Indochine 1954

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Entraînement d'un escadron blindé de l'armée vietnamienne. - © ECPAD
Entraînement d'un escadron blindé de l'armée vietnamienne. - © ECPAD

Sommaire

    En résumé

    DATE : 13 mars-7 mai 1954

    LIEU : Diên Biên Phu (Indochine)

    ISSUE : Défaite française

    FORCES EN PRÉSENCE : Corps expéditionnaire français d’Extrême-Orient (environ 10 000 hommes au début des combats)

    Troupes du Viêt-Minh (environ 70 000 hommes)

    Il y a soixante ans, l’armée française livrait, au cours de combats acharnés à Diên Biên Phu, sa dernière bataille majeure en Indochine. Alors que s’ouvre la conférence internationale de Genève, cette défaite précipite la fin de la guerre et celle de la présence française dans la région.

    Le 7 mai 1954, après 56 jours de combats, le camp retranché de Diên Biên Phu succombe. Le lendemain, les journaux métropolitains s’emparent de l’événement et la défaite française s’étale en caractère gras sur toutes les manchettes. Une partie de l’opinion publique est saisie de stupeur et d’incompréhension : la guerre d’Indochine s’est rappelée à la France d’une façon bien cruelle en ce jour anniversaire de la capitulation allemande. La classe politique de la IVe République - à l’exception peut-être des communistes - comme beaucoup de militaires peu au fait des réalités indochinoises se posent la question qui, bientôt, deviendra célèbre : "Pourquoi Diên Biên Phu ?".

    L’ARMÉE FRANÇAISE DANS L’IMPASSE

    "De l’autre côté de la colline", la victoire de l’armée populaire vietnamienne (APV) est célébrée avec ferveur. Pour tous les Vietnamiens ayant épousé la cause viêt-minh, Diên Biên Phu représente un pas important vers la paix, tandis que chez bon nombre de peuples encore colonisés, elle devient un symbole d’espoir. Pourtant, pour Paris, la chute du camp retranché de Diên Biên Phu ne constitue pas un handicap insurmontable puisque les forces engagées - et donc perdues - au cours de la bataille ne dépassent pas plus de 3,3% des 450 000 combattants que la France et ses alliés entretiennent alors face au Viêt-Minh. En réalité, le choc psychologique est tel qu’il renforce encore davantage la volonté politique de mettre un terme au conflit et accélère sa conclusion.

    Au printemps 1953, le conflit indochinois est entré dans sa huitième année. Les nombreux gouvernements qui se sont succédé n’ont jamais vraiment déterminé de buts de guerre clairement définis. S’il n’est plus question désormais de restaurer l’ordre colonial ancien, s’agit-il de construire une véritable Union française, qui serait à tout point de vue un fardeau pour le pays, ou encore de lutter au nom du «monde libre» contre le communisme international ? Personne ne le sait vraiment mais, pour beaucoup d’officiers, il fait peu de doutes que, victorieuse ou vaincue, la France devra partir à brève échéance.

    D’un point de vue militaire, la guerre est dans une impasse. Depuis 1946, les Français ont progressivement perdu l’initiative face au Viêt-Minh et le commandement militaire se contente de parer les coups, avec plus ou moins de succès. Les victoires "l’année de Lattre" - 1951 - paraissent bien lointaines et l’année 1952 n’a été marquée par aucune avancée significative.

     

    2e BEP Indochine 1951

    Franchissement de la rivière Nam Nim par des éléments du 2e bataillon étranger de parachutistes, octobre 1951. © ECPAD

     

    Les communiqués de victoire au lendemain de la bataille de Na San ne doivent pas occulter le fait que le succès défensif obtenu n’a, en réalité, rien de satisfaisant. Comme l’écrira le maréchal Juin un an après les événements : "nous nous en sommes tirés grâce à la valeur de notre commandement et de nos troupes, mais il n’en reste pas moins que les résultats [sont] médiocres".

    TROUVER "UNE PORTE DE SORTIE HONORABLE" AU CONFLIT

    De fait, même le général Gilles qui commandait à Na San aurait déclaré à son état-major : "Jamais, jamais plus, se remettre dans des conditions semblables"… Si au Sud-Vietnam des progrès certains sont enregistrés dans la pacification permettant de transférer quelques provinces aux bataillons de l’armée nationale vietnamienne, au Centre-Annam, et plus encore au nord du pays, la menace que fait peser un corps de bataille viêt-minh, de plus en plus puissant, laisse mal augurer de l’avenir. La situation ne cesse de se dégrader et le "pourrissement" du delta du Tonkin, comme l’appellent les militaires, s’accentue chaque mois si bien qu’à la fin de cette année-là, un général pouvait écrire avec une certaine ironie : "Ce n’est pas le Viêt-Minh qui est infiltré dans le delta, mais nous"… L’occasion d’"en finir" avec le conflit, devenu par ailleurs un véritable gouffre financier, est dans de nombreux esprits parmi les responsables politiques de la IVe République. C’est René Mayer, président du Conseil entre le 8 janvier et le 28 juin 1953, qui va se charger de mettre en place une politique nouvelle avec la ferme intention de sortir du guêpier indochinois.

    Cette volonté de changement se traduit immédiatement par le remplacement du général Salan. Ce dernier est certes l'un des meilleurs connaisseurs de l'Indochine comme de l’adversaire, mais sa stratégie est contestée - particulièrement par les Américains qui le jugent trop "timide" et pas assez "offensif" - et surtout il convient de trouver un homme chargé de mettre en place une nouvelle politique. Cet homme, ce sera le général Henri Navarre, nommé commandant en chef le 8 mai 1953, dont la méconnaissance totale de l’Indochine doit permettre, lui assure-t-on, d’appréhender la situation avec des "yeux neufs". La mission du général Navarre est claire : il s’agit de trouver une "porte de sortie honorable" au conflit, c’est-à-dire d’amener le Viêt-Minh à la table des négociations en l’ayant, au préalable, affaibli politiquement et militairement.

    Afin de remplir cette mission, Navarre propose un plan sur deux ans qui prévoit, au cours de la première année – correspondant à la campagne 1953-1954 - que les forces du corps expéditionnaire observent une attitude strictement défensive au Nord-Vietnam, se contentant de défendre le delta si ce dernier est attaqué. En revanche, au Sud-Vietnam, la pacification devra être poursuivie et, seules des opérations d'envergure pourront être déclenchées pour assainir le Centre-Vietnam, le fameux Lien Khu V (ou interzone V) du Viêt-Minh. Parallèlement, le général Navarre s'efforcerait de transférer au maximum la sécurité des régions les plus sûres à l'armée nationale vietnamienne. Cette politique permettrait ainsi de récupérer des unités et de reconstruire un corps de bataille digne de ce nom, capable de s'opposer aux divisions du général Giap.

    La seconde année, 1954-1955, serait celle de la reprise de l'offensive au Nord-Vietnam et les Français pourraient espérer, grâce aux forces mobiles reconstituées, à l'augmentation des formations vietnamiennes et à l'accroissement de l'aide américaine, infliger des revers sérieux à l'ennemi qui rendrait possible "une solution politique convenable au conflit" selon les mots du général Navarre. Ce plan qui, finalement, s'inspire des recommandations faites par le général Salan, reste en définitive fort théorique et repose sur des postulats fragiles.

