Georges Bernanos

1888-1948

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Georges Bernanos vers 1940. Domaine public

 

L'auteur du Journal d'un curé de campagne s'engage dans la cavalerie en août 1914 à l'âge de 26 ans. Comme celle de bien d'autres écrivains, œuvre de Georges Bernanos est marquée par la Grande Guerre. À travers son travail d'écriture, il ne cessera de sonder le mystère du mal tout en s'engageant dans un combat pour la foi et la liberté.

Né à Paris en 1888, Georges Bernanos fait des études de droit et de lettres. Catholique et royaliste, il milite auprès des "Camelots du Roi". Ses premiers essais romanesques paraissent dans la presse en 1913 et 1914 avant d'être réunis dans un livre intitulé Dialogues d'ombres. Bien que réformé en 1911, il parvient cependant à s'engager fin août 1914. Sa passion des chevaux et de l'équitation le conduit à choisir la cavalerie. Il rejoint fin décembre le 6e régiment de dragons dans lequel il servira jusqu'à l'armistice.

La guerre va changer Bernanos. Elle est le creuset de son œuvre. Il écrit dans une lettre: "Ceux qui n'entendent pas ce que ce temps a de tragique, non pas à cause des quelques milliers de morts, mais parce qu'il marque une limite dans l'histoire du monde, sont des ânes."

"L'épreuve des tranchées lui a révélé la redoutable grimace de l'humanité moderne", a observé Albert Béguin, professeur de littérature, critique d'art et éditeur, que Bernanos a chargé de s'occuper de ses écrits après sa mort. C'est là sans doute que prend naissance la dimension tragique de son œuvre, l'auteur passant, comme le souligne Jean Bastier "d'un univers un peu conventionnel à des ciels bas et troubles, des aubes sales et livides, des terres boueuses et sataniques", qui peupleront ses grands romans. De son livre Sous le soleil de Satan, commencé peu après l'armistice et paru en 1926, Bernanos lui-même dira qu'il est né de la guerre.

En février 1915, Bernanos est dans la Marne . en avril, près de Verdun. En mai, sa division se trouve en Picardie où une partie des hommes sont terrés dans les tranchées. En septembre, avant les deux grandes offensives en Artois et en Champagne, il espère une percée de l'infanterie qui permettra enfin à la cavalerie de chevaucher victorieusement. Mais la grande attaque est annulée. Durant l'hiver qui suit, le 6e dragons fournit encore des détachements aux tranchées. Lors d'un bombardement, le 1er mai 1916, Bernanos est sérieusement commotionné : "Leurs gros obus nous encadraient bien régulièrement, en rétrécissant le cercle de minute en minute, jusqu'au moment où l'un d'eux éclatait dans la tranchée même, à la hauteur d'une tête et à un mètre de moi. Quel éclair (...) et tout de suite après, quel noir! La chose étincelante m'avait jeté je ne sais où, avec un camarade, sous une avalanche de terre fumante. Le sol autour de nous et au-dessous de nous était criblé d'éclats énormes (...)".

En février et mars 1917, il suit des cours de pilotage à l'école d'aviation de Dijon-Longvic, puis à celle de Chartres. Mais, sa vue n'étant pas jugée suffisamment bonne, il est renvoyé début avril au 6e dragons. Il profite cependant de son éloignement momentané du front pour se marier le 14 mai 1917.

Arrivent les grandes offensives allemandes du printemps 1918. L'unité de Bernanos se bat, à pied, dans l'Aisne, l'Oise. Le 30 mai, il est blessé à la jambe et reçoit une citation. "J'ai fait deux jours de service de liaison entre ma section et ma compagnie. (...). J'ai circulé toute la journée de jeudi dans une plaine et un bois littéralement criblé de balles (....). J'ai combattu comme je l'avais toujours rêvé."

Hospitalisé en juillet-août, Bernanos rejoint en septembre son régiment : "Poussière, boue (...), je reprends la couleur de nos chemins". Quand arrive le 11 novembre, l'écrivain partage le regret des cavaliers : il n'y a pas eu de victoire complète, pas de poursuite avec désorganisation de l'armée ennemie. Il sera également déçu par l'application du traité de Versailles : "La Victoire ne nous aimait pas", écrira-t-il dans Les Enfants humiliés.

Dans les années trente, il rompt avec son milieu politique. Installé avec sa famille à Palma de Majorque, il assiste de là à la guerre d'Espagne qui lui inspirera Les grands cimetières sous la lune (1938), où il stigmatise Franco et ses partisans. En 1938, il part pour le Paraguay, puis le Brésil. Qualifiant le régime de Vichy de "ridicule dictature agricole", il prend le parti du général de Gaulle.

Il rentre en France en 1945, repart pour la Tunisie d'où il ne reviendra que pour mourir, à Neuilly, en 1948.

 

Source : Jean Bastier, "Georges Bernanos, le dragon de 1914-1918" In Les écrivains combattants de la Grande Guerre, Giovanangeli éd., 2004. In Les Chemins de la Mémoire, 186/septembre 2008

Franklin Delano Roosevelt

1882-1945

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Roosevelt en 1933. ©Library of Congress/Elias Goldensky

 

Né le 30 janvier 1882, Franklin Delano Roosevelt est issu d’une famille de colons hollandais émigrés aux États-Unis au XVIIe siècle. Diplômé de la prestigieuse université d’Harvard, il entreprend une carrière d’avocat avant de se lancer en politique, sur les traces de son cousin Theodore Roosevelt, président des États-Unis de 1901 à 1909.

Figure montante du parti démocrate, sa carrière débute en 1910, lorsqu’il est élu sénateur de l’État de New York. En 1913, il est nommé secrétaire adjoint à la Marine par le président Woodrow Wilson. Au cours du premier conflit mondial,  il s’emploie au développement des sous-marins et soutient le projet d’installer un barrage de mines en mer du Nord pour protéger les navires alliés des attaques sous-marines allemandes.

