Le monument aux Morts pour la France en opérations extérieures

Au cœur du jardin Eugénie Djendi, dans le parc André Citroën, situé dans le XVe arrondissement de Paris, se dresse le monument aux Morts pour la France en opérations extérieures.

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La nécropole nationale de Souain-Perthes-Les-Hurlus - Le monument-ossuaire de la Ferme de Navarin

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Nécropole nationale de Navarin. © Guillaume Pichard

 

Pour accéder au panneau d'information de la nécropole, cliquer ici  vignette_Navarin

 

Située au lieu-dit de "La Ferme de Navarin" sur la commune de Souain-Perthes-Les-Hurlus, la nécropole nationale regroupe, dans un ossuaire, les dépouilles de plus de 10 000 soldats de toutes nationalités tombés lors des combats qui se déroulèrent en Champagne en 1914-1918.

Parmi les soldats, reposent notamment les dépouilles du général Gouraud, depuis 1947, selon son souhait, et de son fidèle collaborateur, le général Prételat, depuis 1969.

 

Les batailles de Champagne - 1914-1918

Après la contre-offensive franco-britannique de septembre 1914 sur la Marne et l’échec la "Course à la Mer", la guerre de mouvement disparait sur le front ouest. Pour se protéger du feu de l'artillerie, les belligérants s’enterrent. C’est le début de la guerre de position.

Au cours de l’hiver 1915, le général Joffre lance en Champagne différents assauts qui se brisent contre les tranchées allemandes. Ces opérations de "grignotage", localisées notamment dans les secteurs de Souain, de Perthes, de Beauséjour et Massiges, sont particulièrement meurtrières. Sans résultat, le front reste figé.

Au cours de l'été, pour rompre le front et soutenir les Russes en difficulté sur le front oriental, Joffre décide de mener une nouvelle offensive. L’effort principal, appuyé par une autre action en Artois, se déploie dans la grande plaine aride et crayeuse de la Champagne pouilleuse. Long de 25 kilomètres, le front s'étend entre Aubérive et Ville sur Tourbe. Cette action est conduite par la 2e et 4e armée. En face, les Allemands de la IIIe armée sont installés dans de solides tranchées. Plus en retrait, située à contre pente se trouve une seconde position dissimulée des observations aériennes et hors de portée de l’artillerie.

Après une préparation d'artillerie de trois jours, l'attaque est déclenchée le 25 septembre. Les Français enlèvent les premières lignes à l’exception de celles situées notamment sur la butte du Mesnil. A l'est du dispositif, la division coloniale s'empare de "La Main de Massiges", point clé du dispositif allemand.

Mais, cet élan se brise sur la deuxième position encore intacte. Les troupes s'épuisent et doivent faire face à de puissantes contre-attaques. Au cours de ces assauts, les deux armées ont perdu 138 000 hommes. En novembre, les conditions climatiques difficiles et l'importance des pertes obligent Joffre à renoncer à conduire de nouvelles attaques. Le front revient à un calme relatif.

L'offensive allemande de juillet 1918 replace ce front au cœur des opérations. Mais engageant la totalité de ses forces de la Meuse à la mer du Nord, le maréchal Foch, fort du soutien croissant des Américains, déploie à l'automne une large manœuvre. Pour la région de Reims, l’armée du général Gouraud s’empare successivement de Navarin, Tahure et de Sommepy. Dans le secteur de Minaucourt, le Mont-Têtu et Le Mesnil sont enlevés par les Français qui franchissent la Dormoise et marchent vers les Ardennes jusqu'en novembre 1918.

Aujourd'hui, la région de Suippes, au travers des vestiges de villages de Perthes, Hurlus, Mesnil, Tahure et Ripont mais aussi de dix-huit nécropoles, conserve le souvenir de ces combats acharnés. Pour la seule commune de Souain, on recense trois autres cimetières militaires et l'impressionnant monument-ossuaire de la Ferme de Navarin rassemblant 10 000 corps de soldats non identifiés et préservant le souvenir des combattants français, américains, polonais, russes et tchécoslovaques qui participèrent aux opérations sur le front de Champagne.

Le monument-ossuaire de la Ferme de Navarin

Au lendemain de la guerre, les anciens combattants décident d’élever un monument pour honorer les morts des divisions françaises et alliées qui combattirent sur le front de Champagne.

