et ces « nouveaux légionnaires » politisés et rétifs aussi bien à l’esprit légionnaire qu’à sa discipline de fer. Ainsi, les Espagnols, habitués à la discipline relâchée de l’armée républicaine, sont particulièrement hostiles au « dressage » légionnaire. Enfin, l’encadrement de la Légion ne trouve rien de mieux que de confier l’entraînement des nouveaux venus à des sous-officiers parmi lesquels se trouvent de nombreux Allemands, engagés dans les années 1920, et qui ne vouent un amour débordant ni aux Juifs ni aux communistes.

    Cérémonie avant le départ de la 13e DBMLE pour la Norvège. 23 avril 1940. L'amiral Jean de Laborde, commandant en chef des forces maritimes de l'Ouest (Amiral Ouest), se fait présenter les officiers par le lieutenant-colonel Magrin-Vernerey, commandant la 13e demi-brigade de Légion étrangère.
    © Marine 224-3150 - Jammaron / ECPAD / Défense

    C’est dans ce contexte qu’est formée, le 27 mars 1940, la 13e DBLE, par l’association de deux bataillons d’un peu plus de 1 000 hommes, que le haut-commandement français envoie en Norvège « couper la route du fer » à l’Allemagne. La 13e DBLE est commandée par un grand soldat, le lieutenant-colonel Magrin-Vernerey (le futur « Monclar »), sept fois blessé durant la Grande Guerre. La « 13 » fournit un bel exemple de l’association de la « vieille » et de la « nouvelle » Légion puisqu’à une moitié de légionnaires de métier est associé un gros quart d’Espagnols et d’importants contingents de Tchèques et de Juifs d’Europe centrale. Après la campagne de Norvège, où la 13e DBLE combat plus qu’honorablement, le choix décisif s’opère au camp de Trentham Park, près de Stoke-on-Trent. Le 1er juillet 1940, sur les 1 619 rescapés de Norvège, 989 décident de rejoindre de Gaulle et les FFL et de rester en Angleterre, alors que 630 choisissent de rentrer en France ou d’être rapatriés au Maroc. À titre de comparaison, l’écrasante majorité des chasseurs alpins qui formaient l’autre moitié de la force expéditionnaire, sous les ordres du colonel Béthouart, choisissent le rapatriement vers le Maroc.

    Espagnols, Polonais, Belges, Italiens et Allemands entre immigration et antifascisme

    Sans surprise, on retrouve également dans les rangs des FFL les lignes de force de l’immigration en France de l’entre-deux-guerres : forte présence de frontaliers (Espagnols, Belges, Italiens), de Polonais de la vague migratoire des années 1920 et, plus récemment, de Juifs ayant fui les persécutions d’Europe centrale. Les républicains espagnols constituent, avec les Polonais et les Belges, le principal groupe d’étrangers chez les FFL. Après la victoire franquiste, un grand nombre de républicains, jusque-là internés dans des camps du sud de la France, signent un engagement à la Légion étrangère. Leurs motivations sont diverses, de l’antifascisme militant à la volonté de fuir des camps sordides, sans compter la peur d’être livrés à Franco. Environ 350 de ces Espagnols sont
    affectés à la 13e DBLE envoyée en Norvège. Au terme de la campagne de Norvège, ils refusent farouchement de rentrer en France et, après diverses péripéties, la majorité d’entre eux décide de rallier les FFL. Au même moment, au Levant, une vingtaine d’autres Espagnols désertent du 6e REI et gagnent la Palestine britannique ; ils sont incorporés au 1er bataillon d’infanterie de marine, quand celui-ci est créé en août 1940. À ces engagements de 1940, s’ajoutent les ralliements de nouveaux légionnaires espagnols au terme des combats fratricides de Syrie de juin 1941, puis, après la libération de l’Afrique du Nord à la fin de 1942, ceux d’un nombre non négligeable de nouveaux républicains espagnols (mais aussi d’Italiens antifascistes) jusque-là internés par Vichy en Afrique française du Nord (AFN). Ne négligeons pas non plus la tentative, même avortée, de création d’un « bataillon basque ». En mai 1941, la France libre et le Conseil national basque en exil à Londres signèrent un accord en vertu duquel les soldats de l’ex armée du gouvernement autonome de Bilbao présents sur le sol anglais, mais aussi les Basques d’Amérique pourraient s’engager dans les FFL. À cet effet, en septembre 1941, fut formé le 3e bataillon de fusiliers marins, sous les ordres du colonel Marenco, ancien officier basque de l’armée républicaine espagnole. Le bataillon fut dissous en mars 1942, à la fois en raison du faible nombre des engagés (66 Basques) et des difficultés diplomatiques soulevées par les Britanniques, peu enclins à alimenter le séparatisme basque.