À l’occasion d’une tournée d’inspection en Grande-Bretagne et sur le front français, il rencontre pour la première fois Winston Churchill.

Chargé de la démobilisation après l’Armistice, il quitte son poste à la Marine en juillet 1920. La même année, la défaite  des démocrates aux élections présidentielles inaugure une longue traversée du désert lors de laquelle il contracte une maladie qui lui fait perdre l’usage des jambes, en 1921.

Il revient sur le devant de la scène politique en 1928, en étant élu gouverneur de l'État de New York. Au cours de ce mandat, il entreprend des réformes tant en faveur des campagnes que dans le domaine social, mettant notamment en place l'Office temporaire des secours d'urgence pour venir en aide aux chômeurs, réduisant la durée du temps de travail pour les femmes et les enfants ou encore veillant à l’amélioration des hôpitaux. Il fait également montre de tolérance en matière d’immigration comme de religion. Son action, couronnée de succès, est validée par sa réélection en 1930.

 

Roosevelt (à droite) avec Woodrow Wilson le 14 juin 1914. ©Library of Congress /Domaine public

 

En 1932, Roosevelt est désigné candidat à l’élection présidentielle par le parti démocrate, basant sa campagne sur le New Deal (« nouvelle donne »), un programme de redressement économique qui doit mettre fin à la crise qui touche le pays depuis le krach boursier de 1929. Élu par 57 % des suffrages, il met en œuvre son programme de relance de l’économie et de lutte contre le chômage, réforme le système bancaire américain et fonde la Sécurité sociale. Tout en restant fragile, l’économie se rétablit progressivement et Roosevelt est réélu en 1936 puis en 1940.

La situation se dégradant en Europe, il s’efforce de rompre avec la politique d’isolationnisme et de neutralité des États-Unis soutenue par le Congrès et l’opinion publique américains. Il obtient tout d’abord, en septembre 1939, l'abrogation des lois sur l'embargo des ventes d’armes aux belligérants puis, en 1941, l’accord du Congrès pour une aide en armements aux Alliés, sans remboursement. La loi Lend-Lease (prêt-bail), signée le 11 mars 1941, permet ainsi aux Américains de fournir les Alliés en matériel de guerre sans intervenir directement dans le conflit. Le 14 août 1941, Roosevelt et Churchill signent la Charte de l’Atlantique, déclaration commune définissant les principes moraux devant présider au rétablissement durable de la paix et qui servira ultérieurement de base à la Charte des Nations unies (juin 1945).

 

Le président américain Roosevelt signant la déclaration de guerre contre le Japon, le 8 décembre 1941.
© National Archives and Records Administration/ Abbie Rowe

 

Entre-temps, dans le Pacifique, les relations entre le Japon et les puissances occidentales se détériorent. Les États-Unis accordent leur soutien à la Chine, opposée au Japon, par l’octroi d’un prêt-bail puis, celui-ci refusant de se retirer de l'Indochine et de la Chine, les États-Unis, la Grande-Bretagne et les Pays-Bas décident d’un embargo sur les matières premières tandis que les avoirs japonais aux États-Unis sont gelés. Le 7 décembre 1941, les forces japonaises bombardent Pearl Harbor, la plus grande base navale américaine dans l'océan Pacifique, faisant entrer les États-Unis dans la guerre.

 

Franklin Delano Roosevelt signant la déclaration de guerre contre l'Allemagne,  le 11 décembre 1941.
© Farm Security Administration/Office of War Information/Domaine public

 

En 1942, Roosevelt donne la priorité au front européen tout en contenant l'avancée japonaise dans le Pacifique. C'est ainsi que les États-Unis interviennent aux côtés des Britanniques, d'abord en Afrique du Nord (opération Torch en novembre 1942) puis en Europe par les débarquements en Italie et en France.

Durant le conflit, il est l’un des principaux acteurs des conférences interalliées (Anfa en janvier 1943 pour le choix du prochain front en Europe et la reddition sans condition de l’Allemagne, Dumbarton Oaks en août-octobre 1944 pour préparer la réunion constitutive de l’Organisation des Nations Unies, Yalta en février 1945 pour résoudre les problèmes de l’Europe d’après-guerre).

 

Franklin D. Roosevelt, Churchill, Giraud et de Gaulle lors de la conférence d’Anfa (Casablanca), 24 janvier 1943.
© National Archives and Records Administration.

 

Ne reconnaissant pas la légitimité du général de Gaulle, dont il se méfie car il voit en lui un apprenti dictateur, Roosevelt s'oppose à ce que la France Libre participe aux Nations unies tant que des élections n’auront pas eu lieu en France. Le retour de Laval au pouvoir en 1942 entraîne le rappel de Vichy de l'ambassadeur américain et l’ouverture d’un consulat à Brazzaville. Le président américain soutient successivement l'amiral Darlan –collaborateur notoire- puis le général Giraud –vichyste patenté- et tente d’entraver l'action du Comité français de la Libération nationale d'Alger dont de Gaulle à résolument pris la tête, reléguant Giraud à des tâches strictement militaires.

Quant à son idée de placer la France libérée sous occupation militaire américaine (AMGOT), elle ne verra jamais le jour, le général Eisenhower ayant affirmé à de Gaulle, dès le 30 décembre 1943 : « Dans les faits, je ne connaîtrai en France d’autre autorité que la vôtre ». En signe d’apaisement et pour satisfaire une presse et une opinion publique américaines très favorables au Général, il reçoit celui-ci à Washington en juillet 1944.  Mais il ne reconnaît officiellement le Gouvernement provisoire de la République française (GPRF) qu'en octobre 1944 et n’invite pas son chef à  Yalta, signe que sa méfiance ne s’était pas totalement dissipée.