    En effet, pour qu'il ait une chance d'être appliqué et atteindre ainsi les résultats escomptés, il aurait fallu que le Viêt-Minh ne tentât pas une offensive de grande ampleur en direction du Laos à l'hiver 1953-1954 et qu'il ne bénéficiât pas, par ailleurs, d'une aide accrue de la part de la Chine communiste. De fait, les livraisons de matériel et d'armement à destination des divisions viêt-minh ont considérablement augmenté en l'espace d'une année. Comme le résume justement Pierre Rocolle dans son ouvrage Pourquoi Diên Biên Phu ?, le plan Navarre est "conçu pour obtenir l'équilibre avec le corps de bataille viêt-minh en 1954 et pour le dépasser dans la seconde moitié de l'année 1954".

    Discuté à Paris au mois de juillet 1953, d'abord au sein du Comité des chefs d'état-major, l'organe qui réunit les chefs d'état-major des armées (terre, air, mer), puis dans différents conseils restreints rassemblant les ministres intéressés par les questions indochinoises, le plan Navarre ne suscite aucune objection majeure. Curieusement, si le plan ne fait pas l'objet d'une approbation officielle, le commandant en chef en Indochine ne reçoit pas davantage de directives claires quant à la politique que le gouvernement entend mener. Ainsi, lorsque Navarre soulève la question de la stratégie qu'il doit mettre en œuvre si le Laos est menacé, celle-ci reste en suspens : il ne reçoit aucune réponse.

    LE CORPS EXPÉDITIONNAIRE ENCERCLÉ À DIÊN BIÊN PHU

    Du côté du Viêt-Minh, les buts de guerre restent inchangés . il s’agit toujours de prendre le pouvoir et d’instaurer un régime communiste dans un Vietnam réunifié. À l’automne 1953 pourtant, la stratégie qu’entend mettre en œuvre Giap n’est pas bien arrêtée : une offensive généralisée sur le delta, où les Français à l’abri de leur fortification peuvent bénéficier à plein de leur puissance de feu, semble risquée, d’autant plus que des renforts sont attendus de la métropole. Aussi, à la fin du mois d’octobre 1953, le commandement viêt-minh décide de déplacer la guerre en haute région tonkinoise : l’objectif est de s’emparer de Laïchau, en pays thaï, resté fidèle aux Français, et de détruire les maquis pro-coloniaux qui gênent considérablement les unités viêt-minh.

    La division 316 et le régiment autonome 48 sont donc dirigés vers Laïchau. Parfaitement renseigné des intentions de l’adversaire, le général Navarre ordonne, le 2 novembre 1953, de réoccuper la vallée de Diên Biên Phu afin d’empêcher qu’elle ne devienne une base opérationnelle viêt-minh. Elle est à l’époque la seule plaine importante de la région, fertile en riz . elle se présente comme une ellipse dont l’axe nord-sud atteint jusqu’à 17 kilomètres et celui est-ouest, près de 7 kilomètres par endroits. L’opération Castor a finalement lieu le 20 novembre 1953 : trois bataillons parachutistes du groupement aéroporté n°1 (GAP 1) sont largués et rejoints les jours suivants par trois autres bataillons du groupement aéroporté n°2 (GAP 2). Au soir du 22 novembre 1953, 4 560 parachutistes français et vietnamiens ont pris possession de la vallée de Diên Biên Phu et commencent à en faire une base aéroterrestre, c’est-à-dire un ensemble logistique centré autour d’un terrain d’aviation et défendu par des centres de résistance.

     

    opération Castor 1953

    Premier largage sur Diên Biên Phu, 20 novembre 1953, opération Castor. © ECPAD

     

    Dans l’esprit de Navarre, la création d’une base aéroterrestre à Diên Biên Phu répond certes à l’obligation de protéger le Laos, mais elle doit servir de point de départ aux troupes françaises pour rayonner sur les arrières des troupes adverses et, enfin, les attirer loin du delta où une attaque est toujours possible. Le général Giap, lui, voit surtout dans l’établissement de cette garnison, dépendant uniquement du ravitaillement aérien, l’occasion de remporter une importante victoire : au lendemain de l’opération Castor, il ordonne donc à une partie de son corps de bataille de rejoindre Diên Biên Phu à marche forcée. Ainsi, Diên Biên Phu ne constitue pas le fruit d’une offensive planifiée de longue date, mais bien le résultat de décisions et de réactions prises par chacun des belligérants.

    Dès la fin du mois de décembre 1953, le colonel Christian de La Croix de Castries et les douze bataillons du corps expéditionnaire qui composent désormais la garnison de Diên Biên Phu sont encerclés. Le général Giap a massivement concentré, autour de ce qui est devenu, de facto, un véritable camp retranché, une grande partie de son corps de bataille : les divisions d’infanterie 308, 312, 316 et une partie de la 304. Par ailleurs, la totalité de la division d’infanterie 351 est présente avec ses régiments d’artillerie et de défense contre avion.

    L’ATTAQUE VIÊT-MINH

    À la fin du mois de janvier 1954, le général repousse finalement l’attaque, jugeant que les conditions de la victoire ne sont pas réunies. Malgré la déception des combattants viêt-minh, pressés de mettre fin à cette situation d’attente, ce report est une bonne décision pour le Viêt-Minh. En effet, l’annonce, à la mi-février 1954, de la tenue d’une conférence à Genève qui aurait notamment pour but d’étudier "le problème du rétablissement de la paix en Indochine", a comme conséquence une accélération brutale de l’aide chinoise : armement, munitions, camions, essence affluent en masse.

     

    patrouille à l'ouest de Dien Bien Phu

    Patrouille à l'ouest de Diên Biên Phu avec fusil-mitrailleur en batterie, 1954. © ECPAD

     

    Dans le camp viêt-minh, en effet, arriver à la table des négociations en position de force passe par une victoire à Diên Biên Phu : celle-ci doit être obtenue quel qu’en soit le coût humain. À la veille de l’attaque, le camp retranché de Diên Biên Phu constitue une position qui impressionne les visiteurs – hommes politiques comme journalistes - qui se rendent sur place. La défense de Diên Biên Phu est axée sur la protection du terrain d’aviation, élément clé du dispositif, qui est protégé par des centres de résistance implantés sur des collines auxquelles ont été attribués des prénoms féminins : Anne-Marie, Béatrice, Gabrielle, Huguette, etc.

    Le 13 mars 1954, à 17h10, l’artillerie viêt-minh ouvre le feu : la bataille vient de commencer, elle va durer près de deux mois. Si les Français ne sont pas surpris par l’attaque, dont l’heure était connue de leurs services de renseignement, sa violence crée la stupeur. Mais autrement plus grand est le choc quand, au matin du 14 mars, l’on apprend la chute de Béatrice, défendue par l’un des bataillons que l’on pensait le plus solide : le 3e de la 13e demi-brigade de la Légion étrangère. Le lendemain, c’est au tour du centre de résistance Gabrielle de tomber malgré des combats acharnés. Le chef de bataillon de Roland de Mecquenem, un temps commotionné, se rappelle lorsqu’il reprend conscience : "Je commence à percevoir des bruits [...], le fracas des combats d’abord, puis des sons plus proches, des gémissements, des cris de douleur. [...] Je sors en soulevant la toile de tente qui sert de porte. Il fait encore nuit, l’air est chargé de poussière jaune. Un [avion] Dakota lâche des bombes éclairantes les unes après les autres. Les feux amis/ennemis s’entrecroisent : l’artillerie de Diên Biên Phu tire sur le nord de Gabrielle, où je suis. Le spectacle est hallucinant".