    Au total, on peut estimer qu’environ 500 anciens républicains espagnols ont rejoint les FFL. Ils ont été répartis en deux principaux groupes : la plupart des « anciens » de 1940 sont demeurés à la 13e DBLE tandis que les ralliés de 1943 ont été dirigés vers la 2e Division blindée (DB), où ils ont été regroupés à la 9e compagnie (la « Nueve ») du 3e bataillon du régiment de marche du Tchad, commandé par le capitaine Raymond Dronne et dont les chars portaient le nom de batailles de la guerre d’Espagne. Ces Espagnols sont les premiers à entrer dans Paris le 24 août 1944 au soir, avec une section du 501e Régiment de chars de combat (RCC).

    Blindé espagnol de la 2e DB du général Leclerc acclamé par la foule rue de Rivoli, à la hauteur de la place de l’Hôtel-de-Ville. 25 août 1944.
    © LAPI / Roger-Viollet

    Si la démarche politique prime probablement chez les républicains espagnols, les raisons de l’engagement sont plus complexes à déterminer pour les Italiens, dont le nombre est proche de 300 dans les FFL. Dans leur cas, se mêlent l’attachement à la France consécutif à l’immigration et au mariage avec des Françaises, l’antifascisme ou le rejet de la politique xénophobe de Vichy. Ces Italiens partagent avec leurs camarades français et allemands la particularité (que n’ont pas connue les Espagnols) d’avoir eu à surmonter les cas de conscience liés à la lutte contre leur propre patrie ; en Érythrée, au Fezzan en Lybie, en Tunisie, les combats des Français libres ont d’abord été tournés contre l’armée italienne. Certains de ces Italiens, comme le sergent Augusto Bruschi, de la 13e DBLE, mort à Keren le 15 mars 1941, sont tombés sous les obus italiens.

    Gustavo Camerini est une des grandes figures de l’antifascisme français libre. Né en 1907 à Alexandrie dans une riche famille de banquiers milanais installés en Égypte, il est avocat et officier de réserve de l’armée italienne. Son antifascisme le pousse à souscrire un engagement dans la Légion étrangère en 1939. De retour de Norvège, il rallie les FFL où il sert toute la guerre à la 13e DBLE, sous le nom de « Clarence », au grade de capitaine. Figure pittoresque de la France libre, sorte de « Gatsby italo-égyptien », il obtient de séjourner, entre deux campagnes, dans sa belle villa du Caire où il donne de fastueuses réceptions. Mais le mondain n’étouffe pas le guerrier ; une grave blessure par les Italiens à Massaouah (8 avril 1941), un comportement héroïque à Bir Hakeim, puis en Tunisie et encore en Italie (deux nouvelles blessures, cette fois face aux Allemands) lui valent la Croix de la Libération (il est l’un des deux Italiens avec Ettore Toneatti à avoir obtenu cette distinction). Après la guerre, il poursuit une brillante carrière d’avocat auprès de la Cour d’appel de Milan et de la Cour de cassation italienne.