 

  Conférence de Yalta, 1945. © Army Signal Corps Collection/National Archives

 

Le 7 novembre 1944, Franklin Roosevelt est réélu pour un quatrième mandat à la Maison Blanche. Il décède brusquement le 12 avril 1945, d’une hémorragie cérébrale. Conformément à la constitution américaine, le vice-président Harry Truman lui succède.

 
Source : La rédaction du site CDM

Philippe Viannay

1917-1986

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Philippe Viannay (au centre). ©Fondation de la Résistance, AERI, coll. Défense de la France DR

 

Rien ne le préparait à affronter la guerre et à entrer dans la Résistance. Et pourtant, Philippe Viannay devient, à 25 ans, le chef incontesté d'un des principaux mouvements de résistance de la zone nord. Retour sur l'itinéraire d'un homme, épris de liberté, qui fut un précurseur dans de nombreux domaines.

Dans la galaxie des grands chefs de la résistance française, Philippe Viannay occupe une place singulière. Bien qu'il ait dirigé Défense de la France (DF), un important mouvement de zone nord, l'homme est resté moins connu que nombre de ses homologues – Frenay, Bourdet ou le couple Aubrac pour ne citer qu'eux. Sa jeunesse – il a tout juste 23 ans en 1940, son refus d'embrasser après-guerre une carrière politique, la publication posthume de ses mémoires..., autant d'éléments qui expliquent ce silence relatif. Dans le même temps, tous les hommes qui l'ont croisé – dans la nuit clandestine comme au Centre de formation des journalistes (CFJ), au club Jean Moulin comme au centre des Glénans – conservent le souvenir ému d'une personnalité dont le charisme était grand. Quels qu'aient été ses mérites, il ne s'agit pas, ici, de proposer une lecture hagiographique d'un résistant mais d'explorer la singularité d'un éminent dirigeant de l'Armée des ombres.

Philippe Viannay naît en 1917, dans un milieu conservateur : son père est proche du PSF du colonel de la Roque et sa mère appartient plutôt à une petite noblesse de robe. Il estimait d'ailleurs que sa famille appartenait à "une bourgeoisie d'honneur", méprisant l'argent tout en en ayant quelque peu. Après une année d'hypokhâgne au lycée Louis-le-Grand, il entame des études de philosophie tout en envisageant la prêtrise – vocation qu'il abandonne en 1938 pour reprendre son cursus à la Sorbonne.

Combattant vaillamment en 1940, il revient à Paris, bien décidé, pour reprendre la formule consacrée, "à faire quelque chose". En effet, il envisage dès octobre 1940 de monter un journal clandestin, suivant l'idée soufflée par un patron de ses amis, Marcel Lebon. Épaulé par un ancien condisciple, Robert Salmon, et par une étudiante rencontrée à la Sorbonne, Hélène Mordkovitch, qu'il épousera en 1942, il lance un journal clandestin, Défense de la France, dont le premier numéro sort le 14 juillet 1941.

Peut-on s'émanciper de ses origines ? L'itinéraire de Viannay invite à répondre de façon nuancée. Issu d'une famille conservatrice et catholique, l'homme épouse à bien des égards les réflexes de son milieu. De fait, DF adopte, jusqu'en 1942, une ligne maréchaliste, créditant bien à tort Pétain de sentiments résistants. De même, l'apprenti philosophe construit son combat sur un plan éthique. Il ne cherche pas à lutter militairement contre l'occupant mais appelle avant tout à un sursaut moral.

Dans le même temps, Philippe Viannay s'éloigne de son milieu. Loin de suivre aveuglément le Maréchal, il considère la lutte contre l'Allemand comme une ardente priorité. Et DF devient, grâce à Hélène Viannay, un lieu de brassage où une bourgeoisie plutôt droitière se mêle à des émigrés russes notamment, plutôt de gauche.

Par son charisme, son sens de l'organisation et son ouverture d'esprit, Viannay infléchit par la suite les destinées de son mouvement. Se rendant à l'évidence, le journal abandonne progressivement sa ligne maréchaliste pour soutenir de Gaulle, non sans un détour giraudiste. Surtout, DF se convertit progressivement à la lutte armée, montant des corps-francs puis des maquis, en Bourgogne-Franche-Comté et en Seine-et-Oise notamment. Mais, il ne parvient pas à s'imposer auprès de la France combattante. Tout en obtenant des fonds qui lui permettent, entre autres, de soutenir un atelier de faux-papiers, le mouvement ne siège pas au Conseil national de la Résistance. Viannay était sans doute meilleur organisateur que fin politique ! De fait, il préfère, en 1944, combattre en Seine-et-Oise – où il est gravement blessé – plutôt que de préparer à Paris la sortie au grand jour de Défense de la France /France Soir.

 

Albert Bernier, Philippe Viannay (au centre) et Françoise de Rivière, maquis de Seine-et-Oise, août 1944.
© Fondation de la Résistance, AERI, coll. Défense de la France DR

 

Bien que député à l'Assemblée consultative, Viannay abandonne à la Libération et la carrière politique, et France-Soir. En revanche, soucieux de former les journalistes dont il avait constaté avant-guerre le manque de professionnalisme, il monte le CFJ, s'investit au journal France-Observateur, tout en créant le centre nautique des Glénans. Il reste, à cette aune, fidèle à ses postulats. Tout en s'intéressant, via l'Union de la Gauche socialiste puis le club Jean-Moulin, à la chose publique, il préfère s'investir dans la société civile – fil rouge qui relie son engagement clandestin à ses investissements durant les temps plus calmes de la République retrouvée. Il décède en 1986, à l'âge de 69 ans.


Olivier Wieviorka, historien, auteur de Une certaine idée de la Résistance, Seuil, 1995, rééd. 2010, In Les Chemins de la Mémoire, 240/novembre 2013

Colonel Rémy

1904-1984

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Colonel Rémy.©Chancellerie de l’Ordre de la Libération

Dès 1940, Gilbert Renault, alias Rémy, met sur pied le plus important réseau de renseignement de la France libre : la Confrérie Notre-Dame qui va mener de très nombreuses actions en France. Son biographe, l'historien Guy Perrier, revient sur son action, en particulier durant l'année 1943.