     

    état-major GAP

    État-major du groupement aéroporté (GAP) de Diên Biên Phu, 22 mars 1954. De gauche à droite : capitaine Botella du 5e BPVN ; chef de bataillon Bigeard du 6e BPC ; capitaine Tourret du 8e BPC ; lieutenant-colonel Langlais, chef du secteur centre ; commandant de Seguins-Pazzis, chef d'état-major du colonel de Castries. © ECPAD

     

    Dans les jours qui suivent, la défection d’un certain nombre de soldats thaïs qui occupaient Anne-Marie achève de livrer toute la partie nord du camp retranché au Viêt-Minh. Giap a donc remporté la première manche : il menace directement la piste d’aviation, l’artère vitale de la garnison française, qui cesse finalement d’être utilisée à partir du 26 mars. Seuls les parachutages sont désormais susceptibles de ravitailler les combattants ou de renforcer la garnison. Les attaques viêt-minh ont cependant été très sanglantes et Giap va désormais adopter une tactique alternant assauts brutaux et grignotage progressif du dispositif français, grignotage pour lequel il fait réaliser un véritable lacis de boyaux et de tranchées qui vont littéralement «asphyxier» le camp retranché.

    UNE DÉFAITE MAJEURE

    Dans la nuit du 30 au 31 mars, Giap déclenche la seconde phase de son offensive et commence alors la bataille dite des "cinq collines", à l’est du camp retranché. Les centres de résistance Dominique et Éliane font l’objet de furieux combats au corps-à-corps mais, pour les Français, leur conservation est primordiale car de leur sort dépend celui de la garnison. En définitive, les combats se poursuivent jusqu’au 10 avril 1954 . les contre-attaques des parachutistes et légionnaires permettent de reprendre une partie des positions perdues. Le grignotage s’intensifie pourtant dans la seconde quinzaine du mois d’avril au cours de laquelle la pluie fait son apparition. Pour les Français, le rétrécissement de la superficie du camp retranché rend le ravitaillement de plus en plus précaire et, dans les abris, des milliers de blessés s’entassent dans des conditions insalubres. Le 1er mai 1954, le général Giap lance l’offensive finale : les points d’appuis, défendus par des combattants épuisés et commençant à manquer de munitions, tombent les uns après les autres. Le 7 mai, en fin d’après-midi, après en avoir rendu compte à Hanoï, le général de Castries (promu le 15 avril) donne l’ordre de cesser le combat. Au lendemain de la chute du camp retranché, l’heure est au bilan.

     

    blessé Indochine

    Transfert d’un blessé de Diên Biên Phu à Luang Prabang (Laos). © Adrian René/ECPAD

     

    Comme souvent lorsqu’il est question de chiffrer les pertes, les données divergent selon les sources et il est difficile d’obtenir une estimation précise. Pour le corps expéditionnaire qui a engagé 17 de ses meilleurs bataillons, le calcul s’avère moins compliqué. À la date du 5 mai 1954, on sait que 1142 combattants sont déclarés morts et 1606 portés disparus ; par ailleurs, 4 436 ont été blessés, plus ou moins grièvement. À ce total, il convient d’ajouter les pertes des deux derniers jours de combat, évaluées entre 700 et 1 000 hommes. Au total, le Viêt-Minh capture donc un peu plus de 10000 hommes, 60% de ceux-ci mourront dans les camps viêt-minh, de malnutrition, de maladies, de misère physiologique. Du côté de l’APV, bien que l’État vietnamien ne reconnaisse toujours officiellement que 4 020 tués, 792 disparus et 9 118 blessés, les chiffres communément admis par les historiens font état de 22 000 victimes, tués et blessés confondus.

    Si l’heure est au bilan et au recueillement, elle l’est également à la recherche des responsabilités. Dès le 8 mai 1954, le général Navarre assume les siennes en même temps qu’il justifie l’occupation et la bataille de Diên Biên Phu. Celle-ci a sauvé le Laos, le corps de bataille ennemi a été saigné et les bataillons français ont fixé au total 33 bataillons viêt-minh loin du delta, sauvant peut-être celui-ci d’un désastre.

    Dans cette optique, Diên Biên Phu serait certes une défaite sur le plan tactique, mais constituerait cependant une victoire stratégique, les buts recherchés par le commandant en chef ayant été finalement atteints. Ce point de vue semble, en effet, se défendre et les arguments avancés par Navarre apparaissent pertinents, même si ce dernier n’est pas exempt de reproches.

    Toutefois, la chute du camp retranché, quelles que soient les raisons objectives de la défaite - augmentation de la puissance de feu de l’armée viêt-minh née de l'aide chinoise et de l’annonce de la conférence de Genève, faiblesse de l’aviation française, erreurs dans la conduite de la bataille à tous les échelons, représente une défaite politique et psychologique majeure pour les Français. Trois mois plus tard, le 21 juillet 1954, le cessez-le-feu mettant fin à la première guerre d’Indochine est signé à Genève. Soixante ans après les faits, Diên Biên Phu est devenue une ville de quelque 70 000 habitants où l’on peut apercevoir çà et là les vestiges des violents combats qui opposèrent les combattants français à leurs homologues viêt-minh. Les faits d’armes accomplis d’un côté comme de l’autre doivent continuer, dans le respect de l’histoire, à être entretenus dans les mémoires nationales en France, comme au Vietnam.

     

    entrée des Viet Minh dans Hanoï 1954

    Entrée des troupes de l’armée populaire du Vietnam (APVN) dans Hanoï, octobre 1954. © ECPAD

    Auteur

    Ivan CADEAU - Officier et docteur en histoire au Service historique de la défense

    Le retour à la République

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    Sommaire

      En résumé

      DATE : 10 – 31 août 1944

      LIEU : Paris

      ISSUE : Libération de Paris

      FORCES EN PRESENCE : 5e corps d'armée américain du général Gerow
      2e division blindée du général Leclerc
      Forces françaises de l'intérieur (FFI)
      Garnison allemande du général von Choltitz

      Cœur séculaire de l'État souverain, Paris occupé par les Allemands, depuis le 14 juin 1940, est pour de Gaulle "le remords du monde libre." Depuis le débarquement en Normandie, le 6 juin 1944, la capitale se retrouve au centre de la stratégie et au cœur de la politique. 

      Paris "cœur du pays captif" revêt, dans la dernière bataille, une importance extrême. C’est pour lui un objectif capital qui est un passage obligé pour la reconquête de la souveraineté nationale sur le plan extérieur comme intérieur. 

      Le 3 juin 1944, le Comité français de la Libération nationale d’Alger (CFLN) devient le gouvernement provisoire de la République (GPRF) signifiant pour les Alliés qu’il y a un gouvernement de guerre dirigé par le général de Gaulle. "La libération nationale ne peut être séparée de l’insurrection nationale", a-t-il affirmé en avril 1942. Il l’a rappelé en 1943 et 1944 mais en soulignant qu’elle doit se faire dans l’ordre et sous contrôle. C’est bien le sens des mesures prises à Alger sur l’organisation des pouvoirs civils et militaires visant à la prise du pouvoir et au rétablissement de la légalité républicaine en métropole au cours de la Libération. L’ordonnance du 21 avril, outre la restauration de l’État républicain, rappelle le rôle du comité militaire d’action en France (COMIDAC) présidé par de Gaulle dans "la conduite des opérations en territoires occupés" avec comme représentant militaire à Londres le général Koenig, chef des Forces françaises de l’Intérieur. Un mois avant, il a été rappelé que le COMIDAC y exerce le commandement par l’intermédiaire d’un délégué militaire national clandestin, nommé en avril, le général Chaban-Delmas.