    Le lieutenant Gustavo Camerini (1907 - 2001) dit Clarence, ici en Érythrée en 1941.
    © Tallandier / Bridgeman Images

    Les Allemands et les Autrichiens furent à peine moins nombreux que les Italiens dans les rangs des FFL (environ 250). Leur situation était pourtant très différente. Environ 1 500 Allemands avaient souscrit des engagements à la Légion durant l’entre-deux guerres. Après la défaite de la France, leur position à la Légion devient intenable. Un grand nombre d’entre eux, humiliés de servir dans une armée vaincue, ne cachent pas leur intention de retourner dans leur pays. Le gouvernement allemand multiplie les pressions de toutes sortes sur Vichy pour récupérer « ses » légionnaires. L’article 19 de la Convention d’armistice impose à Vichy de fournir à la Commission allemande d’application la liste des soldats de l’armée de l’armistice, ce qui lézarde le « sanctuaire » qu’offre traditionnellement la Légion à ses hommes. Malgré la résistance de Weygand, haut-commissaire en Afrique du Nord, qui envoie les plus exposés en Indochine, Vichy cède peu à peu et, le 31 mars 1942, le gouvernement ordonne que tous les légionnaires allemands rencontrent un délégué militaire allemand pour trancher leur destin. La plupart choisissent de regagner la mère patrie et nombre d’entre eux rejoignent le 361e Infanterie Regiment (avril 1942), lui-même intégré à la 90e Leichte Division de l’Afrika Korps. L’engagement de cette division contre le camp de Bir Hakeim en juin 1942 conduisit ainsi à d’impitoyables combats fratricides entre légionnaires de la « 13 » et ex-légionnaires allemands.

    Il n’est pas facile de percer les raisons du ralliement aux FFL des Allemands et des Autrichiens : antinazisme ? esprit de corps de la Légion ? amour de la France ? peur des représailles en Allemagne ? contingences matérielles ou personnelles ? À cet égard, il est significatif d’observer que le ralliement le plus important des FFL germanophones se produit au terme de la campagne de Syrie, c'est-à-dire dans des circonstances qui leur offrent la possibilité d’être rapatriés vers l’AFN. Avec beaucoup de prudence, on peut donc supposer que priment chez eux des sentiments d’ordre politique.

    Destins croisés

    On n’en finirait pas d’égrener les destins, parfois tragiques, de ces étrangers au service de la France. La figure de Dimitri Amilakvari (naturalisé français en mars 1940), héritier d’une famille princière de Géorgie qui a fui la révolution bolchévique, saint-cyrien et héros légendaire de la Légion, mort en octobre 1942 à El-Alamein, est bien connue. Stanislas Malec-Natlacen est un combattant d’un genre certes différent, mais tout aussi hors du commun. Né en Slovénie en 1913 dans l’empire des Habsbourg, il s’installe en France et est ordonné prêtre en 1938. Dans le même temps, ce colosse de près de deux mètres s’engage dans la Légion étrangère comme aumônier et rallie les FFL en juillet 1940 après la campagne de Norvège. Il sert toute la guerre comme aumônier-capitaine de la 13e DBLE et il est, à ce titre, plusieurs fois blessé, en particulier à Pontecorvo en mai 1944. Compagnon de la Libération, il travaille d’abord au Haut-Comité pour les réfugiés de l’ONU après la guerre, puis il part diriger un laboratoire de recherche en agronomie en Australie.