Abasourdi par l'effondrement de 1940, Gilbert Renault, catholique fervent proche des idées de l'Action française, mouvement auquel il n'adhéra toutefois jamais, refuse d'admettre la défaite de la France. Se séparant de sa femme et de ses quatre enfants, il quitte la ville de Vannes et s'embarque pour l'Angleterre où il se rallie au général de Gaulle, avec qui vont se créer des liens d'admiration et d'affection qui ne se démentiront jamais, malgré les divergences futures. Celui-ci l'affecte au 2e bureau, qui allait devenir le Bureau central de renseignement et (l'action (BCRA) dirigé par le colonel Passy, de son vrai nom André Dewavrin, qui le charge de mettre sur pied un réseau le long de la façade Atlantique, d'où la Kriegstnarine harcèle les navires britanniques.

Une vie nouvelle commence alors pour cet aventurier à la fois impulsif, fantasque et chevaleresque qu'est Rémy, qui a longtemps travaillé dans le milieu du cinéma comme producteur après avoir exercé moult métiers. Multipliant les allées et venues entre l'Angleterre, la France occupée et l'Espagne, Rémy dispose bientôt d'informateurs dans tous les ports. Le 6 janvier 1942, après s'être recueilli à l'église Notre-Dame des Victoires à Paris, il baptise son mouvement la Confrérie Notre-Dame (CND) dont le succès va lui valoir, selon Sébastien Albertelli, auteur des Services secrets de la France libre, "un prestige incomparable auprès de l'Intelligence Service".

Devenu le réseau le plus important de la France libre, celui-ci accueille et transmet le courrier de plusieurs réseaux : l'Organisation civile et militaire (OCM), Libération-Nord, Fana (communiste). Après un séjour en France à la fin de l'année 1942, Rémy regagne Londres, le 11 janvier 1943, qu'il ne quittera pratiquement plus jusqu'à la Libération. C'est à cette occasion, qu'il amène le dirigeant communiste Fernand Grenier à la rencontre du général de Gaulle, un évènement aux conséquences considérables. Pour Rémy, dont les convictions monarchistes sont à l'opposé du Parti communiste, le sort de son pays doit transcender les clivages idéologiques !

Alors que la Confrérie Notre-Dame poursuit son œuvre de renseignement, survient un grave évènement qui bouleverse l'activité du réseau. Le 6 octobre 1943, un agent de la CND, Parsifal, tombe entre les mains du Service de sureté allemand, l'Abwehr. Il est interrogé par un collaborateur belge, Christian Masuy, qui le soumet au supplice de la baignoire. L'agent n'y résiste pas et livre les noms de membres importants du réseau. La Confrérie Notre-Dame en sort très affaiblie.

Rémy échafaude un plan d'urgence pour remettre son organisation sur pied et veut repartir en France. Mais Londres estime que le colonel Rémy est plus utile sur place pour préparer le débarquement des Alliés, dans le cadre du plan Sussex qui prévoit d'employer des soldats français pour des missions interalliées. Resté en Angleterre, Rémy aura le bonheur, durant le Noël 1943 qu'il passe avec sa femme dans sa petite maison d'Elwood, d'entendre le message de soutien qu'il a diffusé la veille sur la BBC, destiné aux résistants emprisonnés en France.

Nommé, le 13 mars 1942, Compagnon de la Libération, Rémy deviendra après la Libération le combattant d'une nouvelle cause, qui apparaît improbable aujourd'hui : réconcilier gaullistes, résistants de toutes obédiences et pétainistes anti allemands ! Devenu militant du RPF gaulliste (Rassemblement du peuple français) au lendemain de la guerre, il défendra la thèse, réfutée par la plupart des historiens, selon laquelle le général de Gaulle et le maréchal Pétain étaient complémentaires, le premier représentant "l'épée de la France" et le second "le bouclier". Une assertion défendue dans plusieurs de ses livres consacrés à son action dans la résistance, mais que démentira de Gaulle lui-même, qui lui conservera toutefois son amitié et son estime.

Le 28 juillet 1984, Rémy l'agent secret n°1 de la France libre s'éteint, à quelques jours de son 80e anniversaire. François Mitterrand, président de la République, salue en lui "l'un des plus glorieux héros de la Résistance, qui restera à jamais l'honneur de la France". Deux ans après sa mort, paraît son dernier livre, tout simplement intitulé: La Résistance.

 

Guy Perrier, historien, In Les Chemins de la Mémoire, 235/avril 2013

Marc Bloch

1886-1944

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Marc Bloch. ©Roger-Viollet/Albert Harlingue

Aussi illustre soit-il en tant qu'historien, la résistance de Marc Bloch, qui fut arrêté en mars 1944 par la Gestapo et fusillé, avec 29 autres résistants, le 16 juin à Saint-Didier de Formans, reste peu connue. L'historien Laurent Douzou relate l'action clandestine de cet intellectuel engagé, depuis l'année 1943 jusqu'à sa mort.

 

"On devrait se préoccuper davantage qu'on ne le fait de la façon dont meurent les universitaires, quand il leur arrive de ne pas mourir de maladie ou de vieillesse" écrivait le philosophe Georges Canguilhem à propos de Marc Bloch, dont l'extraordinaire notoriété d'historien a parfois occulté le rôle actif durant l'Occupation.

Professeur à la Sorbonne, le co-fondateur des Annales d'histoire économique et sociale était, quand la guerre éclata, une sommité scientifique. Alors qu'il entrait dans sa pleine maturité, il avait déjà une œuvre à son actif. Il avait, de surcroît, été exposé au feu au cours de la Grande Guerre qu'il avait terminée avec la Légion d'honneur à titre militaire et la Croix de guerre.

