Libération et défense de Strasbourg

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Chapeau

Le 2 mars 1941, à Koufra, à l’issue d’une victoire entrée dans la légende, le colonel Leclerc prêtait le serment devant ses hommes "de ne déposer les armes que lorsque nos couleurs, nos belles couleurs flotteront sur la cathédrale de Strasbourg". En ce mois de novembre 1944, la 2e DB et son chef sont sur le point de tenir cet engagement. 

Le général Leclerc, après avoir passé en revue des éléments de la 2e DB, salue pendant l'exécution de La Marseillaise, place Kléber, Strasbourg, 26 novembre 1944. © ECPAD / Jacques Belin, Roland Lennad
Texte

Après de violents combats à Dompaire et Baccarat, en Lorraine, la 2e DB (division blindée), qui a forcé la Meurthe à la seule initiative du général Leclerc, éprouve le besoin de souffler et de se réorganiser. Cet intermède permet d’incorporer et d’instruire les recrues provenant des FFI, et de renouveler le matériel. Intégrée au 15e corps de la 3e armée américaine du général Patton, la 2e DB est articulée en trois groupements tactiques lourds – le GTD du colonel Dio, le GTL commandé par le colonel de Langlade, le GTV du lieutenant-colonel de Guillebon – et un groupement tactique léger – le GTR du lieutenant-colonel Rémy. 

Franchir les Vosges

Il n’y a plus qu’un obstacle entre la 2e DB et Strasbourg mais il est d’importance : les Vosges dans des conditions hivernales !  Le 10 novembre, Leclerc appelle le colonel de Langlade et lui confie sa mission : traverser les Vosges par la route du Dabo en évitant les centres de résistance de Sarrebourg et de Saverne qui seront attaqués par le GTD et tomber sur Wasselonne et Marmoutier. "L’ennemi vous attend par les routes de Saverne, il ne vous attend pas par le Dabo, car nul ne pourrait supposer qu’une division blindée s’engage dans cet itinéraire de montagne…" Le 15 novembre, Leclerc lance sa cavalerie légère à l’assaut de Cirey-sur-Vezouze et de ses ponts. Le sous-groupement Morel-Deville du 1er RMSM (régiment de marche des spahis marocains) s’en empare le 18, après des combats acharnés pendant que le lieutenant-colonel La Horie est tué après avoir libéré Badonviller. Le 19 novembre, la 2e DB marche sur Strasbourg. Le GTD pousse en direction de Sarrebourg, Phalsbourg, Saverne par la Nationale 4. Tandis que le sous-groupement Quilichini se heurte à une farouche résistance à Phalsbourg, le lieutenant-colonel Rouvillois contourne l’obstacle, bouscule la 316e Infanteriedivision et, dans la soirée, se trouve en Alsace, au nord de Saverne. Le GTL, suivi du GTV, s’engage dans le massif vosgien et s’empare du Dabo, le 21 novembre. Malgré les défenses et la résistance ennemies, malgré des conditions météorologiques déplorables et un terrain défavorable, la barrière des Vosges est franchie et les groupements dévalent en Alsace. Au soir du 22 novembre, Marmoutier, Saverne et Phalsbourg sont libérées au prix de violents combats.