    De gauche à droite : Le capitaine aumônier Malec-Natlacen, Victor Mirkin, John Hasey et le lieutenant-colonel Amilakvari lors de la remise de sa croix de la Libération à El Tag (Égypte), 10 août 1942
    © Musée de l’Ordre
    de la Libération / © Collection familiale

    Destinée singulière également que celle de Victor Mirkin. Né en 1909 en Russie dans une riche famille de la bourgeoisie juive de Saint-Pétersbourg, il fuit la Révolution avec ses parents qui s’installent en France. Diplômé de la faculté de droit de Paris, avocat aux barreaux de Paris et Londres, polyglotte, il réside en Palestine à la veille de la guerre, où il administre les kibboutz que finance le baron de Rothschild pour le compte de l’Organisation sioniste mondiale. Naturalisé français, il est mobilisé comme officier de réserve en 1939 et la défaite le surprend au Levant. Aussitôt, il déserte avec quelques compagnons et gagne la Palestine, où il s’engage dans les FFL. Il sert comme capitaine au bataillon du Pacifique, s’illustre à Bir Hakeim et meurt au combat, le 22 novembre 1944, à Grosmagny, dans les Vosges. Pour totalement atypique qu’il soit, le parcours de John Hasey témoigne également de l’extrême diversité des « Français » libres. Ce jeune étudiant américain (né en 1916), fils d’un combattant engagé volontaire de la Grande Guerre, était venu s’installer à Paris à la fin des années 1930 pour y parfaire son français. Employé chez Cartier, il abandonne brusquement l’univers du luxe parisien et s’engage en décembre 1939 dans un corps sanitaire américain qui part porter secours à la Finlande. Gravement blessé par les Soviétiques, il est rapatrié dans son pays pour y être soigné, mais il revient en France au printemps 1940, où il a juste le temps de sauter dans un bateau pour gagner l’Angleterre via l’Espagne. En août 1940, il s’engage à la 13e DBLE où il est d’abord affecté au service de santé avant de rejoindre une unité combattante. Le 20 juin 1941, il
    est très grièvement blessé en Syrie, la mâchoire arrachée. Au terme d’une nouvelle convalescence, il est affecté à des postes moins exposés, instructeur au bataillon des Antilles, puis officier-interprète à l’état-major de Koenig à Londres en 1944. Après la guerre, cet inlassable baroudeur poursuit sa carrière à la Central Intelligence Agency (CIA), dirige une dizaine de bureaux de l’Agence à l’étranger et finit à la tête de l’une des sous-directions de Langley. Il est l’un des quatre Américains « Compagnons de la Libération ». Les trois autres sont le général Eisenhower, le lieutenant James Worden du service de santé de la 1re Division française libre (DFL) et l’adjudant franco- américain Jacques Tartière, jeune premier de Hollywood mort en Syrie en juin 1941.

    Destin singulier encore que celui de Jacob Kramer. Né à Magdebourg en 1902, ce juif allemand s’engage en 1920 comme simple soldat dans la Légion étrangère sous le nom de « Renard » et il gravit peu à peu les échelons. Lieutenant en 1939, il participe à la campagne de Norvège et rallie les FFL en juillet 1940. Affecté à la 13e DBLE, puis aux transmissions de la 1re DFL, il est grièvement blessé à Bir Hakeim et doit être amputé d’une jambe. Il reprend néanmoins son poste dans les transmissions, puis comme chef des services spéciaux en Corse. Après la guerre, Kramer-Renard poursuit une carrière militaire et prend sa retraite de colonel en 1958. Hermann Eckstein et Jacob Kramer sont les deux seuls Allemands à avoir été faits « Compagnons de la Libération ».

    Les Forces françaises libres présentent le visage d’une tour de Babel militaire fondée sur le volontariat, dont il y a peu d’exemples au XXe siècle à l’exception des Brigades internationales. Association d’un morceau de Coloniale, d’un bout de Légion, d’une cohorte d’antifascistes et d’immigrés européens, de contingents issus du melting-pot levantin et d’aventuriers venus du bout du monde, elles préfigurent, jusque dans leurs proportions, en comptant les soldats colonisés, ce que sera l’armée « française » d’Indochine.

    Auteur

    Jean-François Muracciole Historien, professeur d'histoire contemporaine à l'Université Paul-Valéry de Montpellier