      Paris, enjeu de souveraineté

      Paris retrouve son statut de capitale politique en 1943 sous l’impulsion de Jean Moulin qui installe le siège d’un contre-État clandestin par le regroupement de la résistance et la création du Conseil de la Résistance, rassemblant mouvements, syndicats et partis politiques. Fragilisée après la disparition de Jean Moulin, la Délégation générale s’affirme comme l’émanation de l’État, à l’heure de la Libération. Alexandre Parodi, conseiller d’État, nommé en avril 1944, est promu le 14 août "membre du GPRF, commissaire d’Etat délégué pour les territoires occupés". Représentant direct de De Gaulle, il prépare l’installation du gouvernement provisoire dans la capitale. Quant au CNR, présidé par Georges Bidault depuis septembre 1943, il s’affirme comme l’autorité la plus représentative de la Résistance et revendique son autonomie. Il s’est adjoint le Comité d’action militaire (COMAC), dominé par les communistes, pour diriger l’action militaire en France. En dépit de sa participation au GPRF depuis avril, le Parti communiste veut jouer un rôle dans la capitale avec ses hommes aux leviers de commande suscitant les craintes du GPRF. Ni Chaban-Delmas ni Parodi n’ont craint une prise de pouvoir par les communistes.

      Paris, que son passé révolutionnaire inquiète, fait l’objet d’une ordonnance spéciale fixant son administration municipale et départementale. Les préfets de la Seine et de Police sont nommés dans le respect du principe d’un résistant de l’Intérieur et d’un Français libre comme pour les commissaires de la République. À la préfecture de la Seine, le résistant de l’intérieur, Marcel Flouret (1892-1971), est désigné le 28 avril 1944. Il prend possession de son poste à l’Hôtel de ville, le 20 août, jour de l’occupation de la maison commune, pour assurer la continuité des services municipaux. Le 17 juin, de Gaulle nomme préfet de police le Français libre Charles Luizet, rallié dès le 18 juin 1940, et qui a fait ses preuves comme préfet de la Corse libérée. 

      Sur le plan extérieur, de Gaulle tient pour essentiel que les armes de la France agissent à Paris avant celles des Alliés. Il craint que les Américains n’installent une administration militaire des territoires occupés (AMGOT) comme ils l’ont fait en Italie. En décembre 1943, il désigne le général Leclerc et la 2e DB pour libérer Paris et y installer le pouvoir français. L’accueil enthousiaste de la population de Bayeux à de Gaulle, le 14 juin 1944, comme la nomination des autorités civiles, éloignent le spectre de la l’AMGOT. À la mi-août, la rupture de la poche de Falaise et le débarquement de Provence amènent Eisenhower à remettre à plus tard la libération de Paris pour donner la priorité au front de l’Est et contourner la grande ville. Le ravitaillement de la population pose des problèmes logistiques et il ne veut pas d’un "nouveau Stalingrad" à Paris.

      La voie de l'insurrection (14 juillet-18 août 1944) 

       

      barricades

      FFI à l’affut derrière une barricade, Paris, août 1944. © DR

       

      Côté allemand, même si la bataille de Normandie est la priorité jusqu’à la mi-août, la ville Lumière demeure un symbole pour Hitler qui a nommé le général von Choltitz à la tête du Gross Paris avec mission de tenir la ville jusqu’au dernier homme. Les forces (20 000 hommes, une vingtaine de chars) sont constituées d’administratifs, de soldats âgés peu motivés, mais aussi de soldats et de SS qui terrorisent. En témoignent les charniers des massacres (Cascade du bois de Boulogne, Mont Valérien. Toute à sa logique répressive, l’occupant continue de déporter : les derniers convois quittent la région parisienne les 31 juillet, 15 et 17 août, emmenant vers les camps de la mort 3 451 Juifs et résistants. Préoccupé par le sort des prisonniers politiques à Paris, le consul de Suède, Raoul Nordling, à force de négociations avec von Choltitz et la SS, obtient la libération de 2 000 personnes en échange de prisonniers allemands.  À la mi-juillet, le parti communiste, le COMAC et le Comité parisien de la Libération (CPL), créé en octobre 1943 par André Tollet, résistant communiste et syndicaliste, veulent faire du 14 juillet une journée de manifestation, prélude à l’insurrection. La tension monte entre activistes et temporisateurs. Aux manifestations succèdent les grèves insurrectionnelles initiées par les cheminots le 10 août, puis les policiers, le 15 août, les fonctionnaires de la ville, les postiers et les infirmiers, le 18 août. Elles répondent aux consignes d’action du général de Gaulle du 7 août "Français débout et au combat [..] "Ne pas accomplir de travaux utiles pour l’ennemi."  Le 18 août, les événements de Paris échappent à tout contrôle extérieur. En dépit des consignes de Koenig ramenées de Londres par Chaban-Delmas, de freiner le mouvement, l’insurrection est en marche comme le constate Alexandre Parodi. "Paris était mûr pour un grand soulèvement". À Paris, la chaîne de commandement a été simplifiée : le colonel Rol-Tanguy (communiste, FTPF), commandant les FFI d’Ile-de-France, chef de guerre reconnu, assure la direction militaire de l’insurrection disposant des forces armées de la résistance, des FPTF de Charles Tillon, chef national, et de l’ensemble des forces gouvernementales, gendarmes, sapeurs-pompiers que Parodi a placé sous ses ordres par souci d’unité et d’efficacité.

      Mobilisation générale ! (19 août-23 août 1944)

      L’occupation spontanée de la Préfecture de police, le 19 août, par 2 000 agents soutenue par Rol-Tanguy, suit de peu l'ordre général de mobilisation, dactylographié par Cécile, sa femme, rappelant les missions de chacun : patrouilles, occupation des bâtiments publics, usines… enfin "ouvrir la voie de Paris aux armées alliées victorieuses et les y accueillir". Le manque d’armes pour s’opposer aux attaques allemandes, suscite la négociation d’une trêve par le consul de Suède avec von Choltitz, d’abord pour la seule Préfecture de police, puis étendue à toute la ville. Soutenue par Parodi, Chaban-Delmas, Hamon du CPL, qui y voient le moyen d’attendre les Alliés, elle est rejetée par Rol, le COMAC et le CNR qui dénoncent une démobilisation et y voient une ruse de l’ennemi pour faciliter le repli des forces de Normandie. Jamais respectée, elle est rompue le 21. Entre temps, le dimanche 20 août, policiers, résistants, jeunes des Equipes nationales se font ouvrir les portes de l’Hôtel de ville, au nom du gouvernement provisoire. La mobilisation est relancée avec la construction de près de 500 barricades, phénomène tout à fait exceptionnel dans la France de l’été 1944. Le peuple de Paris renoue avec son rôle séculaire. Si les insurgés sont isolés car les communications avec Londres et Alger sont difficiles, "La radiodiffusion de la nation française" et la presse écrite sortie de la clandestinité le 21 août, alimentée par les dépêches de l’Agence Française de Presse tout juste née, sont mobilisatrices.

       

      prise_de_guerre_ffi

      Acheminé à la Préfecture de police, un canon antichar pris aux Allemands par les FFI - policiers.
      © Gandner Musée du général Leclerc et de la Libération de Paris/ Musée Jean Moulin (Paris Musées)

       

      De son PC à Denfert-Rochereau, l’état-major FFI, outre les ordres de guérilla, met en place la surveillance du réseau d’eau potable pour prévenir tout empoisonnement par l’ennemi qui a aussi miné certains lieux : les centraux téléphoniques de la rue des Archives (3e) et Saint-Amand (15e), le Sénat, les ponts de Saint-Cloud, Alexandre III ou Neuilly, le Cercle militaire Saint-Augustin et des itinéraires, ainsi que le fort de Charenton ou le château de Vincennes. L’incendie du Grand Palais le 23 août par l’ennemi, en représailles à l’attaque par les policiers-FFI d’une colonne allemande, donne à penser que la destruction des monuments historiques est programmée. Les unités et les chars allemands qui se replient servent de renforts temporaires et nourrissent les peurs. 