Au lendemain de la guerre, et face au besoin des familles endeuillées de disposer d’un lieu pour se recueillir, les anciens combattants décident de lancer un appel aux dons pour élever un monument en hommage aux morts des divisions françaises et alliées qui combattirent sur le front de Champagne. En 1923, un comité, devenu en 1933 la "Fondation du Monument aux Morts des Armées de Champagne et Ossuaire de Navarin", qui a pour mission de recueillir des souscriptions, est créé sous la présidence du général Gouraud et du Général Alexis Hély-d'Oissel.

C’est grâce aux milliers de souscriptions venues de toute la France qu’en 1923 fut posée la première pierre du monument en présence de l’ambassadeur des États-Unis, Myron Herrick.

Le monument, dédié aux morts des armées de Champagne, est de forme pyramidale, tronqué au sommet sur lequel repose un groupe sculpté représentant trois soldats en position d’attaque. L’artiste Maxime Real-del-Sarte, mutilé de guerre, réalisa cette œuvre avec un seul bras.

Le 28 septembre 1924, l’inauguration du monument de Navarin a lieu sous la présidence du maréchal Joffre et du général Gouraud.

Les trois soldats représentés sont (de droite à gauche) :

  • Quentin Roosevelt, lieutenant d’aviation, fils de l’ancien Président des États-Unis tombé à Chamery (Marne),
  • Le général Gouraud commandant la IVe armée,
  • Le frère du sculpteur, Serge Real-del-Sarte, tombé au Moulin de Laffaux, (Aisne).

Sur le piédestal de grès rose sont inscrits les numéros des divisions françaises et alliées ayant combattu en Champagne. A l’intérieur se trouve une chapelle dont les murs sont couverts de plaques apposées par les familles en mémoire de leurs soldats disparus.

Depuis la fin de la guerre, les corps et les restes mortels d’innombrables soldats sans sépulture, trouvés sur le champ de bataille de Champagne y furent recueillis. C’est ainsi que le monument se transforma progressivement en ossuaire. Les ossements étaient déposés au départ dans les emplacements latéraux de la chapelle, puis une crypte fut creusée sous le monument. Il abrite aujourd’hui plus de 10 000 corps de soldats non identifiés regroupés dans de vastes ossuaires situés aux niveaux inférieurs du monument.

Depuis 1947, le corps du général Gouraud repose selon son souhait parmi ses soldats. Il y fut rejoint quelques années plus tard, en 1969, par son chef d’état-major : le général Prételat.

Le monument et l’ossuaire sont inscrits au titre des monuments historiques depuis le 27 janvier 1994.

La conservation et la valorisation de la nécropole de Navarin

L’association du souvenir aux morts des armées de Champagne (ASMAC), fut créée le 10 mars 1929. Chargée du fonctionnement et de la valorisation du monument, elle a pour but de conserver, d’honorer et de rappeler aux générations futures le souvenir glorieux des morts français et alliés tombés au champ d’honneur sur les fronts de Champagne.

Jusqu’en 2019, le monument était propriété de la Fondation du "monument aux morts des armées de Champagne et ossuaire de Navarin".

La fondation qui assurait l’entretien et la conservation du monument et du champ de bataille, a décidé sa dissolution et le transfert de la gestion du monument et du terrain à l’État (ministère des armées). Le décret du 8 avril 2019 a ainsi approuvé la dissolution de la fondation reconnue d’utilité publique, en abrogeant le décret portant reconnaissance de cette fondation comme établissement d’utilité publique et en approuvant le transfert de ses biens. L’acte d’acquisition a été signé le 24 octobre 2022.

La nécropole nationale est désormais propriété de l’État, placée, comme les 290 nécropoles nationales, sous la responsabilité du ministère des armées/direction de la mémoire, de la culture et des archives (DMCA) et gérée par l’office national des combattants et des victimes de guerre (ONaCVG) qui en assurent sa conservation.

Le monument présentant des dégradations majeures à l’intérieur de l’édifice, dues à des problèmes d’infiltration et d’humidité, il a été prévu des travaux dans la programmation de restauration des nécropoles établie par le DMCA et l’ONaCVG, sur la période de 2020-2025 afin de restaurer le monument et aménager un chemin mémoriel sur la parcelle des vestiges de guerre.