La libération de Strasbourg 

L’attaque démarre le 23 novembre 1944 à 6h45 sur quatre itinéraires, avec le Rhin et le pont de Kehl pour objectif final.  Trois heures plus tard, trois des quatre colonnes butent sur les forts de la place qui sont occupés et reliés entre eux par des fossés et des défenses antichars. La situation est débloquée par la quatrième colonne du lieutenant-colonel Rouvillois qui a emprunté l’itinéraire Hochfelden – Brumath – Schiltigheim et surprend la défense allemande en surgissant de cette direction inattendue. Dans un fracas assourdissant, Rouvillois traverse la ville de toute la vitesse de ses chars. Le 5e escadron du 1er RMSM arrive le premier devant la cathédrale. Rouvillois lance alors le célèbre message : "Tissu est dans iode" et fonce vers le Rhin, mais ne peut prévenir la destruction du pont de Kehl. Tandis que le 501e RCC (régiment de chars de combat), le RBFM (régiment blindé de fusiliers marins) et des éléments du RMT (régiment de marche du Tchad) nettoient la ville de ses nids de résistance et de ses snipers, face à la cathédrale de granit rose, le peloton Bompard du 5/1er RMSM est à même de tenir le serment de Koufra. Le spahi Maurice Lebrun se porte volontaire pour grimper sur la flèche et accrocher un emblème de fortune. Couvert par ses camarades, il grimpe… "Je réalise que je n’ai pas l’habitude de ce genre d’exercice. Et puis il y a le vent glacial, le vertige : 142 mètres et… quelle belle cible ! Je grimpe . enfin voilà le sommet. J’attaque le paratonnerre… et je crois bien que je tremble. J’extrais le drapeau de mon blouson . ça y est, il est bien attaché, je tarde à le libérer. Trente secondes immobile dans le vent . il me semble entendre un Zss, Zss, Zss. Je les avais oubliés ceux-là. Ils sont en train de m’aligner et depuis un moment déjà sans que j’aie réalisé". Le nettoyage se poursuit, les forts se rendent les uns après les autres. Enfin, le 25 novembre, la garnison allemande se rend à un détachement de la 2e DB. Le lendemain, le général Leclerc préside une prise d’armes sur la place Kléber.

La campagne d’Alsace

Dans les jours qui suivent, la 2e DB étend le périmètre de sécurité autour de Strasbourg et libère de nombreux villages. Le 28 novembre, elle atteint le secteur d’Erstein  à 15 km au sud-ouest de Strasbourg où elle est stoppée par la vive résistance de la XIXe armée allemande. Si Strasbourg est libérée, elle n’est pas encore sauvée ! Le 1er janvier 1945, Himmler, commandant en chef en alsace déclenche l’opération Nordwind qui vise à la reconquête de Strasbourg. Alors qu’Eisenhower veut replier les troupes avancées en Alsace, de Gaulle enjoint au général de Lattre de Tassigny de défendre les positions acquises. La tension monte entre les états-majors français et américain. Finalement, une intervention de Churchill permet de dénouer la crise et de Lattre met en place le dispositif de défense de Strasbourg sur un front de 248 kilomètres. En attendant la 3e DIA (division d’infanterie algérienne), quatre escadrons de gendarmes mobiles et des éléments FFI livrent des combats retardateurs contre les panzers qui roulent vers Strasbourg. Au sud, la 1re DMI (division motorisée d’infanterie) est engagée dans une bataille acharnée et perd le bataillon de marche n° 24 (BM 24) anéanti à Obenheim lors de l’opération Sonnenwende. Le sacrifice n’est pas vain . le 13 janvier, vaincu, l’ennemi retire ses meilleures divisions pour faire face à l’offensive soviétique à l’Est. 

Leclerc félicite chaudement la 1re DMI dans un message envoyé au général Garbay : "Bravo mon vieux !" En somme, la 1re division française libre (DFL) aura probablement sauvé Strasbourg après que la 2e DB l’ait prise. J’espère que cela ne t’a pas coûté trop cher. Félicite tout le monde de notre part et n’hésite pas à faire connaître la vérité". La solidarité des Français libres joue entre Garbay et Leclerc. Cette allusion aux responsabilités de l’état-major et du général de Lattre dans la perte du BM 24 traduit une nouvelle fois les antagonismes entre Français libres d’une part et armée d’Afrique de l’autre. Après la libération de Paris, la prise de Strasbourg par la 2e DB consacre les Forces françaises libres au premier rang de l’armée française. C’est oublier un peu vite le rôle de l’armée d’Afrique et de ses généraux, Juin et de Lattre au profit du mythe de la nation en armes personnifié par la Résistance et les deux divisions de Français libres qui perdure encore aujourd’hui.


Auteur
Pierre Dufour

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