      La 2e DB en marche (23-24 août)

      Quant à Leclerc, son inquiétude grandit le 18 à l’annonce de l’insurrection, puis à la nouvelle que les Américains contournent la ville. Paris est son obsession depuis la mi-août et il intervient auprès du général Patton (chef de la 3e armée) puis de Hodges (la 1re armée) lorsqu’il apprend le rattachement de sa division au 5e corps d’armée américain du général Gerow. Sans attendre confirmation de l’ordre, il regroupe son unité et envoie, le 21, un détachement léger (chars, automitrailleuses, infanterie) aux ordres d’un Français libre du Tchad, le commandant de Guillebon, en direction de Versailles, avec ordre d’entrer dans Paris si l’ennemi se replie. L’envoi d’émissaires mandatés par les résistants auprès des Alliés et l’insistance de De Gaulle qui menace de donner l’ordre à la 2e DB de marcher sur Paris, décident le généralissime Eisenhower à envoyer la 2eDB et la 4e division d’infanterie américaine du général Barton sur la capitale. C’est un sursaut de conscience des Américains qui veulent sauver Paris.

      Rapide le 23 août, la progression est freinée le 24, car la 2e DB se heurte à de fortes défenses allemandes. Parodi, Chaban-Delmas, Luizet pressent Leclerc et sa division d’entrer dans Paris. En réponse, au mépris de la Flak allemande (défense allemande antiaérienne), Leclerc envoie un piper-cub (petit avion de reconnaissance) larguer sur la Préfecture de police, un message "Tenez-bon, nous arrivons". Dans la soirée, à Antony, son inquiétude est à son comble, lui qui espérait l’entrée de son unité dans Paris le soir-même et parce que des renforts allemands du nord de la France sont en route. Voyant un de ses premiers compagnons, le capitaine Dronne, tout désigné pour cette mission, il lui ordonne "de foncer sur Paris". À 21h 20, les chars et halftracks de "La Nueve", composée à majorité de républicains espagnols, parviennent sous les ovations place de l’Hôtel de ville. À la nouvelle, les cloches des églises se mettent à sonner. Peu après, le Général dicte ses consignes : "rentrer dans Paris par les itinéraires principaux, foncer au cœur de la capitale, prendre les ponts […] aller droit à VON CHOLTITZ obtenir sa capitulation".

      "Paris libéré" (25 août 1944)

       

      Leclerc

      Leclerc examinant le plan de Paris avec son supérieur le général Gerow, 25 août 1944.
      © coll. NARA, Musée du général Leclerc et de la Libération de Paris/ Musée Jean Moulin (Paris Musées)

       

      Le 25 août, alors que ses trois groupements pénètrent dans Paris, Leclerc dans son "command car", avec Chaban-Delmas pour guide, fait son entrée par la porte d’Orléans au milieu d’une foule délirante jusqu’à son PC à la gare Montparnasse. Rejoint par le général Gerow, son supérieur américain, il lui expose son plan de bataille. Puis après avoir félicité les cheminots « vous avez bien travaillé », il se rend à la Préfecture de police que Barton a rejoint. Dans la salle de billard du préfet, PC de son adjoint le colonel Billotte, arrive, vers 15 h, Choltitz, prisonnier, pour signer les conventions de reddition des troupes allemandes. Y assistent Luizet, Chaban-Delmas, Kriegel-Valrimont du COMAC et Rol-Tanguy. Amené dans le "command car" de Leclerc au QG à Montparnasse, Choltitz signe une vingtaine d’ordres de reddition à ses unités qui combattent encore. C’est là que Leclerc, à la demande Chaban-Delmas et Kriegel-Valrimont, accepte que Rol-Tanguy signe un des exemplaires de la convention reconnaissant le rôle « du résistant de l’intérieur » dans les combats. En tête à tête avec von Choltitz, Leclerc l’oblige à faire le nécessaire pour ravitailler la population, dans l’attente de l’arrivée de l’aide alimentaire alliée. Les hommes de Leclerc, avec les FFI en appui, réduisent les défenses allemandes. Quant à la 4e division, elle opère dans l’est de la ville. Au soir du 25 août, les combats se poursuivent en banlieue.

       

      Leclerc Rol-Tanguy _accueillant_de -Gaulle

      Leclerc avec Rol-Tanguy accueillant le général de Gaulle à la gare Montparnasse, 25 août 1944. © coll. privée

       

      Il est un peu moins de 17 h lorsque Leclerc et Rol reçoivent le chef du gouvernement provisoire dans un Paris intact et libéré. De Gaulle  a préalablement fixé le déroulement de la journée : "Cela consiste à rassembler les âmes en un seul élan national, mais aussi à faire paraître tout de suite la figure et l’autorité de l’Etat". Leclerc lui rend compte. Il n’y a pas eu de vacances du pouvoir. Contrarié le matin même par le CNR, qui dans un texte s’affirme comme la seule autorité, de Gaulle reproche au chef de la 2e DB la signature de Rol. Mais il reconnaît le rôle des FFI et, le 18 juin 1945, fait Rol-Tanguy Compagnon de la libération.

      Il retrouve son bureau de secrétaire d’État à la Guerre – poste qu’il occupait dans le dernier gouvernement de la IIIe République –, au ministère, rue Saint-Dominique, montrant ainsi la continuité de l’État. La guerre n’étant pas terminée, le président du gouvernement provisoire entend aussi rappeler qu’il est le chef suprême des armées. Il se rend ensuite à la Préfecture de police où l’attendent les représentants provisoires de l’État : les préfets Flouret, Luizet et le délégué général Parodi. Il faut toute l’insistance de Luizet pour qu’il consente à se rendre à l’Hôtel de ville où l’attendent les membres du CPL et du CNR. Après Marrane et Bidault, il prononce ce discours de chef de gouvernement qui n’a d’investiture à recevoir de personne, sinon du peuple souverain. "Paris outragé, Paris brisé, Paris martyrisé mais Paris libéré, Paris libéré par lui-même, libéré par son peuple avec le concours des armées de la France." 

       

      de Gaulle

      Le général de Gaulle est accueilli par les représentants de l’État installés à la Préfecture de police. (à sa droite) le préfet Luizet.
      © Service de la mémoire et des affaires culturelles - SMAC - de la Préfecture de police.

       

      Un gouvernement républicain (26 août-13 octobre 1944)

      À Bidault qui lui demande de proclamer la République, il lui oppose une fin de non recevoir car la République n’a jamais cessé d’exister. Le combat mené depuis le 18 juin 1940 s’inscrit bien dans la continuité républicaine. L’ordonnance du 9 août 1944 ne rappelle-t-elle pas en son article 1 "La forme du Gouvernement de la France est et demeure la République. En droit celle-ci n'a pas cessé d'exister". Elle est bien l’aboutissement du manifeste du 27 octobre 1940, lancé de Brazzaville, affirmant la nullité des lois du gouvernement de Vichy. Ce que de Gaulle apprendra plus tard c’est que le CNR et le CPL ont envisagé de proclamer cette République avec ou sans lui.

      L’invitation des résistants au défilé, le 26 août, voulu par de Gaulle dans une tradition multiséculaire de triomphes et de victoires, calme les esprits. Rien n’est laissé au hasard. L’homme du 18 juin passe en revue un détachement du régiment de marche du Tchad, unité de Français libres de la 2e DB qui rappelle que les armes de la France se sont fait entendre dès l’été 1940. Puis le chef du gouvernement provisoire dépose une gerbe sur le tombeau du Soldat inconnu et entreprend ce cortège "triomphal" des Champs-Élysées à Notre-Dame qu’il a voulu "en donnant rendez-vous au peuple" et à qui il confie sa sécurité. Accompagné de Parodi et des membres du gouvernement provisoire, de Bidault et des résistants du CNR et du CPL, des préfets Luizet et Flouret, des généraux Leclerc, Koenig, Juin et Chaban-Delmas, de l’amiral Thierry d’Argenlieu, il parcourt à pied les deux kilomètres de l’Etoile à la Concorde sous les acclamations. C’est un de ces rares moments d’unanimité nationale. L’homme du 18 juin était une voix, il est devenu un visage, c’est un véritable adoubement. C’est la réinstallation triomphante dans la capitale de l’État républicain.