En outre, dans le cadre de la convention de partenariat signée le 13 novembre 2020 entre le ministère des armées et l’Association Art & jardins | Hauts-de-France pour la création de jardins de la paix dans les nécropoles nationales emblématiques qui composeront le chemin de la Paix dédié à la Première Guerre mondiale, allant de Ypres à la frontière suisse, la nécropole de Navarin a été retenue pour y réaliser un jardin, entre le monument ossuaire et le champ de bataille. Compte tenu de son histoire et notamment du lien avec les divisions américaines qui ont participé aux combats de Champagne, il a été décidé de réaliser un jardin de la paix américain à l’horizon 2024.

Enfin, une convention-cadre relative à l’utilisation de la nécropole a été signée le 16 juin 2020, entre l’État-ministère des armées-Direction de la mémoire, de la culture et des archives (DMCA), l’Office national des combattants et victimes de guerre (ONaCVG) et l’Association du souvenir aux morts des armées de Champagne (ASMAC).

Aujourd’hui, ces trois entités travaillent étroitement afin d’assurer la conservation et de la valorisation du monument-ossuaire et du champ de bataille environnant.

L’inscription au patrimoine mondial des sites funéraires et mémoriels de la Première Guerre mondiale

Le 20 septembre 2023, 139 sites funéraires et mémoriels de la Première Guerre mondiale, répartis entre la France et la Belgique, ont été inscrits sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO. Cette inscription répond à une volonté de valorisation de ce patrimoine, dans un esprit de mémoire apaisée entre anciens belligérants, et aura certainement un impact positif sur la fréquentation de ces lieux.

Parmi ces sites, on compte 45 nécropoles nationales en France, dont celle de Navarin.

 

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Infos pratiques

Adresse

Souain-Perthes-lès-Hurlus
45 kilomètres à l'est de Reims, à une trentaine de kilomètres au nord de Châlons-en-Champagne, sur le bord de la RD 77, entre les villages de Souain-Perthes-les-Hurlus et Sommepy-Tahure

Horaires d'ouverture hebdomadaires

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Des animaux et des hommes

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Les animaux dans la guerre

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Sommaire

    En résumé

    Les animaux sont, depuis les premiers temps de leur domestication, étroitement liés aux sociétés humaines, qu’ils contribuent à édifier et parfois même à définir dans leurs hiérarchies sociales. Ces relations ne sont pas étrangères au monde militaire et "la plus noble conquête de l’homme" a, pendant longtemps, fait les beaux jours d’une aristocratie guerrière dont la possession et l’entretien d’un cheval disaient le statut social. Aux époques moderne et contemporaine, la cavalerie demeure une composante essentielle du corps de bataille et, si le cheval n’est aujourd’hui plus utilisé à des fins offensives, il demeure toujours employé dans des opérations de maintien de l’ordre ou d’escortes protocolaires.

    Les hommes ont, en temps de guerre et depuis qu’ils sont parvenus à les domestiquer, toujours mobilisé des animaux à leurs côtés. Parmi eux, les chevaux occupent une large place, partageant dans l’enfer des combats les mêmes souffrances, et souvent le même destin, que leurs compagnons humains.

    L’emploi militaire des animaux est avéré au moins dès le IIIe millénaire avant J.-C., au Moyen Orient, avec l’invention du char de guerre tiré par des ânes, puis des chevaux. Le char domine les combats du IIe millénaire tandis que la monte des chevaux aboutit à la création de la cavalerie autour du VIIe siècle avant J.-C.

    Le début d’une longue tradition

    Ces aspects sont vite diffusés en Europe. Les Gaulois utilisent les chars pour harceler l’adversaire, en descendent pour combattre en duel, les reprennent pour la retraite. Confrontés à la souple infanterie romaine, ils les délaissent au IIe siècle avant J.-C. au profit de la cavalerie qui fait leur renommée depuis longtemps mais qu’ils emploient souvent de la même manière.

    Les Romains adoptent la distinction, inventée au Moyen-Orient, transmise par la Grèce, entre l’infanterie et la cavalerie. Celle-ci devient une arme déterminante au début de l’Empire, malgré ses problèmes de coût, d’entretien et d’efficacité du fait de l’absence des fers et des étriers. Les Romains oscillent entre la cavalerie lourde, qui enfonce les lignes adverses mais qui est désemparée face à un ennemi mobile, et la cavalerie légère, qui harcèle pour épuiser ou accentuer une déroute.