Âgé de 53 ans en 1939, ce père de six enfants demanda à combattre. Chargé du ravitaillement en essence de la 1re Armée, il remplit sa mission non sans constater avec stupéfaction que l'édifice qu'il avait cru solide était vermoulu. Disséquant dans une analyse rédigée à l'été 1940 et publiée en 1946 sous le titre de L'Étrange Défaite, les niveaux de responsabilité du désastre, il ne s'exonéra pas pour autant des siennes : "J'appartiens à une génération qui a mauvaise conscience. De la dernière guerre, c'est vrai, nous étions revenus bien fatigués. Nous avions aussi, après ces quatre ans d'oisiveté combattante, grande hâte de reprendre sur l'établi, où nous les avions laissé envahir par la rouille, les outils de nos divers métiers : nous voulions, par des bouchées doubles, rattraper le travail perdu. Telles sont nos excuses. Je ne crois plus, depuis longtemps, qu'elles suffisent à nous blanchir".

Touché par le statut des Juifs d'octobre 1940, Marc Bloch fut exclu de son poste de professeur détaché auprès de l'université de Strasbourg repliée à Clermont-Ferrand. Au titre de l'article 8, qui prévoyait des exemptions pour les individualités ayant rendu des services exceptionnels à la France, il fut relevé de cette mesure, en janvier 1941, et affecté à Montpellier en juillet. Il renonça à user du visa qu'il avait obtenu pour les États-Unis parce qu'il ne voulait pas laisser les siens. Il exerça ses fonctions à Montpellier jusqu'à sa révocation le 15 mars 1943.

À cette date, la paisible vie de labeur du médiéviste avait bifurqué radicalement. Entré de plain pied en résistance, Marc Bloch était devenu "Narbonne" en nouant contact avec Franc-Tireur. Georges Altman, dirigeant de ce mouvement, a relaté cette rencontre : "Je revois encore cette minute charmante où Maurice [Pessis], l'un de nos jeunes amis de la lutte clandestine, son visage de vingt ans rouge de joie, me présenta sa "nouvelle recrue", un monsieur de cinquante ans, décoré, le visage fin sous les cheveux gris argent, le regard aigu derrière ses lunettes, sa serviette d'une main, une canne de l'autre ; un peu cérémonieux d'abord, mon visiteur bientôt sourit en me tendant la main et dit avec gentillesse : Oui, c'est moi le "poulain" de Maurice..."

Précieux témoignage qui suggère bien ce que put représenter pour l'universitaire Marc Bloch le saut dans une clandestinité où, les cartes rebattues, il lui fallut faire ses preuves comme un débutant. Tout ce qu'il eut dès lors à faire s'inscrivit en rupture avec sa vie antérieure comme le relevait Georges Altman : "Et l'on vit bientôt le professeur en Sorbonne partager avec un flegme étonnant cette épuisante vie de "chiens de rues" que fut la Résistance clandestine dans nos villes". Au "poulain de Maurice" on confia vite des tâches à la mesure de ses talents. Il collabora aux Cahiers politiques du Comité général d'Études et à La Revue libre, éditée par Franc-Tireur. Ces publications portent sa marque, notamment cette table méthodique des articles de la première année des Cahiers politiques dans le numéro 5 de janvier 1944 !

En juillet 1943, Marc Bloch devint un des trois membres du directoire régional des Mouvements unis de résistance, poste à la fois exposé et harassant. Conscient du danger, efficace et déterminé, "Narbonne" s'affirma comme un dirigeant légitime et respecté dans le petit monde si exigeant de la clandestinité. Son arrestation, par une Gestapo bien renseignée, au matin du mercredi 8 mars 1944 sur le pont de la Boucle à Lyon, bouleversa ses camarades. Torturé dans les locaux de l'École de santé militaire, interné à la prison de Montluc, Marc Bloch fut fusillé le 16 juin 1944 avec 29 autres résistants à Saint-Didier-de-Formans.

 

Laurent Douzou, historien, In Les Chemins de la Mémoire, 234/mars 2013

Germaine Tillion

1907-2008

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Photo : Germaine Tillion, carte d'étudiante, 1934. Association Germaine Tillion

 

Grande figure de la Résistance française, ethnologue et écrivain, Germaine Tillion a tiré de son expérience pendant la Seconde Guerre mondiale des leçons qui lui ont servi tout au long de sa vie. Elle a su conjuguer, en toutes circonstances, témoignage, réflexion et action.

 

Germaine Tillion est née le 30 mai 1907 à Allègre, en Haute-Loire. En 1919, la famille déménage dans la Région parisienne. Au cours des années vingt, elle entreprend des études d'ethnologie et obtient, en 1933, une bourse pour aller étudier la population berbère dans les Aurès algériens. Entre 1934 et 1940, elle accomplit quatre longs séjours chez les Chaouias et poursuit la rédaction de sa thèse.

De retour en France, le 9 juin 1940, elle décide, après l'Armistice, qu'"il faut faire quelque chose". En compagnie de Paul Hauet, colonel à la retraite, elle commence son activité de résistance sous couvert d'une association d'aide aux prisonniers de guerre, l'Union nationale des combattants coloniaux. Cette cellule entre en contact avec des groupes analogues, comme celui du musée de l'Homme, réunissant quelques ethnologues, avec à sa tête Boris Vildé. C'est en 1946, quand Germaine Tillion s'occupera de l'homologation administrative du réseau, qu'elle lui donnera le nom de "réseau du musée de l'Homme", en hommage à une bonne partie de ses fondateurs. Le groupe se livre à des actions multiples : collecter des informations pour les transmettre à Londres, accueillir les soldats évadés ou organiser des évasions, héberger des parachutistes anglais, fabriquer des faux papiers, diffuser des appels au combat, liquider des traîtres et des agents de la Gestapo.