       

      défilé de Gaulle Champs Élysées

      De Gaulle sur les Champs-Élysées, (de gauche à droite) André Le Troquer, Georges Bidault, Alexandre Parodi, Achille Perretti, colonel de Chevigné, (à l’arrière) les généraux Koenig,
      Leclerc et Juin. © Serge de Sazo. Musée du général Leclerc et de la Libération de Paris Musée Jean Moulin (Paris Musées)

       

      Le 31 août, le gouvernement provisoire s’installe. Le retour à l’ordre est la priorité. La parade des deux divisions américaines le 29, est une démonstration de force qui répond à la préoccupation que de Gaulle a exprimée au général Eisenhower. La veille, de Gaulle a signé une ordonnance de dissolution des états-majors FFI dans les régions libérées. Koenig est nommé gouverneur militaire de Paris, le général Revers (chef de l’ORA) de la région parisienne et le colonel Rol-Tanguy est chargé de l’intégration des FFI dans l’armée de la Libération. Fin octobre, les milices patriotiques d’obédience communistes sont dissoutes, de Gaulle impose le pouvoir de l’État.

      Après la reconnaissance du GPRF par les Alliés le 23 octobre 1944, personne ne peut plus douter de la légitimité du général de Gaulle ni en France ni à l’étranger. Outre l’adoption d’un programme de développement économique par le gouvernement, l’Assemblée consultative provisoire tient sa séance solennelle le 9 novembre au Sénat où elle siège jusqu’à l’élection de la Constituante, le 21 octobre 1945. La France renoue aussi avec la consultation des Français dont le corps électoral a été élargi aux femmes et aux militaires par les élections municipales d’avril 1945, puis cantonales et législatives en novembre 1945.

      Du 18 au 30 août (date des derniers combats au nord de Paris), la bataille a coûté la vie à près de 5 000 personnes : 1 800 tués (156 hommes de la 2e DB, un millier de FFI dont 177 policiers, environ 600 civils et 3 200 Allemands) et 12 800 prisonniers. La libération de Paris par les Parisiens, soutenus par la 2e DB et les Alliés, est un acte historique majeur même si ce n’est pas la fin de la guerre. 

      Auteur

      Christine Levisse-Touzé, Directeur de recherche à Paris 4, Directrice du Musée du Général Leclerc et de la Libération de Paris et du Musée Jean Moulin (Paris Musées), conservateur général

      L'épreuve du feu

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      Sommaire

        En résumé

        DATE : 5-12 septembre 1914

        LIEU : de part et d'autre de la Marne, entre Paris et Verdun

        ISSUE : Victoire alliée

        FORCES EN PRESENCE : 1 082 000  hommes
        64 divisions françaises
        6 divisions britanniques
        900 000 hommes
        51 divisions allemandes

        À la fin du mois d’août, les cinq armées françaises engagées dans la bataille des frontières subissent toutes des échecs sanglants. Pourtant, à peine deux semaines plus tard, ces mêmes armées l’emportent sur la Marne, puis, d’octobre à la mi-novembre, contrent, dans la « course à la mer », les dernières grandes offensives allemandes avant 1916.

        L'adaptation des soldats aux nouvelles formes de combat

        Le 14 août au matin, la 13e division d’infanterie (DI), engagée dans l’offensive en Lorraine de la 1re armée, connaît son baptême du feu face au village de Plaine tenu par les Allemands.

        Jusqu’à 16 heures, les charges frontales à la baïonnette se succèdent et échouent face aux mitrailleuses et aux obusiers postés dans le village ou sur les hauteurs du Donon. À 16 heures, deux groupes de 75 sont placés face au point d’appui ennemi et, au mépris du règlement, préparent une attaque d’un nouveau style combinant une action frontale de fixation et un mouvement de débordement. Les Allemands sont obligés de se replier.

        À plus grande échelle, le comportement de l’armée française dans son ensemble évolue de manière aussi spectaculaire que la 13e DI. Si les échecs initiaux sont les résultats sans surprise des nombreuses failles de la préparation à la guerre du corps de bataille, les victoires ultérieures sont plus étonnantes tant la supériorité tactique allemande paraît importante.

        Un tel revirement bénéficie certes de facteurs circonstanciels bien connus comme l’affaiblissement allemand par la déconnexion d’un commandement trop lointain, les difficultés logistiques, le maintien de forces conséquentes autour des forteresses  résistant encore ou le retrait de deux corps d’armée allemands envoyés en Prusse orientale. Inversement, malgré les désastres, les pertes terribles (80 000 Français tués du 13 au 30 août) et une retraite éprouvante, les « pantalons rouges » (ou bleus) résistent, preuve que l’accent presque obsessionnel mis avant-guerre sur « le moral » a porté en partie ses fruits. D’un autre côté, l’effort de mobilisation humaine, presque identique à celui des Allemands, s’il a envoyé au front des hommes moins instruits ou plus âgés que ceux de l’ennemi a permis aussi de maintenir un rapport de forces plus équilibré que ne le laissait anticiper le différentiel démographique. Le redressement sur la Marne doit évidemment aussi à l’action du haut commandement français qui a su magistralement employer les forces mais il ne pouvait être obtenu avec le même instrument militaire sous peine, au niveau tactique, de renouveler les mêmes échecs sanglants. C’est donc un autre facteur qui a joué et Joffre le décrit dans ses mémoires : « Si le succès répondit à mon attente sur la Marne, c’est pour une très grande part que nos armées n’étaient plus au début de septembre celles des premiers jours de la guerre ». L’armée française s’est transformée plus vite dans les deux semaines qui séparent les batailles des frontières et de la Marne que pendant les trois années précédant la guerre.

        La transformation des armes

        L'infanterie : face à la puissance de feu allemande 

        L’infanterie est la première à souffrir de la découverte de la puissance de feu moderne. C’est donc aussi la première arme à se transformer. Le 15 août, le 8e régiment d’infanterie (RI) attaque le château de Dinant. Trop serré, il est frappé par des mitrailleuses allemandes. Le chef de corps ordonne alors d’oublier les attaques en ligne à un pas d’intervalle, fait manœuvrer ses compagnies par demi-sections autonomes et l’artillerie envoie des batteries avancées pour neutraliser les mitrailleuses. Le 25 août, le général Fayolle note dans son carnet : « A la 70e division, catastrophe entre 7 et 9 heures dans l’attaque d’Hoéville : il y avait beaucoup trop de monde en ligne. Il n’y a eu aucune reconnaissance, aucune préparation par le feu. Comment cela a-t-il pu se produire ? Pas de patrouilles de combat, pas d’éclaireurs, les masses d’hommes inutiles ! Aucune préparation. C’est fou. » Dès le lendemain, l’esprit et les méthodes ont changé : « On recommence, mais cette fois très prudemment, très lentement. La leçon a été bonne […] Je marche par bonds sous la protection de toute l’artillerie et après reconnaissances faites ». Alors que la 13e DI bat en retraite en Lorraine, un de ses officiers raconte comment ses hommes ont évolué : « ils pressentaient la supériorité des moyens de l’ennemi et voulaient tout mettre en œuvre pour y remédier. D’où leur merveilleuse aptitude à coller au feu, plus longtemps même que leurs officiers ne l’eussent parfois souhaité. D’où leur étonnante maîtrise dans ces retours offensifs qui devenaient pour l’ensemble de nos armées, un des procédés de manœuvre les plus efficaces ».