     

    Cavalier

    Cavalier gaulois, Emmanuel Fremiet (1824-1910). © RMN

     

    Après une éclipse à l’époque des royaumes barbares, où l’on combat plutôt à pied, la cavalerie reprend de l’importance grâce à la selle à arçons et aux étriers. Ils apportent la stabilité pour manier l’épée ou la lance et ils imposent la cavalerie lourde du VIIIe au XVIe siècle. Les armes à feu la rendent obsolète et la cavalerie légère domine jusqu’au Premier Empire. Parce qu’il use de charges de cavalerie, Napoléon restaure la cavalerie lourde des cuirassiers, qui coexiste avec la cavalerie légère des chasseurs et hussards jusqu’en 1914.

    D’autres animaux participent aux guerres. En France, ce ne sont pas les chats porteurs de messages comme en Égypte ancienne, ni les éléphants, entrevus lors du passage d’Hannibal en 218 avant J.-C., mais les bœufs, les mules, les ânes pour le transport des armes et des bagages. Les pigeons sont de service aux renseignements jusqu’à la Première Guerre mondiale.

    L’emploi des chiens dans les combats se répand dans l’Antiquité, du Moyen-Orient à l’Europe celtique, en suscitant des élevages spéciaux. Les molosses gaulois sont réputés hardis et fidèles. Jusque sous l’Ancien Régime, les chiens sont souvent bardés de cuir ou de métal, d’un collier à pointes de fer pour les protéger des armes et des morsures adverses. Ils attaquent à côté de leurs maîtres, sont lancés en bandes pour mettre en fuite les chevaux ou les fantassins, sont chargés d’achever les blessés et les fuyards. Ils participent aussi à la conquête de l’Amérique du Sud par les Conquistadors. Les armes à feu réduisent peu à peu cette utilisation aux XVIe-XVIIe siècles et les chiens sont repliés sur la messagerie ou la surveillance, comme depuis l’Antiquité. Du IXe au XVIIe siècle, par exemple, certains étaient disposés sur le rivage méditerranéen pour prévenir des attaques barbaresques. Cependant, la guerre de 1914-1918 voit leur grand retour en ajoutant les rôles de pisteur de blessés, de porteur de munitions, d’installateur- de lignes téléphoniques, de tireur de mitrailleuses ou d’obusiers en terrain exposé.

     

    estafette

    Une estafette de l'armée française repart avec un message attaché à son collier, Première Guerre mondiale. © Bridgeman

     

    L’apogée de la Grande Guerre

    Jamais on n’a enrôlé autant d’animaux depuis l’Antiquité que durant cette Grande Guerre qui représente le premier apogée de l’utilisation des animaux militaires. Rien que sur le front Ouest (le front Est est très mal connu en Occident, du fait de la barrière des langues, et les historiens d’Europe de l’Est ou de Russie ne s’intéressent pas encore à ce sujet), environ 10 millions d’équidés, 100 000 chiens, 200 000 pigeons auraient été enrôlés pour porter, tirer, guetter, secourir, informer… Les tranchées ont également abrité des milliers d’animaux domestiques ou de ferme, abandonnés par des civils en fuite, et d'animaux sauvages coincés au milieu du front, mais aussi des myriades de rats, de mouches, de poux, attirés par l'aubaine. Pour évoquer leur histoire, on pourrait en rester à leurs utilisations, et cela a été souvent fait, mais cela condamne en réalité à ne parler que des humains qui les emploient. En empruntant leur point de vue, de manière à restituer leurs vécus, leurs actions, leurs émotions, leurs coopérations ou leurs résistances, leurs souffrances et leurs destins, on peut plutôt se demander comment ces animaux ont vécu la guerre. Ainsi, prenons l'exemple des chevaux, les plus nombreux au front, et voyons leur manière d'endurer le conflit.