Bien que patriote dévouée, Germaine Tillion n'oublie pas un principe directeur dont elle se réclame : le dévouement à la vérité et à la justice. Dans un tract destiné à la presse clandestine, elle constate que de nombreuses informations concernant la situation du moment circulent dans la société française mais sont contradictoires car elles proviennent de différentes sources. Elle enjoint à ses camarades résistants de ne pas biaiser avec la vérité, de ne rien cacher, de s'efforcer de comprendre et de juger impartialement. "Sur le plan des idées, nous ne connaissons d'emblée qu'une cause qui nous est chère, celle de notre patrie, c'est par amour pour elle que nous nous sommes groupés, c'est pour essayer de maintenir sa foi et son espérance. Mais nous ne voulons pas, nous ne voulons absolument pas lui sacrifier la vérité, car notre patrie ne nous est chère qu'à la condition de ne pas devoir lui sacrifier la vérité".

Une première dénonciation entraîne l'arrestation de plusieurs membres de la cellule du musée de l'Homme . en avril 1941, une seconde trahison provoque celle de ses autres membres. Leur procès se tiendra un an plus tard, en février 1942. Dix personnes, dont plusieurs proches amis, sont condamnées à mort. Germaine Tillion, qui a échappé à ces arrestations, se démène pour obtenir leur grâce mais en vain : les sept hommes du groupe sont fusillés, les trois femmes partent en déportation. Elle-même est arrêtée dans la rue, en août 1942, par la police allemande : elle a été trahie, à son tour, par un prêtre français qui se faisait passer pour résistant. Détenue pendant plus d'un an dans les prisons françaises, à la Santé et à Fresnes, elle est déportée au camp de Ravensbrück, en octobre 1943. Elle en sortira en avril 1945.

Après son retour en France, elle se consacre essentiellement à l'histoire de la Résistance et de la Déportation, sur lesquelles elle publie plusieurs études. Cependant, elle n'abandonne pas son engagement civique et participe à la campagne contre les camps, toujours en activité, dans les pays communistes en Europe et en Asie.

En 1954, elle est envoyée par le gouvernement français en mission d'observation en Algérie, où l'on assiste aux premiers pas de l'insurrection. Au début, elle propose de renforcer l'enseignement délivré à la population indigène (garçons et filles, enfants et adultes) pour lui permettre de sortir de la misère que le développement économique n'a pas réussi à endiguer. Le conflit s'intensifiant, à partir de 1957, Germaine Tillion se consacre exclusivement à atténuer les effets de la violence : elle milite contre la torture, les exécutions et rencontre les dirigeants du FLN pour les convaincre d'interrompre les attentats aveugles.

Élue directeur d'études à l'École pratique des hautes études en 1958, elle consacre les décennies suivantes à l'étude des sociétés d'Afrique du Nord. Elle publie également une édition refondue de Ravensbrück, son livre sur la Déportation. Elle décède le 19 avril 2008 à l'âge de 100 ans. Son ouvrage autobiographique, Fragments de vie, paraît l'année suivante.

 

Tzvetan Todorov, Président de l'association Germaine Tillion, In Les Chemins de la Mémoire, 241/décembre 2013

Marie-Madeleine Fourcade

1909-1989

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Source photo : © Ministère de la Défense-DMPA

Résistante dès 1940, Marie-Madeleine Fourcade fut la seule femme reconnue comme chef d’un grand réseau de résistance français, le réseau Alliance. Michèle Cointet, sa biographe, nous relate son parcours hors du commun.


Marie-Madeleine Bridou échappe aux conformismes du milieu bourgeois où elle naît en 1909. Éloignée de son mari Édouard Méric, officier des Affaires indigènes au Maroc, elle vit avec ses deux enfants à Paris. Elle se partage entre « Radio-Cité » et le secrétariat général des publications anticommunistes et antiallemandes du commandant Loustaunau-Lacau, fondateur du réseau Corvignolles et de La Spirale, son initiateur ès activités secrètes. L’amour d’une patrie mythifiée dans une enfance à Shanghai où son père était l’agent général des Messageries maritimes et… « honorable correspondant », une absence d’illusions sur le maréchal Pétain, inspirent en juin 1940 un réflexe : puisque les hommes ont déposé les armes c’est aux femmes de les relever.

Elle se laisse cependant convaincre de suivre à Vichy Loustaunau-Lacau, attiré par une délégation générale à la puissante Légion française des combattants. S’y met en place un réseau centré sur Marseille et Vichy qui se révèle un terrain fertile où recruter fonctionnaires de ministères et officiers patriotes. La rupture avec Vichy ne tarde d’ailleurs pas, l’amiral Darlan renvoyant en février 1941 Loustaunau-Lacau de la Légion. L’évolution de la guerre leur offre une opportunité de s’engager activement contre Hitler. En effet, la guerre sous-marine met en péril la survie des Britanniques. Obtenir des renseignements sur les départs de Lorient des sous-marins est vital. Seul des Français peuvent les fournir. En avril 1941, un contact est établi à Lisbonne d’où Loustaunau-Lacau rapporte de l’argent et un premier poste-émetteur, l’arme la plus efficace car remédiant aux délais de plusieurs semaines des anciens courriers et permettant enfin une riposte immédiate. Alliance en possédera jusqu’à 17. Marie-Madeleine n’étant pas « grillée » comme Loustaunau-Lacau à Paris organise en zone nord et dans l’ouest le réseau Alliance, un nom qui proclame la fidélité à l’Angleterre et l’égalité des partenaires. Les Allemands l’appelleront « Arche de Noé » en raison des pseudonymes d’animaux adoptés par ses membres.

Arrêté à Alger en mai 1941, Loustaunau-Lacau est condamné puis livré aux Allemands. Marie-Madeleine tirera de cet épisode un refus des engagements politiques, ce qui éloignera d’elle des membres comme le général Alamichel qui voulait se rattacher au général de Gaulle. Poussée par ses compagnons, elle succède à Loustaunau-Lacau en usant d’une signature neutre : POZ 55. Les résultats étant exceptionnels, les Britanniques finissent par reconnaître la femme enfin dévoilée comme chef du réseau de renseignements militaires, la seule à en bénéficier en Europe. Grande organisatrice, autoritaire, rigoureuse, entraîneuse d’hommes, hardie, elle a assez de souplesse d’esprit pour suivre les conseils des Britanniques de décentralisation du réseau en sous réseaux comme Sea Star ou les remarquables Druides de Georges Lamarque.