         

        infanterie 1914

        "1914... Déploiement d’infanterie avant l’attaque aux abords de la route de Varedde". © SHD

         

        Il décrit également comment ils apprennent à fortifier les villages avec l’aide du génie, à coordonner leurs actions avec les batteries de 75 et les sections de mitrailleuses renforcées de pièces récupérées dans les dépôts. La 13e DI est ensuite transportée par voie ferrée pour participer à la bataille de la Marne. Au débarquement, c’est l’artillerie divisionnaire, plus mobile, qui est envoyée immédiatement pour prendre position et tenir jusqu’à l’arrivée de l’infanterie, rôle totalement inédit pour cette arme. Entièrement déployée, la division développe par kilomètre de front une puissance de feu quatre fois supérieure à celle des premiers combats. En octobre, la division est à nouveau déplacée par voie ferrée jusqu’à Lille et, pour la première fois, plusieurs bataillons sont transportés par camions jusqu’au front. En défense, les unités d’infanterie comprennent vite que la seule parade efficace contre les mitrailleuses et l’artillerie réside dans l’enfoncement dans des trous de tirailleurs qui sont ensuite reliés entre eux pour faciliter les liaisons, puis recouverts de fils de fer barbelés. À partir du Grand Couronné de Nancy dès août 1914, le front se cristallise progressivement à l’initiative des fantassins et à l’insu du haut commandement.

        L'artillerie : plus fort, plus loin

        L’adaptation de l’artillerie est encore plus spectaculaire. Les artilleurs commencent par oublier le règlement d’emploi de 1910 et diversifier leurs missions. Les batteries de campagne ne se contentent plus d’appuyer les assauts, elles les préparent également. Pour améliorer la coordination avec l’infanterie, des officiers d’artillerie sont détachés en liaison auprès de l’infanterie et le colonel commandant le régiment d’artillerie divisionnaire devient le conseiller du général, laissant à son second le soin d’organiser le tir des batteries. Pour faciliter les ordres et intervenir plus vite, l’artillerie est souvent groupée en masse, parfois en groupement de 30 batteries comme le préconise le général Bro, commandant l’artillerie du 1er corps.

        Ces groupements sont placés le plus en avant possible compte tenu du tir des obusiers ennemis. La méthode consistant à guider les pièces en restant à proximité est remplacée de plus en plus par le guidage à distance. Pour cela, il faut des lignes téléphoniques. Des hommes fouillent tous les bureaux de poste et même les maisons particulières. Un commandant de corps d’armée envoie à Paris un officier acheter tout le matériel téléphonique qu’il pourra trouver. On s’essaie également aux tirs sur zone ou sur des objectifs non vus. Face aux obusiers allemands, on improvise des tirs à longue portée avec enfoncement de la crosse, mode d’action pour lequel on ne s’était jamais entraîné. Le 7 août 1914, une batterie du 2e corps ravage ainsi à plus de 5 000 m un régiment de cavalerie allemande. À la fin du mois d’août, à la bataille de la Mortagne, le général Gascouin fait tirer à 9 500 mètres sur des rassemblements ennemis importants. Il emploie pour cela des obus à balles fusants munis d’ogives spéciales de fusées à longue durée destinés aux tirs contre avions. Le réglage est effectué par trois ballons captifs retirés de places fortes. À ces grandes distances, le réglage aérien devient nécessaire, quelques commandants d’artillerie de corps d’armée réussissent à se faire prêter des avions avec des observateurs formés à la hâte, parfois par précaution avant les hostilités.

         

        artillerie

        "1914... Un groupe d’Artillerie attendant les ordres". © SHD

         

        En pleine bataille de la Marne, le général Herr, commandant l’artillerie du 6e corps d’armée décrit des pièces « camouflées sous des gerbes de blé, d’autres tirant contre des avions grâce au creusement de fosses. Un de nos appareils s’essayait à un réglage contre les mortiers de 210 ». Ce spectacle était inconcevable quelques semaines plus tôt. Le 6 septembre, à Montceau-lès-Provins, grâce aux deux avions démontables qu’il a fait construire lorsqu’il commandait l’école d’aviation de Vincennes, le colonel Estienne parvient à détruire complètement un groupement d’artillerie allemand. Dès la mi-août, le haut commandement autorise le prélèvement de pièces lourdes dans les places fortes pour compenser la terrible infériorité dans ce domaine. Dans la deuxième semaine d’août, la 3e armée reçoit six batteries de 120 mm prélevées à Verdun. Dans la nuit du 27 août, la 1re armée est renforcée par trois batteries lourdes venant d’Epinal. Elles ouvrent le feu le lendemain, guidées par un ballon observatoire et trois avions. En septembre, la 2e armée défend le Grand Couronné de Nancy avec dix batteries lourdes et une quarantaine de 80 et 90 mm de Bange.

        Toutes ces adaptations se généralisent très vite et permettent en particulier de profiter à plein des capacités du canon de 75.

        Le 6 septembre, sur la Marne, le 15e régiment d’artillerie (RA) stoppe à lui seul un assaut allemand en tirant à bout portant.

        Le 10 septembre, à la Vaux-Marie, une violente attaque de l’armée du Kronprinz est clouée sur place par une action en masse de toute l’artillerie du 6e corps français. À partir du 7 septembre, pour échapper à l’artillerie française, les Allemands tentent des attaques massives de nuit mais à l’imitation de la 1re armée, qui a appliqué cette méthode dès le 24 août, les corps généralisent les barrages d’alerte nocturnes. Dans l’offensive qui suit la victoire de la Marne, le colonel Alléhaut décrit l’assaut d’un bataillon d’infanterie du 20e RI (33e DI) le 26 septembre : « notre infanterie a effectué un bond en avant . une partie de la ligne bavaroise cède du terrain . nouvelle rafale de nos 75, un peu plus longue que la première . nouveau bond, presque simultané de nos fantassins qui, collant aux projectiles de leur artillerie, avancent avec une superbe ardeur, abordant l’infanterie bavaroise presque en même temps que nos obus. Et ainsi de suite, les bonds succédant aux rafales jusqu’à ce qu’enfin les Bavarois […] refluent en désordre ».

         

        artillerie Marne

        "Campagne 1914. Bataille de la Marne. Une batterie d'artillerie et relais au Marais de Saint-Gond". © SHD

         

        Ce procédé, qui ressemble beaucoup à celui du barrage roulant qui ne sera codifié qu’en 1916, est né spontanément sous la pression des circonstances et grâce aux liens qui unissent un colonel d’infanterie et un capitaine, commandant de batterie, qui travaillent activement ensemble depuis des mois.

        La cavalerie : une mutation nécessaire

        L’adaptation de la cavalerie est beaucoup plus difficile, car le cheval est incapable d’évoluer face à la puissance de feu moderne.

        En Lorraine, dans les Ardennes et en Belgique, chacun des trois corps de cavalerie subit un échec sanglant. Pendant la bataille de la Marne, on parvient péniblement à former un groupement de 1 800 cavaliers pour mener un raid sur les arrières ennemis mais à l’issue de cette bataille, la cavalerie, épuisée, est incapable d’exploiter la victoire. Pour tenter de s’adapter, les corps de cavalerie improvisent des groupes d’automitrailleuses, à base de véhicules civils transformés, ou incorporent parfois des bataillons d’infanterie sur camions, embryon des futures unités motorisées. Surtout, ils s’efforcent d’accroître leur capacité de combat à terre, quitte à piller les entrepôts de l’arrière pour y trouver les outils et les mitrailleuses qui leur manquent. Des bataillons à pied sont également créés en démontant des escadrons. Ces innovations restent néanmoins limitées.