    La guerre du côté des chevaux

    Les chevaux éprouvent d'abord un stress psychologique et physique lors de leur réquisition, en perdant leurs repères habituels pour une succession de lieux, de mains, de voix. Leur embarquement dans les wagons est souvent difficile car leur mode de vision leur fait croire qu'ils sont précipités contre un obstacle ; ils résistent, hennissent, se sentent poussés, frappés, se font serrer les uns contre les autres. Les plus rétifs continuent à hennir, à frapper les parois ; beaucoup sont apeurés par les trains qui passent, éprouvés par les secousses, irrités par les congénères inconnus.

    Ils vivent un autre bouleversement lors de leur affectation, en devant s'habituer à de nouveaux noms, de nouvelles voix et conduites, de nouveaux gestes et mots en divers patois changeant au gré des réaffectations, permissions, disparitions des hommes. Ainsi, les chevaux de trait affectés à la cavalerie se retrouvent avec un homme sur le dos, rarement plus aguerri, tout aussi craintif. Ceux qui réagissent, hennissent, ruent, subissent des coups, entendent des cris, ce qu'ils enduraient rarement s'ils venaient des campagnes. Dans les services attelés, les chevaux doivent apprendre à travailler avec des congénères, pour les solitaires d'autrefois, ou de nouveaux partenaires, pour les habitués à cet emploi. Ils sont assemblés selon leur taille, leur force, voire leur couleur, rarement selon leur caractère que les hommes ne connaissent pas.

    Lors des essais à tirer ensemble, beaucoup se heurtent, glissent, tombent, s'empêtrent dans les traits, s'épuisent. L'adaptation est remise en cause par les changements d'affectation et les arrivées de nouveaux partenaires, tels ces chevaux canadiens ou argentins, côté alliés, qui se montrent rebelles à la discipline et qui déconcertent autant leurs congénères habitués que les conducteurs, qui font alors pleuvoir les coups.

     

    convoi

    Arrivée d’un convoi de 600 chevaux réquisitionnés, Paris, août 1914. © Roger-Viollet

     

    Les fatigues du service

    Lors des offensives de 1914, nombre de chevaux de cavalerie font 50 à 100 km par jour. Les chevaux d'artillerie tirent de longues journées et ne sont guère dételés les nuits, pour réagir vite, ce qui les empêche de bien se reposer. Les chevaux de ravitaillement et d'évacuation s'évertuent à suivre ces allées-venues, se retrouvent assaillis de sacs, de fusils et d'hommes lors des retraites. Ces bêtes sont aussi très éprouvées par la soif et la faim, les combats empêchant de s'arrêter et le ravitaillement ne suivant pas toujours, tandis qu'elles perdent leurs fers, que leurs sabots s'abîment.

    À partir de la stabilisation du front, le travail change. Nombre de chevaux de cavalerie sont affectés à d'autres services. Dans l'artillerie, les bêtes déplacent de lourdes pièces sur des terrains remués, boueux l'automne et le printemps, gelés l'hiver, en s'enlisant ou glissant. Bien que ponctuel, ce travail les épuise d'autant plus que les longues attentes à l'arrière les déshabituent et que les efforts sont violents, membres raidis, tête penchée, souffle court.

    Les chevaux de ravitaillement ou d'évacuation font des tâches moins brutales mais plus longues et très exigeantes, notamment lorsqu'il faut monter en seconde ligne les lourds sacs de munitions, de sable, d'outils, dans les pires conditions de terrain. Tous les chevaux connaissent à nouveau les dures marches et contremarches lors des attaques de 1916, de Verdun à la Somme, et des offensives de 1918, où les cavaleries reprennent du service pour colmater les brèches ou accélérer l'attaque.

    Au travail s'ajoutent la crainte des brutalités humaines pour aller plus vite ou avancer quand même, et la peur des bruits au loin, des claquements de balles et d'obus à proximité, qui font sursauter, s'arrêter, souffler, trembler. Les chevaux sont aussi effrayés en voyant, sentant, écoutant les congénères agonisants ou morts. Les chevaux éprouvent ainsi un stress chronique qui perturbe leur système endocrinien et la distribution hormonale, ce qui réduit leur physiologie digestive, donc leur régénération et leurs capacités immunitaires. Ces bêtes ne compensent pas leur angoisse par le repos et les soins : lors des mouvements, elles sont laissées dehors, aux intempéries ; le reste du temps, elles sont rassemblées dans des parcs ou réparties dans des bâtiments endommagés ou vite construits, souvent ouverts aux quatre vents, alors qu'elles n'étaient pas habituées à cela dans le "civil".