Alliance recrute beaucoup dans la fonction publique et présente une originalité : 24% des membres sont des femmes, ce qui en fait l’organisation résistante la plus féminisée. Alliance a joué son plus grand rôle dans la bataille de l’Atlantique, en fournissant des renseignements sur les TCO (transports allemands vers l’Est), une première information grâce à Amniarix (Jeannie Rousseau) sur les essais de V1 et V2 à Peenemünde, des relevés des rampes de lancement dans le nord-ouest de la France, une carte renseignée des défenses de l’Atlantique. Marie-Madeleine organise le départ le 4 novembre 1942, en sous-marin depuis le Lavandou, du général Giraud qui doit accueillir le débarquement allié à Alger.

Retenue en Angleterre à cause de l’arrestation, en septembre 1943, de son adjoint Faye, elle obtient de revenir en France en juillet 1944 et réalise, après son évasion d’une caserne allemande, des missions de renseignements en avant de l’armée de Patton.

Sensible aux détresses matérielles et morales, elle veille pendant plus de vingt ans sur les survivants et les familles d’un réseau très éprouvé – 431 disparus, soit un tiers de ses membres. Elle publie des souvenirs en forme de mémorial sous le titre L’Arche de Noé et défend la mémoire de la Résistance en tant que présidente du Comité d’action de la Résistance. Elle contribue, avec son mari, le Français libre Hubert Fourcade, au retour au pouvoir du général de Gaulle en 1958. Ni icône d’un parti politique, ni militante antifasciste, elle est restée fidèle à sa conception de la Résistance : un combat patriotique efficace contre l’Allemagne hitlérienne.


Michèle Cointet, professeur émérite des Universités, In Les Chemins de la Mémoire, 239/octobre 2013
Pour en savoir plus :
Marie-Madeleine Fourcade-Un chef de la Résistance, éd. Perrin, 2006.

Louis Pergaud

1882-1915

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« Mort pour la France »

 

Louis Pergaud naît le 22 janvier 1882 à Belmont dans le Doubs. Fils d’un instituteur laïc, il vit son enfance dans des petits villages, explorant la campagne et traquant la truite avec ses copains. Brillant élève, il entre, en 1898, à l’École normale et est nommé instituteur à Durnes en octobre 1901. La mort de ses deux parents, en février et mars 1900, a causé au jeune homme un traumatisme profond qu’il surmonte en lisant les poèmes de Léon Deubel, lesquels suscitent en lui une passion littéraire.

En 1902, il effectue son service militaire dont il garde un mauvais souvenir . son mariage, en 1903, avec Marthe Caffot, se révèle un échec et sa fille décède en 1904. En même temps, son républicanisme de combat lui vaut des querelles avec la population, entraînant sa mutation à Landresse, à un moment où les tensions entre l’Église et l’école républicaine sont extrêmement vives. Mal dans sa peau, Louis Pergaud se réfugie dans la chasse, les promenades où se réveillent les parfums de l’enfance, les discussions avec les amis dont le volubile cafetier Duboz. Il tombe bientôt amoureux de l’une de ses filles, Delphine. Léon Deubel, qui l’a aidé, en 1904, à faire paraître son premier recueil de poèmes, lui propose de le rejoindre à Paris.

Pergaud décide de changer de vie. En 1907, il gagne la capitale, fait venir Delphine qu’il épouse après son divorce. Léon Deubel le conforte dans son désir d’écrire. Pour subsister, il reprend son métier d’instituteur et pendant ses vacances recueille le matériau de ses ouvrages. D’emblée, la figure de Louis Pergaud s’impose dans le monde littéraire : le Prix Goncourt couronne en 1910 son premier ouvrage, De Goupil à Margot, qui rencontre un véritable succès.

 
 
 
En 1912, il publie La Guerre des boutons, roman de ma douzième année. Sur fond de rivalités entre deux villages, l’auteur développe, avec un humour parfois féroce, des thèmes qui lui sont chers : la vie campagnarde, l’esprit de clocher, les querelles laïco-cléricales…1913 est pour Pergaud une période faste qui voit le succès de son Roman de Miraut, chien de chasse, mais aussi douloureuse à cause du suicide de Léon Deubel.

Écrivain naturaliste, Pergaud déploie une écriture riche et dense pour un hymne à la vie encore sauvage, se montrant novateur en cherchant l’empathie avec les animaux. Il revisite son univers rural, préparant plusieurs textes, qu’il remet au printemps 1914 au Mercure de France sous le titre Les rustiques. Le livre n’est pas encore imprimé que Louis Pergaud reçoit son ordre de mobilisation. La guerre éclate le 2 septembre. Matricule 2216 au recrutement de Belfort, il est affecté comme sergent au 166e régiment d’infanterie, à Verdun. « Pacifiste et antimilitariste, je ne voulais pas plus de la botte du Kaiser que de n’importe quelle botte éperonnée pour mon pays. » (1)

En octobre, il gagne le front, dans le secteur meusien de la Woëvre, région humide dont les collines font l’objet d’âpres combats. Sa correspondance stigmatise « les patriotes en chambre », décrit le courage des poilus, la boue des tranchées, la mort permanente. Les bagarres juvéniles entre la bande de Lebrac et celle de l’Aztec des Gués, héros de La Guerre des boutons, ont pris la dimension mortelle d’un conflit d’adultes.

 

Le sous-lieutenant Louis Pergaud (au centre de l'image).