         

        cavalerie 1914

        "Campagne 1914. Bataille de la Marne. Cavalerie au Petit-Morin. Marais de Saint-Gond". © SHD

         

        L'aviation : de l'observation à l'offensive

        L’aviation démontre en revanche très rapidement son utilité en fournissant des renseignements décisifs comme la découverte du mouvement de l’armée Von Kluck prêtant le flanc  devant Paris à la 6e armée française, puis on improvise le réglage d’artillerie dès qu’une partie du front se stabilise. On assiste également à de multiples expérimentations spontanées comme les vols de nuit ou les essais photos. Des agents sont transportés sur les arrières de l’ennemi. Chaque équipage prend aussi l’habitude de s’armer, pour se défendre en cas d’atterrissage forcé, et de profiter des missions de reconnaissance pour frapper les concentrations de troupes avec quelques bombes ou boites de fléchettes. Les 14 et  8 août 1914, deux avions français bombardent les hangars Zeppelin près de Metz, et très rapidement les pilotes recherchent le duel.

        La force des innovations 

        La patrie est ainsi sauvée non seulement par le courage des hommes mais aussi par leur intelligence. On est frappé par la multiplicité des innovations. En réalité, la plupart d’entre elles sont issues de l’avant-guerre, et cela n’a été possible que parce que les régiments disposaient de ressources autonomes, ne serait-ce que des ressources en temps. L’armée française a accepté pendant plus de quarante ans de « gâcher » des ressources en laissant des « originaux » tester des méthodes différentes ou imaginer des prototypes. Quelques centaines de cadres ont pu ainsi développer leurs idées dans les garnisons ou dans les camps de manœuvre et les garder en mémoire.

        Toutes ces idées plus ou moins cachées apparaissent au grand jour dès les premiers combats. D’autres sont venues en cours d’action grâce au mélange d’hommes venus d’armes différentes associés à la mobilisation dans les grandes unités et vivant ensemble en permanence. Cette vie commune et permanente, face à des problèmes urgents à résoudre, efface les cloisonnements et multiplie les échanges. Les officiers de réserve apportent aussi leurs compétences propres, comme les Centraliens tous mobilisés dans l’artillerie, ou cet exploitant agricole amenant avec lui ses tracteurs chenillés pour tracter des pièces d’artillerie. Ces innovations multiples n’auraient eu guère d’effets si elles étaient restées localisées. On constate au contraire qu’elles se diffusent très vite. Le Grand Quartier général (GQG) est lui-même parfaitement au courant de la situation, grâce aux comptes rendus systématiques qu’il reçoit après chaque combat et surtout grâce à ses officiers de liaison. Cette information se traduit par des notes de service rapides et pertinentes.

         

        Marne1   Marne 2

         

        Marne 3   Marne 4

        "La bataille de la Marne. Le sursaut français". © Musée de la Grande Guerre du pays de Meaux. Don Petit

         

        Dès les 16 et 24 août, le 3e bureau du GQG édite deux notes de synthèse recensant les défauts constatés et les procédés qui ont fait leur preuve pour les pallier (organiser le terrain conquis, coordonner les armes dans l’attaque, diluer les dispositifs, etc.). Le 3 septembre, une nouvelle instruction constitue dès cette époque la charte de la guerre de positions.

        On y parle de ligne avancée, de deuxième ligne avec tranchées profondes, de tours de service, de réserves dissimulées, d’épaulements pour protéger les pièces, etc. Les idées circulent aussi très librement entre unités voisines ou camarades de promotion que l’on rencontre dans la zone étroite des combats. Le 10e corps reçoit ainsi une note du 1er corps, en date du 19 août 1914, décrivant l’emploi des mitrailleuses par les Allemands lors des combats de Dinant le 15 août et le danger des formations trop lourdes ou des dispositifs trop rigides. Il serait illusoire de croire cependant que ces ordres, notes ou informations orales puissent être suivis d’effets immédiats. La note du 16 août du GQG est reçue le 19 par la 5e armée, elle ne peut éviter l’échec de Charleroi.

        Le haut commandement renouvelé 

        Les généraux ont un rôle clef de synthèse et de relais de l’information. Beaucoup sont malheureusement défaillants.

        Durant la bataille de Charleroi, le commandant du 3e corps d’armée est introuvable au moment le plus critique de la journée. Le général Joffre note laconiquement dans son journal : « au 14e Corps, au 5e Corps, même incapacité notoire ». Les sanctions sont immédiates et à la date du 31 décembre 40% des commandants de grandes unités ont été limogés. Cette politique, parfois injuste mais énergique, permet de réduire les erreurs les plus graves et de faire monter des colonels compétents comme Nivelle, Maud’huy, Pétain, Fayolle ou même Grandmaison, ou des généraux comme Franchet d’Espèrey ou Foch qui prennent en cours d’action le commandement d’armées.

        Des ajustements tactiques aux nouvelles formes de combat

        Toutes les armes subissent simultanément le choc de la redécouverte de la guerre après plusieurs décennies de paix. Ce premier défi est d’abord l’occasion de mesurer le décalage qui peut exister entre la vision que l’on a de la guerre future et la complexité des faits. Elle permet de constater également la capacité d’adaptation de l’armée française. En dépit de quelques améliorations techniques des matériels existants, cette adaptation est essentiellement tactique. Il apparaît surtout que le moteur de l’évolution est désormais la pression du front qui s’exerce sur les unités de première ligne. C’est là que naissent les micro-innovations et les idées qui transforment les armes, par une diffusion horizontale (on imite les bonnes idées) ou verticale (comptes rendus, propositions, demandes).

         

        La Ferté sous Jouarre

        "La Ferté-sous-Jouarre Commencement de la retraite des Allemands". © SHD

         

        Dans The Fatal Conceit (1989), l’économiste autrichien Friedrich von Hayek explique comment, dans une société complexe, l’agencement spontané de millions de décisions individuelles conduit à un équilibre plus stable que dans un système centralisé, incapable de gérer en temps réel toutes les informations.

        De la même façon, dès les premiers combats, les problèmes tactiques sont si nouveaux, si urgents et évoluent si vite que seules les unités au contact direct du front sont susceptibles d’y faire face à temps. Les régiments s’attachent spontanément à gommer leurs défauts les plus meurtriers et à inventer de nouvelles méthodes plus efficaces. La petite échelle des nouveautés qui y sont testées avec des moyens de fortune permet alors d’effectuer les ajustements nécessaires de manière très rapide. Ces micro-transformations continuent à exister tant que perdure la sanction du feu, c’est-à-dire pendant toute la guerre.

        Auteur

        Michel Goya, Colonel

        Aristide Briand (1862-1932)

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        Aristide Briand, vers 1920. © Archives du ministère des Affaires étrangères, Paris
        Aristide Briand, vers 1920. © Archives du ministère des Affaires étrangères, Paris

        Opération Léopard - Kolwezi 17 mai-16 juin 1978

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        Défilé du 2e REP à Lubumbashi. Source : ECPAD France
        Défilé du 2e REP à Lubumbashi. Source : ECPAD France

        Honoré d'Estienne d'Orves (1901-1941)

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        Portrait d'Honoré d'Estienne d'Orves en 1930. © Service Historique de la Défense (SHD)
        Portrait d'Honoré d'Estienne d'Orves en 1930. © Service Historique de la Défense (SHD)

        Joseph Joffre (1852-1931). Vainqueur de la Marne

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        Portrait du maréchal Joffre. © SHD
        Portrait de Joffre maréchal. © SHD

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