    Les chevaux souffrent aussi d'une alimentation irrégulière en 1914, avec le retard du ravitaillement depuis l'arrière lors des marches et contremarches. Bien que la situation se régularise avec la stabilisation du front, les bêtes sont souvent rationnées du fait des pénuries, notamment du côté des empires centraux à partir de 1917. Tous doivent- s'habituer à des aliments nouveaux pour remplacer l'avoine, trop chère et difficile à obtenir : son, orge, fèves, riz décortiqué, glands, tourteaux d'oléagineux, drêches de distillerie, voire farine de viande et sang desséché côté allemand et autrichien.

     

    Chevaux_tués

    Chevaux tués, 1914. © Roger-Viollet

     

    Des bêtes épuisées

    De fait, beaucoup d'équidés, estimés après-guerre à 82 % des mobilisés côté français, sont surmenés, c'est-à-dire usés nerveusement, essoufflés, fiévreux, courbaturés. En conséquence, ils n'arrivent plus à suivre, maigrissent sous l'effet de complications digestives, subissent des infections contagieuses. Dès 1914, les malades réquisitionnés contaminent les jeunes, non immunisés, et les adultes aux toisons pleines de parasites, aux jambes crevassées par la boue des sols souillés.

    Aussi, côté français puis italien où l'on ne fait pas encore de dépistage préventif, beaucoup de chevaux sont frappés par des épidémies de morve et de gourme (l'angine du cheval) en 1914-1915. Partout, le nombre de chevaux galeux explose après l'hiver 1914-1915 et augmente jusqu'en 1918, car les bêtes, sales, fatiguées, rationnées, attirent le parasite. Elles deviennent la plaie des armées, d'autant que la maladie est difficile à détecter et que les traitements sont insuffisants ou bâclés.

    Les souffrances des blessés

    Partout, nombre de chevaux de trait pâtissent de mauvais réglages de leur attelage. Les bêtes à pelage ras souffrent plus que celles à gros poils et peau épaisse, de même que les plus amaigries et les plus sales ressentent davantage les frottements sur les pointes proéminentes de leurs os ou sur leur toison pleine de poussières, de brindilles, de sable, autant de "rabots" pour entamer leur peau ramollie par la sueur des efforts.

     

    harnachement

    Système de harnachement en service au 15e bataillon de chasseurs alpins, vers 1938. © RMN

     

    En revanche, les chevaux blessés aux combats sont moins nombreux. Comme les soldats, ils le sont plutôt par les balles durant les marches de 1914, par les obus ensuite. Les blessés musculaires peuvent sentir la douleur s'atténuer peu à peu mais se raviver s'ils sont vite remis au travail. Ils font alors leur service tant bien que mal, gardant le métal dans les tissus, souffrant au gré de sa migration dans le corps, tremblant de fièvre et maigrissant s'ils contractent une infection dessus.

    À partir de 1915, les équidés subissent les gaz. Avec les irritants, ils souffrent de la gorge et des poumons, certains décédant par arrêt réflexe de la respiration et du cœur ; avec les vésicants, ils subissent des brûlures aux membres et sous les traits, étendues et profondes si leur sueur a humidifié et perméabilisé leur peau, s'ils ne sont pas aussitôt lavés. Les chevaux touchés de près par les suffocants et maintenus à l'avant meurent vite ; les autres, plus éloignés ou retournés à l'arrière, sont malades selon leur santé et leur travail, les gros traits épuisés étant les plus fragiles.

    Le choc des agonies

    Leurs agonies sont souvent décrites par des soldats tout aussi choqués que pour les hommes. Les chevaux criblés d'éclats s'affalent, poitrail ou abdomen ouvert, pattes agitées, se raidissant, yeux révulsés, gorge renâclant. Les mitraillés s'écroulent sur les genoux, essaient de se relever, puis s'allongent, yeux écarquillés, râlant. Les surmenés s'écroulent foudroyés d'une crise cardiaque ou s'arrêtent soudainement, ne bougent plus. Peu décrits, en revanche, les équidés agonisant à l'arrière car ils sont abattus pour éviter une perte de soin, de temps, d'espace. En fait, ces bêtes abattues sont aussi nombreuses au front, où des agonisants sont achevés d'une balle entre les yeux ou dans l'oreille.