 

Au printemps 1915, les Français lancent une offensive dans les Hauts de Meuse. Le 7 avril, dans la nuit, la compagnie du sous-lieutenant Pergaud attaque, depuis Fresnes-en-Woëvre, la cote 233 vers Marchéville. Près des tranchées ennemies, sous une pluie battante, les soldats subissent une intense fusillade. La section de Louis Pergaud est décimée, les survivants se terrent puis se replient au petit jour. Nul ne reverra l’écrivain. Des hommes l’ont dit blessé. Des brancardiers allemands auraient pu le récupérer et le transporter dans une tranchée, en attendant de pouvoir l’évacuer. Mais pour assurer la conquête de la crête des Éparges, la cote 233 doit être reprise : le lendemain, l’artillerie française la pilonne, détruisant tout le paysage, ensevelissant à jamais, sans distinction, les hommes dans cette terre.

Le 4 août 1921, par jugement du tribunal de la Seine, Louis Pergaud, disparu, fut déclaré « mort pour la France » le 8 avril 1915 à Fresnes-en-Woëvre. Il compte au nombre des 1 160 morts et disparus du 166e RI pour l’année 1915. En l’absence de tombe, ce sont désormais ses livres qui portent le souvenir de l’écrivain au destin brisé.

 

Plaque commémorative, 3 rue Marguerin, Paris 14e. Source :  © Public Domain / Wikimedia Commons

 

Ministère de la défense - DMPA - Daniel Fleury - Revue : Les Chemins de la Mémoire n° 221 – Déc. 2011

 

(1) Lettre à Lucien Descaves, mars 1915.

Alain Savary

Alger 25 avril 1918 - Paris 17 février 1988

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Le lieutenant de vaisseau Savary. Source : Collection du musée de l'Ordre de la Libération

 

Après des études secondaires menées à Paris, Alain Savary obtient une licence de droit et un diplôme de Sciences politiques puis intègre l'École du commissariat de la marine.

Il effectue la campagne de France dans le corps des commissaires avant de rejoindre l'Angleterre où, le 8 août 1940, il s'engage dans les Forces navales françaises libres (FNFL). Avec le grade d'enseigne de vaisseau, il devient l'aide de camp de l'amiral Muselier, commandant des FNFL. Après le ralliement de Saint-Pierre-et-Miquelon, celui-ci le nomme gouverneur de ce territoire, avec le grade de lieutenant de vaisseau.

En juin 1943, il rejoint en Tripolitaine, d'abord à l'état-major puis comme commandant du 2ème escadron, le 1er régiment de Fusiliers marins, qui devient un régiment blindé de reconnaissance intégré à la 1ère division française libre. Il participe, au sein de son unité, à la campagne d'Italie, au débarquement de Provence et à la libération du territoire national avant d'être nommé, en octobre 1944, à l'Assemblée consultative provisoire pour y représenter les Compagnons de la Libération.

En 1945, il est mis à la disposition du ministère de l'intérieur et entame alors une carrière de haut fonctionnaire et d'homme politique.

Secrétaire général du commissariat aux Affaires allemandes et autrichiennes, en 1946, puis conseiller de l'Union française, député de Saint-Pierre-et-Miquelon, secrétaire d'État chargé des affaires marocaines et tunisiennes, il est premier secrétaire du parti socialiste de 1969 à 1971. Député de Haute-Garonne (1973-1981) et président du Conseil régional Midi-Pyrénées (1974-1981), il est ministre de l'éducation nationale de 1981 à 1984.

Alain Savary était officier de la Légion d'honneur, Compagnon de la Libération, titulaire de la Croix de guerre 1939-1945 (avec trois citations), médaillé de la Résistance et titulaire de la Silver Star (États-Unis).

 

Source : MINDEF/SGA/DMPA

Charles N’Tchoréré

1896 – 1940

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Le capitaine N’Tchoréré, commandant la 7e compagnie du 53e RICMS. Source : Musée des troupes de marine

 

Fils de notable, Charles N’Tchoréré fait ses études à Montfort. Contraint d’entrer dans la vie active, il occupe un poste commercial au Cameroun.

À la déclaration de guerre en 1914, il quitte la colonie allemande pour rentrer au Gabon. En 1916, il se porte volontaire pour le front. À la fin de la guerre, il opte définitivement pour la carrière des armes. Promu adjudant en 1919, il prend part aux combats du Maroc. Entré à l’école d’officiers de Fréjus, il en sort "major" en 1922. Désigné pour le Levant, le lieutenant N’Tchoréré est gravement blessé lors des opérations en Syrie. Il est cité en 1925 à l’ordre de la division et décoré de la Croix de guerre avec étoile d’argent.

Après un bref passage au ministère de la guerre, il demande à partir pour le Soudan. Il prend à Kati le commandement de la compagnie hors-rang du 2e RTS, dirigeant parallèlement l’école d’enfants de troupe.

Promu capitaine en 1933, il est affecté au 1er RTS, à Saint-Louis (Sénégal) où il commande également l’école d’enfants de troupe.

À la déclaration de guerre en septembre 1939, il demande à partir avec un bataillon de volontaires gabonais. Affecté au camp de Sauge, près de Bordeaux, il est envoyé sur le front de la Somme où il prend le commandement de la 7e compagnie du 53e RICMS. Le 7 juin 1940, retranchés dans le village d’Airaines, près d’Amiens, le capitaine N’Tchoréré et sa compagnie, débordés par les assauts allemands, sont faits prisonniers au terme de rudes combats. Pour avoir revendiqué le droit d’être traité en officier français, il est abattu à bout portant d’un coup de pistolet.

Pour son comportement durant la campagne de France, le capitaine N’Tchoréré est cité, à titre posthume, à l’ordre de la division en octobre 1940 puis à l’ordre du corps d’armée en août 1954 et décoré de la Croix de guerre avec étoile de vermeil.

La promotion 1957-1959 de l’École de formation des officiers ressortissants des territoires d’outre-mer prend le nom "Capitaine N’Tchoréré".

 

Source : MINDEF/SGA/DMPA