    Le nombre des morts est important tout en variant beaucoup selon les camps, plus ou moins précautionneux. Le taux de mortalité aurait été de 15 % côté britannique et de 40 % côté français. La pluralité des maux ne suffit pas à expliquer la mortalité. L'hyperspécialisation des chevaux (au physique, en aptitude, au travail), entreprise au XIXe siècle, a entravé leur adaptation à d'autres tâches, comme ces chevaux lourds, très efficaces sur les courts trajets civils mais vite épuisés dans les longues marches militaires. Enfin, le traumatisme de la réquisition puis des traitements sans ménagement ont favorisé l'épuisement rapide des chevaux, notamment dans les camps négligents, comme le français où l'on confond cheval et machine !

    Second apogée

    Contrairement à ce que l’on croit d’instinct, l’utilisation des animaux n’a pas décru après la Grande Guerre. Cavalerie et train hippomobile sont bien présents durant l’entre-deux-guerres, la drôle de guerre et la Seconde Guerre mondiale pour laquelle il semble (les études précises manquent) qu’on ait mobilisé autant et sans doute plus d’animaux que durant la Grande Guerre. Derrière les avions et les chars allemands qui envahissent les pays voisins en 1940, les chevaux sont légion pour tracter les munitions et l’intendance. Bien que vite dépassée lors de la débâcle, la cavalerie française est en première ligne. Ânes et mulets sont présents en nombre dans les montagnes, côté français et italien.

    Les chevaux semblent encore bien plus nombreux à l’Est, lors des combats germano-soviétiques à partir de 1942. Et c’est bien à cheval que les généraux allemands contemplent le défilé de leurs troupes à Paris en 1940 ou que leurs homologues russes défilent à Moscou en 1945. Finalement, la seule armée totalement mécanisée est l’américaine. Ce qui ne l’empêche pas d’utiliser nombre de chiens lors de la reconquête des îles du Pacifique, de manière à débusquer les soldats japonais cachés dans la jungle. Les Allemands en emploient beaucoup pour surveiller les côtes ou traquer les fuyards ou les partisans. Côté russe, et même si ce rôle est resté marginal bien que très médiatisé, des chiens sont entraînés et lancés pour détruire des mines ou des chars.

    Les pigeons ne manquent pas à l’appel : l’armée anglaise en aurait même plus utilisé, dans la marine ou lors des combats en Normandie, que durant la Grande Guerre ! Comme durant celle-ci, les animaux sont encore des compléments utiles ou indispensables aux moyens techniques.

     

    Monument

    Monument aux morts de Chipilly (Val de Somme), Henri-Désiré Gauquié. © Agence tourisme Val de Somme

     

    Maintien résiduel

    Le déclin massif intervient après 1945 avec le renvoi des équidés, des pigeons (il en reste quelques-uns au Mont-Valérien, en souvenir), des ânes (mais ils sont encore utilisés lors de la guerre d’Algérie). Cela n’empêche pas des recherches, notamment côtés américain et russe, par exemple pour utiliser des dauphins comme porteurs de mine (à condition qu’ils puissent distinguer les coques, ce qui n’est pas évident) ou comme détecteurs d’hommes-grenouilles ennemis dans des ports militaires.

    En ces premières décennies du XXIe siècle, ce sont surtout les chiens qui sont utilisés pour détecter, repérer ennemis et explosifs, pour prévenir, éclairer, guider, aider les leurs. Cependant, la transformation massive de cette espèce en animaux de compagnie rend ces utilisations de plus en plus problématiques en Occident (les Russes n’ont pas encore ces états d’âme), notamment lorsque le chien est sciemment sacrifié. La pression d’une opinion publique de plus en plus critique dans ce dernier cas devrait conduire à remplacer ces canidés par des robots.

     

    Baratay

    Auteur

    Éric Baratay - Membre senior de l’Institut Universitaire de France - Professeur à l’Université de Lyon/Jean Moulin

    Le musée de la colombophilie militaire

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    Visite du dernier colombier militaire d’Europe à la forteresse du Mont-Valérien, Suresnes (92) lors des Journées Européennes du Patrimoine 2021. © DIRISI IDF – 8ème RT

    Christophe Blanchard

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    Christophe Blanchard

    L’animal, partenaire du soldat du XXIe siècle

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    L’adjudant-chef Patxi, membre des forces spéciales Terre du 1er RPIMA de Bayonne, et son chien Lioda. © Bruno Bucher

    23 octobre 1983 : l’attaque du poste Drakkar à Beyrouth

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    Le 23 octobre 1983, 58 soldats français, tous membres des 1er et 9ème régiments de chasseurs parachutistes et présents à Beyrouth dans le cadre d’une force multinationale de sécurité, trouvent la mort lors de la destruction du poste «Drakkar», nom donné à l’immeuble où ils étaient stationnés depuis moins d'un mois.

    Les femmes de l’armée de l’Air et de l’Espace

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    Gaëlle, pilote d’hélicoptère Fennec dans l’armée de l’Air/crédit DICoD

    L’armée de l’Air et de l’Espace est, avec plusieurs milliers de femmes ayant intégré ses rangs, la plus féminisée des armées françaises. Leur intégration est le résultat d’une longue histoire, ainsi que d’une dynamique qui se poursuit et se renforce, année après année.

    MÉMOIRES VIVES en hommage à Bernard Courtault

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    La place actuelle des femmes dans les armées

    La place actuelle des femmes dans les armées

    Journée internationale des droits des femmes, 4 mars 2020. © A.Millet/Armée de l'air/Armées

    De plus en plus nombreuses sous l’uniforme, les femmes ont, en France, désormais accès à tous les emplois militaires, y compris ceux de sous-mariniers depuis 2014. Elles bénéficient du même statut militaire que les hommes et peuvent accéder aux plus hauts niveaux de commandement, ce qu’atteste la nomination, ces dernières années, de plusieurs d’entre elles au grade de général. Cette évolution positive se rencontre dans de nombreux autres pays et traduit plus généralement une évolution normative considérable en faveur de la diversité et de l'inclusion dans les sociétés contemporaines. Aujourd’hui, et même si de nombreux progrès restent à accomplir, l’armée française est devenue, avec 16,5 % de femmes dans ses rangs, l'une des armées les plus féminisées au monde.

    Un rôle longtemps méconnu

    Un rôle longtemps méconnu

    Portrait de groupe de soldats et d'infi rmières devant le château de Bizy (Normandie), entre 1900 et 1917. © ECPAD/collection Suchet d'Albufera-Vergé

    Si l’engagement combattant des femmes est historiquement avéré, si leur rôle essentiel dans l’effort de guerre est depuis longtemps documenté, la reconnaissance durable de leur implication par le corps social est plus compliquée. En temps de guerre, les femmes investissent la place publique, la dichotomie public/privé se brouille et les valeurs normatives éclatent. Le temps du retour à la paix est par contre celui de la réassignation, plus ou moins brutale et plus ou moins explicite selon les lieux et les époques. Ce retour à l’ordre genré d’avant-guerre est dès lors propice à l’occultation de l’engagement féminin dans la mémoire collective, une "invisibilisation" qui, pour la Seconde Guerre mondiale, s’exprime par exemple dans le très faible nombre de femmes (six seulement) reconnues comme Compagnons de la Libération.

    Un engagement assumé

    Un engagement assumé

    Madeleine, résistante "La Rose dégoupillée" (tome 1), Bertail Jean-David Morvan-Riffaud. © Éditions Dupuis

    Amazones antiques ou du Dahomey, militaires sous uniforme ou civiles prenant les armes pour lutter contre l’envahisseur, de nombreuses femmes ont, par le passé, fait la preuve de leurs capacités guerrières. Leur engagement combattant s’inscrit dans le temps long de l’Histoire, transcende les époques et les espaces. Témoignages de contemporains, mosaïques et peintures, films et photographies rendent compte de cette présence féminine sous les armes, qui s’incarne dans quelques personnalités emblématiques dont la Résistance française fournit, à l’époque contemporaine, plusieurs exemples. En 2015, l’entrée de Germaine Tillion et Geneviève Anthonioz de Gaulle au Panthéon fait ainsi écho aux engagements passés de celles qui, au travers des siècles, ont montré que les domaines de la guerre et du militaire en général n’étaient pas le champ exclusif de la gent masculine.